Productivité : le frein économique français
Non seulement nombre de Français au travail est insuffisant et plombe la croissance mais en plus la productivité de ceux qui travail plonge de manière dangereuse. De nombreux facteurs explicatifs comme sans doute le rapport au travail mais aussi le manque de formation de base et de compétence. La désindustrialisation aussi au profit de services eux-mêmes insuffisamment productifs. Dans une note intitulée « Cap sur le capital humain pour renouer avec la croissance de la productivité », le conseil d’analyse économique a tiré la sonnette d’alarme ce jeudi 29 septembre. « Le ralentissement de la productivité est un problème économique important dans notre pays. Par rapport aux Etats-Unis et à l’Allemagne, la productivité en France diminue plus vite », a déclaré Xavier Jaravel, un des co-auteurs de la note et prix du meilleur jeune économiste en 2021 lors d’un point presse. ( papier de la Tribune)
Le premier enseignement frappant de ce travail documenté de plus de 80 pages est que la baisse de productivité tricolore a amputé le produit intérieur brut (PIB) d’environ 5,8 points sur la période 2003-2019. Cela représente environ 140 milliards d’euros en quinze ans. Ce décrochage de la productivité hexagonale par rapport à l’Allemagne ou aux Etats-Unis entraîne également des pertes faramineuses pour les finances publiques de l’ordre de 65 milliards d’euros avec un taux de prélèvements obligatoires de 46%.
Pour se donner un ordre de grandeur, les économistes rappellent que cette somme représente le budget annuel du ministère de l’Education nationale. Le centre de recherches rappelle que la France a perdu 7 points de PIB par habitant par rapport à l’Allemagne en quinze années. Une grande partie de ce décrochage (5 points) s’explique par des pertes de vitesse de la productivité.
Enfin, il faut rappeler que si les chercheurs ont focalisé leurs travaux sur les deux dernières décennies, le ralentissement de la productivité en France est loin d’être un phénomène récent. Depuis la fin des « 30 glorieuses », l’économie hexagonale enregistre de plus faibles gains de productivité. « En France, la croissance de la productivité du travail est divisée par deux au cours des années 70 et passe d’un rythme de 5% l’an à un rythme de 2,6% », expliquent les économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) Éric Heyer et Xavier Timbeau dans un récent (*) ouvrage consacré à l’économie tricolore. Les différentes crises économiques liées aux chocs pétroliers des années 70 et au resserrement drastique des politiques monétaires ont porté un coup dur à la productivité dans les pays riches de la planète durant cette période.
L’autre constat important est que la plupart des secteurs sont concernés par ce coup de frein de la productivité. Sans surprise, la chute de productivité dans l’industrie peut s’expliquer en partie par une transformation du modèle productif français. La désindustrialisation accélérée de l’économie hexagonale depuis les années 70 a provoqué des destructions massives d’emplois dans l’industrie. Résultat, les emplois à forte productivité ont considérablement chuté.
La productivité est en général plus forte dans l’industrie que dans les autres secteurs. Dans la construction et le commerce, les tendances sont très négatives par rapport à l’Allemagne. Enfin, même dans les technologies de l’information et de la communication, les résultats sont « alarmants » jugent les économistes du centre d’analyse.
L’un des principaux facteurs évoqués par les économistes pour expliquer ce ralentissement est le décrochage de la France en matière de compétences, en particulier en mathématiques. « Plusieurs analyses récentes s’accordent sur le constat d’une nette dégradation du niveau moyen mais restent ambiguës concernant l’évolution en haut de la distribution [...] Nous confirmons ici le constat d’une dégradation générale du niveau en France et montrons également que ce constat s’applique également aux meilleurs scores de la distribution en particulier sur la période récente », indiquent les économistes. L’organisme rattaché à la Première ministre pointe du doigt également la dégradation des compétences dans la sphère professionnelle.
« Le décrochage éducatif sur les mathématiques et les compétences socio-comportementales pèse sur la productivité. Les capacités socio-comportementales comprennent les capacités à travailler en équipe, à communiquer par exemple. La France est en mauvaise posture sur les compétences en mathématiques et socio-comportementales. La baisse en mathématiques concerne aussi bien la moyenne générale mais aussi les meilleurs élèves, » résume Xavier Jaravel, professeur à la London School of Economics (LSE).
Face à ce constat accablant, le conseil d’analyse économique fait plusieurs préconisations. « Notre première recommandation est de mettre en place une vraie ambition sur la hausse des performances éducatives. Il y a une série de réformes à mener sur les programmes, la formation des enseignants. Il faut également insister sur le renforcement des compétences socio-comportementales dans le cursus scolaire. il faut mettre l’accent sur les formations ultérieures [au cours de la carrière] », poursuit l’économiste.
Le crédit d’impôt recherche convoité par les grandes entreprises est dans le viseur du conseil d’analyse économique. Plusieurs économistes de tout bord ont étrillé cette niche fiscale réclamée par les grands groupes tricolores. « L’effet incitatif du CIR est faible pour la dépense de R&D des grands groupes, qui bénéficient de 400 millions d’euros de subventions à 5 % », soulignent les auteurs de la note. Les chercheurs recommandent de baisser le plafond de dépenses éligibles à 20 millions d’euros.
« On peut optimiser le Crédit d’impôt recherche en conservant l’enveloppe globale [ de 7 milliards d'euros par an] et le redéployer en diminuant les subventions au profit du capital humain », conclut l’économiste.
(*) L’économie française 2020, Editions La Découverte.