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IA- Les algorithmes n’ont rien d’intelligent

IA- Les algorithmes n’ont rien d’intelligent

« Intelligence artificielle » est un mauvais anglicisme. Selon Laurent Daudet, cofondateur de LightOn, « les algorithmes que nous utilisons n’ont rien d’intelligent ». Pour ce professeur d’informatique et startuppeur, les progrès récents de l’IA sont néanmoins « fascinants ». ( dans les Echos ») . Laurent Daudet est physicien, docteur en sciences du signal. Enseignant chercheur en informatique depuis plus de vingt ans, il a cofondé la start-up LightOn qui développe des modèles d’intelligence artificielle générative. Il vient de cosigner, avec le dessinateur indien Appupen, le roman graphique « Dream Machine » (1).

Quel regard portez-vous sur l’engouement actuel autour de l’intelligence artificielle ?

Tout a démarré exactement le 30 novembre 2022, lorsqu’ OpenAI a ouvert ChatGPT au grand public. Bien sûr, pour nous, ce n’était pas tellement une surprise. Chez LightOn, on travaillait, depuis 2020 déjà, sur l’IA générative.

Les plus gros modèles ont maintenant plus de 100 milliards de paramètres. Tout l’art consiste à régler ces paramètres. Cela demande des milliers de serveurs informatiques pour les entraîner sur des bases de milliers de milliards de mots qui tournent en continu pendant plusieurs semaines. Si l’IA a toujours analysé de grandes quantités de données, désormais tout le monde a accès à une IA capable de créer du contenu d’une qualité quasi semblable à ce que peuvent produire des humains.

Quand ChatGPT est sorti, nous n’avons pas été surpris par la technique mais par l’interface et la rapidité d’adoption par le grand public. Tout d’un coup, l’IA est devenue un sujet de société.

 

« Intelligence artificielle » est-il un terme approprié, selon vous ?

C’est un mauvais anglicisme. « Intelligence », en anglais, c’est la collecte de l’information, au sens de renseignements ou de connaissances, et pas du tout l’intelligence au sens où on l’entend en français. Les algorithmes que nous utilisons n’ont rien d’intelligents, pas de sens moral, pas de capacité de planification, pas de raisonnement. C’est une suite de manipulations de caractères.

« Intelligence artificielle » , ce terme fait un peu peur. C’est assez prométhéen. Néanmoins, encore une fois, ce sont des outils extrêmement utiles mais pas intelligents. L’IA, ce sont des statistiques sous stéroïdes. Elle ne crée rien, elle reproduit.

L’IA est un accélérateur de la transition numérique, de la numérisation des process des entreprises

Vous avez longtemps été enseignant chercheur, comment êtes-vous devenu aussi entrepreneur et fondateur de LightOn ?

Je suis physicien de formation et j’ai travaillé une quinzaine d’années dans la physique des ondes. L’aventure LightOn est partie d’une collaboration de recherche sur l’utilisation de la photonique, c’est-à-dire de la lumière, pour effectuer certains calculs. Nous avons développé un processeur pour des calculs de l’IA en grandes dimensions.

Et à l’arrivée de GPT3 en 2020 , on s’est dit qu’on pouvait appliquer notre savoir-faire à l’entraînement de ces moteurs. LightOn a alors pivoté du hardware au software. Notre ambition est de rendre l’IA plus facile à utiliser, qu’elle fasse gagner du temps dans l’entreprise, du PDG au stagiaire.

Quelles sont vos activités précisément ?

Nous développons des « grands modèles de langage » (« LLM », pour Large Langage Model) sur des bases propriétaires, pour nos propres besoins ou ceux de nos clients, et que l’on interroge comme ChatGPT, par prompt. Notre modèle, que nous avons baptisé Alfred, est disponible en open source. Nous avons aussi développé une plateforme appelée Paradigm afin de gérer le cycle de vie de ces modèles en entreprise ; nous l’installons sur leurs propres serveurs pour garantir la confidentialité de leurs données.

Les applications sont nombreuses, comme pouvoir interroger des bases documentaires en langage naturel. Nous avons, par exemple, mis en place un chatbot de support informatique pour tous les collaborateurs du Conseil régional d’Ile-de-France. Notre modèle répond aux demandes en indiquant la procédure à suivre et cite ses sources, ce qui limite les risques d’hallucination.

Qu’a changé pour vous l’émergence de l’IA dans le débat public ?

On remercie OpenAI d’avoir éduqué le marché et le grand public. Depuis 2022, nous avons constaté une forte accélération de marché. Toutes les grandes entreprises se doivent aujourd’hui d’avoir une stratégie dans l’IA générative. Evidemment, toutes n’ont pas le même niveau de maturité. Mais l’IA est un accélérateur de la transition numérique , de la numérisation des process des entreprises.

Depuis cette accélération, LightOn a bien grandi et emploie désormais plus de 35 personnes. 2023 a été une très bonne année et nous a permis d’atteindre la rentabilité. Nous comptons une dizaine de clients grands comptes, dans la banque, les assurances et les services publics, des clients particulièrement sensibles à la souveraineté sur leurs données.

L’Europe semble encore à la traîne par rapport aux Etats-Unis et à la Chine. Pourra-t-elle rattraper son retard ?

Rattraper, je ne sais pas, mais quelque chose se passe qui me rend optimiste. La France a des atouts à faire valoir : nos talents, en particulier. On a d’excellentes formations en mathématiques, en physique, en ingénierie… et une bonne recherche universitaire.

Côté points faibles, on n’a pas de géant du numérique. Ce qui fait la Silicon Valley, ce sont les Gafam qui irriguent l’écosystème. Mais ça vient… Nous avons un écosystème dynamisé par une génération d’entrepreneurs de la tech qui réinvestissent dans les start-up.

Nous sommes loin d’une IA qui sache raisonner, d’une IA forte ou de la singularité

 

Quels messages vouliez-vous faire passer à travers « Dream Machine », le roman graphique que vous avez récemment publié ?

Cette BD est née de ma rencontre avec le dessinateur et coscénariste indien Appupen, qui était en résidence à Angoulême fin 2021. Il avait envie d’écrire quelque chose sur l’IA pour en expliquer les enjeux, et moi j’ai tout de suite aimé son univers graphique. Au début, ce devait être un livre de pure vulgarisation, mais notre éditeur a insisté pour que je m’inspire de ma vie d’entrepreneur. Le message principal est que l’IA, c’est très puissant mais que ce n’est pas de l’intelligence. Le jour où les gens comprendront cela, ils en auront moins peur.

La rapidité des progrès actuels ne vous effraie pas ?

Les progrès les plus récents sont fascinants. L’accélération est sidérante, et je ne suis pas naïf. Il ne faut pas avoir peur de la technologie, mais de la façon dont on peut l’utiliser, pour du contrôle social par exemple. Cette peur masque les enjeux réels et concrets des bouleversements portés par l’IA sur l’emploi, la formation, les monopoles économiques…

L’IA est aujourd’hui presque totalement privatisée. Quand j’ai commencé, elle était principalement développée dans les universités et peu dans les grandes entreprises. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La grande majorité des systèmes d’IA sont le fait de grands acteurs privés qui ont chacun leur agenda.

Etes-vous favorable à une régulation ?

J’y suis favorable mais pas sur la technologie, seulement sur les usages. On n’arrêtera pas la recherche. Il est important qu’il y ait un code de la route comme pour la voiture. Mais il sera très difficile de réguler les capacités des modèles, notamment avec le développement des IA polyvalentes génératives. L’essentiel pour moi est que l’IA Act prévoit qu’on ne puisse pas déployer d’IA qui prenne des décisions automatiques ayant un impact sur la vie des gens.

Vous croyez possible l’avènement de la singularité d’une IA réellement intelligente ?

