Sciences-IA: Moins c’est compris plus c’est apprécié !
Les personnes les moins familiarisées avec les concepts derrière les systèmes d’IA considèrent souvent cette technologie comme « magique »… et fascinante. L’intelligence artificielle se répand, mais nombre de gens se demandent : qui est le plus susceptible d’adopter l’IA dans sa vie quotidienne ? Nombreux sont ceux qui pensent que ce sont les férus de technologies — qui comprennent le fonctionnement de l’intelligence artificielle — qui sont les plus désireux de l’adopter. Étonnamment, notre nouvelle étude, publiée dans le Journal of Marketing, révèle le contraire. Les personnes avec moins de connaissances sur l’IA sont en fait plus ouvertes à l’utilisation de cette technologie. Nous appelons cette différence d’appétence à adopter cette nouvelle technologie « faible niveau de littératie — forte réceptivité ».
par
Chiara Longoni
Associate Professor, Marketing and Social Science, Bocconi University
Gil Appel
Assistant Professor of Marketing, School of Business, George Washington University
Stephanie Tully
Associate Professor of Marketing, USC Marshall School of Business, University of Southern California
Ce lien se retrouve dans différents groupes, contextes et pays. Par exemple, les données de la société Ipsos, couvrant 27 pays, révèlent que les habitants des pays où le niveau moyen de connaissances en matière d’IA est plus faible sont plus réceptifs à l’adoption de l’IA, que ceux des pays où le niveau de connaissances est plus élevé.
De même, notre enquête auprès d’étudiants américains de premier cycle révèle que ceux qui ont une compréhension moindre de l’IA sont plus susceptibles d’indiquer qu’ils l’utiliseraient pour des tâches telles que des devoirs universitaires.
Nous pensons que ce lien contrintuitif entre niveau de littératie et appétence vient de la façon dont l’IA accomplit désormais des tâches que l’on pensait autrefois réservées aux humains : lorsque l’IA crée une œuvre d’art, écrit une réponse sincère ou joue d’un instrument de musique, cela peut sembler presque magique, comme si elle pénétrait en territoire humain.
Bien sûr, l’IA ne possède pas réellement ces qualités humaines. Un chatbot peut générer une réponse empathique, mais il ne ressent pas d’empathie. Les personnes ayant des connaissances plus techniques sur l’IA le comprennent.
Ils savent comment fonctionnent les algorithmes (ensembles de règles mathématiques utilisées par les ordinateurs pour effectuer des tâches particulières), les données d’apprentissage (utilisées pour améliorer le fonctionnement d’un système d’IA) et les modèles de calcul. Pour eux, la technologie est moins mystérieuse.
Pour ceux en revanche qui comprennent moins bien le fonctionnement des systèmes d’IA, elle peut apparaître comme quelque chose de magique et d’impressionnant. Nous pensons que c’est ce sentiment de magie qui rend ces utilisateurs plus ouverts à l’utilisation des outils d’IA.
De plus, nos études montrent que le lien entre faible niveau de connaissances et forte appétence est plus fort pour l’utilisation d’outils d’IA dans des domaines que les gens associent à des traits humains, comme le soutien émotionnel ou le conseil.
Au contraire, lorsqu’il s’agit de tâches qui n’évoquent pas ces qualités humaines – par exemple, analyser les résultats de tests – le schéma s’inverse : les personnes ayant un niveau de connaissances plus élevé en matière d’IA sont plus réceptives à ces utilisations car elles se concentrent sur l’efficacité de l’IA plutôt que sur ses qualités « magiques ».
Les chercheurs ont mené des enquêtes auprès de différents groupes, y compris des étudiants de premier cycle.
Notre rapport à l’IA n’est pas une question de capacité, de peur ou d’éthique
Il est intéressant de noter que, bien que les personnes ayant un faible niveau de littératie en IA soient plus susceptibles de considérer l’IA comme moins performante, moins éthique et même un peu effrayante, ce lien entre un faible niveau de littératie numérique et une plus grande réceptivité persiste. Leur appétence pour l’IA semble découler de leur émerveillement face à ces capacités, alors qu’ils en perçoivent bien les inconvénients.
Cette découverte offre de nouvelles perspectives sur les raisons pour lesquelles les gens réagissent si différemment aux technologies émergentes. En effet, certaines études suggèrent que certains consommateurs sont favorables aux nouvelles technologies, un phénomène appelé « appréciation des algorithmes », tandis que d’autres font état d’un scepticisme, ou « aversion pour les algorithmes ». Nos recherches indiquent que la perception de la « magie » de l’IA est un facteur clé qui façonne ces réactions.
Ces conclusions posent un défi aux décideurs politiques et aux éducateurs. Les efforts visant à améliorer la compréhension de l’IA pourraient – involontairement — freiner l’enthousiasme des gens à utiliser l’IA en la rendant moins magique. Cela crée un équilibre délicat entre aider les gens à comprendre l’IA et les garder ouverts à son adoption.
Pour tirer parti du potentiel de l’IA, les entreprises, les éducateurs et les décideurs politiques doivent trouver cet équilibre. En comprenant comment la perception de l’IA comme une technologie « magique » façonne l’appétence du grand public pour l’IA, nous pouvons contribuer à développer et déployer des nouveaux produits et services qui tiennent compte de la façon dont les gens perçoivent l’IA — et les aider à comprendre les avantages et les risques de l’IA.
Et idéalement, cela se fera sans entraîner une perte de l’émerveillement qui incite de nombreuses personnes à adopter cette nouvelle technologie
Sciences: Comment le cerveau a-t-il évolué ?
Sciences: Comment le cerveau a-t-il évolué ?
