Trump , l’idiot utile ?
Les 100 premiers jours de la seconde administration Trump ont été marqués par une brutalité inédite plongeant les États-Unis dans le chaos. Parallèlement, Trump semble se soumettre à l’influence de Poutine et de Xi Jinping, tandis qu’il déçoit de plus en plus son électorat et même ses alliés. À travers ses actions, Trump aligne ses politiques sur des intérêts étrangers et oublie les principes qui fondent l’Amérique. Par Christophe Stener, Professeur de Géostratégie à l’Université Catholique de l’Ouest (*) dans La Tribune.
Les 100 premiers jours, de la seconde administration Trump, sidèrent par leur brutalité et leur dogmatisme, mais aussi, malgré la signature en rafales et théâtralisée d’« Executives Orders » selon la feuille de route écrite par The Heritage Foundation, par le chaos des décisions prises pour être reprises le surlendemain au son du canon de Wall Street. Trump désespère son électorat et jusqu’à ses séides qui, comme dans la cour d’un empereur décadent, se déchirent déjà autour de la dépouille d’Elon Musk. Caligula avait fait sénateur son cheval sous le nom d’Incitatus, Trump a fait du fantasque libertarien dont l’hubris est dopée à la dopamine le « doge » à la tête du DOGE, entreprise de destruction du « Deep State ».
« Idiot utile » est le terme attribué de manière apocryphe à Lénine pour désigner les intellectuels occidentaux qui, de bonne foi, soutiennent les intérêts de la révolution bolchévique. Ce terme vaut pour Trump qui, que ce soit parce qu’il est sous influence ou par une dramatiquement simpliste Weltschau, sert objectivement et sans pudeur les intérêts de Poutine. Aussi gravement, la guerre commerciale engagée à la hussarde par Trump est déjà une victoire pour Xi Jinping, qui a gagné l’escalade de bluff, Trump devant, sous la menace d’une complète déroute du dollar, des obligations américaines et du S&P, entendre les appels à la raison des millionnaires qui ont financé sa campagne. Surtout, « America First » affaiblit durablement la puissance américaine, et au-delà de la propagande trumpienne inspirée d’Émile Coué de la Châtaigneraie, elle installe un nouveau désordre du monde fondé sur le droit du plus fort, l’indifférence aux principes humanistes fondant la charte des Nations unies et fait de l’égoïsme des nations le moteur du déclin moral.
Trump est fort dépité de ce que le « Plan Vance », qui est à l’Ukraine ce que Munich fût aux Sudètes, une légitimation d’une guerre d’invasion et l’amnistie des crimes de guerre de la Russie par l’acceptation de toutes les exigences de Poutine, ne soit pas accepté sous la contrainte par Zelenski et soit compromis par des frappes russes sur Kiev « pas nécessaires et à un très mauvais moment » selon le tweet le 24 avril de Trump. Poutine épuise la patience de Trump qui se défend d’être sous l’influence de l’un des camps, un aveu révélateur d’un remords refoulé de sa trahison de l’Occident.
L’alignement complet, et sans vergogne, de Trump sur l’agenda de Poutine relance la spéculation sur le fait de savoir si le 47e Président des États-Unis est sous influence de la Russie. Les principaux éléments à charge du dossier sont un voyage à Moscou sur la promesse d’une Trump Tower à Moscou qui fut le « chemin de Damas » du play-boy qui publia à son retour des éditoriaux en pleine page des journaux new-yorkais prétendant régler la menace nucléaire et plus récemment, l’influence documentée de la Russie dans les élections présidentielles américaines. Et son élection comme candidat du Grant Stern, le « Grand Old Putin Party » selon la formule de Grant Stern.
La seule question ouverte est dans combien de jours, au mieux de mois, Trump publiera sa trahison des Pères fondateurs des États-Unis d’Amérique et de savoir si l’Ukraine pourra, avec l’aide européenne, tenir jusqu’aux prochaines élections de mi-mandat, ou pire, jusqu’à une nouvelle présidence américaine.