Il faut être modeste dans nos prévisions. Je me souviens du film « Her » . On se disait à sa sortie, en 2013, que c’était de la science-fiction et pourtant, aujourd’hui, les agents conversationnels sont là. L’IA va rendre ces agents de plus en plus efficients pour nous simplifier la vie, et de plus en plus individualisés. Ils vont devenir de véritables assistants personnels adaptés à chacun.

S’il y a seulement cinq ans, je vous avais dit que les créatifs seraient un jour concurrencés par des systèmes génératifs, vous m’auriez dit que j’étais fou à lier. C’est pourtant une réalité aujourd’hui. De même, tous les métiers à base de texte seront impactés par l’IA. La machine est très bonne pour embrasser des masses de données. Elle va bouleverser la science : la génomique et la création de molécules, les nouveaux matériaux, l’ingénierie…

Mais je ne crois pas au risque existentiel pour l’humanité. C’est de la science-fiction. Nous sommes loin d’une IA qui sache raisonner, d’une IA forte ou singulière. J’ai tendance à ne pas y croire, ou alors c’est très très loin de nous.

Popularité Macron : 68 % n’ont pas confiance

Popularité Macron : 68 % n’ont pas confiance
27% (+2 points) des Français interrogés par Elabe pour Les Echos accordent leur confiance au président de la République pour affronter efficacement les problèmes qui se posent au pays. Malgré cette hausse, la défiance exprimée à l’égard du président de la République reste élevée : 68% (-1) des Français affirment n’avoir pas confiance en lui, dont 42% (stable) « pas du tout confiance ».

 

32% des Français font confiance à Gabriel Attal, une mesure stable sur un mois. Dans le même temps, la défiance à son égard progresse de 3 points et s’établit à 60%. 30% (+1 point) des Français n’ont « pas du tout confiance » en lui. Par ailleurs, 8% des Français ne se prononcent pas (-3 points).

 

Edouard Philippe domine toujours le classement tandis que Jordan Bardella confirme sa progression
Edouard Philippe progresse en tête du classement (43%, +1). Pour la première fois, Jordan Bardella (34%, +1 point) occupe la deuxième place du podium et obtient un soutien supérieur à Marine Le Pen, troisième (33%, -1 point). Derrière Bruno Le Maire (31%, +2 points), Gérald Darmanin est cinquième et bénéficie d’une hausse de 3 points (27%). Parmi ceux qui ont porté la constitutionnalisation de l’IVG au sein de la majorité, Éric Dupond-Moretti obtient la plus forte progression du mois du mars et se positionne 7ème (26%, +7 points) et Yaël Braun-Pivet obtient 16% de bonne image (soit 4 points de plus qu’en janvier). En charge de l’agriculture au gouvernement, Agnès Pannier–Runacher en obtient 10% et Marc Fesneau 9%. Ces trois derniers membres de la majorité restent peu connus : entre 55% et 61% des Français ne se prononcent pas.

Parmi les autres têtes de listes aux élections européennes, Marion Maréchal obtient 24% (-2 points), Raphaël Glucksmann 16% (stable), Manon Aubry 15% (+2 points), François Xavier-Bellamy 12% (+3 points).

Auprès des électeurs de gauche, François Ruffin s’empare de la première place (52%, +3 points) et devance Fabien Roussel (49%, -1 point) et François Hollande (48%, -3 points). Les têtes de listes aux européennes enregistrent de bonnes dynamiques : Manon Aubry progresse de 10 points (42%) et Raphaël Glucksmann de 6 points (37%, +12 points en deux mois). Sandrine Rousseau (30%, +10 points, après -5 points) et Éric Dupond-Moretti (25%, +9 points) enregistrent également de très fortes progressions en mars. Jean-Luc Mélenchon est cinquième et recule de 3 points (39%) : c’est sa mesure la plus basse depuis mai 2022.

Auprès des électeurs d’Emmanuel Macron, le podium est composé d’Edouard Philippe (79%, +1 point), de Bruno Le Maire (66%, stable) et de Gérald Darmanin (61%, +5 points). Éric Dupond-Moretti enregistre la plus forte progression de mars auprès de cette population (56%, +10 points). Plus loin dans le classement, Gérard Larcher connait lui aussi une forte hausse (36%, +7 points). Yaël Braun-Pivet obtient 36% et se classe 10ème, Agnès Pannier-Runacher obtient 23% et se classe 16ème, juste devant Marc Fesneau (22%).

 

Social–Les salaires n’ont pas rattrapé l’inflation !

Social–Les salaires n’ont pas rattrapé l’inflation !


De quoi surprendre, pour la première fois en deux ans, les hausses de salaires (même sans les primes) observées entre fin juin 2022 et fin juin 2023, auraient été supérieures à celles des prix, selon la Dares. Sur cette période d’un an, le « salaire mensuel de base » des salariés a grimpé, en moyenne, de 4,6 % quand les étiquettes n’ont évolué que de 4,4 % (hors tabac). La différence reste très maigre, puisque l’écart n’est que de 0,2 %.

Plusieurs objections, la première est d’ordre méthodologique: le ministère du travail parle en effet de salaires de base. Il s’agit sans doute des salaires théoriques des conventions collectives mais sans doute par des salaires réels qui exigeraient le recueil de données beaucoup plus conséquentes et plus conformes à la réalité.

La seconde objection est celle relative à la mesure de l’inflation. On sait que cette inflation est largement sous-estimée du fait du glissement régulier des dépenses contraintes vers le haut. En clair, le pouvoir de consommation des ménages et de plus en plus contraints par les dépenses incontournables. On assiste notamment depuis la guerre en Ukraine à une importante évolution de la structure des dépenses des ménages. Ainsi l’inflation réelle est plus proche de 10 % que de 4,6 % et par exemple les dépenses alimentaires ont enregistré une hausse plus proche de 20 % que de 10 %. De toute manière le salaire réel en 2023 est encore plus faible qu’en 2022.

Cela en effet en raison de l’envolée des prix de l’alimentaire et de l’énergie. Deux postes qui ne cessent de prendre une part plus importante dans la structure des dépenses des ménages. Une modification qui rend par ailleurs obsolète la mesure officielle de l’évolution des prix à la consommation.

Les gains très théoriques de pouvoir d’achat diffèrent selon les secteurs de l’économie. Ils auraient atteint 0,3 % dans l’industrie et 0,2 % dans le secteur tertiaire. En revanche, les salariés du secteur de la construction ont continué à perdre de l’argent avec une diminution de leur rémunération réelle de 0,3 %.

Face à un choc sur les prix, les entreprises ajustent en général les salaires avec retard. Mais la dynamique est bel et bien enclenchée, alors que la valse des étiquettes s’avère un peu moins vive qu’auparavant. Dans sa dernière note de conjoncture de juin, l’Insee anticipait que le salaire moyen progresse de 5,1 % sur toute l’année 2023 dans le secteur privé, alors que l’inflation annuelle moyenne ne serait que de 5 %. Ce chiffre comprend toutefois les primes exceptionnelles et non pas uniquement le salaire de base.

Le fait que les salaires évoluent désormais plus vite que les prix ne veut toutefois pas dire que les pertes de pouvoir d’achat encaissées depuis le retour de l’inflation ont été effacées. Loin de là. En juin, l’Insee avait calculé que, en moyenne sur l’année 2023, le salaire réel resterait 1,3 % plus faible qu’en 2022.

Les salaires n’ont pas rattrapé l’inflation !

Les salaires n’ont pas rattrapé l’inflation !


De quoi surprendre, pour la première fois en deux ans, les hausses de salaires (même sans les primes) observées entre fin juin 2022 et fin juin 2023, auraient été supérieures à celles des prix, selon la Dares. Sur cette période d’un an, le « salaire mensuel de base » des salariés a grimpé, en moyenne, de 4,6 % quand les étiquettes n’ont évolué que de 4,4 % (hors tabac). La différence reste très maigre, puisque l’écart n’est que de 0,2 %.

Plusieurs objections, la première est d’ordre méthodologique: le ministère du travail parle en effet de salaires de base. Il s’agit sans doute des salaires théoriques des conventions collectives mais sans doute par des salaires réels qui exigeraient le recueil de données beaucoup plus conséquentes et plus conformes à la réalité.

