» Sans maths, pas de rigueur de pensée »
Sans mathématiques, pas de rigueur de pensée. Sans compréhension des algorithmes, des données et des modèles, nous sommes dépendants des machines que nous pensons contrôler, écrit Jean-Eric Aubert, président de la Fondation 2100. dans la Tribune
En matière d’éducation, la France semble avoir pris goût au déclin. L’effondrement du niveau en mathématiques de ses élèves est avéré : nous chutons d’année en année aux classements internationaux et en 2023, 64 % des élèves de quatrième ne maîtrisaient pas les bases du calcul et du raisonnement logique. À ce rythme, c’est la cohérence même de notre modèle républicain, fondé sur l’égalité des chances et la méritocratie, qui vacille, comme le démontre la Note d’alerte « Éducation en mathématiques : une urgence nationale qui engage l’avenir » que vient de publier la Fondation 2100.
Mais l’enjeu dépasse largement le cadre scolaire. Car ce décrochage mathématique mine notre compétitivité économique, fragilise notre souveraineté technologique et réduit notre capacité à anticiper les grandes transitions à venir. Une nation qui ne forme plus ses jeunes à l’abstraction, au raisonnement rigoureux, aux outils quantitatifs, se prive de ses futurs ingénieurs, chercheurs, enseignants, mais aussi de citoyens capables de comprendre le monde complexe qui s’annonce.
Nous savons bien comment nous en sommes malheureusement arrivés là. Depuis quarante ans, les programmes ont été allégés, la formation des enseignants appauvrie, la pédagogie détournée de son exigence de fond. Et la récente réforme du lycée a aggravé les choses, en retirant les mathématiques du tronc commun. Résultats : un recul du niveau général, une chute des vocations scientifiques et un creusement des inégalités, les premières victimes de désastre étant les jeunes filles et les élèves issus de milieux modestes ou des zones rurales.
Ce n’est pas une fatalité, mais il faut une prise de conscience politique à la hauteur des enjeux. Car il ne s’agit pas seulement de réintroduire quelques heures de maths dans les programmes : il faut redonner du sens à l’apprentissage des mathématiques, revaloriser la discipline dans l’imaginaire collectif, recruter et former des enseignants solides, développer des parcours diversifiés adaptés à la pluralité des talents.
Réparer notre lien aux mathématiques pour reconstruire l’avenir
La France a tout pour réussir, car elle dispose d’une tradition scientifique de haut niveau, d’institutions reconnues, d’une jeunesse encore curieuse et inventive. Mais sans volonté claire, sans vision à long terme, nous continuerons à gérer le déclin au lieu de préparer l’avenir.
Il ne s’agit pas de tout prévoir, mais à tout le moins se donner les moyens d’anticiper, de se projeter, d’imaginer. C’est l’objet même de la prospective : éclairer les futurs possibles pour mieux agir au présent. À l’horizon 2100, le monde sera encore plus numérique, interconnecté, bouleversé par l’intelligence artificielle, les bio et nanotechnologies, ainsi que par les défis climatiques et les grandes mutations géopolitiques. Former dès aujourd’hui des générations à la pensée logique, à l’analyse des données, à la compréhension des systèmes, est un impératif stratégique. Et en réparant notre rapport aux mathématiques, nous commencerons à répondre à cette exigence.
La Fondation 2100 appelle à une mobilisation générale et urgente de toutes les parties prenantes : pouvoirs publics, établissements éducatifs, entreprises et citoyens. Elle préconise une réforme systémique, qui valorise les mathématiques à tous les niveaux de la société : renouvellement de la formation et revalorisation des salaires des enseignants, adaptation des méthodes pédagogiques, développement des mathématiques alternatives, formation continue tout au long de sa vie, etc.
Former aux mathématiques, c’est garantir notre souveraineté tout autant que notre libre arbitre à l’ère de l’IA. Il faut donner à chacun les clés de son futur.
______
(*) Jean-Eric Aubert est Président de la Fondation 2100, think tank dédié à la prospective de long terme. Ancien haut-fonctionnaire international (OCDE, Banque mondiale), il est expert en stratégies d’innovation et de développement économique auprès des gouvernements.