Alors que Trump gouverne selon ses intuitions et vit dans l’instantanéité fugace d’un tweet irréfléchi, Xi, Président, élu, lui, à vie, raisonne sur le temps long, celui de la Chine. Les stratèges chinois ont tiré les enseignements de la guérilla tarifaire de la première administration Trump et renforcé durant le mandat de Biden, la résilience de l’économie chinoise et sa capacité de représailles en engageant un rééquilibrage des exportations chinoises sur l’Asie et l’Europe, en s’affranchissant progressivement de leur dépendance aux microprocesseurs occidentaux et en dominant outrageusement des secteurs abandonnés, bien à tort par les pays industrialisés, comme les batteries électriques et, surtout, les « terres rares » dont la Chine a capté en une dizaine d’années l’essentiel des réserves prouvées et, plus encore, le raffinage. Avant même d’aller jusqu’au bout de la partie de poker menteur avec la Chine, Trump « se couche » montrant qu’« il n’a pas toutes les cartes » pour reprendre l’odieuse métaphore qu’il a employée devant les caméras du monde entier pour humilier dans le bureau ovale le dirigeant ukrainien.
Le roi Ubu-Trump est nu comme celui d’Andersen, il ne s’en rend pas compte, car ses courtisans n’osent rien lui dire. Faut-il s’en réjouir pour autant ? Non, car Trump courre après des ombres qui se dérobent. Faute d’avoir fait la paix en 48 heures sur l’Ukraine, une guerre qu’il avait qualifiée, admiratif de Poutine, de « géniale » en 2022, il va faire porter la responsabilité de son échec sur Zelenski avec qui il règle un vieux compte personnel, celui de son appel téléphonique calamiteux en 2019 où il tenta de lui soudoyer des informations compromettantes sur le fils de Joe Biden. Pour l’heure, il laisse Netanyahu poursuivre une guerre à outrance à Gaza parce que cette guerre est, pour sa base électorale évangéliste sioniste, une guerre « juste » et, aussi, dans l’espoir d’enrichir le clan Trump par la réalisation d’une « Riviera » gazaouie vidée « heureusement » de ses Palestiniens, car, selon le nouvel ambassadeur américain à Jérusalem, les Palestiniens cela n’existe pas, et ce sont des occupants illégitimes de la Judée-Samarie promise par Dieu aux Juifs, un discours de haine sous les faux habits de la lutte contre l’antisémitisme.
Abandonnant le « bourbier » ukrainien aux Européens, Trump se réinvestit dans un autre « master deal » celui d’un arrangement du dossier iranien, au bénéfice de l’Arabie saoudite, récompensée par un transfert de la technologie nucléaire américaine et obligée, alors, de reconnaître Israël, en abandonnant les Palestiniens à un protectorat israélien sur la vague promesse d’une recherche de solution et quelques aides arabes à la reconstruction de Gaza.
Idiot, donc ?…
Oui, objectivement et factuellement, tant Trump dessert l’Amérique en contribuant à faire « Make China Great Again », en se comportant comme un surnuméraire des ambitions impériales de la Sainte Russie, compromission d’oligarques et d’une église orthodoxe russe mafieuse. Les électeurs américains réalisent déjà qu’ils ont été floués par Trump, mais à l’image de Néron qui, selon une légende, jouait de la harpe devant l’incendie de Rome, Trump twitte son hagiographie, comme l’orchestre du Titanic joua, autre légende, jusqu’à la fin, dans le déni de son échec annoncé.
… Utile ?
Pour les dictatures russes et chinoises, à l’évidence. Pour le reste du monde, une calamité. Trump dans son rêve de prix Nobel de la paix, incendie le monde, l’image des 300 renards que Samson lança, la queue enflammée, dans les champs des Philistins pour détruire leurs récoltes selon le livre des Juges ch. 15 v. 4-5.
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(*) Christophe Stener, Professeur de Géostratégie à l’Université Catholique de l’Ouest et Ancien élève de l’IEP Paris et de l’École Nationale d’Administration.