Archive pour le Tag 'comment'

Société-Comment lutter contre l’incompétence managériale

Comment lutter contre l’incompétence managériale

Devoir travailler pour (ou être dirigé par) des incompétents, c’est le cauchemar de nombreux salariés ! Ça n’arrive pas qu’aux autres. Et quand cette incompétence se propage dans toute l’organisation, on bascule dans la kakistocratie. S’il n’existe pas de solution magique pour en sortir, des actions concrètes sont possibles pour la prévenir ou en limiter les effets. La kakistocratie au travail ? C’est la direction par des incompétents ! Et si toutes les organisations ne sont pas des kakistocraties (heureusement !), la kakistocratie se retrouve dans tous les secteurs d’activités. Spontanément, elle est souvent associée aux grosses structures, à l’administration, au secteur public. En réalité, la taille ne joue aucun rôle et on retrouve aussi des personnes incompétentes à la tête de PME, d’ETI et même de start-up. C’est dire que tout le monde peut être, un jour ou l’autre, concerné. Or la kakistocratie nous interpelle vivement, car elle constitue l’inverse exact de ce qui nous est enseigné dès le plus jeune âge, cette idée selon laquelle « il faut être compétent pour réussir » !

par Isabelle Barth
Secrétaire générale, The Conversation France, Université de Strasbourg dans The Conversation

Mon enquête sur le sujet montre que cette situation produit de nombreux effets, tous négatifs. Parmi ceux cités, citons la perte de performance, la dégradation de l’image de l’entreprise, l’absentéisme, un climat délétère, voire de la souffrance au travail…

Or, voir des incompétents recrutés, puis obtenir des promotions, pallier l’incompétence de son manager au prix de son temps et de son énergie, comprendre qu’un dirigeant notoirement incompétent restera en poste pour de nombreuses années, constituent des pertes de repères et produisent de la souffrance. Comment sortir de cette situation ?

Face à une kakistocratie, de nombreuses personnes adoptent le comportement qui leur semble le plus adapté de leur point de vue : le désengagement. Cela peut prendre différentes formes, allant de la démission à l’absence. Sans oublier le « quiet quitting » qui consiste à faire le minimum demandé. Certains individus vont plus loin, jusqu’à dénoncer la situation, mais être un lanceur d’alerte est loin d’être simple ! D’autres encore adoptent la posture consistant à affronter la question de l’incompétence. Comment ?

Il faut tout d’abord distinguer l’incompétence métier de l’incompétence managériale. La première concerne les hard skills. Si elle est bien repérée, une formation ad hoc permet d’y remédier assez rapidement en général. L’incompétence managériale est plus complexe à gérer. D’abord, parce qu’elle est moins facile à objectiver et souvent diffuse dans l’organisation. En outre, ce type d’incompétence concerne… les dirigeants, ce qui rend plus difficile sa remise en cause. Pourtant, des actions concrètes et mobilisables pour éviter la propagation de ces insuffisances professionnelles sont possibles.

Commençons par les méthodes les plus évidentes pour éviter que l’incompétence prenne sa place dans l’organisation et se développe au point de devenir une kakistocratie, et ce, dès le recrutement. Les concours qui confondent bagage de connaissances et passeport de compétences doivent être proscrits à tout prix. On le sait, une tête peut être bien remplie et bien faite, mais complètement à côté des attentes inhérentes au poste.

De même, il ne faut pas confondre les compétences d’expertise et de management. Pas plus que le meilleur joueur de football ne fait, le plus souvent, un bon entraîneur, le meilleur vendeur ne sera pas mécaniquement un bon chef des ventes. Ni le meilleur ouvrier un bon chef d’atelier… Éviter ce biais assez courant suppose de ne pas faire du management la seule voie de promotion. Car cette attitude amène des personnes à accepter un poste de manager pour des raisons aussi mauvaises que compréhensibles (l’augmentation de salaire, les avantages, la capacité à prendre des décisions, le pouvoir de faire…).

La lutte contre toutes les formes de clanisme a aussi un rôle central à jouer, au moment du recrutement ou d’une promotion. Le critère pour l’un ou l’autre doit être les compétences du candidat, et non un lien familial, ou une proximité de formation – un candidat n’est pas bon parce qu’il a fait les mêmes études. Le fameux syndrome du « fils du patron » et toutes les formes de corporatisme doivent être combattus avec une volonté affirmée.

La lutte contre l’incompétence passe aussi par des actions de formation, à commencer par l’évaluation de la vraie compétence. Trop souvent apparences et compétences sont confondues, attribuant des qualités et un potentiel à des personnes sûres d’elles et sachant se mettre en avant. Prendre conscience de ces biais cognitifs pour mieux les combattre est une nécessité.

De même, une formation au management responsable a un rôle majeur. Dans cette optique, un salarié compétent apte à progresser dans l’entreprise ne doit pas être appréhendé comme un futur concurrent, auquel il convient de barrer la route. Au contraire, un bon manager sait faire grandir ses équipes et accepter que certains deviennent meilleurs que lui !

Par ailleurs, l’action contre la kakistocratie ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur l’organisation et sur les usages. Quatre voies principales sont à privilégier.

Mieux vaut privilégier les compétences internes que de recourir à des consultants externes. Chaque fois qu’une entreprise fait appel à des expertises extérieures (qui peuvent avoir leur utilité), elle envoie aussi un signal négatif à ses équipes qui ne chercheront plus à monter en compétences.

Une seconde voie à privilégier consiste à ralentir sur les changements d’organisation, la mobilité des personnes. Trop fréquentes, ces réorganisations permanentes ou presque font perdre toute possibilité de capitaliser sur ses compétences. La compétence a toujours un « coût d’entrée » et le retour sur investissement de cette acquisition n’est jamais instantané.

Il importe aussi de donner des marges de manœuvre aux personnes, sans les contraindre à suivre des scripts et des procédures rigides. Les premiers et les seconds ont pour effet de faire perdre toute initiative.

Enfin, être vigilant sur les routines qui s’installent et qui sont le nid des « compétences spécialisées » est essentiel. Il faut avoir en tête qu’il existe un moment critique dans le parcours des individus. Le moment où la remise en cause d’un diagnostic ou d’une marche à suivre n’est plus possible, car le salarié est persuadé de son hypercompétence, est critique.

Faire de l’incompétence un atout ! Un oxymore ? Non, mais il faut accepter de passer par plusieurs étapes. Ainsi, l’incompétence est à la fois une obsession managériale et un impensé. L’incompétence n’est vue que comme le contraire de la compétence. Dans la réalité, les choses sont plus complexes : la compétence et l’incompétence sont indéniablement liées.

Il faut rappeler quelques définitions. L’incompétence (comme la compétence) n’existe qu’en « action » et elle se définit par l’adéquation avec un poste, une fonction, une mission à un moment donné dans un contexte donné. On peut être un manager évalué très compétent dans une entreprise et ne plus l’être dans une autre.

On n’est jamais compétent ou incompétent « en soi ». Ce point est très important : trop souvent, l’incompétence dans un poste débouche sur un diagnostic d’incompétence d’une personne en général.

Nous sommes tous des incompétents

Accepter (en commençant par soi) qu’on soit tous incompétents en quelque chose ou pour quelqu’un. Ce qui amène à :

avoir une posture d’apprentissage permanent, aussi bien pour les hard skills que pour les soft skills ;

accepter de se faire aider, aller vers les autres (et pas seulement les sachants) et sortir de son silo professionnel pour apprendre ;

voir dans ses collaborateurs (et éventuellement son manager) un potentiel qui peut évoluer ;

accepter les erreurs et les voir comme des occasions d’apprendre (à condition qu’elles ne se répètent pas à l’identique), de façon à permettre des initiatives qui ne voient le jour qu’avec la confiance en soi. C’est d’ailleurs une des compétences managériales les plus importantes : savoir instaurer la « sécurité psychologique ». Il s’agit de remettre les personnes dans leur zone de compétences et de leur faire confiance.

Une ouverture plus disruptive est de regarder faire ceux et celles qu’on a enfermés dans leur statut d’incompétents, car leurs « bricolages » (au sens de Lévi-Strauss) peuvent être des sources d’inspiration. Ils proposent d’autres chemins, d’autres façons de faire qui peuvent être inspirantes, et performantes !

L’incompétence, pensée, acceptée, peut alors devenir une source d’innovation et de créativité. Sortir de la kakistocratie passe donc par le management de l’incompétence. Pour cela, il faut l’apprivoiser afin qu’elle ne reste pas une obsession ni, encore moins, une condamnation.

Comment lutter contre l’incompétence managériale

Comment lutter contre l’incompétence managériale

Devoir travailler pour (ou être dirigé par) des incompétents, c’est le cauchemar de nombreux salariés ! Ça n’arrive pas qu’aux autres. Et quand cette incompétence se propage dans toute l’organisation, on bascule dans la kakistocratie. S’il n’existe pas de solution magique pour en sortir, des actions concrètes sont possibles pour la prévenir ou en limiter les effets. La kakistocratie au travail ? C’est la direction par des incompétents ! Et si toutes les organisations ne sont pas des kakistocraties (heureusement !), la kakistocratie se retrouve dans tous les secteurs d’activités. Spontanément, elle est souvent associée aux grosses structures, à l’administration, au secteur public. En réalité, la taille ne joue aucun rôle et on retrouve aussi des personnes incompétentes à la tête de PME, d’ETI et même de start-up. C’est dire que tout le monde peut être, un jour ou l’autre, concerné. Or la kakistocratie nous interpelle vivement, car elle constitue l’inverse exact de ce qui nous est enseigné dès le plus jeune âge, cette idée selon laquelle « il faut être compétent pour réussir » !

par Isabelle Barth
Secrétaire général, The Conversation France, Université de Strasbourg dans The Conversation

Mon enquête sur le sujet montre que cette situation produit de nombreux effets, tous négatifs. Parmi ceux cités, citons la perte de performance, la dégradation de l’image de l’entreprise, l’absentéisme, un climat délétère, voire de la souffrance au travail…

Or, voir des incompétents recrutés, puis obtenir des promotions, pallier l’incompétence de son manager au prix de son temps et de son énergie, comprendre qu’un dirigeant notoirement incompétent restera en poste pour de nombreuses années, constituent des pertes de repères et produisent de la souffrance. Comment sortir de cette situation ?

Face à une kakistocratie, de nombreuses personnes adoptent le comportement qui leur semble le plus adapté de leur point de vue : le désengagement. Cela peut prendre différentes formes, allant de la démission à l’absence. Sans oublier le « quiet quitting » qui consiste à faire le minimum demandé. Certains individus vont plus loin, jusqu’à dénoncer la situation, mais être un lanceur d’alerte est loin d’être simple ! D’autres encore adoptent la posture consistant à affronter la question de l’incompétence. Comment ?

Il faut tout d’abord distinguer l’incompétence métier de l’incompétence managériale. La première concerne les hard skills. Si elle est bien repérée, une formation ad hoc permet d’y remédier assez rapidement en général. L’incompétence managériale est plus complexe à gérer. D’abord, parce qu’elle est moins facile à objectiver et souvent diffuse dans l’organisation. En outre, ce type d’incompétence concerne… les dirigeants, ce qui rend plus difficile sa remise en cause. Pourtant, des actions concrètes et mobilisables pour éviter la propagation de ces insuffisances professionnelles sont possibles.

Commençons par les méthodes les plus évidentes pour éviter que l’incompétence prenne sa place dans l’organisation et se développe au point de devenir une kakistocratie, et ce, dès le recrutement. Les concours qui confondent bagage de connaissances et passeport de compétences doivent être proscrits à tout prix. On le sait, une tête peut être bien remplie et bien faite, mais complètement à côté des attentes inhérentes au poste.

De même, il ne faut pas confondre les compétences d’expertise et de management. Pas plus que le meilleur joueur de football ne fait, le plus souvent, un bon entraîneur, le meilleur vendeur ne sera pas mécaniquement un bon chef des ventes. Ni le meilleur ouvrier un bon chef d’atelier… Éviter ce biais assez courant suppose de ne pas faire du management la seule voie de promotion. Car cette attitude amène des personnes à accepter un poste de manager pour des raisons aussi mauvaises que compréhensibles (l’augmentation de salaire, les avantages, la capacité à prendre des décisions, le pouvoir de faire…).

La lutte contre toutes les formes de clanisme a aussi un rôle central à jouer, au moment du recrutement ou d’une promotion. Le critère pour l’un ou l’autre doit être les compétences du candidat, et non un lien familial, ou une proximité de formation – un candidat n’est pas bon parce qu’il a fait les mêmes études. Le fameux syndrome du « fils du patron » et toutes les formes de corporatisme doivent être combattus avec une volonté affirmée.

La lutte contre l’incompétence passe aussi par des actions de formation, à commencer par l’évaluation de la vraie compétence. Trop souvent apparences et compétences sont confondues, attribuant des qualités et un potentiel à des personnes sûres d’elles et sachant se mettre en avant. Prendre conscience de ces biais cognitifs pour mieux les combattre est une nécessité.

De même, une formation au management responsable a un rôle majeur. Dans cette optique, un salarié compétent apte à progresser dans l’entreprise ne doit pas être appréhendé comme un futur concurrent, auquel il convient de barrer la route. Au contraire, un bon manager sait faire grandir ses équipes et accepter que certains deviennent meilleurs que lui !

Par ailleurs, l’action contre la kakistocratie ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur l’organisation et sur les usages. Quatre voies principales sont à privilégier.

