Comment anticiper les futures pandémies ?
Anticiper l’émergence de nouvelles maladies infectieuses est devenu l’un des défis majeurs de notre époque, comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie de Covid-19. La question n’est pas tant de savoir « si » une prochaine pandémie va se produire, mais bien plutôt « quand »… Pourrons-nous en détecter les signes avant-coureurs suffisamment tôt, afin de ménager aux agences de santé et aux structures étatiques un temps d’avance pour mettre en place une réponse adaptée ? Pour y parvenir, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dressé une liste de maladies présentant un risque de santé publique à grande échelle, en raison de leur potentiel épidémique et de l’absence, ou du nombre limité de traitements ou de mesures de contrôle. Si la majorité des affections répertoriées sur cette liste sont déjà connues (Ebola, Zika, MERS, etc.), on y trouve aussi une mystérieuse « maladie X ». Causée par un nouvel agent pathogène, cette hypothétique, mais probable, « maladie X », encore inconnue, pourrait engendrer une grave épidémie internationale, pour laquelle l’OMS appelle à se préparer.
par Rodolphe Gozlan, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Marine Combe, Chargée de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Mathieu Nacher, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Université de Guyane
Soushieta Jagadesh, Postdoctoral research associate, Institut de recherche pou dans The Conversation
« Et surtout la santé ! » vous donne les clefs afin de prendre les meilleures décisions pour votre santé
Peut-on vraiment espérer deviner quels microbes pourraient nous menacer, quand la majorité d’entre eux sont encore inconnus des scientifiques ? À défaut de pouvoir lire l’avenir, le passé est riche d’enseignements très utiles pour prévoir les émergences, et déterminer les régions du globe à surveiller en priorité. Nos travaux de modélisation avaient notamment mis en évidence, avant la pandémie de Covid-19, le risque lié aux coronavirus circulant en Chine et en Asie du Sud-Est.
Quel avis éclairé peut-on émettre concernant les endroits où pourrait émerger la maladie X ? Voici un petit tour d’horizon des zones les plus à risques.
Comment identifier une maladie qui n’est pas encore apparue ?
Qu’elles soient dues à des virus, des bactéries, ou des parasites, ces dernières décennies, plus de 70 % des maladies infectieuses émergentes étaient d’origine animale (on parle de zoonoses).
Ces épidémies peuvent être causées par un agent pathogène jusqu’alors inconnu, ou par un pathogène déjà répertorié qui aurait conquis une nouvelle zone géographique, ou encore qui se serait modifié pour donner naissance à un nouveau variant.
L’étude et la détection des zones les plus à risque (aussi appelées points chauds) sont difficiles, car la façon dont les zoonoses se propagent dépend de la distribution spatiale de leurs réservoirs (les espèces animales sauvages ou domestiques qui abritent le pathogène sans développer de symptômes de la maladie), ainsi que de leurs hôtes mammifères (les espèces qui peuvent être contaminées et développer la maladie), ainsi que de leurs interactions avec l’être humain.
Des études montrent que l’émergence des maladies zoonotiques est étroitement liée aux paysages modifiés par ce dernier, tels que les forêts périurbaines fragmentées, qui perturbent l’interface humain-animal-environnement. Par conséquent, les principaux moteurs des maladies infectieuses émergentes) sont les processus écologiques, les modifications du paysage (en particulier liées au développement agricole), les changements dans les écosystèmes aquatiques, la déforestation et la reforestation.
Parmi les futurs coupables présumés : trois grandes familles de virus
S’il faut garder à l’esprit que certaines bactéries pourraient aussi être responsables de l’émergence de maladies, entre 2020 et 2024, ce sont principalement des virus qui ont été responsables de flambées épidémiques majeures
Les virus, et en particulier les virus à ARN, possèdent en effet des caractéristiques qui leurs confèrent un pouvoir d’émergence particulièrement important, parmi lesquelles ont peut citer : la petite taille de leur génome, la simplicité de leur code génétique, ou encore la taille de leurs populations composée de milliards de variantes virales résultant de mutations qui favorisent leur adaptation rapide aux contraintes de leurs hôte et/ou de leurs environnements. »
Flambées épidémiques majeures à travers le monde pour la période 2020-2024. N indique le nombre total par zone géographique, V indique les épidémies d’origine virale et B d’origine bactérienne. Organisation mondiale de la Santé
En regardant dans notre passé récent, nous savons que les virus non sexuellement transmissibles qui ont émergé au cours de ces dernières décennies et qui ont présenté les plus grands risques infectieux pour l’humanité appartenaient à trois grandes familles de virus, les Filoviridae (Ebola, Marburg…), les Coronaviridae (SARS-CoV-1 et SARS-CoV-2, MERS…) et les Henipavirus (virus Nipah, virus de Hendra…).
