Santé : les dégâts des micros plastiques
Les négociateurs de Busan ont échoué à se mettre d’accord sur un traité contraignant afin de limiter la pollution plastique. Une mauvaise nouvelle, alors que les scientifiques documentent chaque jour l’ampleur des contaminations environnementales et que les preuves des effets délétères du plastique sur la santé des êtres vivants s’accumulent.
Chercheuse spécialisée en immunotoxicologie – U1286 INFINITE- Institute for translational research in inflammation – Inserm, CHU Lille, Université de Lille dans The conversation
Peu coûteux, polyvalent, léger, symbole de modernité… Durant la seconde moitié du XXe siècle, le plastique, ce matériau « miracle », a suscité l’enthousiasme des industriels, des designers ou des consommateurs.
Formica, polypropylènes, polystyrènes et autres polyéthylènes ont envahi notre quotidien, avant d’envahir notre environnement. À la charnière des années 1990 et 2000, la prise de conscience de l’ampleur de la pollution plastique a changé le regard porté sur ce matériau.
Désormais, une question se pose avec insistance : quel sera le coût réel de notre addiction au plastique, non seulement pour la santé de notre planète, mais aussi pour notre santé et celle de nos descendants ? Voici ce que nous en savons aujourd’hui.
On a longtemps cru que le plastique ne se dégradait pas, et donc qu’il ne pouvait pas impacter la santé environnementale et humaine. Autrement dit, que la pollution plastique était avant tout visuelle. Mais, depuis le début des années 2000, notre vision de ces matériaux a changé.
Nous savons aujourd’hui que tous les plastiques se dégradent, même les plus solides d’entre eux, de façon lente, mais irrémédiable. Les plastiques se fragmentent progressivement en microplastiques, des particules de plastique de taille inférieure à 5 mm, qui eux-mêmes se dégradent en nanoplastiques, de taille inférieure à 1 µm (soit moins d’un millième de millimètre). À partir du moment où les scientifiques ont commencé à chercher, ils ont découvert des morceaux de plastiques de plus en plus petits dans de nombreux endroits : dans l’environnement, dans les aliments, dans l’eau, dans les corps des êtres vivants…
Maintenant qu’ils savent détecter des fragments aussi minuscules que les nanoplastiques, ils vont certainement en trouver beaucoup plus, partout. Un nouveau champ de recherche s’ouvre. Grâce à ces avancées technologiques, nous savons par exemple maintenant que l’eau que nous buvons contient, en plus des microplastiques, des nanoplastiques…
La plupart du temps, quand on parle des microplastiques dans la nourriture, on ne parle que de la source de contamination directe : les emballages. Nous savons en effet que des microplastiques peuvent non seulement contaminer les aliments au moment de leur conditionnement, mais aussi lors de leur utilisation.
Les emballages à usage unique sont particulièrement incriminés. Un café chaud ou une boisson fraîche dans la glace vont se charger rapidement en microplastiques libérés du gobelet plastique à usage unique dans lequel ils ont été versés, de même que notre repas chaud se charge en microplastiques entre le moment où il a été déposé dans son emballage plastique et celui où le livreur l’apporte à notre domicile.
Mais il existe une seconde voie de contamination, dont on parle moins alors qu’elle est au moins aussi importante : la source environnementale.
Nous avons collectivement déversé des quantités phénoménales de plastiques dans l’environnement, et nous continuons à le faire. Au fil du temps, ceux-ci se dégradent dans les sols, dans l’eau, dans les océans, dans l’atmosphère… Résultat : aujourd’hui, en Europe comme en Asie, les légumes et les fruits contiennent des microplastiques avant même d’être emballés. Une autre conséquence notable est que l’ensemble des eaux ont été contaminées, l’eau du robinet comme les eaux en bouteille.
Il ne fait donc plus guère de doute que nous ingérons des microplastiques quotidiennement. Mais en quelle quantité ? Un chiffre publié en 2020 estimait que nous ingérerions chaque semaine jusqu’à l’équivalent d’une carte bancaire de plastique, soit environ 5 grammes. Depuis d’autres estimations plus basses ont été publiées, mais en parallèle les chercheurs ont aussi appris à détecter les nanoplastiques, qui commencent seulement à être pris en compte dans les estimations d’exposition…
Les êtres vivants, et les êtres humains sont contaminés par les plastiques soit via leur alimentation, soit par inhalation (car oui, on trouve également des particules de plastique dans l’air ambiant). Après ingestion, les particules se répandent dans l’organisme. Plus leur taille est petite, plus elles vont se diffuser.
Initialement, les constats de contamination humaine avaient concerné les selles. Les premières réactions ont donc été de postuler que l’ingestion n’était peut-être pas si problématique, car les plastiques semblaient être excrétés par les voies naturelles.