Mieux vaut privilégier les compétences internes que de recourir à des consultants externes. Chaque fois qu’une entreprise fait appel à des expertises extérieures (qui peuvent avoir leur utilité), elle envoie aussi un signal négatif à ses équipes qui ne chercheront plus à monter en compétences.

Une seconde voie à privilégier consiste à ralentir sur les changements d’organisation, la mobilité des personnes. Trop fréquentes, ces réorganisations permanentes ou presque font perdre toute possibilité de capitaliser sur ses compétences. La compétence a toujours un « coût d’entrée » et le retour sur investissement de cette acquisition n’est jamais instantané.

Il importe aussi de donner des marges de manœuvre aux personnes, sans les contraindre à suivre des scripts et des procédures rigides. Les premiers et les seconds ont pour effet de faire perdre toute initiative.

Enfin, être vigilant sur les routines qui s’installent et qui sont le nid des « compétences spécialisées » est essentiel. Il faut avoir en tête qu’il existe un moment critique dans le parcours des individus. Le moment où la remise en cause d’un diagnostic ou d’une marche à suivre n’est plus possible, car le salarié est persuadé de son hypercompétence, est critique.

Faire de l’incompétence un atout ! Un oxymore ? Non, mais il faut accepter de passer par plusieurs étapes. Ainsi, l’incompétence est à la fois une obsession managériale et un impensé. L’incompétence n’est vue que comme le contraire de la compétence. Dans la réalité, les choses sont plus complexes : la compétence et l’incompétence sont indéniablement liées.

Il faut rappeler quelques définitions. L’incompétence (comme la compétence) n’existe qu’en « action » et elle se définit par l’adéquation avec un poste, une fonction, une mission à un moment donné dans un contexte donné. On peut être un manager évalué très compétent dans une entreprise et ne plus l’être dans une autre.

On n’est jamais compétent ou incompétent « en soi ». Ce point est très important : trop souvent, l’incompétence dans un poste débouche sur un diagnostic d’incompétence d’une personne en général.

Nous sommes tous des incompétents

Accepter (en commençant par soi) qu’on soit tous incompétents en quelque chose ou pour quelqu’un. Ce qui amène à :

avoir une posture d’apprentissage permanent, aussi bien pour les hard skills que pour les soft skills ;

accepter de se faire aider, aller vers les autres (et pas seulement les sachants) et sortir de son silo professionnel pour apprendre ;

voir dans ses collaborateurs (et éventuellement son manager) un potentiel qui peut évoluer ;

accepter les erreurs et les voir comme des occasions d’apprendre (à condition qu’elles ne se répètent pas à l’identique), de façon à permettre des initiatives qui ne voient le jour qu’avec la confiance en soi. C’est d’ailleurs une des compétences managériales les plus importantes : savoir instaurer la « sécurité psychologique ». Il s’agit de remettre les personnes dans leur zone de compétences et de leur faire confiance.

Une ouverture plus disruptive est de regarder faire ceux et celles qu’on a enfermés dans leur statut d’incompétents, car leurs « bricolages » (au sens de Lévi-Strauss) peuvent être des sources d’inspiration. Ils proposent d’autres chemins, d’autres façons de faire qui peuvent être inspirantes, et performantes !

L’incompétence, pensée, acceptée, peut alors devenir une source d’innovation et de créativité. Sortir de la kakistocratie passe donc par le management de l’incompétence. Pour cela, il faut l’apprivoiser afin qu’elle ne reste pas une obsession ni, encore moins, une condamnation.

Comment lutter contre l’incompétence managériale

Comment lutter contre l’incompétence managériale

Devoir travailler pour (ou être dirigé par) des incompétents, c’est le cauchemar de nombreux salariés ! Ça n’arrive pas qu’aux autres. Et quand cette incompétence se propage dans toute l’organisation, on bascule dans la kakistocratie. S’il n’existe pas de solution magique pour en sortir, des actions concrètes sont possibles pour la prévenir ou en limiter les effets. La kakistocratie au travail ? C’est la direction par des incompétents ! Et si toutes les organisations ne sont pas des kakistocraties (heureusement !), la kakistocratie se retrouve dans tous les secteurs d’activités. Spontanément, elle est souvent associée aux grosses structures, à l’administration, au secteur public. En réalité, la taille ne joue aucun rôle et on retrouve aussi des personnes incompétentes à la tête de PME, d’ETI et même de start-up. C’est dire que tout le monde peut être, un jour ou l’autre, concerné. Or la kakistocratie nous interpelle vivement, car elle constitue l’inverse exact de ce qui nous est enseigné dès le plus jeune âge, cette idée selon laquelle « il faut être compétent pour réussir » !

par Isabelle Barth
Secrétaire général, The Conversation France, Université de Strasbourg dans The Conversation

Mon enquête sur le sujet montre que cette situation produit de nombreux effets, tous négatifs. Parmi ceux cités, citons la perte de performance, la dégradation de l’image de l’entreprise, l’absentéisme, un climat délétère, voire de la souffrance au travail…

Or, voir des incompétents recrutés, puis obtenir des promotions, pallier l’incompétence de son manager au prix de son temps et de son énergie, comprendre qu’un dirigeant notoirement incompétent restera en poste pour de nombreuses années, constituent des pertes de repères et produisent de la souffrance. Comment sortir de cette situation ?

Face à une kakistocratie, de nombreuses personnes adoptent le comportement qui leur semble le plus adapté de leur point de vue : le désengagement. Cela peut prendre différentes formes, allant de la démission à l’absence. Sans oublier le « quiet quitting » qui consiste à faire le minimum demandé. Certains individus vont plus loin, jusqu’à dénoncer la situation, mais être un lanceur d’alerte est loin d’être simple ! D’autres encore adoptent la posture consistant à affronter la question de l’incompétence. Comment ?

Il faut tout d’abord distinguer l’incompétence métier de l’incompétence managériale. La première concerne les hard skills. Si elle est bien repérée, une formation ad hoc permet d’y remédier assez rapidement en général. L’incompétence managériale est plus complexe à gérer. D’abord, parce qu’elle est moins facile à objectiver et souvent diffuse dans l’organisation. En outre, ce type d’incompétence concerne… les dirigeants, ce qui rend plus difficile sa remise en cause. Pourtant, des actions concrètes et mobilisables pour éviter la propagation de ces insuffisances professionnelles sont possibles.

Commençons par les méthodes les plus évidentes pour éviter que l’incompétence prenne sa place dans l’organisation et se développe au point de devenir une kakistocratie, et ce, dès le recrutement. Les concours qui confondent bagage de connaissances et passeport de compétences doivent être proscrits à tout prix. On le sait, une tête peut être bien remplie et bien faite, mais complètement à côté des attentes inhérentes au poste.

De même, il ne faut pas confondre les compétences d’expertise et de management. Pas plus que le meilleur joueur de football ne fait, le plus souvent, un bon entraîneur, le meilleur vendeur ne sera pas mécaniquement un bon chef des ventes. Ni le meilleur ouvrier un bon chef d’atelier… Éviter ce biais assez courant suppose de ne pas faire du management la seule voie de promotion. Car cette attitude amène des personnes à accepter un poste de manager pour des raisons aussi mauvaises que compréhensibles (l’augmentation de salaire, les avantages, la capacité à prendre des décisions, le pouvoir de faire…).

La lutte contre toutes les formes de clanisme a aussi un rôle central à jouer, au moment du recrutement ou d’une promotion. Le critère pour l’un ou l’autre doit être les compétences du candidat, et non un lien familial, ou une proximité de formation – un candidat n’est pas bon parce qu’il a fait les mêmes études. Le fameux syndrome du « fils du patron » et toutes les formes de corporatisme doivent être combattus avec une volonté affirmée.

La lutte contre l’incompétence passe aussi par des actions de formation, à commencer par l’évaluation de la vraie compétence. Trop souvent apparences et compétences sont confondues, attribuant des qualités et un potentiel à des personnes sûres d’elles et sachant se mettre en avant. Prendre conscience de ces biais cognitifs pour mieux les combattre est une nécessité.

De même, une formation au management responsable a un rôle majeur. Dans cette optique, un salarié compétent apte à progresser dans l’entreprise ne doit pas être appréhendé comme un futur concurrent, auquel il convient de barrer la route. Au contraire, un bon manager sait faire grandir ses équipes et accepter que certains deviennent meilleurs que lui !

Par ailleurs, l’action contre la kakistocratie ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur l’organisation et sur les usages. Quatre voies principales sont à privilégier.

Mieux vaut privilégier les compétences internes que de recourir à des consultants externes. Chaque fois qu’une entreprise fait appel à des expertises extérieures (qui peuvent avoir leur utilité), elle envoie aussi un signal négatif à ses équipes qui ne chercheront plus à monter en compétences.

Une seconde voie à privilégier consiste à ralentir sur les changements d’organisation, la mobilité des personnes. Trop fréquentes, ces réorganisations permanentes ou presque font perdre toute possibilité de capitaliser sur ses compétences. La compétence a toujours un « coût d’entrée » et le retour sur investissement de cette acquisition n’est jamais instantané.

Il importe aussi de donner des marges de manœuvre aux personnes, sans les contraindre à suivre des scripts et des procédures rigides. Les premiers et les seconds ont pour effet de faire perdre toute initiative.

Enfin, être vigilant sur les routines qui s’installent et qui sont le nid des « compétences spécialisées » est essentiel. Il faut avoir en tête qu’il existe un moment critique dans le parcours des individus. Le moment où la remise en cause d’un diagnostic ou d’une marche à suivre n’est plus possible, car le salarié est persuadé de son hypercompétence, est critique.

Faire de l’incompétence un atout ! Un oxymore ? Non, mais il faut accepter de passer par plusieurs étapes. Ainsi, l’incompétence est à la fois une obsession managériale et un impensé. L’incompétence n’est vue que comme le contraire de la compétence. Dans la réalité, les choses sont plus complexes : la compétence et l’incompétence sont indéniablement liées.

Il faut rappeler quelques définitions. L’incompétence (comme la compétence) n’existe qu’en « action » et elle se définit par l’adéquation avec un poste, une fonction, une mission à un moment donné dans un contexte donné. On peut être un manager évalué très compétent dans une entreprise et ne plus l’être dans une autre.

On n’est jamais compétent ou incompétent « en soi ». Ce point est très important : trop souvent, l’incompétence dans un poste débouche sur un diagnostic d’incompétence d’une personne en général.

Nous sommes tous des incompétents

Accepter (en commençant par soi) qu’on soit tous incompétents en quelque chose ou pour quelqu’un. Ce qui amène à :

avoir une posture d’apprentissage permanent, aussi bien pour les hard skills que pour les soft skills ;

accepter de se faire aider, aller vers les autres (et pas seulement les sachants) et sortir de son silo professionnel pour apprendre ;

voir dans ses collaborateurs (et éventuellement son manager) un potentiel qui peut évoluer ;

accepter les erreurs et les voir comme des occasions d’apprendre (à condition qu’elles ne se répètent pas à l’identique), de façon à permettre des initiatives qui ne voient le jour qu’avec la confiance en soi. C’est d’ailleurs une des compétences managériales les plus importantes : savoir instaurer la « sécurité psychologique ». Il s’agit de remettre les personnes dans leur zone de compétences et de leur faire confiance.

Une ouverture plus disruptive est de regarder faire ceux et celles qu’on a enfermés dans leur statut d’incompétents, car leurs « bricolages » (au sens de Lévi-Strauss) peuvent être des sources d’inspiration. Ils proposent d’autres chemins, d’autres façons de faire qui peuvent être inspirantes, et performantes !

L’incompétence, pensée, acceptée, peut alors devenir une source d’innovation et de créativité. Sortir de la kakistocratie passe donc par le management de l’incompétence. Pour cela, il faut l’apprivoiser afin qu’elle ne reste pas une obsession ni, encore moins, une condamnation.

France: Comment trouver les moyens de financement

France: Comment trouver les moyens de financement

Financer les efforts de guerre sans s’endetter, sans augmenter les impôts, sans sacrifier le modèle social et l’environnement, sans emprunt national ni Livret défense… C’est possible ! Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière dans la Tribune.

Investir dans la défense, les Français sont majoritairement favorables, mais 6 Français sur 10 refusent que leur épargne serve au financement de la Défense. Le déficit public a atteint 6,1% en 2024 avec un ratio d’endettement par rapport au PIB de 109,7%. Il va falloir faire d’autres choix que l’endettement extérieur pour soutenir l’économie et équilibrer le budget. Pour assurer le court et le long terme, la souveraineté et la sécurité, la seule solution envisageable serait d’utiliser l’épargne des Français pour des investissements massifs autres que régaliens.

La demande d’État des citoyens français dans les domaines régaliens reste très forte. L’affirmation des monopoles régaliens est historiquement indissociable de celle de la souveraineté nationale. L’État doit trouver le financement de son armée dans son propre budget. Il faut donc utiliser l’épargne des Français pour créer de la croissance productive et utile via des livrets réglementés gérés par des établissements de crédit publics garantis par l’État. Ces fonds serviraient à accompagner la vie, soutenir l’économie, protéger la terre, créer de la croissance et libérer de nouveaux budgets régaliens.

Les Français sont prêts, mais moins d’un quart font confiance à leur gouvernement. Pour les épargnants, l’instabilité des lois et des règlements sont devenus des vecteurs influents d’insécurité financière.