Particules du virus Ebola à la surface d’une cellule (micrographie électronique colorisée).
Particules du virus Ebola à la surface d’une cellule (micrographie électronique colorisée). National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIH, CC BY-NC
Il est donc fortement probable que la maladie X sera liée à un virus appartenant à une de ces 3 grandes familles. Il n’y a aucune certitude, mais au vu de l’expérience des dernières décennies, la probabilité qu’une maladie zoonotique émerge d’une famille de virus qui jusque-là n’aurait encore jamais été impliquée dans des épidémies est relativement faible.
S’il s’avérait, comme nous le supposons, la prochaine pandémie (concernant donc la maladie X) résultera bien de l’une de ces familles de virus, les conditions responsables de son émergence se retrouveront inévitablement liées à celles trouvées par le passé dans l’émergence de ces grandes familles de virus.
Partant de ce constat, nous avons caractérisé les conditions socio-environnementales et climatiques associées à l’émergence des virus appartenant à la liste établie par l’OMS. Cette approche « biogéographique » nous a déjà permis par le passé de prédire l’émergence de maladies infectieuses, ce qui témoigne de sa solidité.
Concrètement, il s’agit dans un premier temps d’intégrer les informations concernant la complexité spatiale du milieu (à l’aide de systèmes d’information géographique), la distribution des maladies infectieuses émergentes connues et leur environnement immédiat. Des modèles mathématiques permettent ensuite de mesurer le risque prédictif d’émergence de la maladie X.
Les données que nous avons utilisées proviennent de plusieurs sources : les températures maximales et minimales mensuelles, les précipitations et l’altitude proviennent de la base de données Bioclim (avec une résolution spatiale d’environ 4,5 km à l’équateur). Les données sur les changements d’utilisation des terres ont été tirées du jeu de données Global Human Modification of Terrestrial Systems.
Enfin, nous avons inclus une mesure de la densité de la population humaine (Gridded Population of the World). La distribution géographique et l’étendue spatiale des hôtes primaires et des mammifères réservoirs a été obtenu à partir de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
En modélisant ces facteurs d’émergences associés, nous sommes en mesure d’identifier quels sont les critères environnementaux augmentant le plus significativement le risque d’émergence. Il suffit ensuite de passer en revue toutes les zones géographiques dans le monde où ces critères d’émergences sont présents pour espérer obtenir une cartographie des zones où la maladie X pourrait se développer.
Quels facteurs pourraient être responsables de l’émergence de la maladie X ?
Les attributs naturels du paysage, tels que l’altitude, et les facteurs du paysage modifiés par l’être humain, tels que la déforestation et l’expansion de l’agriculture, influencent l’étendue spatiale des hôtes et des réservoirs de virus.
Par exemple, les altitudes élevées et les étendues d’eau peuvent jouer un rôle de barrières géographiques, en empêchant le déplacement des hôtes des virus. À l’inverse, des changements rapides du paysage comme la déforestation peuvent augmenter la probabilité de contact avec un hôte réservoir et, par conséquent, favoriser l’émergence de micro-organismes jusqu’alors inconnus de l’être humain.
L’augmentation de la température minimale a en général une influence directe sur l’émergence et la distribution des maladies émergentes. L’imprévisibilité des précipitations dues au changement climatique ont aussi un effet indirect sur l’émergence de la maladie par le biais de changements soudains dans les habitats des mammifères réservoirs, de la perte de biodiversité et de la migration des petits mammifères.
La déforestation liée aux activités humaines comme l’agriculture et l’élevage augmente le risque d’émergence. Shutterstock/Leonardo Dantas Teixeira
La perte de biodiversité conduit à la disparition des prédateurs et à la migration des petits mammifères vers les habitations humaines. Par exemple, une diminution de prédateurs peut provoquer un déséquilibre du rapport prédateur-proie dans l’écosystème, entraînant une augmentation des réservoirs de virus tels que les micromammifères et ainsi la transmission de virus par des vecteurs de maladies tels que les tiques.
La moindre diversité des espèces et les interactions interespèces facilitent la propagation du virus vers des hôtes humains accidentels. Lorsque la biodiversité est importante, cette propagation est plus difficile : c’est ce que l’on appelle « l’effet de dilution ».