Cette vision a changé à partir du moment où les scientifiques ont commencé à retrouver des particules plastiques dans de nombreux tissus du corps humain : d’abord dans le tissu intestinal, puis dans le foie, le sang, les reins, les poumons, le cerveau, les organes génitaux (de l’homme comme de la femme)… Et jusque dans le placenta et le liquide amniotique, ce qui signifie que le fœtus est aussi soumis à cette pollution.
Déterminer la quantité de plastiques que nous ingérons chaque jour n’est pas simple. Connaître les effets de ces matériaux sur notre santé à moyen ou long terme l’est encore moins. L’étude des effets des micro et nanoplastiques sur la santé est en effet extrêmement complexe, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il est difficile de déterminer les quantités de microplastiques qui contaminent les tissus humains à large échelle. On ne peut le faire qu’à petite échelle, sur des échantillons de quelques dizaines d’individus, pour des raisons méthodologiques. En effet, il n’existe pas de méthode analytique automatisée pour dénombrer et analyser les microplastiques.
Cela s’explique notamment par le fait qu’il n’existe pas une seule sorte de microplastique, mais d’innombrables types différents, dont les fragments varient non seulement en composition polymérique (polystyrène, polyéthylène, polypropylène, etc.) ou en taille, mais aussi en composition chimique et biologique de surface, ce qui va influencer la façon dont les cellules de l’organisme les reconnaissent et les captent.
Autre problème : les innombrables variétés de microplastiques ne sont jamais composées par des polymères purs. Lesdits polymères sont en effet associés à de nombreux additifs (on évoque généralement le chiffre de 15 000. Au global, les microplastiques constituent des cocktails de contaminants dont les effets sont très complexes à étudier. En outre, à l’heure actuelle, on ignore presque tout de la façon dont ces additifs se comportent une fois que les particules de plastique ont été ingérées. Cette immense variété fait qu’il est impossible d’étudier la toxicité de chaque type de microplastique.
Enfin, ces particules posent aussi un autre problème : lorsqu’elles passent du temps dans l’environnement, elles ont tendance à agir comme des agrégateurs de polluants, en les fixant à leur surface. On ne sait pas non plus ce qu’il advient de ces polluants après ingestion des particules de plastique qui les portent…
L’impossibilité de s’appuyer sur des études épidémiologiques implique d’étudier les effets de l’exposition aux plastiques chez des animaux modèles, tels que la souris ou le rat, dont les chercheurs vont contaminer la nourriture avec un type donné de microplastique, sur des durées parfois très longues.
Jusqu’à présent, la plupart des recherches ont été menées sur une seule sorte de plastique, le polystyrène. Chez les rongeurs, son ingestion provoque de très nombreux problèmes et maladies.
Des recherches ont ainsi établi des liens entre l’exposition au polystyrène et une diminution des capacités reproductives de la femelle et du mâle, une toxicité développementale via des dommages directs sur le placenta et l’utérus, une toxicité cardiovasculaire (en favorisant l’athérosclérose à l’origine des accidents vasculaires) et métabolique (notamment via la survenue de diabète de type 2), une toxicité immunitaire, une toxicité intestinale, une toxicité hépatique, une toxicité pulmonaire. Par ailleurs, les rongeurs exposés ont aussi développé des symptômes comme des pertes de mémoire, des difficultés d’apprentissage, l’anxiété, des symptômes de dépression, d’autisme, de maladie d’Alzheimer et de maladie de Parkinson. Enfin, quelques études isolées ont aussi mis en évidence des effets sur le rein et le muscle.
Le point commun entre toutes ces pathologies est qu’elles débutent par une inflammation et un stress oxydant, quel que soit l’organe touché. Ces deux mécanismes sont en réalité des réactions de défense de l’organisme. Ils se mettent en place lorsqu’un composé étranger pénètre dans l’organisme, qu’il s’agisse d’un virus, d’une bactérie ou d’une particule de plastique.
Étant donné que nous ingérons chroniquement des microplastiques, tout au long de notre vie, on peut craindre que la chronicité de cette exposition n’engendre une inflammation chronique et un stress oxydant persistant, lesquels pourraient mener au développement des pathologies qui ont été constatées chez les rongeurs.
Mais le plus inquiétant est que l’on sait que l’inflammation chronique et le stress oxydant sont des terrains favorables au développement de cancers. Même si pour l’instant aucun lien fort n’a encore été établi entre l’exposition au plastique et un type de cancer donné, il s’agit là d’une source de préoccupation importante…
Soulignons que des études ont aussi montré l’existence de toxicité pour d’autres plastiques que le polystyrène, tels que le polyéthylène, mais également des plastiques « biodégradables » comme l’acide polylactique (PLA)…
L’une des inconnues concerne les doses employées pour ces travaux : comme évoqué précédemment, étant donné qu’il est difficile d’évaluer précisément l’exposition humaine, on ne sait pas si elle est plus ou moins importante que les concentrations utilisées pour les expérimentations sur les rongeurs.