À la Libération, le développement industriel a été fortement façonné par l’action des pouvoirs publics. Le développement des entreprises nationalisées et les aides au développement ont largement participé à la remise sur pied du système productif, donc au renforcement du processus de croissance. Il est largement admis que la période de reconstruction, qui s’est achevée au début des années 1950, a contribué à renforcer cette croissance, sous l’impulsion aussi de l’action de l’État. Il reste que le développement des systèmes d’armement pendant les « trente glorieuses » a joué un rôle déterminant dans les performances de croissance enregistrées au cours des années 1950 et 1960. En 1960 la France a consacré 5,4% de son PIB aux dépenses militaires (9% pour les États-Unis), en 1970 3,5% et en 2022 1,9% (3,5% pour les États-Unis) d’après les données de la Banque mondiale.

Après la pandémie, et plus de trois ans après le début de la guerre à la porte de l’Europe, la France et l’Europe se réveillent et admettent qu’il faut se réarmer pour gagner la guerre en Ukraine. Les moyens consacrés à la défense doivent être augmentés pour sauvegarder les dividendes de la paix.

Faut-il emprunter plus
Le nouveau plan de la Commission européenne de 800 milliards d’euros pour « réarmer l’Europe », dévoilé le 4 mars 2025, prévoit quelque 150 milliards d’euros de prêts qui seront mis à la disposition des 27 pays de l’Union européenne pour soutenir leurs capacités de défense en Europe. La présidente de la Commission encourage plutôt les États membres à emprunter plus pour leurs dépenses militaires : le non-respect des critères de convergence « permettra aux États membres d’augmenter de manière significative leurs dépenses de défense sans déclencher la procédure de déficit excessif ». Ce n’est pas la bonne solution pour la France. Surendettée, elle est sous la pression des agences de notation américaine.
L’exemple de la Grèce, de la Suède et du Portugal.

La Grèce a subi de plein fouet les conséquences de réduction de ses dépenses publiques. Le 08 décembre 2009, l’agence de notation Fitch annonce sa décision de ramener la note de la dette publique grecque de A- à BBB+ avec une perspective négative. Le problème mis en lumière était le surendettement. La solution résidait dans la baisse des dépenses, baisse des retraites et des salaires, etc. Elle a créé une véritable cure d’austérité. L’efficacité de ces mesures a été remise en cause.

En Suède, le choix s’est porté sur des réductions de l’emploi public. Les dépenses publiques à 70% du PIB en 1993 ont fortement diminué à 37% en 2012. Avec des réformes importantes de son système social et de retraite, l’emploi qui était majoritairement public est devenu essentiellement privé. En réalité l’amélioration de la situation budgétaire est due uniquement à une forte croissance.

Reste le cas du Portugal. De 2011 à 2018, le Portugal a suivi deux politiques économiques différentes. La première infligée par la Troïka (les instances européennes et le FMI) qui ont imposé une violente cure d’austérité qui a contraint à l’exil plus de 340 000 Portugais et jeté dans la pauvreté plus de 2 millions de personnes. D’après les prévisions de la Troïka, de 2010 à 2014 le déficit public devait chuter de 9,8% à 2,3% en 2014. Ce fut un échec. Le déficit termina l’année 2014 à 7,2%. Après les élections d’octobre 2015, la seconde adopte l’opposé de la première politique tout en respectant les critères de convergences. Elle allège l’austérité par des mesures de soutien à la demande (accroissement du salaire minimum mensuel, privatisations, programme de valorisation de la fonction publique, etc.). Le taux de croissance atteint 2,2% en 2019, le chômage tombe à 6,5% et le déficit à 0,2%.

Faut-il augmenter les impôts ?
La France est déjà numéro un eu
ropéen du ratio (impôts + taxes + cotisations) / PIB. Le montant de ses prélèvements obligatoires en France est de 1 218Md€, soit 43,2% du PIB, en 2023. Il était près de 1 194Md€ (45,0% du PIB) en 2022 selon l’Insee. « Chaque impôt, considéré en lui-même, et de même l’ensemble du système fiscal d’un pays, se détruit lui-même en dépassant un certain niveau des taux de prélèvement » Ludwig von Mises. Pour les plus riches, il serait plus percutant de réviser les lois du capital. Ne faut-il pas plutôt baisser les impôts et créer de la croissance pour redonner confiance aux entreprises comme aux investisseurs ?

Faut-il un emprunt national?
L’exemple de 1973,1983 et 1993. L’emprunt Giscard à 7% de 1973. À partir de 1978, il fut indexé sur le cours du lingot d’or pour un montant de 6,5 milliards sur quinze ans. En 1988, il a coûté à l’État 92 milliards (capital et intérêts), soit, en francs constants, plus de trois fois et demie, sa valeur d’origine.

Emprunt Mauroy en 1983. Tout de suite après la troisième dévaluation du franc, les réserves de la Banque de France ont chuté, l’inflation s’est envolée au-dessus de 12%. Une partie des capitaux a pris la fuite. La politique de relance est un échec. Le gouvernement Mauroy lance un emprunt forcé. Les contribuables payant plus de 5 000 francs d’impôt doivent verser à l’État 10% du montant sur le revenu et de l’impôt sur la fortune. C’est une ponction de 14 milliards de francs. Le gouvernement remboursa la totalité en 1985.

1997 l’emprunt Edward Balladur en pleine récession. 110 milliards de francs furent collectés, au lieu des 40 milliards prévus avec un taux attractif de 6%. Cet emprunt s’est révélé très coûteux pour l’État dues aux commissions de placement réglées aux intermédiaires financiers, aux exonérations des taxations sur les plus-values, etc. L’État a donc dû rembourser aux particuliers plus de 96 milliards de francs.

Faut-il créer de nouveaux Livrets réglementés ?
Oui, mais l’État est-il le meilleur gestionnaire ?

En 2017, le taux du Livret A est gelé à 0.75% jusqu’en janvier 2020. Une mauvaise nouvelle pour les petits épargnants, car l’inflation en 2017 a atteint 1%, en 2018 1,8% et en 2019 1,1%. Il a atteint son taux le plus bas en février 2020 à 0,5%, à la veille de la crise de la Covid-19. La formule de calcul du taux a été changée le 14 juin 2018 et mise à jour par l’arrêté du 27 janvier 2021.

Début 2023, le taux du Livret A était à 2%, il sera à un taux de 3% au 1er février 2023 avec une inflation de 4,9%. Encore une très mauvaise nouvelle pour les épargnants qui seront rémunérés à un taux réel de – 1,9% par rapport à l’inflation. Le taux passera à 2,4% au 15 février 2025. De nouveau c’est une mauvaise nouvelle pour les épargnants et une bonne nouvelle pour les banques. Les banques ont prêté aux PME en 2024 à un taux supérieur à 4% (4,67% en septembre 2024).

Dans les Livrets réglementés, il y a le PEL. Depuis plus de 30 ans, le taux d’épargne du PEL n’a cessé de diminuer… Le taux du PEL au 1er janvier 2025 tombe à 1,75%. Son montant maximal de placement est de 61 200 euros. Depuis 2018, les intérêts perçus du PEL sont soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux (FLAT TAX de 30%), ce qui donne un taux réel (déduction faite du taux de l’inflation) à – 0,27%.

L’encours du PEL au 31 décembre 2024 représente 225,3 milliards d’euros (-12,6% sur un an). Une somme très importante. Les Français doivent pouvoir sortir de leur PEL sans pénalités et le transférer à de nouveaux livrets réglementés.

« Les emplois du fonds d’épargne sont fixés par le ministre chargé de l’économie … »faut-il changerla Loi de Modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008?
Faut-il utiliser les « épargnes populaires » pour financer l’industrie d’armement ?
Le 28 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a rejeté l’utilisation de l’épargne populaire (Livret A, Livret de développement durable) pour financer l’industrie de la Défense, après l’adoption en force de la loi de finances 2024 le 22 par un nouveau recours au 49-3. Pourquoi le Sénat repart à l’attaque ?

Pour une croissance auto-entretenue et vigilante

Les banques excluent de plus en plus le financement de l’industrie de l’armement. Dans la situation actuelle, notre économie a besoin des investissements publics pour soutenir la croissance et éviter les dérapages des finances publiques. Le gouvernement préfère les dépenses d’armements aux investissements écologiques, numériques ou sociaux. Les armements constituent un investissement improductif à court et long terme. Nécessaires pour la dissuasion, pour aider l’Ukraine, etc. Il faut être prêt pour une guerre de haute intensité, car le pire est suffisamment probable.

Si la France investissait uniquement dans l’armement, que les armes soient employées ou non, ces fonds n’auraient pas servi à la croissance auto-entretenue par des investissements dans de nouvelles technologies, l’écologie, la santé, etc. L’origine des fonds doit se faire autrement.

Des nouveaux livrets réglementés pour stimuler la croissance et prévoir de nouveaux budgets régaliens.

De 2024 à 2030, la France disposera d’un budget total de l’armée de 400 Md€. La France peut revenir rapidement à un budget comme en 1970 (3,5% du PIB) si la croissance est portée par la transition écologique, la santé, l’énergie, le numérique, etc. Et non uniquement par une économie militarisée. En 2024, le taux d’épargne des ménages a atteint 18,2 % de leur revenu disponible brut, marquant une progression de 1,3 point par rapport à 2023. L’État français devrait créer immédiatement des Livrets réglementés et spécialisés gérés par des établissements de crédit publics et paritaires. Chaque citoyen doit décider de la destination de son argent. Avec des plafonds de versement, ces livrets seraient garantis et rémunérés. Les nouveaux contrats devraient présenter plusieurs atouts pour les consommateurs : flexibilité, frais de gestion nuls, pas de frais de transfert, avantages fiscaux, stabilité du contrat, etc.

Avec une croissance prévue à 0,7% en 2025, une production industrielle encore en baisse, le nombre de demandeurs d’emploi en forte hausse, un besoin de 180 milliards d’euros d’effort rien que pour stabiliser la dette à l’horizon 2030 (en tenant compte de la hausse des besoins en matière de défense), il faut investir.

Il faut investir 1% du PIB par an pendant 4-5 ans, comme l’Allemagne qui s’apprête à engager 1 000 milliards d’euros pour la défense et ses infrastructures. À titre d’exemple : 100 milliards par an pour le pacte vert, 50 milliards pour le pacte républicain de solidarité, 40 milliards pour le pacte dépendance et handicap et 10 milliards pour le pacte ruralité, etc.

Il faut la confiance des ménages avec un contrat stable ; un plafond et une fiscalité inchangée jusqu’à fin 2030 ; un taux de rémunération égal au taux des obligations d’État à 10 ans (supérieur à 3% en 2025, le taux d’emprunt France à 10 ans est de 3,55 au 13 mars 2025) ; la gestion de l’épargne conservée par des établissements de crédits publics paritaires ; une centralisation à 90% à la Caisse des dépôts et consignations avec une répartition de chaque Livret réglementé à 90% selon le choix de l’épargnant.

D’après le FMI en 2020 : dans une période de grande incertitude, « une augmentation de l’investissement public égale à 1% du PIB renforcerait la confiance dans le redémarrage de l’activité et dynamiserait le PIB de 2,7%, l’investissement privé de 10% et l’emploi de 1,2%, à condition que les projets retenus portent sur des investissements haute qualité et que les niveaux préexistants de dette publique et privée n’affaiblissent pas la réponse du secteur privé à cette relance. »

À titre d’exemple, pour un investissement de 1% du PIB soit 291 milliards d’euros (PIB 2024 en valeur 2 917 milliards d’euros) le multiplicateur budgétaire est évalué à 1% sur 1 an (OFCE). Le PIB sera dynamisé de 291 milliards d’euros. Dans une économie comme la France, caractérisée par une pression fiscale de 43,2%, la recette fiscale additionnelle serait de 125,71 milliards d’euros en 2025. Pour stabiliser la dette il faut uniquement 18 mois. Il faut 3 ans pour réduire le déficit à moins de 3% du PIB. La France réalisera, en 2025, l’ajustement budgétaire évalué à 110 milliards d’euros estimée par la Cour des comptes.

« Lorsqu’un gouvernement dépend des banquiers pour l’argent, ce sont eux et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation »Napoléon Bonaparte.

Finances publiques : comment économiser des milliards d’euros »

En 2025 d’après le projet de lois de finance, les besoins de financement de l’État sont de 306,7 milliards d’euros. Avec des notations financières qui se dégradent, une politique monétaire qui expose la France à des taux plus élevés, ne faut-il pas repenser le paradigme de nos finances publiques ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.( Dans La Tribune)

Depuis la promulgation par le Président G. Pompidou de la loi n°73-7 du 3 janvier 1973, l’État français ne peut plus emprunter à sa propre Banque Nationale. Cette dette est passée de 15% du PIB en 1974 à 110,6% du PIB fin 2023 (3 101,2 milliards d’euros). À la fin du deuxième trimestre 2024, la dette publique s’établit à 3 228,4 milliards d’euros d’après l’INSEE, soit 112% du PIB. Le gouvernement retient 109,7% pour 2024.

La dette française est principalement financée par des obligations assimilables du trésor OAT, émises par l’État français via l’AFT l’Agence France trésor. La majorité des OAT sont émises à taux fixe et sont remboursées à maturité en numéraire, c.-à-d. elles ne sont pas convertibles ou remboursables en d’autres titres. La valeur nominale est de 1 euro, la durée est de 2 à 50 ans. Les émissions des OAT sont assurées par la Banque de France. L’AFT lance un premier emprunt qui sera le réservoir et qui définira le taux d’intérêt et les conditions de versement. Les autres émissions viendront s’ajouter sur des réservoirs existants. Aujourd’hui les OAT constituent la forme unique du financement à moyen et long terme de l’État. Il existe deux autres OAT. Les OATi et OATei dont le nominal est indexé sur l’inflation France depuis 1998 ou zone euro depuis 2001. L’indexation est pratiquée lors de chaque échéance de paiement du coupon. Pour le court terme, moins d’un an, l’État se finance par les bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté ou payable d’avance… (BTF).