En ce qui concerne les Filoviridae (Ebola, Marburg), nous avons observé que la température minimale et les précipitations étaient les prédicteurs significatifs des épidémies. Les émergences du virus Marburg sont par exemple corrélées positivement avec la température minimale, et négativement avec la température maximale. Pour le virus Ebola, c’est l’augmentation de la température minimale et les changements de la couverture terrestre induits par l’être humain qui favoriseraient l’émergence.
Cette dépendance spatiale directe de l’émergence de maladies infectieuses virales aux températures minimales est inquiétante. En effet, avec le changement climatique, l’augmentation des températures minimales nocturnes allonge la saison sans gel dans la plupart des régions de moyenne et haute latitude. L’ensemble de ces conditions pourraient donc favoriser l’émergence de la maladie X sous des latitudes plus larges.
Pour d’autres familles de virus comme les Coronaviridae, nous avons observé une influence significative de la densité de population et des changements d’occupation du sol sur la distribution des points chauds d’émergences. Dans d’autres cas, comme pour les Henipavirus, l’altitude semble jouer un rôle négatif alors que l’augmentation des changements du paysage induit par l’être humain et les précipitations moyennes favoriseraient leurs émergences.
L’émergence d’une maladie X serait probablement influencée par ces facteurs environnementaux, même si l’implication potentielle de variables « inconnues » (non utilisées dans nos études) est possible. Par exemple, nous avons constaté que les facteurs liés à l’être humain pouvaient aussi être impliqués, en particulier l’impact de la croissance démographique sur les paysages modifiés par les activités humaines, qui constitue un facteur prédictif commun à l’émergence de ces maladies infectieuses virales.
Les déplacements de chauves-souris peuvent être à l’origine de la dissémination de virus.
Des études ont établi l’impact de la déforestation et de la migration des chauves-souris sur l’apparition de maladies virales et la plupart des modèles ont montré une perte de couverture arborée à 100 km autour de l’apparition des maladies virales d’origines zoonotiques.
Où se trouvent les zones à risques d’émergence de la maladie X ?
Les points chauds d’émergence des maladies à Filoviridae se trouvent en Afrique dans les régions forestières de l’Ouganda, du Sud-Soudan et des parties orientales de la République Démocratique du Congo, avec des zones plus petites en Afrique occidentale et centrale, jusqu’à l’Angola.
En Afrique, les variables associées à ces émergences pourraient être liées aux comportements humains, tels que la consommation de viande de brousse, qui sont souvent associés aux épidémies du virus Ebola, à la perte de biodiversité ou même à d’autres co-variables bioclimatiques.
Les régions à haut risque pour l’émergence de maladies infectieuses causées par des Coronaviridae prédominent dans le sous-continent indien, avec quelques zones en Chine et en Asie du Sud-Est. Ces régions avaient pu être mises en évidence dès 2019.
Enfin, les points chauds d’émergence de maladie à Hénipavirus sont dispersés le long de la côte ouest de l’Inde au Bangladesh, le long de la côte en Malaisie et dans les petites zones de l’archipel Indonésien.
Lorsque nous synthétisons ces informations sur ces trois grandes familles de virus qui sont à l’origine des grandes épidémies de ces dernières décennies, nous trouvons que l’Ouganda et une partie de la Chine sont des régions du monde où les conditions socio-environnementales et climatiques pour l’émergence de la maladie X sont réunies.
Le nombre de grandes épidémies a été multiplié par plus de dix entre 1940 et aujourd’hui. Toutes ont été causées par un pathogène ayant émergé des continents africain et asiatique, et ce malgré le fait que des flambées épidémiques localisées se produisent régulièrement sur l’ensemble du globe.
De cette observation émerge un paradoxe qui concerne la non-contribution de l’Amérique du Sud à ces émergences majeures de maladies zoonotiques. Ce continent abrite en effet la plus riche diversité biologique de notre planète, avec environ 60 % de la vie terrestre mondiale (ainsi qu’une flore et une faune marine et d’eau douce extrêmement variée). La forêt amazonienne elle-même est un énorme réservoir de virus et de bactéries, tout comme la diversité des hôtes et des habitats qu’elle abrite. Pourquoi, alors, n’observe-t-on pas davantage d’émergences en provenance de ces régions ?