La seconde objection est celle relative à la mesure de l’inflation. On sait que cette inflation est largement sous-estimée du fait du glissement régulier des dépenses contraintes vers le haut. En clair, le pouvoir de consommation des ménages et de plus en plus contraints par les dépenses incontournables. On assiste notamment depuis la guerre en Ukraine à une importante évolution de la structure des dépenses des ménages. Ainsi l’inflation réelle est plus proche de 10 % que de 4,6 % et par exemple les dépenses alimentaires ont enregistré une hausse plus proche de 20 % que de 10 %. De toute manière le salaire réel en 2023 est encore plus faible qu’en 2022.

Cela en effet en raison de l’envolée des prix de l’alimentaire et de l’énergie. Deux postes qui ne cessent de prendre une part plus importante dans la structure des dépenses des ménages. Une modification qui rend par ailleurs obsolète la mesure officielle de l’évolution des prix à la consommation.

Les gains très théoriques de pouvoir d’achat diffèrent selon les secteurs de l’économie. Ils auraient atteint 0,3 % dans l’industrie et 0,2 % dans le secteur tertiaire. En revanche, les salariés du secteur de la construction ont continué à perdre de l’argent avec une diminution de leur rémunération réelle de 0,3 %.

Face à un choc sur les prix, les entreprises ajustent en général les salaires avec retard. Mais la dynamique est bel et bien enclenchée, alors que la valse des étiquettes s’avère un peu moins vive qu’auparavant. Dans sa dernière note de conjoncture de juin, l’Insee anticipait que le salaire moyen progresse de 5,1 % sur toute l’année 2023 dans le secteur privé, alors que l’inflation annuelle moyenne ne serait que de 5 %. Ce chiffre comprend toutefois les primes exceptionnelles et non pas uniquement le salaire de base.

Le fait que les salaires évoluent désormais plus vite que les prix ne veut toutefois pas dire que les pertes de pouvoir d’achat encaissées depuis le retour de l’inflation ont été effacées. Loin de là. En juin, l’Insee avait calculé que, en moyenne sur l’année 2023, le salaire réel resterait 1,3 % plus faible qu’en 2022.

Politique monétaire: les économistes n’ont rien vu venir depuis quinze ans

Politique monétaire:  les économistes n’ont rien vu venir depuis quinze ans

 

Lauréat du prix du meilleur jeune économiste en 2022, Eric Monnet, spécialiste des politiques monétaires, pointe les risques d’un manque de dialogue entre la Banque centrale européenne (BCE) et les gouvernements du Vieux continent face à la multiplication des crises (guerre en Ukraine, inflation, transition écologique, pandémie). Il fait plusieurs propositions pour recréer des liens entre les citoyens et les banques centrales. Dans son dernier ouvrage «La Banque Providence» , cet historien et économiste à l’EHESS adopte une approche originale en soulignant le rôle prépondérant des banques centrales dans la reconstruction après la Seconde guerre mondiale. ( la Tribune)

Eric Monnet est professeur à l’Ecole d’économie de Paris. Son travail porte sur l’histoire des politiques monétaires et des systèmes financiers au xxe siècle. Le prix du meilleur jeune économiste est décerné par le cercle des Economistes et le journal Le Monde. 

- Face à la hausse des prix, la plupart des banques centrales ont annoncé un durcissement de leur politique monétaire dernièrement. Certains ont estimé que la banque centrale européenne (BCE) avait réagi trop tardivement. Quel regard portez-vous sur toutes ces annonces ?

ERIC MONNET - Je pense surtout que le grand problème est le manque de coordination entre la Banque centrale et les politiques budgétaires des gouvernements. Chaque gouvernement est en train de prendre des mesures budgétaires ou des dispositifs de contrôle des prix pour arrêter l’inflation.

Les États-Unis sont confrontés à une inflation plus forte. Elle est en partie due à un marché du travail différent. On sous-estime à quel point les salaires étaient bas par rapport à la productivité. Il y a un rattrapage. Cette inflation est moins provoquée par l’énergie qu’en Europe. De ce point de vue, la BCE avait de bonnes raisons de ne pas réagir aussi vite que la FED. Par rapport aux États-Unis, la BCE pouvait attendre mais là, l’Europe va devoir présenter un plan de coordination clair entre les politiques monétaire et budgétaire. Je pense que l’Europe est à la traîne sur ce point.

 

Comment améliorer la coordination entre politique monétaire et politique budgétaire ?

Dans mon ouvrage « La Banque-Providence » , j’évoque l’idée du conseil européen du crédit. D’un point de vue juridique, cette coordination ne va pas se jouer là car la politique budgétaire est déterminée par les ministres des Finances. Cette amélioration peut passer par l’Eurogroupe. Sa légitimité n’est pour l’instant pas assez importante par rapport au parlement. Il faudrait un mécanisme pour que le parlement puisse participer à ces négociations.

Après la dernière réunion d’urgence convoquée il y a quelques semaines, la Banque centrale européenne a-t-elle bien réagi ?

La question était: « est ce que les annonces de la Banque centrale vont faire augmenter les spread ? » Sur ce point, la BCE a assez bien joué sur l’utilisation des fonds. Sans annonce de politiques budgétaires et de politiques énergétiques coordonnées, cela ne va pas suffire. Si l’Europe n’a aucun plan pour stabiliser les prix de l’énergie, la Banque centrale ne va pas pouvoir agir seule.

Dans votre dernier ouvrage (*) « La Banque-Providence » , vous avez eu une approche originale du rôle des banques centrales en rappelant qu’elles constituent un pilier de l’Etat-providence. Pourquoi avez-vous choisi cette approche ?

La thèse de l’ouvrage n’est pas de dire que la banque centrale joue un rôle de subvention ou de prestation sociale. Il s’agit d’adopter un point de vue historique en rappelant qu’il y a eu une mutation très importante à la sortie de la Seconde guerre mondiale. Il fallait que les banques centrales deviennent publiques et soient intégrées à l’appareil de l’État. Avant 1945, les banques centrales étaient des organisations privées.

Ce mouvement intervient au moment où l’Etat est reconnu comme un filet de sécurité indispensable pour la population. L’histoire des banques centrales est liée à l’histoire de l’État providence. Mon objectif était de refaire la genèse du rôle des banques centrales depuis 1945. Cela permet de mieux appréhender comment leur rôle depuis une dizaine d’années s’explique par le lien particulier qu’elles ont tissé depuis longtemps avec l’Etat et les marchés financiers.

Elles ont pourtant été très critiquées ces dernières années pour leur opacité et leur fonctionnement technocratique. Comment faire pour améliorer les débats sur le rôle des banques centrales et des politiques monétaires ?

La politique monétaire est un domaine très technique mais cela ne doit pas justifier le manque de débat dans la sphère publique, au parlement ou dans les médias. Il faut renforcer le rôle du parlement à l’échelle nationale et au niveau européen pour permettre des discussions sur le rôle des banques centrales.

Il faut également recréer un lien direct entre la banque centrale et les citoyens. La majorité des citoyens ne savent pas ce qu’est vraiment une banque centrale. Dans l’histoire, il y avait cette idée que les gens allaient à la banque centrale pour convertir de l’argent. Ils pouvaient se rendre compte que la banque centrale était un garant de la stabilité. Ce lien s’est évanoui. L’un des moyens de recréer du lien est de mettre en place des monnaies digitales de banque centrale.

Depuis la crise de 2008 et aussi la pandémie, les banques centrales ont acquis un rôle prépondérant dans l’économie mondiale. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ce rôle peut s’expliquer par les différentes missions des banques centrales, dont l’une est de soutenir l’État de diverses manières. Cela peut passer par l’achat de titres de dette publique, comme souvent dans l’histoire.