Bien que ce soit principalement les sociétés de gestion, les banques et les fonds d’investissement qui vont acheter des OAT français, il est techniquement possible pour un particulier d’acheter des OAT sur le marché secondaire via un courtier. Il est inutile de préciser que la fiscalité des valeurs du trésor est un labyrinthe inaccessible aux PME ainsi qu’aux ménages français.

 « la normalisation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne amorcée depuis 2022 expose la France à un environnement de taux d’intérêt de long terme structurellement plus élevés ».

 

En effet, le taux de rendement de l’obligation – France 10 ans est au 10 janvier 2025 à 3,41% et la prime de risque frôle les 90 points. Le taux moyen pondéré sur 2024 est de 2,91%, l’encours de la dette négociable de l’État au 30 novembre 2024 atteint 2 605,20 milliards d’euros. Le mouvement s’inscrit dans un contexte de remontée des taux. Les principales raisons pour cette envolée des taux d’intérêt : la nouvelle politique financière des États-Unis avec une prévision de forte inflation, un dollar qui décolle face à l’euro, la Banque centrale européenne BCE en retard dans la politique monétaire et son arrêt de rachat des dettes des États membres au 1er janvier 2025.

 «La charge d’intérêt pèsera bientôt plus lourd que le budget de l’Éducation nationale», a alerté le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

D’après le projet du budget 2025, avec une dette publique avoisinant les 3 228 milliards d’euros et une charge d’intérêts prévue autour de 55 milliards, le taux moyen s’établit à environ 1,83%. Si on considère que l’inflation prévue en 2025 est estimée à 1,5%, le taux d’intérêt réel moyen corrigé de l’inflation devient 0,33%. Ce taux réel n’est plus négatif comme certaines années précédentes. En 2025, en empruntant 306,7 milliards à un taux moyen de 3,5% au lieu de 2,91%, la charge d’intérêts réelle supplémentaire sera d’environ 11 milliards d’euros. En plus avec la nouvelle pression de la BCE, la France doit trouver des investisseurs privés pour acquérir le montant record de 306,7 milliards d’euros dont plus de 58% seraient des étrangers.

Avec des taux d’intérêt qui remontent pour l’État, c’est une très mauvaise nouvelle pour la croissance. Plusieurs économistes proposent d’utiliser l’épargne des ménages pour contribuer au financement de l’investissement de l’État, des administrations publiques et des entreprises.

Les Français adorent épargner et adorent les Livrets réglementés. Le plus connu des livrets réglementés est le Livret A (anciennement Livret de Caisse d’Épargne). Il a été créé le 22 mai 1818, à la fin des guerres napoléoniennes, à l’initiative de Benjamin Delessert, industriel et banquier. Dès son origine la Caisse d’Épargne avait pour mission d’être au service des plus démunis. En 1837, les Caisses d’Épargne confient la gestion des fonds du Livret A à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Mais le Livret A n’est pas parvenu à protéger l’épargne des ménages face à l’inflation pendant 205 ans.

En 2017, le taux du Livret A est gelé à 0.75% jusqu’en janvier 2020. Une mauvaise nouvelle pour les petits épargnants, car l’inflation en 2017 a atteint 1%, en 2018 1,8% et en 2019 1,1%. Il a atteint son taux le plus bas à 0,5% en février 2020, à la veille de la crise de la Covid-19. La formule de calcul du taux a été changée le 14 juin 2018 et mise à jour par l’arrêté du 27 janvier 2021.

Début 2023, le taux du Livret A était à 2%, il sera à un taux de 3% au 1er février 2023 avec une inflation de 4,9%. Encore une très mauvaise nouvelle pour les épargnants qui seront rémunérés à un taux réel de -1,9% par rapport à l’inflation. Le taux passera à 2,4% au 15 février 2025. De nouveau c’est une mauvaise nouvelle pour les épargnants et une bonne nouvelle pour les Banques. Les banques ont prêté aux PME en 2024 à un taux supérieur à 4% (4,67% en septembre 2024).

Dans le sillage du Livret A,  on trouve le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) et le Livret jeune qui seront également rémunérés à 2,4% au 1er février 2025. Le Livret d’Épargne populaire (LEP) avec un nouveau taux à 3,5% est réservé aux ménages les plus modestes. Le taux du plan épargne logement tombe à 1,75%, etc.

Avant 2009, le Livret A n’était disponible que dans trois établissements bancaires. Il a servi à financer le logement social et la politique de la ville. Les montants collectés étaient centralisés à 100% à la Caisse des dépôts et des consignations (CDC). En échange, ces banques recevaient une commission qui était en 2008 de 1,12% en moyenne. La loi de Modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 a modifié les règles régissant la collecte et la centralisation des fonds du livret A. Les fonds seront collectés par toutes les banques qui centralisent une partie dans le fonds d’épargne de la CDC, une autre partie sera utilisée pour prêter aux PME. La CDC va utiliser uniquement une partie de cette épargne pour le logement social et la politique de la ville, etc. L’autre partie sera placée en actifs financiers.

 «Les emplois du fonds d’épargne sont fixés par le ministre chargé de l’économie… La Caisse des dépôts et consignations, après accord de sa commission de surveillance et après autorisation du ministre chargé de l’économie, peut émettre des titres de créances au bénéfice du fonds. »

 Ceci peut expliquer aujourd’hui le manque de logements sociaux, etc. Pour l’ancien directeur de la CDC et actuel ministre de l’Économie et des Finances :

 « pour financer les nouvelles centrales nucléaires voulues par le gouvernement, il serait « logique » d’utiliser l’encours des Livrets A des Français ».

L’épargne privée est énorme et l’investissement est faible, ce qui implique une faiblesse chronique de la demande et un recours massif à l’emprunt d’État. Deux propositions peuvent être mises en place rapidement pour réduire l’endettement extérieur de la France.

La première, comme avant 1990, le gouvernement actuel doit permettre l’émission des bons du Trésor à court et moyen terme (1 à 5 ans) à un taux fixe et intérêts annuels avantageux, renouvelables, gérés par le Trésor public. Leurs revenus devraient être exonérés de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux et garantis par l’Europe.

La seconde, une meilleure affectation de l’épargne actuelle comme le Plan d’Épargne Logement PEL. Le PEL n’a plus de sens, il faut le remplacer. Le PEL est un produit financier proposé par des établissements bancaires ou des institutions financières sous la réglementation en vigueur en France. L’argent placé sur l’ensemble des plans d’épargne logement est donc prêté à ceux qui souhaitent bénéficier d’un prêt immobilier ou pas suivant les critères des banques émettrices des crédits. Depuis plus de 30 ans, le taux d’épargne du PEL n’a cessé de diminuer… Le taux du PEL au 1er janvier 2025 tombe à 1,75%, son montant maximal est de 61 200 euros. Depuis 2018, les intérêts perçus du PEL sont soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux (FLAT TAX de 30%), ce qui donne un taux réel (déduction faite du taux de l’inflation) à – 0,27%. Le PEL est bloqué pendant 4 ans. Le montant du prêt ne peut dépasser 92 000 euros et le taux de prêt est fixé à 2,95%. II faut comparer ce taux au meilleur taux au 1er janvier 2025 de 3,2%, avec la BCE qui anticipe une politique moins restrictive.

L’encours du PEL au 31 décembre 2023 représente 253 milliards d’euros. Une somme très importante, les Français doivent pouvoir sortir de leur PEL sans pénalités et les transférer à de nouveaux livrets réglementés.

Dans une période de faible croissance, il est préférable pour l’État de disposer d’argent nécessaire pour investir ; sans emprunter sur le marché financier ; sans créer de la monnaie additionnelle, mais diminuer plutôt la quantité de liquidité pour lutter contre l’augmentation des prix. Avec la BCE qui ne rachète plus massivement sur les marchés la dette de la France dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif, il est préférable que la dette de la France soit détenue en majorité par les Français. Dans ce cas, la France peut faire appel au surplus des dépôts à vue des Français et à une grande partie de l’encours du PEL. La rémunération doit être très attractive (par exemple 2,91%, le taux pondéré moyen 2024 des OAT), exonérée d’impôts et des prélèvements sociaux. Ainsi les Français seront attirés à investir dans des activités fortement créatrices d’emplois, hautement productives et plus respectueuses de l’environnement. Les rémunérations des livrets seront payées par l’État avec une commission de 0,20% pour des caisses de crédit publiques.

Avec ces livrets, l’État doit mieux investir au service de la croissance et la réduction du déficit. Avec une croissance plus élevée, l’État pourra réduire sa dette et les prélèvements obligatoires et augmenter ses dépenses. Il n’y aura plus de discussion autour de la retraite et de la santé. Les Français n’auront plus le sentiment de baisse du pouvoir d’achat et l’impression de léguer à leurs enfants une charge qui pourra obérer leur niveau de vie. Les Français pourront consommer plus.

À titre d’exemple, pour un investissement de 1% du PIB soit 285 milliards d’euros (PIB 2024 estimé à 2 853 milliards d’euros) le multiplicateur budgétaire est évalué à 1% sur 1 an (OFCE). Le PIB sera dynamisé de 285 milliards d’euros. Dans une économie comme la France, caractérisée par une pression fiscale de 43,2%, la recette fiscale additionnelle serait de 123,12 milliards d’euros en 2025.

Les recettes fiscales totales en 2025 seraient de 125,82 milliards d’euros (123,12 milliards d’euros + 11 milliards d’euros – 8,30 milliards d’euros rémunération versée) à comparer au total des charges budgétaires des dettes en 2024 et 2025 de 104,8 milliards d’euros.

France: Comment relocaliser ?

France: Comment relocaliser ?

 

Entre 2009 et 2020, la France compte 144 relocalisations contre 466 délocalisations. Heureusement, certaines entreprises (re)transfèrent avec succès leurs activités dans l’Hexagone. Notamment la coopérative Atol et Lucibel, pionnière française du LED. En ce mois de janvier 2025, sept nouveaux projets ont été soutenus par France 2030 pour renforcer ou relocaliser la production de 42 médicaments essentiels. L’objectif : réduire la dépendance aux importations, notamment de Chine ou d’Inde où sont produits 60 % et 80 % des principes actifs pharmaceutiques. Aujourd’hui, le manque de foncier abordable, la hausse des prix de l’énergie, auxquels il faut rajouter le manque de main-d’œuvre disponible, constituent trois freins à la relocalisation. Certains industriels relèvent cependant ces défis. Ils font de la relocalisation une stratégie de développement rentable, proposant des produits Made in France en phase avec les attentes d’une grande partie des consommateurs. Dans une étude sur Lucibel et Atol, nous analysons les conditions de réussite d’une relocalisation : nouvelle conception des produits, des « process » et des procédés, nouvelle organisation de la production et de la chaîne logistique.

 

par 

  • Professeure des Universités en sciences économiques, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3
  • Responsable pédagogique master management industriel dans The Conversation 

Au début des années 2000, les entreprises à capitaux étrangers ont contribué à près du tiers de la production manufacturière chinoise. Après l’engouement pour la production à l’étranger, les sociétés françaises constatent une hausse de leurs coûts liée à l’éloignement. Parmi les raisons, on trouve la hausse des salaires locaux, la suppression des subventions, des aides fiscales ou des délais de livraison allongés.

La distance créée d’autres complications. Pour éviter la contrefaçon, les malfaçons et les vols, des contrôles fastidieux sont mis en place. Enfin, les conditions de production peu éthiques nuisent à l’image de certaines entreprises qui relocalisent pour préserver leur réputation. Des produits délocalisés créent aussi des clients insatisfaits.

On dénombre 144 relocalisations contre 466 délocalisations entre 2009 et 2020. Elles concernent principalement l’industrie manufacturière, même si le Brexit a entraîné une petite dizaine de relocalisations dans le secteur bancaire et financier. En part de créations d’emplois, les relocalisations pèsent peu. Moins de 1 % des créations d’emplois sont industriel, alors que les délocalisations représentent 6,6 % des pertes d’emploi industriel. Une hausse des délocalisations début 2020 montre que la tendance à la relocalisation n’est pas acquise. Les entreprises rencontrent des obstacles majeurs pour revenir vers des circuits locaux : manque de foncier abordable, hausse des prix de l’énergie ou manque de main-d’œuvre disponible.

Bien qu’elles soient encore relativement limitées, des initiatives françaises témoignent d’un effort coordonné pour soutenir la relocalisation. Elles incluent des aides financières directes et indirectes aux entreprises, ainsi que deux plans de financement. En 2010, la certification « Origine France Garantie » est lancée pour valoriser la production des entreprises françaises. Entre 2012 et 2014, le ministère du redressement productif développe des outils comme la plate-forme Colbert 2.0 pour réaliser les études de faisabilité des projets de relocalisation. Des événements annuels mettent en valeur la production française à l’instar des assises « Produire en France » en 2018 ou des « Rencontres du Made in France en 2024.

Certains industriels comme la société coopérative des opticiens Atol ou le groupe Lucibel réussissent à relocaliser leur production en France de manière durable. Comment ? En imaginant des modes de production plus efficaces et moins coûteux.

