Pollution plastique : pour un tournant historique
Après l’échec des négociations à Busan, Genève accueille une session cruciale pour tenter d’arracher un traité mondial contre la pollution plastique. Face à l’urgence sanitaire, climatique et économique, les États doivent choisir : perpétuer un modèle toxique ou initier une transformation radicale. Par Maxime Dupont, cabinet Bartle (*) dans la « Tribune »
Après l’échec des discussions à Busan en Corée fin 2024 du Comité de négociation intergouvernemental (INC-5) et l’incapacité des états à prendre des engagements forts pour réduire la pollution plastique, tous les regards sont tournés vers Genève où se tiendra entre le 5 et 14 août une nouvelle session de négociations pour espérer arracher un traité international ambitieux.
Il s’agit sans doute de l’ultime opportunité de renverser la table pour les états et de marquer un tournant historique. Face à l’urgence climatique et sanitaire, entre enjeux économiques et blocages politiques, l’heure est arrivée d’éviter un traité vide de sens.
Nous n’avons jamais produit autant de plastique, malgré les alertes des scientifiques. Nous produisons plus de 460 millions de tonnes de plastique chaque année, deux fois plus qu’il y a 20 ans et un volume qui pourrait tripler d’ici 2060. Plus de 260 millions de tonnes deviennent immédiatement un déchet. Moins de 10 % du plastique produit est recyclé dans le monde, le reste étant enfoui, brûlé ou simplement « jeté ».
En plus des déchets, nombre d’études scientifiques ont montré à quel point le plastique est toxique pour nos organismes et se retrouve absolument partout dans notre vie, notre organisme, jusqu’à notre cerveau. Environ 15 000 molécules composent ces plastiques, dont la plupart sont peu connues, et presque 5 000 dont on sait qu’elles dérégulent nos hormones et nos organismes (les perturbateurs endocriniens).
Et tout ça coûte très cher, entre 2 200 et 3 700 milliards de dollars par an en tenant compte de la pollution marine, du climat, des maladies générées, de la pollution des sols, de l’utilisation de l’eau, de la pollution de l’air, du désaménagement du territoire, de la perte de services écosystémiques marins, etc.
À l’inverse, le potentiel économique des alternatives est immense : réemploi, consigne, matériaux biosourcés… Ce marché pourrait générer plusieurs centaines de milliards de dollars et beaucoup d’emplois (300 000 en Europe selon le Bureau européen de l’environnement) si les États envoient un signal clair !
Et si la solution était simplement le recyclage?
C’est prolonger une fiction que d’imaginer que les capacités de recyclage absorberont 100 % de la production de déchets plastique. Elles augmentent significativement, mais moins vite que la production ou la complexité de fabrication des plastiques. Les projections les plus fiables ne permettent pas d’imaginer un taux de recyclage au-delà de 12 % à horizon 2060 dans le monde. Il faut néanmoins continuer d’investir massivement et soutenir les filières de recyclage (un besoin estimé à 32 milliards de dollars dans le monde d’ici 2040). Le recyclage est nécessaire, mais il ne s’attaque qu’aux symptômes.
Le vrai tabou de la réduction de la production et le blocage des états producteurs de pétrole
Plusieurs camps s’opposent, pour ne pas dire « s’affrontent », avec des visions du monde à ce jour irréconciliables, chacun y allant de son paquet de solutions visant à réduire la pollution plastique — mais surtout continuer à défendre leurs intérêts.
Or, vous n’êtes pas sans savoir que le plastique est composé à 99 % de pétrole. Les pays producteurs n’ont que peu d’intérêt à voir le niveau de production réduire, c’est une telle manne financière (on parle d’un marché de 1 000 milliards de dollars par an), qu’ils bloquent systématiquement toute volonté d’encadrement d’une réduction contrôlée de la production (Russie, Arabie Saoudite, États-Unis). D’autres pays occidentaux y trouvent un intérêt industriel en milieu de chaîne et sont dans un « ni-ni » complice.
De l’autre côté, un nombre grandissant de pays veulent s’attaquer au fléau (plus d’une centaine a priori). Ils sont les « perdants » du business du plastique, voire même les « victimes ». Ils sont conscients du problème, conscients des solutions possibles, inexplorées, rêvant d’une place à jouer dans ce modèle de demain.
Des propositions concrètes pour un traité crédible. Ces grandes réunions et négociations ont malheureusement déjà déçu. Afin de ne froisser personne, le niveau d’ambition est souvent très consensuel pour convenir à tout le monde. C’est déjà un indicateur qu’on tape à côté. Nous n’insufflerons pas de changement systémique majeur sans froisser 2-3 états rentiers d’un modèle qui marche sur la tête.
Il faut absolument rentrer avec un traité qui adressera le sujet « réduction de la production » sinon ça ne sert presque à rien d’y aller. Rappelons-nous qu’augmenter les taux de recyclage et réduire la toxicité des plastiques sont de bonnes solutions qui fonctionnent mécaniquement par la réduction de la production. Il est vraiment question aujourd’hui de renverser la table : les grands gagnants sont ceux qui polluent massivement, cette asymétrie dans le partage des responsabilités et des coûts ne peut plus durer.
La réduction de la production de plastique n’est qu’un point de départ
Nous avons besoin d’un traité avec un objectif clair et ambitieux de réduction de la production de plastique vierge d’ici 2030 et 2050. Une fois que cette ambition est actée, il faudra veiller à sa ratification large et rapide, il faudra convaincre dans chacun des états, il faudra même créer des alliances d’états qui souhaitent avancer plus vite que d’autres (et ce hors lobbys industriels), combinant scientifiques, citoyens, élus.
Viendront ensuite des mesures plus précises, mais tout autant impactantes : l’interdiction progressive des plastiques toxiques, non recyclables, un moratoire sur les nouveaux sites pétrochimiques, la définition collectivement de nouveaux usages — l’interdire là où il est inutile, revenir à des usages et une présence raisonnée du plastique dans nos quotidiens (santé, hygiène, alimentation, etc.)
Il faudra s’en donner les moyens, il faudra assurer un soutien massif aux autres solutions (au recyclage, au réemploi), jouer du levier fiscal pour aider et inciter.
Au-delà du sujet du climat qui est majeur, il est important de rappeler que les entreprises ont besoin de visibilité et de lisibilité pour se mettre en ordre de bataille. Comme je le dis souvent, le temps du politique n’est pas celui de l’entreprise : les dirigeant(e)s ont besoin d’une vision claire pour engager les transformations et réaliser les investissements nécessaires.
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(*) Maxime Dupont travaille depuis une douzaine d’années dans le conseil, avec une expertise des transformations « à impact » des entreprises : décarbonation, économie circulaire, biodiversité, résilience climatique, stratégie ou innovation. Ayant intégré Bartle en 2018, il est aujourd’hui Directeur en charge des équipes et enjeux « impact & durabilité » pour le cabinet. Il travaille pour une diversité d’organisations implantées au cœur des territoires sur des sujets de stratégie à impact.