Les banques centrales ont joué un rôle prépondérant depuis 2008 car les gouvernements étaient relativement faibles pour des raisons politiques ou conjoncturelles. En Europe, il n’y pas d’union politique aussi forte que l’union monétaire. Aux États-Unis, Barack Obama n’avait pas une majorité assez claire au Sénat pour faire voter ses budgets. Sous le mandat de Trump, l’administration centrale était dysfonctionnelle. Au Royaume-Uni, il y a eu le Brexit. En raison de toutes ces instabilités politiques, les banques centrales sont presque devenues une branche de l’État garantes de la stabilité.

Après la libéralisation financière des années 90, les États ont perdu beaucoup de pouvoirs face aux marchés financiers. Les gouvernements étaient très peu armés pour réguler les marchés financiers. Le seul bras armé des États pour calmer les marchés financiers était la banque centrale. Les banques centrales sont devenues les seules institutions publiques suffisamment puissantes pour rentrer dans le jeu de la régulation.

Face à l’urgence écologique, quels rôles les banques centrales peuvent-elles jouer ?

Elles peuvent d’abord jouer un rôle de régulation et de supervision. Les critères environnementaux utilisés par les institutions financières ne sont pas vraiment solides. Les banques centrales peuvent passer par des interventions sous la forme de prêts ou d’achats de titres. Je suis partisan des prêts ciblés verts, les Green TLTRO. Cela peut être plus utile qu’un assouplissement quantitatif vert (Quantitative easing). Aujourd’hui, on ne voit pas de problème de financement sur des green bond. Pour les petites banques qui ont un rôle de financement des petites entreprises, on voit qu’elles ont plus de mal à prêter sur des critères écologiques.

Dans un contexte inflationniste, les prêts ciblés de long terme sont une bonne manière de remonter les taux d’intérêt sur l’ensemble des prêts mais en maintenant des conditions plus favorables sur des prêts écologiques. Certaines banques centrales comme au Japon le font déjà. Il faut toutefois un contrôle démocratique fort dans le cadre d’un dialogue avec le Parlement et la Commission européenne, pour que les critères utilisés par la BCE soient cohérents avec la politique générale de l’Union en la matière.

Les banques centrales peuvent-elle contribuer à la planification écologique ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les banques centrales ont participé à la reconstruction en faisant des prêts ciblés et en refinançant les grandes banques publiques. La Banque centrale européenne peut contribuer à cette planification par le biais d’une politique de crédit européenne. En clair, toutes les institutions européennes qui ont un lien avec la finance comme les banques centrales, la banque publique d’investissement doivent faire en sorte que le financement de la transition écologique se fasse.

Cette planification peut permettre de construire une véritable cohérence entre les différentes parties prenantes comme les fonds structurels, la banque centrale ou la banque européenne d’investissement pour faciliter le financement de la transition. Je propose de mettre en place un conseil européen du crédit pour permettre cette planification. Son but serait de construire cette coordination pour avoir une politique du crédit unique et cohérente à l’échelle européenne.

 

Aux Etats-Unis, les débats sur la théorie monétaire moderne sont vifs. Quel regard portez-vous sur la monnaie hélicoptère très critiquée par certains courants d’économistes ?

Je pense que la monnaie hélicoptère peut permettre à la politique monétaire d’opérer sans trop augmenter les prix des actifs et donc éviter des effets inégalitaires. C’est un outil de politique monétaire sous-estimé à des moments où il y avait des besoins de relance monétaire. Il y a eu beaucoup d’achats d’actifs qui ont entraîné des inégalités. Je pense que les banques centrales ont été trop loin dans certaines politiques accommodantes qui passaient surtout par les marchés financiers. Actuellement, il est clair qu’il ne faut pas faire de monnaie hélicoptère aux ménages en période d’inflation.

En Europe, la monnaie hélicoptère existe déjà à travers un taux différencié, entre le taux d’emprunt des banques et le taux de dépôt. A partir du moment où le taux LTRO est fixé sous le taux de dépôt, cela devient une pure subvention aux banques. Est-ce qu’il faut continuer dans ce type de monnaie hélicoptère pour faire du green LTRO ? C’est un vrai débat. Je pense que cette politique doit être plus ciblée sur des prêts environnementaux. Le tabou en Europe est de ne pas passer par les banques.

Les cryptomonnaies dégringolent depuis plusieurs mois et montrent leur très grande fragilité. Quels sont les risques associés à ce type de monnaie ?

Il existe plusieurs types de risques. Le premier concerne d’abord les investisseurs. Il faut faire de la prévention pour que les investisseurs ne se fassent pas avoir. Les banques centrales doivent réagir en créant leur propre monnaie numérique. Le risque surtout est que les gens n’utilisent plus que de la monnaie électronique bancaire. On perd de l’anonymat et de l’universalité. Tout le monde n’a pas forcément accès à un compte bancaire. Les gens pourraient passer uniquement par des systèmes de paiement privés adossés à des « stablecoin » (un type de cryptomonnaie dont le cours est adossé à une devise, le plus souvent le dollar).

Ce type de pratique pose des questions importantes pour les banques centrales  en termes de stabilité financière. Dans certains pays en développement, plus de la moitié de la population utilise parfois ce type de  »stablecoin » sans régulation derrière. Les cryptomonnaies posent également des questions fondamentales sur la pratique des politiques monétaires. C’est essentiel de garder une vraie souveraineté monétaire. Un monde où les Etats n’auraient plus le contrôle sur la monnaie pourrait être très dangereux.

 

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’histoire des politiques monétaires et à l’histoire financière ?

J’ai fait une partie de mes études pendant la grande crise financière de 2008. Dans les modèles, les politiques monétaires fonctionnaient par les taux d’intérêt avec les anticipations des agents mais cela me paraissait trop simple.

Pour mon sujet de thèse, j’ai voulu comprendre comment les choses avaient pu être autrement et ainsi choisi de travailler sur le sujet « Politique monétaire et politique du crédit en France pendant les Trente Glorieuses ».

En tant que professeur à l’EHESS, qu’est-ce que l’histoire peut apporter aux économistes ?

L’histoire peut permettre de prendre du recul sur certains événements actuels. Dans les discours des économistes revient souvent l’idée qu’il y a une solution normative dans les modèles théoriques. Or, dans une perspective historique, on remarque souvent que les économistes n’ont pas forcément de meilleures solutions que les autres. L’histoire permet d’être moins naïf face à certains problèmes.

L’histoire peut également permettre d’avoir une boîte à outils face à des chocs. Sur la politique monétaire, les économistes n’ont rien vu venir depuis quinze ans. Ce sont les économistes qui s’adaptent aux pratiques des banques centrales, et pas le contraire. Dans les banques centrales, il y a une meilleure reconnaissance de l’histoire. Le gouverneur de la banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a une formation d’historien. A la Banque centrale européenne, Isabel Schnabel a beaucoup écrit sur la crise des années 30.

Propos recueillis par Grégoire Normand

(*) La Banque Providence, démocratiser les banques centrales et la monnaie. Editions du Seuil, collection La République des idées. 128 pages. 11,80 euros. 2021.

Les ouvriers n’ont pas disparu !

Les ouvriers n’ont pas disparu !

 

 

Pour Juan Sebastian Carbonell , sociologue : « Les ouvriers n’ont pas disparu ; mais au lieu de fabriquer des objets, ils les déplacent »

 

Un article intéressant qui montre certaines mutations. Reste que ce n’est pas forcément un changement aussi fondamental  . De tout temps,  l’activité économique humaine a consisté à transporter des choses d’un point A à un.B. Cette fois,  ce sera avec l’assistance du numérique. NDLR

Le sociologue pourfend les mythes de la fin du salariat et du remplacement des travailleurs par les machines, montrant la continuité entre capitalisme « à l’ancienne » et « nouvelle économie » du numérique.

Juan Sebastian Carbonell est chercheur en sociologie du travail à l’ENS Paris-Saclay, où il participe à un projet du Groupe d’études et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa), réseau international interdisciplinaire de recherche sur l’industrie automobile, constitué au début des années 1990 à l’initiative de l’économiste Robert Boyer, du sociologue Michel Freyssenet et de l’historien Patrick Fridenson.