Pour améliorer sa compétitivité et se différencier de ses concurrents, Atol a créé des lunettes connectées assemblées dans son usine de Beaune. Ses composants électroniques sont fabriqués dans les Côtes–d’Armor. Le célèbre opticien a également inventé les lunettes « zéro vis », déformables sans soudures, proposant à ses clients une garantie à vie. Atol a automatisé la production en investissant dans la robotique et réorganisé le temps de travail, en passant à 2×8, puis à 3×8 pour réduire ses coûts et accroître la productivité.

Fondée en 2008, Lucibel conçoit et fabrique des produits et solutions d’éclairage de nouvelle génération issus de la technologie LED. Le groupe est pionnier dans les nouvelles applications permises par la LED au-delà de l’éclairage : l’accès à Internet par la lumière (LiFi), des produits cosmétiques et des lumières d’intérieur. Parce qu’en France en 2008, peu d’industriels connaissent la technologie LED, c’est à Shenzhen que Lucibel construit sa première usine. Mais confronté à des problèmes de qualité, des vols de ses technologies et des délais de livraison allongés, il décide en 2014 de relocaliser sa production en Normandie.

Pour être rentable, un re-ingineering complet à la fois des « process » et des produits est réalisé. La production est organisée par îlots. Contrairement à la Chine où les ouvriers travaillaient à la chaîne, ils sont responsabilisés et deviennent plus polyvalents. Cette mesure leur permet d’avoir un travail plus varié, de pouvoir remplacer plus facilement un collègue absent. L’entreprise arrive ainsi à diviser par trois le temps homme passé sur chaque produit par rapport à la Chine, réalisant de conséquents gains de productivité.

Les produits montent en gamme avec un positionnement « plus premium ». Les équipes R&D et fabrication sont désormais regroupées sur le même site.

« On a pu aller vite sur ces sujets d’innovation, car on était en France. La colocalisation des équipes sur le même site à Barentin nous a permis d’être plus efficaces et de monter en puissance »,

souligne Frédéric Granotier, le président-directeur général de Lucibel. Depuis, l’entreprise ne cesse d’innover avec 20 % de ses effectifs dédiés à la R&D.

En relocalisant, ces entreprises gagnent en créativité, en efficacité et en innovation. Pour les pouvoirs publics, il semble alors pertinent de renforcer les aides en lien avec l’innovation et de favoriser la (re)construction de filières : renforcer la coopération technologique distributeurs/fabricants/fournisseurs en favorisant l’achat local.

Europe: ou comment financer 800 milliards d’investissement

Europe: ou comment financer 800 milliards d’investissement

Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, propose un remède qui reste dans la théorie de l’économie orthodoxe. Il préconise des investissements à hauteur de 800 milliards d’euros par an, dont une large partie serait de l’argent public. Dans un contexte d’insuffisance budgétaire, n’y a-t-il pas d’autres solutions exemptent d’endettements excessifs ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière. ( dans la Tribune)

Dans un rapport publié le 09 septembre 2024, l’ancien président de la Banque centrale européenne préconise un plan d’investissement massif de 800 milliards d’euros par an dans les secteurs des nouvelles technologies, de la transition environnementale et de la défense. Ce plan devrait relancer massivement la croissance. Mais l’Europe a besoin de beaucoup d’argent pour reprendre sa place dans le monde face aux États-Unis et à la Chine. À la réunion de la Communauté politique européenne, du 7 novembre 2024 à Budapest, les vingt-sept membres ont validé le diagnostic de M. Draghi sur la perte de compétitivité… La question du financement reste entière…

Dans la vie politique occidentale, l’économie occupe une place centrale. Les dernières élections aux États-Unis, en Europe et en France ont montré que les défaites des partis en place est due principalement à l’économie du quotidien : coût de la vie et la gestion de l’inflation par les Banques centrales ; les réformes structurelles improductives et qui freinent la croissance.

Depuis le traité de Maastricht et le Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, c’est la théorie orthodoxe (libérale) qui exerce le plus d’influence sur les décisions des membres de l’Union européenne. Le traité établissant la Communauté européenne, qui a été rebaptisé TFUE réaffirme deux objectifs importants pour la compréhension de la solution proposée par M. Draghi et celle décrite dans cette tribune : le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) et l’indépendance de la Banque centrale européenne BCE.

Nous pouvons lire à l’article 126 de ce traité :

« les États membres évitent les déficits publics excessifs … la Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique… le Pacte de stabilité et de croissance est un instrument important pour la réalisation de ces objectifs ».

 Le PSC impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. Le rétablissement des comptes publics passe par la maîtrise de la dépense publique qui repose principalement sur des réformes structurelles. Le TFUE entend par réformes structurelles ou réformes néolibérales :

« la libéralisation du marché des biens et services (ce qui implique notamment ouverture à la concurrence et privatisations totales ou partielles), flexibilisation du marché du travail (visant à renforcer les incitations au travail par des changements de législation, sur le salaire minimum, le temps de travail, etc.) et, enfin, réduction globale du poids des dépenses publiques, en particulier sociales (réduction de la supposée « générosité » des systèmes publics de retraite, de santé, etc.) et de la « pression fiscale » sur les entreprises et les « créateurs de richesse ».

Nous pouvons lire à l’article 123 de ce traité :

« Il est interdit à la Banque centrale européenne… d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres… le paragraphe 1 ne s’applique pas aux établissements publics de crédit… ».

Pour faire face aux difficultés financières, les pays de l’UE pourront s’endetter uniquement auprès des banques commerciales.

Les résultats de cette politique économique ne sont pas réellement un succès : il y a 16 ans, la production de richesse européenne était de 10,36% supérieure à celle des États-Unis alors qu’en 2023 elle était de 48,77% inférieure. Le PIB de l’Union européenne a augmenté de 2008 à 2023 de 12,58% (mesuré en dollar courant) soit en moyenne 0,79% par an, contre 84,83 % pour les États-Unis et 287,58% pour la Chine (source Banque mondiale).

Quant au poids de la dette publique, la moyenne de la zone euro en 2023 était de 88,6% du PIB et la moyenne de l’UE 81,7% du PIB. L’Europe n’a pas d’argent, les caisses sont vides et les pays membres sont fortement endettés : la dette publique de la France au sens du traité de Maastricht représentait 110,6 % du PIB et se situait à la troisième place de la zone euro, derrière celles de la Grèce (161,9 % du PIB) et de l’Italie (137,3 % du PIB), etc.

M. Draghi propose d’unifier les marchés des capitaux, d’harmoniser la réglementation bancaire, de réviser la taxonomie de l’UE pour les activités durables (qui sert à guider et mobiliser les investissements privés) et de faciliter les instruments de dette en communs. En réalité il y a sept travaux interminables qui compromettent le développement européen :

 

Quant aux instruments de dette en commun, elle divise plusieurs pays européens. L’Allemagne n’est plus très favorable à une nouvelle expérience. Afin de faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de la COVID-19, en juillet 2020, l’Union européenne a mis sur pied un plan de relance de 806,9 milliards d’euros, 750 milliards d’euros au prix de 2018 (NextGenerationEU). Ce plan octroie des subventions (338 milliards d’euros) et des prêts pour soutenir les réformes et les investissements (385 milliards d’euros) dans les États membres de l’UE. Ils ont décidé de s’endetter en commun et de rembourser cet emprunt de 2028 à 2058 (30 ans).

Pour aider l’Ukraine, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont approuvé à l’unanimité une aide de 50 milliards d’euros. Cette aide passera dans le budget pluriannuel européen 2021-2027. La seule réponse du commissaire européen au Marché intérieur pour stimuler la production de l’industrie de la défense de l’UE est la collaboration entre les États membres. M. Draghi propose-t-il de nouveaux emprunts à rembourser peut-être à partir de 2058 ?

Le rapport de M. Draghi se repose en grande partie sur les marchés financiers

Aux côtés de la Banque européenne d’investissement BEI, ce rapport souhaite renforcer le rôle des Banques publiques et nationales de développement … Les actionnaires de la BEI sont les 27 États membres de l’Union européenne, elle a pour mission de favoriser la réalisation des objectifs économiques de l’Union européenne en accordant des prêts à long terme pour financer des investissements viables.

Pour les Banques publiques de développement BPD qui sont autonomes dans leur gestion, elles assurent la déclinaison financière du mandat public qui leur est confié. Elles doivent déployer des instruments financiers générateurs de revenus avec un mandat adossé sur des politiques publiques des États qui possèdent tout ou partie de leur capital. Dans un contexte de déficits budgétaires, les États actionnaires ne peuvent plus augmenter les capitaux de ces institutions. Ces Banques peuvent seulement emprunter sur les marchés financiers pour l’investir dans les entreprises des secteurs stratégiques. En 2023, la BEI a signé uniquement de nouveaux financements pour 87,85 milliards d’euros, soit 10% de la somme énoncée pour le plan Draghi.

Mais comment financer la croissance sans recourir aux banques privées et à l’endettement ?

  • Harmoniser la fiscalité des entreprises

À chaque fois qu’il y a une dérive des comptes publics, plusieurs économistes proposent de taxer les superprofits ou les superdividendes. Pour Thomas Piketty, il suffirait de forcer les plus riches à céder 10% de leurs patrimoines d’une manière exceptionnelle. Cette somme servirait à rembourser la dette publique. À titre d’exemple, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne a mis en place un prélèvement sur les fortunes immobilières pour apurer son endettement … Dans un monde de fuite des capitaux et de subventions telles que la loi sur la réduction de l’inflation IRA (États-Unis) et la stratégie « Made in China 2025« , mieux vaut revoir le code du capital et remplacer les aides par un renforcement des quasi-fonds propres.

Dans son livre Le Code du capital - Comment la loi crée la richesse capitaliste et les inégalités Katharina Pistor soutient que le :

« droit conçu par et dans l’intérêt de riches acteurs privés induit à la fois l’accumulation de richesse, l’envol des inégalités et les crises à répétition« .

Mais si la loi qui donne le pouvoir au capital a été réformée dans l’intérêt des milliardaires depuis plusieurs années, « il suffit » de rechanger cette loi pour répartir la richesse dans l’intérêt commun et permettre à l’État de disposer de plus de recettes.

Seuls les pays les moins endettés peuvent se permettre de financer leurs entreprises ce qui pose un problème de concurrence. En Allemagne le financement des entreprises prend la forme de subventions non remboursables, de prêts à faible taux d’intérêt, de garanties, d’investissements ou d’incitations fiscales. En France, aides à l’embauche, aides à la création d’entreprise, prêts garantis… près de 2 000 dispositifs publics bénéficient aux entreprises. L’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit en principe les aides publiques aux entreprises (appelées « aides d’État »), au motif qu’elles sont susceptibles de fausser la libre concurrence et donc le bon fonctionnement du marché intérieur…

La BEI devrait généraliser les financements directs sous forme de quasi-fonds propres pour financer la croissance des entreprises innovantes. La BCE devrait remettre en place un nouveau TLTRO (opérations ciblées de refinancement à long terme à des taux favorables) spécialement pour la BEI, les Banques publiques d’investissements ou de développement et les Caisses de crédit public.

  • Créer des produits d’épargne européens

En 2023, le PIB par habitant en dollar courant est de 81 695,2 pour les États-Unis (334,91 millions d’habitants) à comparer à celui de l’Europe de 40 823,9 (448,76 millions d’habitants). Les économies des ménages aux États-Unis ont atteint une valeur de 911 milliards de dollars en 2023 soit environ 825 milliards d’euros et environ 2 500 euros par Américain. Une nouvelle enquête de la National True Cost of Living Coalition montre que 65% des Américains de la classe moyenne ont des difficultés financières et 46% des Américains n’ont pas 500 dollars d’épargne d’urgence, et 28% n’ont pas d’épargne du tout.

Pour les Européens, les ménages détenaient environ 35 500 milliards d’euros au 31 décembre 2023, soit en moyenne 79 107 euros par Européen. Une grande partie de cette épargne est « exportée » en dehors de la zone euro tandis que les entreprises européennes se procurent une fraction de leurs besoins en fonds propres auprès d’investisseurs non-résidents. Il faut donc repenser totalement la manière de relier en Europe l’épargne et l’investissement.

Ce n’est pas la première fois que la Commission européenne crée un produit d’épargne européen. En 2019, la Commission a introduit le plan d’épargne retraite individuel européen (Pan-European Personal Pension Product, PEPP), qui offre aux citoyens de l’UE la possibilité d’épargner pour la retraite. Ce fut un succès très limité, car chaque pays a ses propres règles internes et chaque banque commerciale a des frais d’entrée ou d’adhésion différents, les versements sont bloqués jusqu’à la retraite…

La manière la plus simple est de créer plusieurs livrets d’épargne européens (nouvelles technologies, transition climatique, défense, etc.) gérés par des établissements de crédit public spécialisés. Chaque citoyen pourra choisir librement où placer ses économies. La structure des livrets doit être exactement la même dans l’ensemble de l’UE : même taux de rémunération, mêmes limites de cotisation, mêmes limites de plafond, mêmes options de retrait, mêmes avantages fiscaux, etc. Les nouveaux Livrets seraient garantis. Ils devraient présenter plusieurs atouts pour les consommateurs : flexibilité, frais de gestion nuls, pas de frais de transfert entre pays européens, etc.