Parmi les hypothèses expliquant cette situation, on peut imaginer l’existence d’un effet de dilution encore très présent en Amazonie, qui reste relativement protégée par rapport aux forêts indonésienne ou camerounaise. Des facteurs liés à la sociologie des populations locales pourraient aussi jouer.
Il existe en Amazonie une diversité culturelle qui, combinée à la grande diversité biologique de la région, permet d’inventer de nombreuses façons de se soigner, en fonction non seulement de la culture, mais aussi du lieu de résidence (plus ou moins éloigné de la forêt, ou urbain). Cette situation a un effet direct sur l’émergence potentielle de maladies infectieuses zoonotiques, et sur le risque de leur propagation au-delà des communautés concernées.
Les différentes communautés s’organisent en effet pour faire face au risque d’épidémie zoonotique, avec une grande diversité de stratégies et de médecine (biomédecine, médecine traditionnelle) qu’elles utilisent pour faire face à la maladie. Cette meilleure compréhension de la perception de la biomédecine dans un contexte multiculturel et du rôle et de l’effet de la phytomédecine et des pratiques médicales traditionnelles (chamanisme, obia, guérisseurs, vaudou, etc.) éclaire nos modèles sur le rôle des activités culturelles dans le risque d’émergence de maladies zoonotiques.
Enfin, la relative faible densité de population sur un vaste territoire pourrait aussi être envisagée comme une des raisons d’une contribution réduite de l’Amérique du Sud dans les grandes émergences de maladies zoonotiques. Quoi qu’il en soit, au vu des décennies passées, il semble peu probable que la maladie X émerge depuis le continent sud-américain.
La science des données (et la biogéographie en particulier) nous apprend que l’émergence d’une maladie X qui frapperait notre espèce ne sera pas liée au hasard. Elle dépendra vraisemblablement de facteurs environnementaux tels que les modifications du paysage (en particulier la perte de couverture arborée) et les variations climatiques.
L’utilisation d’une approche biogéographique et d’images satellites nous a permis d’identifier des points chauds potentiels ou cette émergence pourrait se produire. Dès 2019, et en l’absence de données spécifiques sur la maladie qui surviendra ! Inutile, donc, de crier au complot lorsqu’on prédit un tel événement…
La perturbation des écosystèmes, en entraînant le déplacement des agents pathogènes et de leurs hôtes, entraînera certainement d’autres émergences. Dans un monde où les échanges globalisés favorisent les diffusions rapides et à grande échelle, savoir où braquer notre regard sera primordial pour espérer éviter de revivre une pandémie telle que celle de 2020.
Europe: ou comment financer 800 milliards d’investissement
Europe: ou comment financer 800 milliards d’investissement
Dans un rapport publié le 09 septembre 2024, l’ancien président de la Banque centrale européenne préconise un plan d’investissement massif de 800 milliards d’euros par an dans les secteurs des nouvelles technologies, de la transition environnementale et de la défense. Ce plan devrait relancer massivement la croissance. Mais l’Europe a besoin de beaucoup d’argent pour reprendre sa place dans le monde face aux États-Unis et à la Chine. À la réunion de la Communauté politique européenne, du 7 novembre 2024 à Budapest, les vingt-sept membres ont validé le diagnostic de M. Draghi sur la perte de compétitivité… La question du financement reste entière…
Dans la vie politique occidentale, l’économie occupe une place centrale. Les dernières élections aux États-Unis, en Europe et en France ont montré que les défaites des partis en place est due principalement à l’économie du quotidien : coût de la vie et la gestion de l’inflation par les Banques centrales ; les réformes structurelles improductives et qui freinent la croissance.
Depuis le traité de Maastricht et le Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, c’est la théorie orthodoxe (libérale) qui exerce le plus d’influence sur les décisions des membres de l’Union européenne. Le traité établissant la Communauté européenne, qui a été rebaptisé TFUE réaffirme deux objectifs importants pour la compréhension de la solution proposée par M. Draghi et celle décrite dans cette tribune : le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) et l’indépendance de la Banque centrale européenne BCE.
Le PSC impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. Le rétablissement des comptes publics passe par la maîtrise de la dépense publique qui repose principalement sur des réformes structurelles. Le TFUE entend par réformes structurelles ou réformes néolibérales :
Nous pouvons lire à l’article 123 de ce traité :
Pour faire face aux difficultés financières, les pays de l’UE pourront s’endetter uniquement auprès des banques commerciales.