Sa thèse, réalisée entre 2012 et 2018 sous la direction de Stéphane Beaud et Henri Eckert, portait sur les « accords de compétitivité » signés entre patrons et syndicats du secteur automobile à la suite de la crise de 2008, portant sur l’organisation du travail, les rémunérations et le maintien de l’emploi. Il vient de publier un essai, Le Futur du travail (éd. Amsterdam, 192 pages, 12 euros).

Comment passe-t-on d’une thèse de sociologie à un essai aussi ambitieux, où vous décrivez les évolutions contemporaines du travail, et proposez les moyens de remédier à ses travers ?

Ce que j’ai pu observer au cours de mes enquêtes dans le monde du travail, ce que me disaient les ouvriers, les syndicalistes, les manageurs, les directeurs d’usine, mais aussi ce que dit la recherche en sociologie ne correspondait pas à ce que je pouvais lire par ailleurs dans les médias, dans le débat public, ou dans de nombreux essais qui ont eu un grand retentissement, comme La Fin du travail de Jeremy Rifkin (La Découverte, 1995), ou Le Deuxième Age de la machine d’Andrew McAfee et Erik Brynjolfsson (Odile Jacob, 2014). J’ai donc voulu diffuser auprès du grand public les résultats de la recherche scientifique sur le sujet, qui sont loin de confirmer la fin du salariat ou le remplacement technologique.

Enfin, si la pandémie de Covid-19 a en effet révélé les transformations du travail, ce n’est pas, comme on le répète à satiété, dans le sens d’une plus grande autonomie conquise grâce au travail à distance. Je crains au contraire que le futur du travail, loin du « monde d’après » fantasmé que l’on nous promet, ne ressemble étrangement au passé….

 

 

Afghanistan : Les talibans n’ont pas changé

Afghanistan :  Les talibans n’ont pas changé

Fawzia Koofi, ancienne députée afghane, était assignée à résidence à Kaboul depuis la prise de pouvoir des fondamentalistes. Depuis le Qatar, où elle s’est réfugiée, elle répond aux questions du « Monde »(Extrait).

 

Interview

 

L’ex-députée Fawzia Koofi a été l’une des rares femmes de la délégation de l’ancien régime de Kaboul qui négociait avec les talibans à Doha, au Qatar, pendant presque deux ans. Après la chute de Kaboul et la prise de contrôle du pays par les talibans, le 15 août, cette Afghane de 45 ans a été assignée à résidence. Le 1er septembre, le Qatar a obtenu sa libération. Aujourd’hui, depuis Doha, elle appelle la communauté internationale à exercer une pression supplémentaire sur les talibans en conditionnant ses aides à Kaboul

Selon vous, quelle forme prendra le prochain gouvernement taliban qu’ils tardent à annoncer ?

C’est très difficile à prédire. Mais une chose est sûre : les talibans cherchent à avoir la légitimité auprès de la communauté internationale. Si cette dernière demande aux talibans le respect de la liberté d’expression, des droits des femmes, l’accès de ces dernières à la scène politique et leur présence dans l’économie du pays, nous pourrions espérer un système moins strict. Mais les aides internationales à l’Afghanistan doivent être conditionnelles, et les pressions exercées sur les talibans continuelles.

Le processus de paix engagé entre les talibans et Kaboul avait-il une chance d’aboutir ? Ou bien a-t-il été une farce ?

Ce processus aurait pu aboutir. C’est bien pour cela que j’ai négocié avec les talibans à Doha pendant plus d’un an et demi. Même avant ces réunions, je faisais partie des premières personnes ayant entamé des pourparlers avec eux à Moscou. Pour moi, il était important de peser sur ce groupe militaire fondamentaliste, sachant que les talibans ne pouvaient pas se battre à l’infini. Mais les Etats-Unis ont signé l’accord de Doha [lors du mandat de l’ancien président américain Donald Trump], sans le gouvernement afghan et sans les femmes. Cela a donné aux talibans un sentiment de puissance. Joe Biden a également confirmé le retrait des troupes américaines [les dernières ont quitté l’Afghanistan le 30 août]. Voilà pourquoi la paix n’a pas eu lieu.

Quel a été le rôle du président Ashraf Ghani, aujourd’hui en fuite ?

Bien qu’il ait été écarté des négociations entre les Etats-Unis et les talibans, il aurait pu mieux gouverner. Il n’a rien fait contre la corruption.

Les talibans ont-ils changé ?

Par rapport à leur premier règne (1996-2001), ils veulent faire croire qu’ils ont changé. Mais ce changement n’existe qu’au niveau de leurs dirigeants politiques. Eux ont voyagé à l’étranger, en Russie, en Turquie, en Chine, au Kazakhstan et au Qatar. En réalité, les combattants et les commandants talibans qui ne connaissent que la guerre et les armes ne peuvent pas accepter les changements de la société afghane.

Afrique, des élections qui n’ont plus de sens

Afrique, des élections qui n’ont plus de sens

 

Il est clair d’une façon générale les élections dans nombre de pays ne sont plus de nature à satisfaire les attentes démocratiques des peuples. Ceci vaut pour le monde entier  mais particulièrement en Afrique.

 

Nathalie Delapalme est directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim — du nom de son créateur, un milliardaire anglo-soudanais et entrepreneur dans le domaine des télécommunications —, qui a pour mission d’aider l’Afrique à se débarrasser de ses dictateurs corrompus et publie l’indice Ibrahim de la gouvernance, qui établit un classement des performances réalisées par les 54 pays du continent. (Interview dans l’opinion)

Quels enseignements tirez-vous du dernier indice Ibrahim ?

Six Africains sur dix vivent dans un pays dont la gouvernance est meilleure qu’en 2010. Mais, pour la première fois depuis 2010, le niveau de gouvernance globale en Afrique baisse (- 0,2 point) en 2019. C’est un signal à prendre en compte. En fait, la progression ralentissait depuis plusieurs années au point d’aboutir à ce résultat qui traduit une évolution divergente des dimensions de la gouvernance. Des progrès ont été réalisés en matière de développement économique et humain. Toutefois, ils s’essoufflent et ne sont plus en mesure de compenser la dégradation du système démocratique, de l’état de droit, de la participation de tous à la vie politique et économique, des libertés et droits fondamentaux. Tout miser sur le développement économique et humain n’est pas soutenable à long terme et représente un pari fragile dans notre monde globalisé. Aucun gouvernement ne peut se prémunir contre l’impact, inattendu et dévastateur, d’un choc exogène comme la Covid.

Quels sont les bons et les mauvais élèves ?

Pour une vision complète, il faut considérer à la fois le point d’arrivée et les tendances. En 2019, sont en tête de peloton Maurice, le Cap Vert, les Seychelles, la Tunisie, le Botswana et l’Afrique du Sud. Mais la trajectoire de Maurice et de l’Afrique du Sud se dégrade depuis quelques années. Sur la décennie, les pays qui progressent le plus sont la Gambie, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, les Seychelles, le Zimbabwe, l’Ethiopie, la Somalie, l’Angola, le Tchad et la Namibie. Les détériorations les plus fortes sont relevées en République démocratique du Congo, aux Comores, au Mali, au Nigeria, au Malawi, en Afrique du Sud, en Erythrée, en Zambie, au Cameroun et au Lesotho.

La tendance va-t-elle s’inverser en Ethiopie (en guerre civile) et en Côte d’Ivoire (en crise post-électorale)

La Côte d’Ivoire et l’Ethiopie figurent tous deux parmi les dix pays qui ont le plus progressé sur la décennie écoulée (respectivement 18e et 31e). Mais les progrès marquent le pas depuis quelques années, avec des points d’alerte. En Côte d’Ivoire, les indicateurs relatifs aux procédures de passation des marchés publics, à l’égalité en matière de représentation politique, à l’espace accordé à la société civile, ou à l’accès au logement, se dégradent. En Ethiopie, la tendance est préoccupante pour dix des 79 indicateurs, notamment ceux relatifs aux déplacements forcés de population, aux droits de propriété, au réseau de transport, aux relations du travail, a l’impartialité du système judiciaire.