La nature singulière et les capacités exceptionnelles du cerveau humain ne cessent de nous surprendre. Sa forme arrondie, son organisation complexe et sa longue maturation le distinguent du cerveau des autres primates actuels, et plus particulièrement des grands singes auxquels nous sommes directement apparentés. À quoi doit-on ses spécificités ? Puisque le cerveau ne fossilise pas, il faut chercher la réponse dans les os du crâne retrouvés sur les sites paléontologiques pour remonter le cours de l’histoire. La boîte crânienne renferme des empreintes du cerveau qui constituent de précieuses données sur les 7 millions d’années d’évolution de notre cerveau qui nous séparent de notre plus vieil ancêtre connu : Toumaï (Sahelanthropus tchadensis).
par Amélie Beaudet, Paléoanthropologue (CNRS), Université de Poitiers dans The Conversation
Pendant la croissance, le cerveau et son contenant, le crâne, entretiennent un lien étroit et, par un processus de modelage et remodelage, l’os enregistre la position des sillons à la surface du cerveau qui délimitent les lobes et les aires cérébrales. À partir de ces empreintes, les paléoneurologues cherchent à reconstituer l’histoire évolutive de notre cerveau (par exemple, quand et comment les spécificités cérébrales humaines sont apparues ?), mais également à élaborer des hypothèses sur les capacités cognitives de nos ancêtres (par exemple, quand ont-il commencé à fabriquer des outils ?).
L’Afrique du Sud a joué un rôle central dans la recherche et la découverte d’indices sur les grandes étapes de l’évolution de notre cerveau. Les sites paléontologiques situés dans le « Berceau de l’Humanité », classé au patrimoine mondial par l’Unesco, sont particulièrement riches en fossiles piégés dans d’anciennes grottes dont les dépôts sont aujourd’hui exposés à la surface.
Parmi ces fossiles, on compte des spécimens emblématiques comme « l’enfant de Taung » (3-2,6 millions d’années), le tout premier fossile de la lignée humaine découvert sur le continent africain qui sera à l’origine du genre Australopithecus, ou « Little Foot » (3,7 millions d’années), le squelette le plus complet d’Australopithecus jamais mis au jour (50 % plus complet que celui de « Lucy » découvert en Éthiopie et daté à 3,2 millions d’années). Ces sites exceptionnels ont ainsi mené à la découverte de crânes relativement complets (par exemple « Mrs Ples » datée à 3,5-3,4 millions d’années), ainsi que de moulages internes naturels de crânes (par exemple celui de « l’enfant de Taung »), préservant des traces du cerveau de ces individus fossilisés qui ont été étudiés par des experts et ont servi de référence depuis des décennies.
Malgré la relative abondance et la préservation remarquable des spécimens fossiles sud-africains relativement aux sites contemporains est-africains, l’étude des empreintes cérébrales qu’ils conservent est limitée par la difficulté à déchiffrer et interpréter ces traces.
Devant ce constat, notre équipe constituée de paléontologues et de neuroscientifiques a cherché dans un premier temps à intégrer, dans l’étude des spécimens fossiles, les compétences techniques développées en imagerie et en informatique.
Nous avons alors mis en place le projet EndoMap, développé autour de la collaboration entre des équipes de recherche françaises et sud-africaines, dans le but de pousser plus loin l’exploration du cerveau en y associant des méthodes de visualisation et d’analyses virtuelles.
À partir de modèles numériques 3D de spécimens fossiles du « Berceau de l’Humanité » et d’un référentiel digital de crânes de primates actuels, nous avons développé et mis à disposition une base de données unique de cartographies pour localiser les principales différences et similitudes entre le cerveau de nos ancêtres et le nôtre. Ces cartographies reposent sur le principe d’atlas traditionnellement utilisé en neuroscience et ont permis à la fois une meilleure connaissance de la variabilité dans la distribution spatiale des sillons du cerveau humain actuel et l’identification des caractéristiques cérébrales chez les fossiles. En effet, certains désaccords scientifiques majeurs dans la discipline sont la conséquence de notre méconnaissance de la variation inter-individuelle, qui entraîne une surinterprétation des différences entre les spécimens fossiles.
Cependant, EndoMap fait face à un défi majeur dans l’étude des restes fossiles, comment analyser des spécimens incomplets ou pour lesquels certaines empreintes cérébrales sont absentes ou illisibles ? Ce problème de données manquantes, bien connu en informatique et commun à de nombreuses disciplines scientifiques, est un frein à la progression de notre recherche sur l’évolution du cerveau.
Le bond technologique réalisé récemment dans les domaines de l’intelligence artificielle permet d’entrevoir une solution. En particulier, devant le nombre limité de spécimens fossiles et leur caractère unique, les méthodes d’augmentation artificielle des échantillons pourront pallier le problème d’effectif réduit en paléontologie. Par ailleurs, le recours à l’apprentissage profond à l’aide d’échantillons actuels plus complets constitue une piste prometteuse pour la mise au point de modèles capables d’estimer les parties manquantes des spécimens incomplets.
Nous avons alors invité à Johannesburg en 2023 des paléontologues, géoarchéologues, neuroscientifiques et informaticiens de l’Université du Witwatersrand et de l’Université de Cape Town (Afrique du Sud), de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), de l’Université de Toulouse, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris et de l’Université de Poitiers à alimenter notre réflexion sur le futur de notre discipline au sein du colloque « BrAIn Evolution : Palaeosciences, Neuroscience and Artificial Intelligence ».
Cette discussion est à l’origine du numéro spécial de la revue de l’IFAS-Recherche, Lesedi, qui vient de paraître en ligne et qui résume les résultats de ces échanges interdisciplinaires. À la suite de cette rencontre, le projet a reçu le soutien financier de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS dans le cadre l’appel d’offres « Jumeaux numériques : nouvelles frontières et futurs développements » pour intégrer l’IA à la paléoneurologie.