  • Réindustrialisation et création de 15 millions de nouvelles petites entreprises locales financées par les Caisses de crédit public

Ces caisses emprunteraient directement à la BCE. Tous les pays européens doivent avoir, comme l’Allemagne, des Caisses de crédit public en plus des Banques commerciales privées et des Banques coopératives. En Allemagne les banques de droit public regroupent les quelque 500 caisses d’épargne (Sparkasse) et les banques centrales des États (Landesbanken). En France une grande institution financière publique, la Caisse des Dépôts et Consignation CDC gère 48 caisses de retraite, reçoit les dépôts légaux des notaires, etc. Elle est une partenaire de long terme des collectivités locales, en d’autres termes un grand investisseur institutionnel. C’est la BPI Banque publique d’investissement (uniquement 44 milliards d’euros d’actifs) qui accompagne « les entreprises, de l’amorçage jusqu’à la cotation en bourse, du crédit aux fonds propres ».

L’Allemagne a adopté le «Mittelstand» qui est la principale force de l’économie allemande avec 3,5 millions d’entreprises familiales innovantes, tandis que la France a choisi de développer des champions nationaux cotés en Bourse. Les PME du Mittelstand, se financent en majorité via les 500 caisses d’épargne publiques (2 492,8 milliards d’euros).

Comment baisser la dépense publique

Comment baisser  la dépense publique

La Cour des comptes vient d’émettre une énième alerte sur la situation de nos finances publiques, au moment même où la procédure européenne pour déficit excessif est officiellement enclenchée contre la France. Son premier président, Pierre Moscovici, n’exclut pas a priori de nouvelles hausses d’impôts. Mais n’est-ce pas là, dans une discipline où nous sommes les champions olympiques avant même que les épreuves n’aient commencé, une solution de facilité, éculée et improductive, car pesant sur la création de richesses ? Pourquoi ne pas innover, en faisant ce que toutes les nations les plus compétitives ont fait : baisser la dépense publique.

 

par Par Vincent Delahaye, sénateur de l’Essonne, groupe Union centriste, et Membre de la commission des finances. dans La Tribune

Bien entendu, l’idéal serait d’engager de véritables réformes structurelles (assurance-chômage, introduction d’une dose de capitalisation pour les retraites, statut de la fonction publique, règle d’or budgétaire, etc.). Autant de réformes qui requièrent du courage, mais aussi une majorité forte – et que condamne donc la période et la situation politique actuelles. Dans l’attente de jours meilleurs et d’un Parlement plus serein, beaucoup de choses pourraient être faites néanmoins.

En commençant par le plus facile : les dépenses ministérielles dites « protocolaires » (frais de déplacement et de réception, campagnes de communication, relations publiques, etc.) pourraient ainsi être divisées par deux, générant immédiatement plus de 700 millions d’euros d’économies pérennes.

Une deuxième piste d’économies consisterait à ne pas indexer sur l’inflation l’ensemble des prestations qui, en principe, le sont chaque année (à commencer par les pensions de retraite, dont le gel exceptionnel se justifierait autant par un impératif budgétaire que par un motif d’équité intergénérationnelle). Au-delà des seules pensions de retraite, une « année blanche » généralisée dégagerait plusieurs milliards d’euros d’économies budgétaires dès 2025.

Troisième piste envisageable : la mise en œuvre d’une authentique « chasse aux économies » au sein de l’ensemble des administrations publiques. Les ministres seuls ne suffisent pas à traquer tous les gisements d’économies. On pourrait intéresser les responsables de programmes placés sous l’autorité des ministres par le biais d’une « prime d’économies », plafonnée, mais suffisamment élevée pour inciter à la saine gestion budgétaire. Cette prime serait déclenchée sur la base des propositions d’économies formulées, retenues par le ministre et pérennes dans le temps. « Les petits ruisseaux font les grandes rivières », dit le vieil adage. Si les grandes réformes sont nécessaires pour rétablir durablement les comptes publics, il est non moins indispensable d’inculquer dès maintenant une culture de la rigueur dans la gestion des deniers publics, de façon à réaliser des économies partout où cela est possible.

Enfin, quatrième proposition : renouer avec la règle, en vigueur sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, consistant à ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Seuls les périmètres concernés par les lois de programmation déjà votées seraient sanctuarisés.

L’ensemble de ces mesures nous placerait aussitôt sur une trajectoire plus vertueuse de nos finances publiques. Certains diront qu’à court terme, elles auraient un effet récessif et entraîneraient une contraction du PIB. Ma conviction, c’est qu’à long terme elles seraient très bénéfiques à notre économie et à la société tout entière. Ayons le courage de faire primer le temps long sur le court-termisme. Comme disait le célèbre économiste Frédéric Bastiat :

« Le mauvais économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir au risque d’un petit mal actuel. »

Comment réduire la dette publique et le chômage ?

Comment réduire la dette publique et le chômage  ?

En théorie, pour réduire l’endettement public et augmenter le taux d’activité, il faut générer de la croissance tout en maîtrisant l’évolution des dépenses publiques. Pourquoi depuis les années 1970 la France n’arrive pas à contenir sa dette publique et son nombre de chômeurs ? Raisons et solution. Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financièreNION. .( dans La Tribune)

La dette publiquele chômageDes trente glorieuses 1945-1973, on a retenu une expansion sans précédent dans une économie de paix du lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au choc pétrolier de 1973. Depuis les années 1970, la dette de la France se dégrade. Elle s’est aggravée avec la crise financière de 2008. Elle atteint un record avec la pandémie. La dette publique française a dépassé 100 milliards d’euros en 1981, 500 milliards d’euros en 1993, 1 000 milliards d’euros en 2003 puis 2 000 milliards d’euros en 2014. Cette dette est passée de 15% du PIB en 1974 à 110,6% du PIB fin 2023 (3 101,2 milliards d’euros). Il faut noter qu’entre 1959 et 1974, la France n’a connu que trois années de déficits publics qui n’ont jamais dépassé 1,4% du PIB.

Depuis les années 1970, l’économie mondialisée s’est profondément transformée et avec elle le marché du travail. Ces mutations pourraient encore s’amplifier sous les effets de la révolution numérique et de l’intelligence artificielle. Au début des années 1970, le nombre de chômeurs s’élevait à 510.000 personnes, soit 2,4% de la population active. Fin 2023, ce taux remontait à 7,5% soit 2,3 millions de personnes indemnisées.

Les principales raisons fatidiques de cette progression.

Les années 1970. Le 15 août 1971, Richard Nixon (Président des États-Unis d’Amérique de 1969 à 1974) suspend la convertibilité du dollar en or pour augmenter l’offre de monnaie et fait du dollar la principale monnaie de réserve. Depuis cette date il n’y a plus de lien entre le Franc et l’or. Cette fin de parité ouvre une période d’incertitude. Les Européens cherchent une solution à cette instabilité. En 1972, le Franc fait partie des six devises du « serpent » monétaire, un système de taux de change mis en place par les six membres fondateurs de la Communauté économique européenne. En 1973 est votée la loi « Pompidou-Giscard ». Elle précise que le Trésor ne peut s’endetter que de manière limitée auprès de la Banque de France : « on a eu une loi stupéfiante [...]. On a obligé l’État à aller se financer sur le marché financier privé à 4% ou 5%, et… » Michel Rocard (Premier ministre de 1993 à 1994), Mediapolis, Europe 1, 22 décembre 2012. C’est en 1993 que la loi sur l’indépendance totale de la Banque de France a été votée.

La Banque de France a joué le rôle de banquier central au service de la politique monétaire décidée par le gouvernement de 1936 jusqu’en 1994. Cette pratique est interdite depuis la création de la zone euro et la Banque centrale européenne BCE. La BCE n’a pas le droit d’apporter directement des financements aux besoins de l’État. Elle n’a pas le droit de financer les déficits publics par la création monétaire.

Les partenaires sociaux jouaient encore un rôle prépondérant dans la gestion de la Sécurité sociale. Les syndicats et le patronat géraient l’assurance chômage. La réforme Boulin en 1971 vise à relever sensiblement le niveau des pensions et en 1972 la retraite complémentaire devient obligatoire. Depuis, la gestion paritaire a été soumise de façon croissante à une tutelle publique et à des réformes législatives récurrentes qui visaient essentiellement à réduire les dépenses de l’État.

L’euro. « Le chiffre fait très mal : chaque Français aurait perdu environ 56 000 euros sur la période 1999-2017″. C’est en tout cas ce qu’affirme une étude réalisée par le centre de politique européenne de Fribourg (Allemagne), soit environ 3 304 milliards d’euros. Vingt ans après la mise en place de la monnaie unique. Emmanuel Todd dans son livre Les Luttes de classes en France au XXIe siècle aux éditions du Seuil, arrive à la même conclusion de la perte du pouvoir d’achat par les Français avec l’introduction de l’euro.

Selon Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, l’euro au lieu de rapprocher les Européens a fini par les diviser et plomber l’économie. En d’autres termes, l’euro a contribué à un ralentissement économique et à des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages européens.

L’euro est un frein à la croissance dans l’Union économique et monétaire. Quatre sous-périodes se distinguent : 1985-1991, 1992-1998, 1999-2016 et 2017-2022 pour 3 zones : monde, États-Unis et zone euro (données Banque mondiale).

 

ooo

Dans la plupart des pays, l’introduction de l’euro n’a pas provoqué l’accélération promise de la croissance. Pour d’autres, l’accélération de la croissance s’est accompagnée de l’accroissement de déséquilibres structurels. Il faut réajuster aujourd’hui son taux de conversion au temps et à la réalité du poids de chaque pays dans la zone euro. Le traité de Lisbonne ne contient aucun mécanisme permettant la sortie de la zone euro.

La crise de 2008. Déclenchée aux États-Unis en 2007-2008, la crise des subprimes trouve son origine dans un excès d’endettement des particuliers. En 2008, face à cette crise, les banques centrales européennes ont abaissé leurs taux, ont injecté des liquidités et ont acheté de la dette publique et privée. La BCE a injecté 4 000 milliards d’euros de 2011 à 2017. En 10 ans, la crise financière a coûté approximativement 1 541 milliards d’euros à la France en termes de produit intérieur brut (PIB) selon les calculs d’Éric Dor, directeur des études économiques à IESEG School of Management. La dette de la France a augmenté de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans entre 2007 et 2017. Pour la même période, le total de remboursement d’intérêts des dettes, à lui seul, s’est élevé à 500 milliards d’euros.

Le nombre de chômeurs indemnisés en France au sens du Bureau international du Travail (BIT) est ainsi passé de moins de 2 millions à près de 2,8 millions, une hausse de 40% entre mi 2008 et mi 2014. Le taux de chômage a augmenté de 7,3% à 10,5% de la population active.

Les taux de croissance de la productivité, très bas dans les années 1970-1980 (en moyenne inférieurs à 1% alors qu’ils se situaient autour de 3% dans les années 1960). La productivité du travail a progressé de manière régulière d’environ 1,3% de 1990 à la crise de 2008-2009. Après la crise de 2008, elle a connu une chute inédite de 2,6 points. Pour la période 2010-2016, la productivité a recommencé à croître, mais à un rythme de 0,9% inférieur à celui d’avant crise.

La pandémie. Déclenchée en Chine, l’impact économique du coronavirus (COVID-19) a été violent. Si l’on fait le compte total, sur les trois années frappées par la crise sanitaire (2020, 2021 et le début 2022), la facture de la crise sanitaire dépasse les 140 milliards d’euros.

Afin de faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de COVID-19, en juillet 2020, l’Union européenne a mis sur pied un plan de relance de 806,9 milliards d’euros, 750 milliards d’euros au prix de 2018 (Next Generation EU). Ce plan octroie des subventions (338 milliards d’euros) et des prêts pour soutenir les réformes et les investissements (385 milliards d’euros) dans les États membres de l’UE. Ils ont décidé de s’endetter en commun et de rembourser cet emprunt de 2028 à 2058 (30 ans). La France a bénéficié de 40,3 milliards d’euros.

Pour la productivité du travail, avant la nouvelle crise sanitaire, de 2016 à 2019, les entreprises françaises accumulaient une productivité de +3,8%, 1,7% de cette productivité sera perdue en 2020. Depuis la crise sanitaire, d’après Dares, le niveau de productivité au travail continue de diminuer. En 2022 elle a baissé de 3% par rapport à 2019. In fine, de 1990 à 2022, la France a gagné en 33 ans en moyenne 0,85% par an.

Le Traité de Lisbonne. Adopté en 2007, le Traité de Lisbonne encadre actuellement le fonctionnement de l’UE. « Il a été engagé à la suite du résultat négatif de deux référendums sur le traité constitutionnel tenus en mai et juin 2005« . Le but de ce Traité était de favoriser la croissance et l’emploi tout en maintenant la compétitivité de l’économie européenne.

On s’aperçoit aujourd’hui, dans un contexte international ébranlé, marqué par une guerre à la porte de l’Europe, une nouvelle guerre au Moyen-Orient et une tension entre la chine et les États-Unis, que ce Traité n’a pas créé le renouveau voulu des modèles capitalistes européens. Il a cherché à réformer un modèle néolibéral par un mouvement de réformes structurelles (retraite, chômage, etc.). Depuis le début des années 1990, 7 réformes se sont succédé pour rétablir l’équilibre financier des régimes des retraites. À partir de la convention de 1979, qui marque une rupture avec la période 1958-1979, l’assurance-chômage ne fonctionne plus comme une assurance et les conditions sont de plus en plus restrictives.

Pour la première fois, la poussée des partis extrémistes, des partis nationalistes ou des partis populistes de gauche ou de droite, etc., s’observe dans une large majorité de pays européens. Cette droitisation pose une question du renouveau de l’économie européenne.