Le Ghana est souvent érigé en modèle de démocratie. La situation ne s’est-elle pas détériorée sous la présidence de Nana Akufo-Addo ?

En 2019, le Ghana se classe encore dans le top ten (8e). Mais la tendance générale n’est pas bonne. On constate depuis 2010 une détérioration de deux des quatre dimensions principales de la gouvernance : Sécurité et règle de droit ; Participation, droits et inclusion. Des progrès incontestables ont certes été obtenus en termes de développement économique et humain, notamment pour l’accès au digital et aux services financiers, le contrôle des maladies transmissibles, l’état civil et le système statistique, l’égalité d’accès aux services publics, le cadre des échanges commerciaux. Mais d’autres indicateurs régressent : impartialité du système judiciaire, procédures de passation des marchés publics, droits de propriété, corruption dans le secteur privé, liberté des médias, droits digitaux, capacité fiscale.

« Pour la première fois en 25 ans, l’Afrique va rentrer en récession. La chute drastique de la demande extérieure, la mise à l’arrêt du tourisme, les mesures de confinement souvent sévères ont réduit presque à néant les perspectives d’activité, d’emploi, voire de survie pour les plus fragiles »

Comment se porte l’Afrique du Sud ?

L’Afrique du sud, deuxième PNB du continent, se situe encore au 6e rang en termes de gouvernance globale et les composantes relatives à la participation et à l’état de droit se sont améliorées. Mais, sur dix ans, sa performance a perdu presque un point, donc elle est très en deçà de l’évolution moyenne du continent. Sont en recul des composantes essentielles du développement humain (protection sociale, accès au logement, réduction de la pauvreté, libertés individuelles) tandis que la criminalité et la corruption progressent. Les opportunités économiques sont toujours importantes mais leur croissance enregistre un déclin régulier.

Et l’Algérie post-Bouteflika ?

Le niveau de gouvernance est meilleur qu’en 2010. Il est tiré par un progrès notable en termes de développement humain et économique, particulièrement en matière d’environnement réglementaire des affaires et de la concurrence (en partant d’un niveau assez bas), de réseau de transport, de téléphonie mobile, d’accès au logement, d’inscription à l’école, d’application de la loi, de procédures judiciaires, de pluralisme politique, et de corruption. Restent des points noirs : respect de la loi, droits de propriété, procédures de passation des marchés publics, espace de la société civile, liberté des médias, liberté d’expression et de croyance, accès à l’information, élections démocratiques, accès aux soins de santé.

L’irruption du coronavirus ne va-t-il pas amplifier le mouvement de détérioration ?

Il risque de peser sur l’ensemble des progrès économiques et sociaux d’autant que la pandémie continue à s’étendre (au 15 décembre, on dénombrait 2 401 953 cas répertoriés, plus 22 % en un mois) malgré la forte réactivité de gouvernements instruits par l’expérience Ebola. L’Afrique du Sud, le Maroc, l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie sont les pays les plus atteints. Cette crise pèse sur des structures sanitaires déjà fragiles, et réduit l’attention accordée à d’autres pathologies, au moins aussi graves. Elle a provoqué la déscolarisation de nombreux élèves, une limitation excessive de libertésla hausse des violences à l’encontre des femmes, des restrictions démocratiques injustifiées. Son impact est dévastateur sur les plans économiques et sociaux. Pour la première fois en 25 ans, l’Afrique va rentrer en récession. La chute drastique de la demande extérieure, notamment de matières premières, la mise à l’arrêt du tourisme, les mesures de confinement souvent sévères ont réduit presque à néant les perspectives d’activité, d’emploi, voire de survie pour les plus fragiles. Si l’on y ajoute aux effets du changement climatique, cette crise sanitaire doit être l’occasion de définir un modèle de croissance plus vert, plus créateur d’emplois locaux, plus autonome, plus équitable, plus inclusif.

« La perte de confiance, voire la défiance, envers leurs Etats s’accroît fortement. C’est en réalité un mouvement mondial. Les Etats apparaissent impuissants à régler les défis du monde contemporain et à répondre aux attentes élémentaires  »

De plus en plus d’élections sont contestées. La démocratisation en cours est-elle en danger ?

Le modèle démocratique apparaît fragile et franchement contesté, notamment par la jeunesse africaine. Dans un monde ou l’information et l’expression des sentiments sont devenues permanentes et réactives, il apparaît difficile de continuer à fonder le système démocratique sur la seule tenue, tous les cinq ans au mieux, d’élections présidentielles estampillées « libres et transparentes » par des observateurs extérieurs. Cette qualification même a été fortement dévalorisée, voire dévoyée, notamment en RD Congo. Les Africains ont perçu le choix d’une communauté internationale qui a fermé les yeux sur la vérité des urnes pour permettre l’avènement d’une alternance de façade. Dans trop de cas, l’élection n’inspire plus ni confiance, ni même respect. Il faut « remettre l’église au milieu du village » et revenir à la signification même du principe démocratique.

Les populations semblent aussi de plus en défiantes envers leurs Etats…

La perte de confiance, voire la défiance, envers leurs Etats s’accroît fortement. C’est en réalité un mouvement mondial. Les Etats apparaissent impuissants à régler les défis du monde contemporain (pandémies, terrorisme, changement climatique, insécurité digitale) et à répondre à leurs attentes élémentaires (accès à l’emploi, qualité des transports, sécurité du voisinage, gestion des déchets). Les deux plus grandes villes africaines, Le Caire et Lagos, gèrent des populations équivalentes à celles de la Côte d’Ivoire ou de l’Angola, les 14e et 15e pays les plus peuplées du continent… Sans aller jusqu’à considérer qu’on a atteint les limites du système westphalien, la gouvernance locale est appelée à jouer un rôle croissant, y compris dans la gestion des risques globaux.

«La France du XXIe siècle: des chefs de guerres qui n’ont pas fait leur service militaire (Régis Debray)

 «La France du XXIe siècle: des chefs de guerres qui n’ont pas fait leur service militaire (Régis Debray)

 

A juste titre, Régis Debray dénonce les erreurs répétées de ces jeunes managers chefs de gouvernement, aussi chef des armées et qui n’ont jamais fait leur service militaire. Et qui évidemment reproduisent les mêmes erreurs que dans le passé avec d’abord l’éloge de la cause guerrière, l’usure ensuite puis la retraite souvent honteuse.

Exactement ce qu’on risque de rencontrer par exemple au Mali pour la France. Un conflit dont se demande quelle signification il peut avoir tellement il est peu soutenu non seulement par les dirigeants locaux mais aussi par les dirigeants de l’union européenne. Pourtant chacun sait que lâcher le Mali, le Niger ou encore le Burkina risquent de contaminer les autres pays qui touchent le Sahel et l’Afrique occidentale en général.

La France ne peut évidemment partir brutalement de cette contrée mais elle devrait mettre l’union européenne voir la diplomatie internationale tout entière devant ses responsabilités en fixant un délai. Ou bien la France par la communauté internationale en particulier par l’Europe ou bien elle doit partir car elle n’a pas les moyens d’entretenir une armée de 50 000 hommes. C’est tout juste si l’armée française peut entretenir un effectif de 5000 personnes dans un territoire 10 fois grand comme la France. Ce qui représenterait par exemple cinq soldats par département français.