Une autre incertitude concerne le fait que la majorité de ces travaux ne portait que sur un seul type de microplastique. On ne sait pas comment pourraient se traduire les effets cocktails qui résultent de l’exposition simultanée à de multiples sortes de particules. Si l’on est optimiste, on peut espérer que leurs effets toxiques ne s’additionneront pas forcément…
Toutes ces recherches n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Il faudra encore de nombreuses années et beaucoup de moyens humains et financiers pour apporter des preuves scientifiques solides de la dangerosité des microplastiques pour notre santé.
La question de la susceptibilité individuelle, notamment, se pose, ainsi que celle des fenêtres d’exposition : existe-t-il, au cours de l’existence, des moments clés durant lesquels la pollution plastique peut avoir des effets délétères plus importants ?
À l’heure actuelle, les chercheurs soupçonnent déjà qu’il existe une fenêtre critique durant la grossesse et au cours des deux premières années de vie. L’exposition aux microplastiques à ces périodes pourrait avoir des conséquences sur la santé qui se répercuteront sur tout le reste de l’existence. Ainsi, des études d’exposition gestationnelle menées chez la souris ont montré que les souriceaux nés de mères « polluées » ont développé des pathologies à l’âge adulte : problèmes de reproduction, problèmes neurologiques, problèmes immunitaires…
De plus, les scientifiques appréhendent que plusieurs maladies, comme les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ou le diabète de type 2, puissent augmenter la diffusion des microplastiques dans l’organisme des personnes malades et donc les rendre plus susceptibles aux effets néfastes des microplastiques.
Il n’est malheureusement désormais plus vraiment possible d’espérer échapper totalement à l’exposition aux microplastiques. En revanche, nous pouvons tenter de nous préserver quelque peu.
La première des choses à faire est évidemment de limiter l’utilisation d’emballages plastiques, surtout ceux à usage unique. Mieux vaut éviter les contenants en plastique, en particulier lorsqu’il s’agit de stocker des aliments à long terme, et au quotidien, utiliser une tasse en céramique, une gourde en inox, ou un contenant en verre, par exemple.
Second conseil : éviter absolument de chauffer au micro-ondes ou de congeler des aliments dans des contenants en plastique. En effet, les changements de température favorisent la libération de microplastiques.
À ce propos, démontons tout de même une idée reçue qui circule sur les réseaux sociaux : il n’est pas recommandé de jeter les bouteilles plastiques qui ont passé une journée au réfrigérateur. Ce genre d’information est non seulement infondée, mais s’avère de plus contre-productive pour réduire la pollution plastique…
Troisième conseil : mieux vaut remplacer ses ustensiles de cuisine en plastique par d’autres matériaux (planches à découper en bambou, spatules en bois ou en inox…).
Dans la cuisine, mieux vaut privilégier l’inox ou le bois plutôt que le plastique.
Enfin, éviter les liquides contenus dans des bouteilles en plastique. En ce qui concerne l’eau, en particulier, privilégier l’eau du robinet (elle contient moins de particules de microplastique que l’eau en bouteille). Certes, elle peut aussi contenir d’autres contaminants, mais du point de vue des microplastiques, la consommer présente un autre intérêt : moins d’eau en bouteille pourrait à terme signifier moins de production de plastique. Ce sera toujours cela de moins à gérer pour les générations futures…
Il reste encore un travail phénoménal à accomplir pour espérer parvenir à prendre la mesure des conséquences pour la santé de la pollution aux microplastiques. Face à l’abondance de molécules, et étant donné qu’il sera impossible d’établir pour chacune d’entre elles tous ses effets toxiques potentiels, un enjeu crucial sera de parvenir à ce que les autorités réglementaires s’emparent du problème.
En effet, accumuler des résultats est important, mais il est surtout crucial que ces données soient utilisées pour faire évoluer les normes. Cette étape peut prendre des années. On sait par ailleurs qu’elle se heurte souvent à un intense lobbying de la part des industriels, en particulier lorsque les enjeux économiques sont aussi élevés : en Europe, les derniers chiffres publiés montrent que l’industrie du plastique représente 1.5 million d’emplois, 52 000 entreprises, et plus de 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Et encore faut-il que les nouvelles normes soient définies de façon efficace. Il faudra en particulier veiller à ne pas reproduire les erreurs faites avec le bisphénol A, un plastifiant dont les scientifiques ont mis en évidence les propriétés de perturbateur endocrinien, et qui a été remplacé par d’autres molécules aux propriétés similaires, mais non encore évaluées réglementairement…