«Coronavirus: vers une relocalisation économique en France ?»
Paola Fabiani est présidente-fondatrice de Wisecom et présidente du Comex40 du Medef pense que la mondialisation telle que nous la connaissons remet en cause les gains générés par une économie globale » (tribune dans le journal l’Opinion)
En déplacement à Athènes le 25 février dernier, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a déclaré que « l’épidémie du coronavirus est un game changer dans la mondialisation », avant de souligner « la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d’activités ».
La pandémie que nous connaissons est en train de prouver que la mondialisation telle que nous la connaissons remet en cause les gains générés par une économie globale. Si elle a été source de croissance, d’ouverture et de nouvelles opportunités, elle revêt aujourd’hui une part moins radieuse et place les Etats membres de l’Union européenne dans une situation inconfortable quant à la notion de solidarité. L’appel de détresse de l’Italie ou de l’Espagne à la Chine est là pour nous le rappeler.
Jamais la dépendance des sociétés occidentales aux chaînes de valeur délocalisées dans les pays émergents, et notamment en Asie, n’a donc montré de façon si criante la nécessité de changer de paradigme. Le Président de la République lui-même, dans son allocation télévisée du 12 mars, affirmait d’ailleurs qu’« il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».
Outre le fait de rendre malade une grande partie de la population française, le coronavirus a des impacts immédiats sur notre économie et in fine, sur notre façon d’envisager les rapports commerciaux. Il réactive la figure de l’homo œconomicus en replaçant le consommateur/l’usager comme agent capable de prendre en considération l’ensemble de l’environnement qui l’entoure afin de maximiser sa satisfaction et l’utilité de son action.
Exercice pédagogique. En 2020, le consommateur n’a en effet rien contre le fait de payer plus cher pour avoir un service de qualité à condition que ce surcoût soit accompagné d’une plus grande transparence et d’un exercice pédagogique explicitant les avantages qu’il engendre.
La course aux prix est une logique qui doit aujourd’hui être dépassée afin de laisser place à la qualité et la disponibilité comme facteurs déterminants dans des secteurs très concurrentiels.
Lorsque j’ai fondé Wisecom en 2005, le secteur des centres d’appels était dominé par la pratique de la délocalisation offshore. En installant nos sites de production en plein centre de Paris et en misant sur une offre sur mesure, Wisecom a fait le pari de développer une qualité de service au plus près du besoin de ses clients, garantissant de meilleures performances marketing et financières.
Pour atteindre ces objectifs, notre stratégie s’est accompagnée d’un recrutement de salariés qualifiés, aptes à pouvoir créer un vrai dialogue, interagir et conseiller les consommateurs, porter les messages de la marque mais aussi s’adresser à des fonctions stratégiques au sein de grands comptes. Une politique RH favorisée par l’implantation des locaux à Paris qui permet d’adresser un large bassin d’emplois donc un plus grand choix dans les profils (séniors, multilingues, experts sectoriels…)et un environnement de travail atypique pour une meilleure fidélisation de ses collaborateurs.
En évoquant ces derniers jours une vraie réorientation stratégique afin de limiter la dépendance française et européenne, et en assurant que la souveraineté technologique et industrielle est un prérequis à la souveraineté politique, Bruno Le Maire a fait preuve de pragmatisme et de bon sens
Chaînes de valeur. La localisation des chaînes de valeur permet par ailleurs de posséder une approche sur mesure et des qualités permettant à la fois de connaître le produit et l’environnement du client de manière approfondie. Elle est en outre source de proximité qui permet de bannir toute logique industrielle et de privilégier – dans le cas de Wisecom – la relation client en rendant l’échange plus simple, plus fluide, plus libre.
Que ce soit dans le secteur des centres d’appels ou dans tout autre domaine d’activité, la créativité et l’innovation doivent être continues. Elles commandent une culture de la performance qui doit être l’ADN des entreprises françaises dans la compétition internationale.
De fait, la promotion du Made In France, inusable argument de campagne et véritable succès de communication, ne peut désormais faire l’économie d’un changement de donne face à la crise sanitaire et économique que nous connaissons avec le Coronavirus. En évoquant ces derniers jours une vraie réorientation stratégique afin de limiter la dépendance française et européenne, et en assurant que la souveraineté technologique et industrielle est un prérequis à la souveraineté politique, Bruno Le Maire a fait preuve de pragmatisme et de bon sens.