L’économie française est mise en déséquilibre par les dettes publiques, donc la solution, pour sauver la France, est de supprimer les emprunts d’État.

Les aides publiques aux entreprises sont en très forte hausse depuis les années 2020. La Cour des comptes estime à 260,4 milliards d’euros le soutien financier total pour les années 2020-2022 (y compris les prêts garantis et report du paiement des cotisations sociales). Le ministère du Budget évoque un montant de l’ordre de 140 milliards d’euros d’aides d’État en 2018 et l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) évalue à 157 milliards d’euros le montant global en 2019. Le bilan de ces mesures est jugé contrasté. Mais si l’État avait investi des milliards d’euros au lieu de soutenir les entreprises ?

Une étude réalisée dans l’essai Vers une économie écosociale pour sortir des crises (édition Vérone) montre un redressement spectaculaire des comptes publics de la France en 5 ans de 2020 à 2024 si cet argent avait été investi pour stimuler la croissance en temps de crise.

Pourquoi ne pas recourir à l’épargne des ménages pour soutenir l’économie sous forme de livrets réglementés (5 000 milliards d’euros en 2019 et 6 185,60 milliards d’euros fin 2023). D’après l’OFCE l’étude Investissement public, Capital public et croissance, coordonnée par Xavier Ragot et Francesco Saraceno, en période de crise et en particulier lorsque la politique monétaire atteint la borne zéro des taux d’intérêt, les investissements auront un effet de création de richesse estimée à un multiplicateur de 2 et 60 centimes rendus à l’État pour chaque euro investi.

Il s’agit d’investir chaque année : 100 milliards d’euros pour le pacte vert français ; 40 milliards d’euros pour le pacte dépendance et handicap ; 50 milliards d’euros pour le pacte républicain de solidarité ; 80 milliards d’euros pour le pacte ruralité et 10 milliards d’euros pour le développement responsable des PME-PMI.

Les résultats. À fin 2024, avec 6,1 millions de personnes inscrites à France Travail et une création de 5,26 millions d’emplois avec une réduction du coût public de 105,2 milliards d’euros, il y a bien un retour comme dans les années 1970 à moins de 1 million de chômeurs.

La dette publique tomberait à 1 494,86 milliards d’euros avec un taux d’endettement de 28,65%. La création de richesse par an est de 560 milliards d’euros avec 168 milliards d’euros de nouvelles recettes dans les caisses de l’État.

L’idée est d’investir pour soutenir une croissance supérieure à l’inflation et protéger les épargnes des ménages ; lutter contre les déserts médicaux et le déclin de l’espace rural ; atteindre la neutralité climatique tout en créant des emplois et en améliorant la qualité de vie ; freiner la poussée des extrêmes ; réformer le modèle néolibéral vers une économie écologique sociale et citoyenne et sortir de la démocratie de la rancune.

Sciences: Comment le cerveau a-t-il évolué ?

Sciences: Comment le cerveau a-t-il évolué ?

La nature singulière et les capacités exceptionnelles du cerveau humain ne cessent de nous surprendre. Sa forme arrondie, son organisation complexe et sa longue maturation le distinguent du cerveau des autres primates actuels, et plus particulièrement des grands singes auxquels nous sommes directement apparentés. À quoi doit-on ses spécificités ? Puisque le cerveau ne fossilise pas, il faut chercher la réponse dans les os du crâne retrouvés sur les sites paléontologiques pour remonter le cours de l’histoire. La boîte crânienne renferme des empreintes du cerveau qui constituent de précieuses données sur les 7 millions d’années d’évolution de notre cerveau qui nous séparent de notre plus vieil ancêtre connu : Toumaï (Sahelanthropus tchadensis).

 

, Paléoanthropologue (CNRS), Université de Poitiers dans The Conversation 

Pendant la croissance, le cerveau et son contenant, le crâne, entretiennent un lien étroit et, par un processus de modelage et remodelage, l’os enregistre la position des sillons à la surface du cerveau qui délimitent les lobes et les aires cérébrales. À partir de ces empreintes, les paléoneurologues cherchent à reconstituer l’histoire évolutive de notre cerveau (par exemple, quand et comment les spécificités cérébrales humaines sont apparues ?), mais également à élaborer des hypothèses sur les capacités cognitives de nos ancêtres (par exemple, quand ont-il commencé à fabriquer des outils ?).

L’Afrique du Sud a joué un rôle central dans la recherche et la découverte d’indices sur les grandes étapes de l’évolution de notre cerveau. Les sites paléontologiques situés dans le « Berceau de l’Humanité », classé au patrimoine mondial par l’Unesco, sont particulièrement riches en fossiles piégés dans d’anciennes grottes dont les dépôts sont aujourd’hui exposés à la surface.

Parmi ces fossiles, on compte des spécimens emblématiques comme « l’enfant de Taung » (3-2,6 millions d’années), le tout premier fossile de la lignée humaine découvert sur le continent africain qui sera à l’origine du genre Australopithecus, ou « Little Foot » (3,7 millions d’années), le squelette le plus complet d’Australopithecus jamais mis au jour (50 % plus complet que celui de « Lucy » découvert en Éthiopie et daté à 3,2 millions d’années). Ces sites exceptionnels ont ainsi mené à la découverte de crânes relativement complets (par exemple « Mrs Ples » datée à 3,5-3,4 millions d’années), ainsi que de moulages internes naturels de crânes (par exemple celui de « l’enfant de Taung »), préservant des traces du cerveau de ces individus fossilisés qui ont été étudiés par des experts et ont servi de référence depuis des décennies.

Malgré la relative abondance et la préservation remarquable des spécimens fossiles sud-africains relativement aux sites contemporains est-africains, l’étude des empreintes cérébrales qu’ils conservent est limitée par la difficulté à déchiffrer et interpréter ces traces.

Devant ce constat, notre équipe constituée de paléontologues et de neuroscientifiques a cherché dans un premier temps à intégrer, dans l’étude des spécimens fossiles, les compétences techniques développées en imagerie et en informatique.

Nous avons alors mis en place le projet EndoMap, développé autour de la collaboration entre des équipes de recherche françaises et sud-africaines, dans le but de pousser plus loin l’exploration du cerveau en y associant des méthodes de visualisation et d’analyses virtuelles.

À partir de modèles numériques 3D de spécimens fossiles du « Berceau de l’Humanité » et d’un référentiel digital de crânes de primates actuels, nous avons développé et mis à disposition une base de données unique de cartographies pour localiser les principales différences et similitudes entre le cerveau de nos ancêtres et le nôtre. Ces cartographies reposent sur le principe d’atlas traditionnellement utilisé en neuroscience et ont permis à la fois une meilleure connaissance de la variabilité dans la distribution spatiale des sillons du cerveau humain actuel et l’identification des caractéristiques cérébrales chez les fossiles. En effet, certains désaccords scientifiques majeurs dans la discipline sont la conséquence de notre méconnaissance de la variation inter-individuelle, qui entraîne une surinterprétation des différences entre les spécimens fossiles.

Cependant, EndoMap fait face à un défi majeur dans l’étude des restes fossiles, comment analyser des spécimens incomplets ou pour lesquels certaines empreintes cérébrales sont absentes ou illisibles ? Ce problème de données manquantes, bien connu en informatique et commun à de nombreuses disciplines scientifiques, est un frein à la progression de notre recherche sur l’évolution du cerveau.

Le bond technologique réalisé récemment dans les domaines de l’intelligence artificielle permet d’entrevoir une solution. En particulier, devant le nombre limité de spécimens fossiles et leur caractère unique, les méthodes d’augmentation artificielle des échantillons pourront pallier le problème d’effectif réduit en paléontologie. Par ailleurs, le recours à l’apprentissage profond à l’aide d’échantillons actuels plus complets constitue une piste prometteuse pour la mise au point de modèles capables d’estimer les parties manquantes des spécimens incomplets.

Nous avons alors invité à Johannesburg en 2023 des paléontologues, géoarchéologues, neuroscientifiques et informaticiens de l’Université du Witwatersrand et de l’Université de Cape Town (Afrique du Sud), de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), de l’Université de Toulouse, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris et de l’Université de Poitiers à alimenter notre réflexion sur le futur de notre discipline au sein du colloque « BrAIn Evolution : Palaeosciences, Neuroscience and Artificial Intelligence ».

Cette discussion est à l’origine du numéro spécial de la revue de l’IFAS-Recherche, Lesedi, qui vient de paraître en ligne et qui résume les résultats de ces échanges interdisciplinaires. À la suite de cette rencontre, le projet a reçu le soutien financier de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS dans le cadre l’appel d’offres « Jumeaux numériques : nouvelles frontières et futurs développements » pour intégrer l’IA à la paléoneurologie.

Comment éviter la crise de régime

Comment éviter la crise de régime

 Tout en rappelant le contexte politique et historique de la situation politique française abracadabrantesque, le groupe Mars analyse les possibles conséquences des élections législatives d’une victoire du RN ou du Front populaire dans le domaine de la défense. Par le groupe de réflexions Mars. ( dans la Tribune)

Les sondages disaient donc vrai ! Aux élections européennes du 9 juin dernier, près d’un électeur sur trois a choisi, parmi 38, la liste Bardella et 40% des électeurs ont voté pour une liste classée à l’extrême-droite. En cumulant l’ensemble des listes classées à l’extrême-gauche, le total des votes hostiles à la construction européenne actuelle est majoritaire en France. Le chef de l’État en a tiré une conclusion politique tout aussi radicale que ce vote annoncé : il a dissous l’Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives dès que possible. La France aura donc un nouveau Premier ministre le 14 Juillet …

A vrai dire, cet enchaînement institutionnel ne devrait pas constituer une surprise. La crise politique couvait depuis que les précédentes élections législatives il y a deux ans n’avaient pas permis de donner au président une majorité claire. La surprise est ailleurs : dans l’ampleur du soutien populaire dont jouit dorénavant le Rassemblement national (RN), tant géographiquement que sociologiquement. Un exemple suffit à illustrer l’ampleur du phénomène : à l’exception d’une poignée restée fidèles à la tradition de vote rouge, dans toutes les communes de Haute-Vienne le RN est arrivé en tête, et largement.

A Oradour-sur-Glane, où le chef de l’État se trouvait au lendemain de sa déroute électorale, le RN a séduit 36% des votants. Le résultat est similaire dans les communes environnantes et dans quasiment tout le département, y compris Limoges. Inimaginable encore en 2017, un tel résultat devrait provoquer une remise en cause radicale du discours et de la pensée politique. Il n’en est rien.

 Plutôt que de reconnaître son erreur historique d’avoir abandonné l’électorat populaire à l’extrême-droite, la gauche se fait plaisir en annonçant un nouveau « Front populaire ». Sympathique, mais pitoyable. N’est-ce pas Karl Marx qui disait que lorsque l’histoire se répète, c’est la première fois comme une tragédie, et la seconde comme une farce. Il est malgré tout intéressant de tenter de comparer les deux époques. Quand, en 1934, la gauche marxiste française décide d’oublier pour un temps les haines recuites du congrès de Tours, rejointe par des radicaux en perte d’influence, la France, atteinte avec un temps de retard par la crise économique, est menacée par le révisionnisme des dictatures fascistes qui s’installe chez ses plus grands voisins : Italie, Allemagne et prochainement Espagne.

Sur le front intérieur, la menace fasciste semble également se concrétiser depuis les évènements du 6 février qui ont vu les Ligues d’extrême-droite s’en prendre au Parlement. Quant à la condition ouvrière, elle est encore très difficile : en-dehors du paternalisme du patronat chrétien, les avancées sociales sont maigres, tant en termes de conditions de travail, de loisirs, de logement et de protection sociale, et les travailleurs se voient comme « des esclaves en location ».

90 ans plus tard, la situation est tout de même fort différente. La condition ouvrière ne ressemble en rien à celle d’avant 1936, la France n’est pas menacée par ses voisins immédiats et s’il existe une violence politique depuis 50 ans, elle est essentiellement le fait de l’extrême-gauche, des terroristes rouges des « années de plomb » à l’activisme vert radical d’aujourd’hui. Quant à l’antisémitisme, c’est encore à l’extrême gauche qu’il s’exprime aujourd’hui sans retenue. S’il n’est pas de même nature que dans les années trente, la haine du Juif est la même.

Dans ces conditions, la résurgence officielle d’un soi-disant « Front populaire » est problématique pour la crédibilité-même de la gauche, et donc de son avenir politique au sein de la République. L’idéologie révolutionnaire partagée par toutes les chapelles du trotskisme a fait suffisamment de mal à la social-démocratie. Au contraire, c’est sur sa vocation originelle de protection des couches populaires que la gauche doit se reconstruire un avenir afin de récupérer son électorat naturel quand il aura été suffisamment déçu par un RN directement confronté à l’exercice du pouvoir.

En se déplaçant plus au centre de l’hémicycle, le bloc libéralo-centriste n’est pas non plus épargné par les contradictions. Son « progressisme » auto-proclamé est au progrès social ce que le nationalisme de l’extrême-droite est à l’idée de nation : une trahison. Le progrès social (cf. les réformes des retraites et de l’assurance chômage) et les libertés individuelles (cf. la société du QR code et de la reconnaissance faciale) n’ont jamais autant régressé depuis que le pouvoir se dit progressiste. Est-ce qu’un pouvoir qui se dit nationaliste portera autant atteinte aux intérêts de la nation ?