Les résultats de cette politique économique ne sont pas réellement un succès : il y a 16 ans, la production de richesse européenne était de 10,36% supérieure à celle des États-Unis alors qu’en 2023 elle était de 48,77% inférieure. Le PIB de l’Union européenne a augmenté de 2008 à 2023 de 12,58% (mesuré en dollar courant) soit en moyenne 0,79% par an, contre 84,83 % pour les États-Unis et 287,58% pour la Chine (source Banque mondiale).
Quant au poids de la dette publique, la moyenne de la zone euro en 2023 était de 88,6% du PIB et la moyenne de l’UE 81,7% du PIB. L’Europe n’a pas d’argent, les caisses sont vides et les pays membres sont fortement endettés : la dette publique de la France au sens du traité de Maastricht représentait 110,6 % du PIB et se situait à la troisième place de la zone euro, derrière celles de la Grèce (161,9 % du PIB) et de l’Italie (137,3 % du PIB), etc.
M. Draghi propose d’unifier les marchés des capitaux, d’harmoniser la réglementation bancaire, de réviser la taxonomie de l’UE pour les activités durables (qui sert à guider et mobiliser les investissements privés) et de faciliter les instruments de dette en communs. En réalité il y a sept travaux interminables qui compromettent le développement européen :
Quant aux instruments de dette en commun, elle divise plusieurs pays européens. L’Allemagne n’est plus très favorable à une nouvelle expérience. Afin de faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de la COVID-19, en juillet 2020, l’Union européenne a mis sur pied un plan de relance de 806,9 milliards d’euros, 750 milliards d’euros au prix de 2018 (NextGenerationEU). Ce plan octroie des subventions (338 milliards d’euros) et des prêts pour soutenir les réformes et les investissements (385 milliards d’euros) dans les États membres de l’UE. Ils ont décidé de s’endetter en commun et de rembourser cet emprunt de 2028 à 2058 (30 ans).
Pour aider l’Ukraine, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont approuvé à l’unanimité une aide de 50 milliards d’euros. Cette aide passera dans le budget pluriannuel européen 2021-2027. La seule réponse du commissaire européen au Marché intérieur pour stimuler la production de l’industrie de la défense de l’UE est la collaboration entre les États membres. M. Draghi propose-t-il de nouveaux emprunts à rembourser peut-être à partir de 2058 ?
Le rapport de M. Draghi se repose en grande partie sur les marchés financiers
Aux côtés de la Banque européenne d’investissement BEI, ce rapport souhaite renforcer le rôle des Banques publiques et nationales de développement … Les actionnaires de la BEI sont les 27 États membres de l’Union européenne, elle a pour mission de favoriser la réalisation des objectifs économiques de l’Union européenne en accordant des prêts à long terme pour financer des investissements viables.
Pour les Banques publiques de développement BPD qui sont autonomes dans leur gestion, elles assurent la déclinaison financière du mandat public qui leur est confié. Elles doivent déployer des instruments financiers générateurs de revenus avec un mandat adossé sur des politiques publiques des États qui possèdent tout ou partie de leur capital. Dans un contexte de déficits budgétaires, les États actionnaires ne peuvent plus augmenter les capitaux de ces institutions. Ces Banques peuvent seulement emprunter sur les marchés financiers pour l’investir dans les entreprises des secteurs stratégiques. En 2023, la BEI a signé uniquement de nouveaux financements pour 87,85 milliards d’euros, soit 10% de la somme énoncée pour le plan Draghi.
Mais comment financer la croissance sans recourir aux banques privées et à l’endettement ?
À chaque fois qu’il y a une dérive des comptes publics, plusieurs économistes proposent de taxer les superprofits ou les superdividendes. Pour Thomas Piketty, il suffirait de forcer les plus riches à céder 10% de leurs patrimoines d’une manière exceptionnelle. Cette somme servirait à rembourser la dette publique. À titre d’exemple, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne a mis en place un prélèvement sur les fortunes immobilières pour apurer son endettement … Dans un monde de fuite des capitaux et de subventions telles que la loi sur la réduction de l’inflation IRA (États-Unis) et la stratégie « Made in China 2025« , mieux vaut revoir le code du capital et remplacer les aides par un renforcement des quasi-fonds propres.
Dans son livre Le Code du capital - Comment la loi crée la richesse capitaliste et les inégalités Katharina Pistor soutient que le :
Mais si la loi qui donne le pouvoir au capital a été réformée dans l’intérêt des milliardaires depuis plusieurs années, « il suffit » de rechanger cette loi pour répartir la richesse dans l’intérêt commun et permettre à l’État de disposer de plus de recettes.
