La montée en puissance du changement climatique, accentuée par la canicule européenne de 2025, met à mal la cohésion des partis écologistes européens. Alors que la science avertit de graves conséquences, la radicalisation idéologique complique la transition écologique et divise les forces politiques. Par Eric Muraille, Philippe Naccache, et Julien Pillot (*) dans la Tribune
Il aura fallu que l’Europe soit traversée par un épisode caniculaire aussi intense que précoce pour que l’attention médiatique se porte de nouveau sur la menace du changement climatique. Enfin, serait-on tenté de dire, alors que vient d’être dressé le constat qu’il sera désormais impossible de satisfaire aux accords de Paris. Or, si l’on se fie au rapport Copernicus, une hausse des températures moyennes mondiales de +2°C serait synonyme de réchauffement moyen de +4°C pour le Vieux Continent.
Les funestes conséquences en matière de productivité, de santé publique, de disponibilité de ressources (notamment agricoles), de vitalité et diversité des écosystèmes ou de coûts imputables à la recrudescence d’événements extrêmes devraient, selon toute logique, faire du financement de la transition une priorité stratégique et de l’écologie une cause fédératrice et populaire. Au lieu de ça, les partis écologistes reculent (presque) partout en Europe et, avec eux, les projets en lien avec la transition. Nous soutenons qu’une partie du problème réside dans l’idéologie d’inspiration marxiste que véhiculent certains des responsables et militants écologistes les plus radicaux et les plus bruyants.
Car si les écologistes européens sont divisés en deux grands courants, force est de constater que les tenants d’une ligne (post)marxiste ont gagné la guerre de l’image les opposant aux libéraux réformistes. Ce qui a pour effet de diluer le discours environnemental dans un substrat de propos radicaux, profondément anticapitalistes, qui a la fâcheuse tendance à analyser le dérèglement climatique sous le prisme du décolonialisme et de l’affrontement entre l’Occident, présenté comme responsable du changement climatique, et un Sud global, qui en serait la victime.
Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que l’activiste climatique Greta Thunberg se donne en spectacle sur le voilier Madleen, que les responsables des partis écologistes Français ou Belge se soient à ce point répandus sur la cause palestinienne, ou que le très controversé militant suédois Andreas Malm puisse rendre « l’entité sioniste » coupable de la destruction des écosystèmes de la Méditerranée devant un public conquis d’avance. Nous conviendrons qu’associer la lutte contre le changement climatique à des conflits territoriaux, politiques et religieux de cette nature n’est peut-être pas la meilleure stratégie pour créer du consensus face au changement climatique…
L’influence des courants (post)marxistes dans les partis écologistes européens se traduit également par un rejet du caractère universaliste de la science. Un comble alors que la science, non seulement joue un rôle fondamental dans la lutte contre le changement climatique, mais aussi pour fournir des modèles et prévisions ayant pour objet d’alerter les décideurs publics et les populations quant au risque climatique ou encore l’état et les conséquences des dégradations environnementales. Se défier de la science, c’est l’assurance de rendre (encore plus) impopulaires, et surtout inefficaces, des mesures en faveur de la transition. C’est pourtant bien la ligne de la députée Sandrine Rousseau, prompte à présenter la science moderne comme un outil de la domination patriarcale et occidentale. C’est ainsi que dans son manifeste « Par‑delà l’androcène », elle plaidait pour une pluralité épistémologique contre l’hégémonie du savoir occidental moderne tout en présentant « l’homme occidental cisgenre » comme le principal responsable de de la dégradation de l’environnement. Ou qu’elle pouvait déclarer en 2021 que « le monde crève de trop de rationalité, de décisions prises par des ingénieurs. Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR. ».
Cette approche féministe et décoloniale, d’inspiration marxiste, ajoute un clivage homme-femme au clivage Nord-Sud et entraine une communautarisation de la science en niant son universalité, ce qui nous prive d’une base consensuelle à partir de laquelle des politiques publiques peuvent être discutées et élaborées
Dans les urnes, avantage aux courants libéraux réformateurs
Si la radicalité paye sur le plan médiatique, le verdict des urnes est sans appel : les partis écologistes reculent partout où leurs représentants ont succombé à la radicalité ! Aux élections européennes, EELV est passé de 13,48% en 2019, lorsqu’elle incarnait avec Yannick Jadot une écologie libérale et réformiste, à 5,5% en 2024 après avoir pris un tournant plus radical, altermondialiste, décoloniale et anticapitaliste avec Marie Toussaint. Même scénario en Belgique où le parti Ecolo, qui s’est engagé dans les luttes antiracistes et décoloniales et à fortement milité en faveur de la cause palestinienne, est passé aux élections législatives de 6.14% en 2019, à 2.93% en 2024. A l’inverse, sur la même période, des Pays-Bas au Danemark, les partis écologistes réformistes ont maintenu, voire amélioré, leurs scores.
Étrangement, présenter l’homme occidental – comme le « mal » absolu ne fait pas recette. Pas plus que verser dans un récit décolonial n’a aidé à faire converger les positions lors des précédentes COPs où les discussions achoppent souvent sur les aides et les dédommagements que devraient fournir l’Occident aux anciens pays colonisés…
Associer plutôt que diviser !
Loin de servir la cause qu’elle entend défendre, la marxisation de l’idéologie écologique multiplie les divisions autant qu’elle s’en nourrit : entre le Nord et le Sud, les hommes et les femmes, les capitalistes et les altermondialistes. Elle ose même présenter la science comme un outil de domination et entretenir le mythe d’une action climatique via une révolution anticapitaliste menée par le Sud global, celui-là même qui est avide de croissance, alimente la pression démographique comme celle sur les ressources, et n’est pas étranger à la pollution aux hydrocarbures ou au plastique. Si on ajoute au tableau les appétits impérialistes Russes, Américains ou Chinois, l’avenir n’est clairement pas à l’utopie altermondialiste et aux discours moralisateurs et clivants. Cela ne pourra qu’accentuer le rejet de l’écologie politique, au moment où nous en avons le plus besoin.
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(*) Eric Muraille, Biologiste, Immunologiste, DR F.R.S.-FNRS, Université Libre de Bruxelles
Philippe Naccache, Enseignant-chercheur en Sustainability, Inseec Grande Ecole (Groupe Omnes Education)
Julien Pillot, Economiste, enseignant-chercheur, Inseec Grande Ecole (Groupe Omnes Education)