Choisir entre déficit et modèle social ?
Entre protection sociale coûteuse et pression sur les recettes, l’État est confronté à un dilemme : préserver la solidarité ou relancer la compétitivité ? Trois pistes s’affrontent : désocialisation, TVA sociale, ou élargissement de l’assiette contributive. Faut-il changer de cap ou adapter notre financement sans renier nos valeurs ? Par Gérard Fonouni-Farde, professeur agrégé émérite d’économie (*). dans La Tribune.
Le déficit budgétaire de la France pourrait atteindre les 5,8 % du PIB en 2025. Le dérapage des finances publiques s’explique pour beaucoup par la baisse des impôts et des cotisations patronales justifiées par la politique économique de l’offre. Cependant, ce dérapage est également lié à la hausse des dépenses sociales et plus particulièrement à celles de la santé et des retraites représentant à elles seules près de 60 % des dépenses publiques. Selon une certaine doctrine économique, notre protection sociale serait ainsi la principale cause de cette hausse aggravant le déficit public.
La France, depuis 1945, a fait le choix d’une protection sociale forte grâce à la mise en place d’un système de répartition par opposition à un système de capitalisation. Un modèle social qui repose sur la solidarité et sur la séparation du risque social et de la cotisation de l’assuré. Un système financé essentiellement par les cotisations sociales salariales et patronales assises uniquement sur les revenus du travail. Depuis quelques années, cette progression des dépenses sociales creuse le déficit de la Sécurité sociale. Celui-ci est passé 10,8 en 2023 à 22,1 milliards d’euros en 2025.
Face à des dépenses sociales qui augmentent, et devant un déficit public qui s’aggrave, faut-il réduire les dépenses sociales au risque d’affaiblir la finalité de notre modèle social, ou faut-il accroître les cotisations sociales au risque d’amoindrir la compétitivité et le pouvoir d’achat des ménages ?
Face à ce dilemme économique et social, les Pouvoirs publics disposent de plusieurs actions économiques.
Baisser les dépenses sociales pour réduire le déficit, menace notre modèle social…
La première est celle de la désocialisation de certaines dépenses de santé. Pour certains économistes, en transférant une partie de celles-ci au secteur privé, c’est-à-dire faisant supporter le coût de leur prise en charge collective par l’assurance privée permettait de réduire fortement le déficit public.
Or, cette mesure ne résoudrait pas le problème. Elle ne ferait qu’aggraver les inégalités et appauvrir certains ménages puisqu’une partie des soins reposerait sur les règles de l’assurance privée et non plus sur celles de la solidarité. Le coût de la prise en charge individuelle serait ainsi proportionnel à la gravité de la maladie. Cette proportionnalité remettrait en cause le caractère universel et égalitaire du droit à la santé pour tous, créant ainsi une santé à deux vitesses, celle des riches et celle des pauvres.
Quant à la seconde mesure, elle consiste à agir sur les recettes en réintroduisant l’idée d’une TVA sociale se substituant aux cotisations sociales afin de financer ces dépenses par la consommation.
Ce basculement des cotisations vers la TVA ne ferait gagner du pouvoir d’achat aux ménages et de la compétitivité aux entreprises, qu’à la condition que celles-ci baissent leurs prix hors taxes.
Or, beaucoup d’entre elles préfèreront augmenter leurs marges plutôt que de baisser leurs prix. Dans ce cas, la TVA sociale se traduirait par de l’inflation et donc par une diminution du pouvoir d’achat des ménages modestes, rendant ainsi cet impôt sur la consommation encore plus injuste qu’il ne l’était auparavant. Dès lors, il devient difficile de justifier une telle mesure.
C’est pourquoi il semblerait plus efficace et plus juste d’élargir l’assiette du financement de ces dépenses sociales aux revenus du capital financier plutôt que sur la consommation.
Mettre à contribution les revenus du capital par la mise en place d’une cotisation sociale spécifique sur le capital financier permettrait de ne plus faire supporter l’effort social de la Nation que sur les revenus du travail. Ce qui donnerait lieu à davantage de recettes sociales nécessaires au financement de ces dépenses sans amoindrir la compétitivité des entreprises et sans pénaliser l’emploi.
L’effort social serait alors moins lourd à supporter puisqu’il serait mieux réparti sur l’ensemble des revenus. Cela serait ainsi bénéfique à l’ensemble de notre économie, évitant ainsi les risques d’une austérité. Cette troisième mesure serait l’occasion de réduire progressivement les déficits publics sans mettre à mal notre modèle social !
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(*) Gérard Fonouni-Farde est professeur agrégé émérite d’économie. Il est notamment l’auteur de L’économie en quatre leçons, paru chez L’Harmattan en 2022.