 Une mission évidemment impossible. Et pendant ce temps là, l’Allemagne se vautre dans l’affairisme en signant des accords honteux avec la Chine, avec la Russie, avec tout ceux avec lesquels elle peut faire du business. On ne peut reprocher à l’Allemagne de bénéficier d’une industrie très compétitive et très en pointe. Par contre on peut s’interroger sérieusement sur les valeurs de la diplomatie allemande.

l’EPR de Flamanville : des critiques de la Cour des Comptes qui n’ont rien d’une nouveauté

l’EPR de Flamanville : des critiques de la Cour des Comptes qui n’ont rien d’une nouveauté

 

Depuis l’arrivée de Moscovici à la tête de la Cour des Comptes, l’institution se contente de banalités soit pour reprendre les inquiétudes connues relatives aux déséquilibres macro-économiques français mais sans apport bien original. Et maintenant la Cour des Comptes choisit de tirer sur une ambulance à savoir la dérive de l’EPR de Flamanville . Cette centrale nucléaire de nouvelle génération dont les coûts et le calendrier ne cessent  de dériver. La Cour des Comptes reprend les principales dérives : Coût prévisionnel multiplié par 3, à 12,4 milliards d’euros pour l’instant, et des délais de construction par 3,5, à 187 mois ! Le gouvernement est bien sûr conscient des difficultés de la filière nucléaire , le ministre de l’économie a demandée un rapport non seulement sur les éléments objectifs de la situation concrète mais aussi sur les mesures qu’entend prendre EDF pour redresser la gestion notamment du nucléaire. Notons cependant que la plupart des projets d’EPR dans le monde ont connu des aléas à peu près du même type concernant les rallonges financières et le report des délais. Sans doute pas une raison pour justifier les retards particuliers de Flamanville ou visiblement on a accumulé insuffisance de gestion, insuffisance technique( le problème des soudures) et même insuffisance de gestion globale projet en raison en particulier de la rivalité complètement stérile entre Areva et EDF.

Sondage Coronavirus et déconfinement : 62 % n’ont pas confiance

Sondage Coronavirus et déconfinement : 62 % n’ont pas confiance

 

62% ne font pas confiance au gouvernement pour réussir le déconfinement, indique le baromètre politique Odoxa-CGI pour France Inter, L’Express et la Presse Régionale publié mardi. À la tribune, le premier ministre devra donc prouver aux Français les bienfaits du plan du gouvernement.

La cote de popularité d’Emmanuel Macron a elle gagné 4 points en avril et 9 points depuis mars et le début de la crise sanitaire, surtout chez les sympathisants PS et LR (+17), qui modèrent leurs critiques à cause de la crise sanitaire. Mais ils sont encore 58% (-4) à trouver qu’il est un «mauvais» président contre 42% (+4) qui le jugent un «bon» président. Edouard Philippe s’en sort mieux, avec une cote en hausse de 5 points en avril et de 11 points en deux mois. Mais il reste lui aussi majoritairement impopulaire (53% contre 46%). Pour près des deux-tiers des Français (65%), l’exécutif «n’est pas à la hauteur de la situation» depuis le début de la crise sanitaire, le même pourcentage que le mois dernier.

 

« Les crises n’ont pas infléchi la dynamique d’accumulation matérielle du monde »

« Les crises n’ont pas  infléchi la dynamique d’accumulation matérielle du monde »

 

Jean-Baptiste Fressoz, Historien, chercheur au CNRS estime qu’  il va falloir arrêter avec l’écologie festive et consensuelle que le Earth Day de 1970 a inaugurée, rappelle, dans sa chronique au « Monde ».

 

Chronique.

 

 » Il y a cinquante ans, le 22 avril 1970, se tenait aux Etats-Unis le premier Earth Day (Journée de la Terre). L’anniversaire est passé relativement inaperçu. Il est pourtant difficile de surestimer l’importance de l’événement : les manifestations regroupèrent infiniment plus de monde que celles, contemporaines, contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques ou l’égalité hommes-femmes. Des milliers d’universités et d’écoles, des églises, des entreprises, des administrations organisèrent conférences, rassemblements, fêtes et concerts. Scientifiques, enseignants, syndicalistes, activistes, féministes, pacifistes, leaders religieux et politiques (l’événement avait été lancé par Gaylord Nelson, sénateur démocrate du Wisconsin) y participèrent, de même que des grands patrons – y compris celui de Dow Chemicals.

C’est par dizaines de millions que les Américains entonnèrent le refrain de Give Earth a Chance, chanté par le grand Pete Seeger. Les médias ne furent pas en reste : soudainement on ne parla plus que d’environnement. Ce mot s’imposa définitivement : on l’employait désormais avec l’article défini « the » pour parler de sa défense. Le Earth Day, nous explique en substance l’historien Adam Rome, fut l’acte de naissance du mouvement environnementaliste contemporain (Adam Rome, The Genius of Earth Day. How a 1970 Teach-In Unexpectedly Made the First Green Generation, Hill and Wang, 2013, non traduit). Du moins aux Etats-Unis, qui étaient alors très en avance sur cette question par rapport aux pays européens…

Lire aussi  Hoax climatique #3 : quand les scientifiques prévoyaient un refroidissement

Mais ce fut aussi à la même époque que les quantités de matières premières consommées s’envolèrent. En 1969, les Etats-Unis amorçaient le plus grand boom charbonnier de leur histoire, boom qui perdurera jusqu’en 2008 : l’Amérique de George Bush consommait à cette date plus d’un milliard de tonnes de charbon par an, deux fois sa consommation pendant la seconde guerre mondiale et plus que la consommation mondiale de charbon un siècle auparavant ! En Chine aussi la consommation s’envolait, à la suite des réformes de Deng Xiaoping. Elle atteindra 4 gigatonnes (Gt) dans les années 2010 : en trois ans à peine, l’empire du Milieu s’était mis à consommer plus de charbon que le Royaume-Uni depuis 1500.

Entre 1900 et 2015, la consommation mondiale de matières premières a été multipliée par douze, pour atteindre un peu moins de 100 Gt par an

Et le charbon n’est pas une exception. Contrairement à l’idée confortable de transition, les matières premières ne deviennent jamais obsolètes : depuis cinquante ans, seules cinq ont vu leur consommation mondiale baisser, principalement à cause de leur toxicité (l’amiante, par exemple). Seule la laine de mouton a été massivement remplacée par les fibres synthétiques, ce qui n’est d’ailleurs pas une bonne nouvelle pour l’environnement. Entre 1900 et 2015, la consommation mondiale de matières premières a été multipliée par douze, pour atteindre un peu moins de 100 Gt par an. Et on assiste depuis les années 2000 à une nouvelle grande accélération, bien plus forte que celle des années 1950-1970 : entre 2002 et 2015, le monde a consommé 1000 Gt, soit un tiers de tout ce qui avait été consommé au XXsiècle (« From resource extraction to outflows 1900-2015 », Fridolin Krausman et al., Global Environmental Change, 2018). »

Sondage gouvernement et déconfinement : 62 % n’ont pas confiance

Sondage gouvernement et déconfinement : 62 % n’ont pas confiance

 

62% ne font pas confiance au gouvernement pour réussir le déconfinement, indique le baromètre politique Odoxa-CGI pour France Inter, L’Express et la Presse Régionale publié mardi. À la tribune, le premier ministre devra donc prouver aux Français les bienfaits du plan du gouvernement.

La cote de popularité d’Emmanuel Macron a elle gagné 4 points en avril et 9 points depuis mars et le début de la crise sanitaire, surtout chez les sympathisants PS et LR (+17), qui modèrent leurs critiques à cause de la crise sanitaire. Mais ils sont encore 58% (-4) à trouver qu’il est un «mauvais» président contre 42% (+4) qui le jugent un «bon» président. Edouard Philippe s’en sort mieux, avec une cote en hausse de 5 points en avril et de 11 points en deux mois. Mais il reste lui aussi majoritairement impopulaire (53% contre 46%). Pour près des deux-tiers des Français (65%), l’exécutif «n’est pas à la hauteur de la situation» depuis le début de la crise sanitaire, le même pourcentage que le mois dernier.