Seuls les pays les moins endettés peuvent se permettre de financer leurs entreprises ce qui pose un problème de concurrence. En Allemagne le financement des entreprises prend la forme de subventions non remboursables, de prêts à faible taux d’intérêt, de garanties, d’investissements ou d’incitations fiscales. En France, aides à l’embauche, aides à la création d’entreprise, prêts garantis… près de 2 000 dispositifs publics bénéficient aux entreprises. L’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit en principe les aides publiques aux entreprises (appelées « aides d’État »), au motif qu’elles sont susceptibles de fausser la libre concurrence et donc le bon fonctionnement du marché intérieur…
La BEI devrait généraliser les financements directs sous forme de quasi-fonds propres pour financer la croissance des entreprises innovantes. La BCE devrait remettre en place un nouveau TLTRO (opérations ciblées de refinancement à long terme à des taux favorables) spécialement pour la BEI, les Banques publiques d’investissements ou de développement et les Caisses de crédit public.
En 2023, le PIB par habitant en dollar courant est de 81 695,2 pour les États-Unis (334,91 millions d’habitants) à comparer à celui de l’Europe de 40 823,9 (448,76 millions d’habitants). Les économies des ménages aux États-Unis ont atteint une valeur de 911 milliards de dollars en 2023 soit environ 825 milliards d’euros et environ 2 500 euros par Américain. Une nouvelle enquête de la National True Cost of Living Coalition montre que 65% des Américains de la classe moyenne ont des difficultés financières et 46% des Américains n’ont pas 500 dollars d’épargne d’urgence, et 28% n’ont pas d’épargne du tout.
Pour les Européens, les ménages détenaient environ 35 500 milliards d’euros au 31 décembre 2023, soit en moyenne 79 107 euros par Européen. Une grande partie de cette épargne est « exportée » en dehors de la zone euro tandis que les entreprises européennes se procurent une fraction de leurs besoins en fonds propres auprès d’investisseurs non-résidents. Il faut donc repenser totalement la manière de relier en Europe l’épargne et l’investissement.
Ce n’est pas la première fois que la Commission européenne crée un produit d’épargne européen. En 2019, la Commission a introduit le plan d’épargne retraite individuel européen (Pan-European Personal Pension Product, PEPP), qui offre aux citoyens de l’UE la possibilité d’épargner pour la retraite. Ce fut un succès très limité, car chaque pays a ses propres règles internes et chaque banque commerciale a des frais d’entrée ou d’adhésion différents, les versements sont bloqués jusqu’à la retraite…
La manière la plus simple est de créer plusieurs livrets d’épargne européens (nouvelles technologies, transition climatique, défense, etc.) gérés par des établissements de crédit public spécialisés. Chaque citoyen pourra choisir librement où placer ses économies. La structure des livrets doit être exactement la même dans l’ensemble de l’UE : même taux de rémunération, mêmes limites de cotisation, mêmes limites de plafond, mêmes options de retrait, mêmes avantages fiscaux, etc. Les nouveaux Livrets seraient garantis. Ils devraient présenter plusieurs atouts pour les consommateurs : flexibilité, frais de gestion nuls, pas de frais de transfert entre pays européens, etc.
Ces caisses emprunteraient directement à la BCE. Tous les pays européens doivent avoir, comme l’Allemagne, des Caisses de crédit public en plus des Banques commerciales privées et des Banques coopératives. En Allemagne les banques de droit public regroupent les quelque 500 caisses d’épargne (Sparkasse) et les banques centrales des États (Landesbanken). En France une grande institution financière publique, la Caisse des Dépôts et Consignation CDC gère 48 caisses de retraite, reçoit les dépôts légaux des notaires, etc. Elle est une partenaire de long terme des collectivités locales, en d’autres termes un grand investisseur institutionnel. C’est la BPI Banque publique d’investissement (uniquement 44 milliards d’euros d’actifs) qui accompagne « les entreprises, de l’amorçage jusqu’à la cotation en bourse, du crédit aux fonds propres ».
L’Allemagne a adopté le «Mittelstand» qui est la principale force de l’économie allemande avec 3,5 millions d’entreprises familiales innovantes, tandis que la France a choisi de développer des champions nationaux cotés en Bourse. Les PME du Mittelstand, se financent en majorité via les 500 caisses d’épargne publiques (2 492,8 milliards d’euros).