Si (ré)installer son entreprise en France était jusqu’à présent une stratégie osée au regard des paramètres de compétitivité, la dramatique actualité de ces derniers jours place cette même stratégie comme la plus à même de répondre au « game changer » induit par la transformation de nos sociétés.
Paola Fabiani est présidente-fondatrice de Wisecom et présidente du Comex40 du Medef.
«Relocalisation: comment ? »
«Relocalisation: comment ? »
La chronique de Tanguy Tauzinat et Thomas Duteil dans l’Opinion
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» De ces semaines de confinement propices à un foisonnement de réflexions sur l’avenir de notre économie, une opinion se dégage qui, si elle n’a rien de nouveau, semble enfin avoir pris la place qui s’impose : il est urgent de reconstituer notre patrimoine industriel alors que nous nous sommes dépouillés année après année de notre souveraineté économique.
Mais la relocalisation, comme la transition écologique, ne se décrète pas. Elle exige un changement de comportement et de priorités. Comme on ne construit pas un château sur du sable, on ne pourra relocaliser une industrie que si ses fondations reposent sur un écosystème solide. Un tissu compétitif et dense de fournisseurs et de sous-traitants, de sociétés de maintenance et de distribution, de bureaux d’études… Ces entreprises ne sont pas des géants. Ce sont des PME beaucoup moins visibles que les start-up qui font la Une avec des millions levés malgré des business models restant souvent à démontrer. Ces PME régionales, souvent premiers employeurs locaux, fournissent pourtant des produits et prestations de première qualité. Même souvent dépourvues d’avance technologique majeure, elles aussi innovent, se réinventent et détiennent des savoirs faire humains concrets.
. Si l’on souhaite réussir la relocalisation, il y a urgence car ces PME sont paradoxalement délaissées. Un constat étonnant à l’heure où les fonds de capital investissement français détiennent des sommes colossales à investir. Mais ces investisseurs n’ont, pour beaucoup d’entre eux, plus aucun désir d’investir dans des PME. Ils réservent aujourd’hui leurs choix à des start-up lancées dans une course folle à la croissance, ou aux sociétés déjà les plus développées, réalisant plus 50 millions de chiffre d’affaires. Pour rappel en France : 5 400 ETI emploient trois millions de personnes alors que 139 000 PME en emploient 3,6 millions. Les chiffres de cette course à la taille sont sans appel : entre le premier semestre 2013 et le premier semestre 2019, la taille de l’investissement moyen des fonds de capital transmission a doublé pour passer de 12,2 à 24,1 millions d’euros, plus vraiment l’échelle d’une PME.
Il y a urgence parce que, pour un grand nombre de PME, cette crise risque d’être la dernière. Pour celles qui s’en sortiront, le remboursement des dettes accumulées pèsera lourdement sur la capacité d’investissement. Ce sera autant en moins pour moderniser les appareils productifs, digitaliser, recruter et assurer le développement. A moins de faire une priorité du renforcement des fonds propres de nos PME, le terreau de notre économie va s’appauvrir définitivement ruinant tout effort de relocalisation.
Les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer. Il faut d’abord cesser de lire l’avenir de notre économie au prisme du mythe de la licorne. Les mesures présentées dans l’annexe de la loi de Finances 2020 dédiée au financement des PME sont caricaturales : les seules clés de lecture en sont l’innovation et les nouvelles technologies. La seule source de financement en fonds propres mentionnée est le capital-risque. C’est ignorer la réalité d’un grand nombre de PME qui ne sont pas des jeunes pousses du digital. Il suffit de constater qui fait tourner la France en mai 2020 : acteurs de l’agroalimentaire, distributeurs, logisticiens et fabricants de matériel médical.
Soyons clairs : investir dans les technologies de demain est une évidente nécessité, mais si cela se fait au détriment du financement de l’écosystème actuel, ces start-up n’auront plus grand monde à qui vendre leurs services ! Il est ensuite temps d’interroger la pertinence d’un système qui conduit à favoriser l’accroissement de la taille des fonds d’investissement à travers l’action des régulateurs et des grands investisseurs publics qui souhaitent concentrer leur portefeuille : en pénalisant les petits fonds d’investissement, ce sont les financeurs historiques des PME que l’on pénalise.
Notre appel est simple : dans le fléchage des efforts d’investissement à venir, n’oublions pas que tout effort de reconstruction et de relocalisation ne sera viable que s’il se fait sur des bases solides.
Tanguy Tauzinat et Thomas Duteil sont les cofondateurs de la société d’investissement Trajan Capital.