Coronavirus: les pharmaciens autorisés à vendre des masques ….. qu’ils n’ont pas

Coronavirus: les pharmaciens autorisés à vendre des masques ….. qu’ils n’ont pas

Désormais les pharmacies seront autorisées à la vente « des masques non sanitaires fabriqués selon un processus industriel et répondant aux spécifications techniques applicables ». D’abord notons le flou de la recommandation quant à la qualité des masques . Ensuite surtout la grande difficulté pour les pharmaciens sera de trouver les fameux masques. En effet en vitesse de croisière c’est-à-dire en déconfinement, les besoins de masques se situent à 600 millions par semaine. Alors que la France en tout état de cause ne sera capable de fabriquer que 20 millions. C’est le résultat l’incompétence du gouvernement qui a été incapable de réquisitionner les usines dont pourtant les salariés sont financés à 85 % par le chômage partiel.

Dès aujourd’hui, les pharmaciens ont le droit de s’approvisionner mais devront attendre lundi pour passer des commandes. « Ce n’est donc pas la peine d’aller en pharmacies dès lundi pour acheter des masques », a prévenu sur BFMTV Philippe Besset, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France.

Jusqu’à présent, les officines n’avaient le droit de distribuer des masques destinés qu’aux professionnels de santé ou aux personnes fragiles, soit les FFP2 ou les masques chirurgicaux. Elles pourront donc vendre des masques en tissus fabriqués par des entreprises classiques.

Depuis dimanche 26 avril, les pharmaciens ont l’autorisation de vendre des masques dits « non-sanitaires » après la publication d’un arrêté au Journal Officiel, mais « la moitié des officines n’en auront pas à disposition » lundi, faute de temps pour s’approvisionner, déclare le 26 avril sur franceinfo le président de la section A de l’Ordre des pharmaciens Pierre Béguerie, qui représente les pharmaciens titulaires d’officines.

« L’arrêté est sorti un dimanche. Vous pensez bien qu’entre le dimanche et le lundi, les pharmaciens n’auront pas pu se procurer ces masques », commente le pharmacien, mais « vous pouvez faire confiance au réseau des pharmaciens pour faire tout ce qu’il faut pour pouvoir équiper les patients qui leur demanderont d’ici une ou deux semaines ». Pierre Béguerie se dit d’ailleurs « très confiant dans l’essor et l’élan de toutes les entreprises qui se sont mises à fabriquer » des masques.

Les pharmaciens réclamaient cette autorisation depuis le début du mois d’avril mais tous n’ont pas pu anticiper car, « comme ça a mis beaucoup de temps et que dans cette période de pandémie, les choses changent du jour au lendemain, on n’avait aucune certitude. Maintenant, c’est acté », se félicite le président de la section A.

 

Guerre économique mondiale: la France et l’UE n’ont rien compris

Pendant que la France et l’UE  s’acharne à favoriser la concurrence interne, les Etats Unis se servent, eux, du droit commercial comme dune arme de guerre économique vis à vis des entreprises étrangères. Ce qu’explique  Ali Laïdi, docteur en sciences politiques  dans le Figaro.

 

Votre récit liste de nombreuses entreprises françaises et européennes ayant subi des attaques en règle du Department of Justice américain ou des administrations habilitées. Certaines sociétés ont payé de lourdes amendes, d’autres ont carrément été démantelées. Nous n’avons rien vu venir?

 

Ali Laïdi. - Nous sommes totalement démunis d’un point de vue stratégique. Bruxelles renvoie aux États membres la solution, et ces derniers ne savent pas plus comment s’y prendre. Lorsque vous présentez ce sujet devant des responsables de l’Union européenne, ceux-ci vous regardent avec de grands yeux, se demandant ce qu’ils peuvent bien y faire. Un léger réveil a néanmoins lieu depuis 2016: il a fallu le Brexit et l’élection de Donald Trump pour commencer à envisager de s’occuper de notre sécurité économique. Les responsables pensaient que tout cela était inclus dans la protection militaire des États-Unis, or ces derniers ont toujours dit qu’ils ne s’occuperaient jamais de ça. La prise de conscience est très lente: dans les rapports officiels récents sur les menaces qui concernent l’Europe, il n’y a toujours aucune mention des aspects de sécurité économique. Il faudra repartir de zéro. Et trouver une vraie solution politique: l’Instex, l’instrument récemment créé pour contourner les sanctions américaines en Iran est par exemple un gadget qui ne résout rien.

Pourquoi est-ce que l’UE et les gouvernements européens restent-ils depuis si longtemps sans rien faire?

D’abord, l’Europe se concentre toujours sur l’idée de paix. Depuis quarante ans elle refuse de voir le champ économique comme un champ d’affrontement, comme un champ de violence. Elle pense que promouvoir les idées de liberté et de démocratie peut suffire dans ce domaine. De plus, nous sommes restés à la définition du marché de l’école classique d’Adam Smith: un lieu où l’acheteur rencontre le vendeur, et où les deux possèdent le même niveau d’information. Or les Américains, à partir de l’école néoclassique, conçoivent le marché comme un lieu où se rencontrent des gens qui n’ont pas le même niveau d’information, un lieu de concurrence. Cela, nous Européens, nous ne l’avons toujours pas compris. On s’est contenté d’une analyse du marché qui a trois siècles.

Ensuite, les Européens n’ont pas de cadre et de profondeur stratégique. Ils n’ont pas compris les premiers signaux, qui datent de 1982, lorsque Reagan avait essayé d’interdire aux filiales européennes des sociétés américaines de participer à la construction du gazoduc soviétique vers l’Europe. L’épisode s’était bien terminé grâce à Margaret Thatcher, qui avait tapé du poing sur la table et dit aux Américains: «hors de question que vous exportiez votre droit comme cela». Ils n’ont ensuite pas compris la portée des lois successives américaines sur le sujet. Dans les années 1990, l’UE a bien pris un règlement qui interdisait à ses entreprises de se soumettre aux lois étrangères. Mais tout le monde à Bruxelles sait pertinemment que ce dernier n’a jamais pu être appliqué. L’immense erreur est enfin d’avoir retiré la plainte à l’OMC en 1996, alors que celle-ci apportait une vraie marge de manœuvre, les États-Unis ne pouvant décemment pas être le premier pays condamné par l’organisation qu’ils avaient créée.

Est-ce que l’exercice du pouvoir de Donald Trump, aussi isolationniste que redoutable dans ses négociations commerciales, marque un changement sur l’utilisation de l’extraterritorialité du droit américain?

Nous allons avoir une réponse importante très prochainement, avec les affaires Huawei et ZTE. Le président américain ne se cache pas et a annoncé qu’il interviendrait personnellement dans ces dossiers. Il pourrait lui-même autoriser ZTE à continuer ses activités commerciales, à condition qu’un accord soit passé avec les Chinois. Le droit est donc bien utilisé en tant qu’outil et comme moyen de pression. Cela n’a pas toujours été aussi manifeste: souvenons-nous de la position américaine lors de l’Affaire BNP. Lorsque François Hollande avait interpellé Barack Obama, ce dernier avait répondu qu’il ne pouvait agir sur la justice américaine, en vertu de la séparation des pouvoirs…

Il faudra observer jusqu’où les États-Unis vont avec la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, pour l’instant au Canada. Vont-ils, comme ils l’ont fait par le passé, utiliser un certain nombre de personnes pour faire pression sur les pays? Le Français Frédéric Pierucci avait clairement été incarcéré pour faire pression sur Alstom, comme il l’a récemment raconté. Pour la France, des craintes existent à l’heure actuelle sur plusieurs entreprises. Et dans l’état actuel des choses, rien ne changera: Il est clair que les entreprises ne s’opposeront pas aux sanctions américaines si elles n’ont pas la certitude que la question est prise au plus haut niveau politique, c’est-à-dire pour nous à l’Élysée et à Bruxelles. Sinon, elles se référeront toujours au droit américain, pour l’instant le droit du plus fort.

 

Ali Laïdi est docteur en sciences politiques, chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), auteur de plusieurs ouvrages

 

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