Les raisons économiques du succès de Trump
La réélection décisive de Donald Trump – qui a remporté le collège électoral et le vote populaire tout en obtenant des résultats significatifs auprès de presque toutes les catégories démographiques – a été saluée par beaucoup comme un vote audacieux en faveur du changement et un mandat clair pour son programme. Par Tiffany Wilding, économiste chez Pimco (*) dans la Tribune.
Pourtant, comme l’indique Adam Tooze, historien à l’Université de Columbia, lors des élections à l’échelle mondiale, les partis au pouvoir ont souvent perdu, les électeurs étant en quête de changement face à la performance économique post-pandémique et aux ajustements douloureux des prix, qui ont placé de nombreuses personnes dans une situation économique plus difficile. Les données de l’OCDE montrent que, contrairement à ce qui se passe presque partout ailleurs dans le monde, le niveau de vie aux États-Unis ne s’est pas seulement amélioré au cours des cinq dernières années, il a grimpé en flèche. En d’autres termes, si l’on en juge par les performances économiques globales, les États-Unis sont sans doute le pays qui a le moins besoin de changements majeurs.
Les statistiques globales masquent cependant d’importantes différences dans les expériences individuelles en termes de niveau de richesse. La réalité est que de nombreux Américains, en particulier à faibles revenus, ne sont pas mieux lotis. Par conséquent, les électeurs américains – comme beaucoup d’autres dans le monde – ont voté pour un changement, et sur la base du premier mandat de Trump et des majorités républicaines étroites dans les deux chambres du Congrès, le nouvel élu semble prêt à tenir bon nombre de ses promesses de changement.
Étant donné que la transition économique recherchée par les citoyens est une économie caractérisée par une croissance plus équitable et une amélioration du niveau de vie réel, les politiques qui modèrent l’inflation, augmentent l’efficacité et soutiennent la productivité sont les plus susceptibles de répondre aux besoins des électeurs américains.
Prenons un peu de recul par rapport à l’élection et considérons l’économie. Aussi douloureuse que l’inflation ait pu être depuis la pandémie, les États-Unis s’en sont bien mieux sortis que la plupart des autres économies de marchés développés. Avant la pandémie, le niveau de vie des États-Unis – mesuré par le PIB par habitant ajusté au pouvoir d’achat – était l’un des plus élevés au monde, dépassant de 35 à 50 % celui de la zone euro, du Royaume-Uni, du Canada et du Japon. Depuis 2019, les États-Unis ont conservé leur avance.
À l’exception de quelques petits pays de la zone euro, les performances économiques des États-Unis ont dépassé celles de tous les autres pays de l’OCDE, avec un niveau de vie réel par habitant ayant grimpé de 10 %. Ces résultats contrastent avec ceux du Japon et de la zone euro, qui n’ont progressé que de 2 à 3 % sur la même période, tandis que le niveau de vie en Allemagne, au Royaume-Uni et au Canada est aujourd’hui pire qu’avant la pandémie.
Qui plus est, les États-Unis ont enregistré cette expansion malgré une inflation inférieure à la médiane des autres pays de l’OCDE. L’augmentation cumulée de 19 % de l’indice des prix à la consommation aux États-Unis depuis 2019 est en en fait inférieure à l’inflation cumulée en Allemagne, au Royaume-Uni et en Australie sur la même période.
Ces chiffres reflètent un remarquable bond de productivité aux États-Unis après la pandémie. Contrairement à tous les autres pays, les États-Unis ont dépassé leur tendance de productivité prépandémique, grâce à une forte croissance de l’investissement non résidentiel, en particulier dans les domaines de la propriété intellectuelle et de la recherche et du développement. Dans l’ensemble, ces tendances suggèrent qu’en comparaison avec la quasi-totalité des autres pays, l’économie américaine est sans doute moins en besoin de changements radicaux.
Bien que l’économie américaine ait mieux performé en moyenne par rapport à la plupart des autres régions, nombreux sont ceux qui pas profité de ces gains. Les statistiques globales cachent le fait que l’expérience des niveaux de vie varie considérablement selon les niveaux de richesse et de revenus. Selon les comptes de distribution de la Fed, les niveaux de richesse nette réelle des populations à faibles revenus sont moins bons qu’en 2019, bien que les cinq dernières années aient été une aubaine pour les individus les plus fortunés.
La victoire de Trump est susceptible de le renforcer dans sa volonté de mettre en œuvre le changement qu’il a promis. Et ces changements pourraient avoir des implications significatives pour les perspectives économiques. Une politique axée sur un commerce mondial plus équitable, des marchés plus efficaces et une trajectoire plus viable à long terme pour la dette publique américaine pourrait potentiellement maintenir le niveau de vie des Américains à la hausse.
Mettre en œuvre des réformes de l’immigration qui accroissent la main-d’œuvre productive, simplifier les régulations et les limitations de permis de projets qui ont freiné l’investissement, et ouvrir les marchés d’exportation pour les projets américains pourraient également être des gains importants pour les entreprises et les travailleurs. D’autre part, l’augmentation des droits de douane sans gains stratégiques, la mise en œuvre de réductions massives des dépenses dans les agences gouvernementales et les pressions exercées sur la Réserve fédérale pourraient perturber l’économie : en augmentant l’incertitude, en retardant l’investissement et l’embauche, et en affaiblissant les exportations américaines.
Des politiques frontalières plus strictes pourraient mettre à mal les entreprises qui dépendent des immigrés. L’augmentation des droits de douane sur les biens d’équipement pourrait rendre l’investissement aux États-Unis plus coûteux – ce qui pourrait amplifier la pression inflationniste – tout en nuisant à la compétitivité du secteur exportateur américain.
En fin de compte, l’économie américaine s’est généralement bien comportée au cours des cinq dernières années, même si tous les Américains n’ont pas profité de cette performance. Le programme de Donald Trump – axé sur la disruption et le changement – pourrait renforcer encore l’économie américaine, en maintenant les gains de productivité et de niveau de vie parmi les plus élevés au monde, et en élargissant les avantages économiques à l’ensemble de la distribution des revenus. Il sera important de garder à l’esprit que les politiques isolationnistes et populistes ont historiquement étouffé la croissance de la productivité et n’ont pas tendance à renforcer les résultats économiques des groupes qui en avaient le plus besoin.
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(*) Tiffany Wilding est Managing Director et économiste au bureau du Newport Beach. Elle dirige le Forum cyclique de Pimco, ébauche les perspectives de l’entreprise pour l’économie mondiale et évalue les principaux risques macroéconomiques pour le Comité d’investissement. Elle copréside également le Comité de portefeuille Amérique.