Or le progrès comme la nation sont des idées de gauche. Celle-ci ne peut se reconstruire politiquement sans les assumer à nouveau, non comme des slogans mais pour répondre aux vrais besoins des gens. Ces besoins sont bien connus, à commencer par le sentiment d’insécurité sous toutes ses formes. Mais on ne lutte pas contre l’insécurité, qu’elle soit physique, sociale, culturelle ou relative aux intérêts vitaux de la nation. L’insécurité en tant que telle n’existe pas, c’est juste un slogan, un mot destiné à surtout ne rien faire. Par contre, c’est une réponse pénale adaptée qu’il faut opposer au crime, organisé ou non. C’est un filet de protection sociale raisonnable et adapté qu’il faut entretenir face aux accidents de la vie. C’est une culture particulière qu’il faut préserver et enrichir face à l’appauvrissement des écrans. Et c’est un ennemi, étatique ou non, qu’il faut se préparer à combattre s’il nous agresse.

De la même façon, l’immigration en tant que telle n’est pas un problème, du moins pour une vision de gauche. Par contre, quand on accueille des immigrés, il faut les accueillir vraiment, en leur partageant ce que nous avons de meilleur : notre sécurité (physique et sociale), notre culture, nos valeurs. On ne les laisse pas croupir dans des ghettos où ils s’enferment entre eux dans leurs valeurs réactionnaires sans autre perspective qu’une instruction au rabais et une éducation défaillante pour leurs enfants.

Tous ces défis, la gauche aurait pu et aurait dû les assumer quand elle était au pouvoir. Le fait est qu’aujourd’hui, une majorité de Français, considérant qu’elle a échoué, s’apprête à donner sa chance à un parti aux origines pour le moins controversées. Nul n’ignore que le RN est l’héritier direct du FN qui était il y a 50 ans un groupuscule d’extrême-droite fondé par un ancien député poujadiste antigaulliste qui ne répugnait ni à la violence ni à la provocation. Transformé par la fille du fondateur, le groupuscule a acquis en quelques années une respectabilité nourrie par la somme des erreurs de ses adversaires politiques.

Et voilà aujourd’hui l’ancien groupuscule devenu premier parti de France et peut-être demain majoritaire dans une Assemblée toujours élue par un mode de scrutin qui lui était jusqu’à présent défavorable. Ironie de l’histoire et des institutions, c’est grâce au scrutin majoritaire à deux tours que le RN pourrait demain emporter la majorité absolue des sièges avec moins d’un tiers des voix.

La bonne nouvelle, c’est que son (éventuelle) accession au pouvoir sous le régime de la cohabitation lui évitera de commettre l’irréparable dans bien des domaines, à commencer par celui qui intéresse le groupe Mars au premier chef, à savoir la défense. Réputé hostile à la présence de la France dans l’OTAN, le RN ne parviendra pas à en sortir notre pays du fait de l’opposition du chef des armées (et de tous les chefs militaires) à cette perspective.

Quitter l’OTAN serait en effet une catastrophe pour notre pays, tant du point de vue diplomatique qu’économique, et finalement pour notre sécurité. Vis-à-vis de ses alliés, la France perdrait une crédibilité qu’elle peinerait à reconquérir sous la forme de traités bilatéraux. Quant à ses ennemis potentiels, ils se réjouiraient de l’affaiblissement de sa défense. Car remplacer les garanties de sécurité d’une alliance aussi puissante que l’OTAN aurait un coût que nos finances publiques délabrées ne pourraient pas se permettre. Il en résulterait un déclassement historique de la nation France. Trahison, vous dit-on !

A l’inverse, l’autre bonne nouvelle de ces élections européennes, c’est la déroute des listes dont le programme prévoyait de consacrer davantage de moyens à l’Union européenne de défense, comme disent les Allemands. Il faut dire que la ficelle était un peu grosse : annoncer comme priorité la création d’un fonds de cent milliards d’euros pour la défense, de la part de listes dont les matières régaliennes n’étaient pas le point fort, cela sonnait étrangement faux. Il faut en effet rappeler que l’argent magique n’existe pas et que, par conséquent, si l’UE dépense 100 en plus, la France sera ponctionnée au bas mot de 18, et plus probablement de 20, voire plus en fonction de la position des autres États membres.

En milliards d’euro, cela correspond exactement à une annuité d’investissements dans des équipements de défense, c’est-à-dire le minimum du minimum pour faire face aujourd’hui aux menaces et à nos engagements. Créer un « fonds de défense » à cent milliards reviendrait en réalité à priver notre pays d’une annuité d’achats d’armements et de munitions. Une saignée complètement irresponsable. Ces listes proposaient donc ni plus ni moins que d’affaiblir notre défense au profit d’une avancée de la construction européenne. Et l’on s’étonne ensuite du résultat..

L’effondrement de l’axe central du paysage politique française au profit de ses franges extrémistes tient sans doute moins à l’adhésion spontanée de l’électorat aux discours radicaux qu’à la médiocrité du personnel politique incarnant cet axe central et son incapacité à affronter les vrais défis. La fuite en avant vers le fédéralisme européen (et un inepte discours guerrier tenant lieu de soutien à l’Ukraine agressée) n’est que la conséquence de la vacuité de ses convictions et de son inaptitude à penser la politique dans son cadre naturel qu’est la nation.

Nous voilà donc revenus à l’état naturel d’un affrontement droite-gauche, mais dans sa version monstrueuse. Soucieux avant tout de préserver quelques sièges et les financements qui vont avec, la gauche et la droite modérées s’estiment contraintes, sous la pression de leur électorat respectif, de se livrer aux radicaux de leur « camp ». Tel est l’héritage de l’ère Macron, qui restera sans doute dans l’histoire comme l’illustration d’une mauvaise réponse à une bonne question.

Car le « populisme » de droite ou de gauche ne prospérerait pas sans une réalité que les « modérés » n’ont pas voulu voir et encore moins affronter. La seule réponse raisonnable au défi posé par l’échec de l’axe central est la reconstruction d’une offre politique fondée sur le progrès social et la défense nationale dans toutes ses dimensions, sécuritaire bien-sûr, mais tout autant culturelle et économique. Il n’y aura sans doute pas d’autre solution face à la crise de régime qui s’annonce, quand les institutions resteront bloquées faute de majorité claire et que toute nouvelle dissolution sera suspendue à l’expiration des délais constitutionnels. Le problème est que, à ce jour, cette offre nouvelle n’est pas incarnée. Or la Ve République, au contraire de celles qui ont précédé, exige de mettre un visage et un nom sur un programme.

                     —————————————————————–

* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

Européennes : comment les votes sont influencés

Européennes : comment les votes sont influencés
 À l’approche des élections européennes de 2024, il apparaît que les enjeux géopolitiques mondiaux ainsi que les sondages pré-électoraux influencent significativement les orientations politiques des partis et les décisions des électeurs. Cette tribune explore comment les crises internationales, les sondages et les stratégies réactives des partis politiques s’entremêlent, avec un accent particulier sur les risques de renforcement des partis extrêmes par les stratégies actuellement menées, tout en soulignant comment ces facteurs convergent pour redéfinir le paysage politique de l’Union européenne. Par Véronique Chabourine, membre du bureau de l’association Renew Europe France Paris, déléguée chargée de la communication dans La Tribune.

En 2024, décrite par l’agrégateur de sondage Europe Elects comme « l’année des élections », la moitié de la population mondiale vit dans des pays ayant voté ou devant voter.

Cependant, le récent rapport d’indice des démocraties, V-Dem, révèle que 56% de cette population est sous le joug d’autocraties électorales ou fermées, une hausse de 8% depuis 10 ans, soulignant un déclin démocratique notable puisque seulement 16% de la population mondiale bénéficient d’une démocratie électorale, niveau le plus bas depuis 1998.

D’après l’indice de démocratie 2023 de l’Economist Intelligence Unit, 15 États membres de l’Union européenne sont classés en « pleine démocratie », les autres, dont la France, se trouvent en « démocratie imparfaite ». Selon ce classement, être en « démocratie imparfaite » est souvent le signe d’une défiance politique, et d’un niveau de participation électorale faible malgré une gouvernance électorale libre. Dans le contexte actuel, marqué par des crises, économiques post-pandémiques, environnementales et géopolitiques, les électeurs se tournent de plus en plus vers des solutions radicales.

L’incertitude économique, les défis climatiques et les tensions internationales alimentent les discours populistes, comme celui de Donald Trump, qui en prévision de l’élection présidentielle américaine utilisent des rhétoriques de protectionnisme économique, anti-immigration, anti-avortement et anti-OTAN pour polariser. De même en Europe, ces mêmes crises alimentent la montée des partis d’extrême droite, qui capitalisent sur une défiance croissante envers les institutions, sur les diverses crises avec une sensibilité accrue aux questions de souveraineté et d’identité nationale, le dernier sondage du laboratoire d’opinion Cluster17 montre que pour 26% des Français, c’est la sécurité suivie de l’immigration pour 15% (choix unique) qui motive leur vote le 9 juin.

En troisième position, 10% se déplaceront aux urnes pour le pouvoir d’achat. Depuis le début du mois de mai, plus de 83 études d’opinion en France ont été recensées par l’agrégateur de sondage Toute l’Europe permettant de dessiner les intentions de vote du 9 juin, et plaçant le Rassemblement national avec Jordan Bardella en tête des sondages, avec plus de 30%, soit un score deux fois plus important que celui de la liste Besoin d’Europe menée par Valérie Hayer.

Tous les sondages s’accordent à publier les mêmes tendances, dessinant ainsi la popularité d’un candidat par l’effet bandwagon, processus par lequel un candidat en tête des sondages devient plus populaire et augmente ses chances d’obtenir des voix ; les sondages peuvent influencer les électeurs ; les médias tendent à se concentrer sur les candidats qui mènent dans les sondages, ce qui peut également influencer l’opinion publique. Une étude publiée dans la revue PLOS ONE révèle que l’exposition répétée aux noms de politiciens a un effet mesurable sur les préférences des individus.

La couverture médiatique qu’elle soit neutre, positive ou négative peut rendre les candidats plus familiers. Si les sondages participent à influencer les électeurs, ils participent également à façonner les programmes de campagne des partis. Ainsi les partis incluent davantage dans leurs projets européens, la défense, la sécurité et l’immigration, qui sont traditionnellement les axes de campagne des partis d’extrême droite, c’est le cas de la liste Besoin d’Europe avec pour « premier combat » : la défense et la diplomatie, la sécurité intérieure et la maîtrise des frontières, la liste Place Publique, elle, oriente sa première ligne de programme sur la défense européenne. Au-delà des programmes politiques et des conditions contextuelles, les qualités personnelles des candidats, leur résonance sociologique et leur visibilité sur les réseaux sociaux ont un impact direct sur les résultats électoraux.
Selon des recherches publiées par le Multidisciplinary Digital Publishing Institute (MDPI), les traits de caractère et la communication personnelle des candidats influencent fortement le choix des électeurs, qui recherchent une résonance personnelle avec les candidats. Cette dynamique peut apporter des éléments de réponse au leader dans les sondages, Jordan Bardella, malgré un relativement maigre bilan de son parti au parlement européen.

Les stratégies des deux partis donnés en tête des sondages, après le Rassemblement national respectivement, Besoin d’Europe (incluant Renaissance) et Place Publique peuvent risquer en cherchant à apaiser les thèmes traditionnels de l’extrême droite, comme la sécurité intérieure, la défense ou l’immigration renforcer ces mêmes partis. De même qu’en mettant l’accent sur les crises ou l’opinion publique est plus encline à soutenir l’extrême droite.

Lors des élections européennes, les électeurs ont tendance à privilégier les enjeux nationaux plutôt que les questions spécifiquement européennes, ainsi les questions économiques et sociales nationales devraient dominer l’agenda électoral même lors d’un scrutin européen.

Comment représenter la nature dans les grandes orientations

 Comment représenter la nature dans les grandes orientations

 

Si un discours non anthropocentré est moralement souhaitable, il soulève de nouvelles difficultés pour les organisations, observent les chercheurs Benoît Demil, Xavier Lecoq et Vanessa Warnier dans une tribune au « Monde ».

 

Les débats sur la protection de la nature sont nombreux aujourd’hui et mettent aux prises des acteurs qui représentent des intérêts différents, parfois divergents. La question de la représentation de la nature elle-même se pose. Le mot « représentation » peut se comprendre ici de deux manières. La première concerne la façon dont nos imaginaires contemporains se figurent cette nature. Le domaine de l’art s’est emparé de cette version de la représentation depuis le XVe siècle, en peinture notamment : d’un arrière-plan mettant en lumière un portrait ou une scène, la nature est devenue progressivement un sujet en soi dans nos images comme dans nos imaginaires.

Le second sens de la représentation concerne la façon d’inclure la nature dans les débats et les prises de décision relatifs aux aménagements du territoire, à l’usage des ressources naturelles et, plus généralement, aux activités humaines. Evidemment, les deux perspectives sont liées : l’inclusion du vivant ou de paysages dans les décisions dépend largement de la conception de la nature dans nos sociétés.

Après de nombreux pays européens, la France a finalement interdit cette pratique en prévoyant cependant un moratoire de sept ans pour permettre aux cirques de s’adapter …..

Comment gérer les risques chimiques des PFAS

Comment gérer les risques chimiques des PFAS

Alors que le projet de loi visant à interdire les PFAS, des polluants éternels, sera mis au vote à l’Assemblée nationale jeudi 4 avril, un collectif de scientifiques et de vulgarisateurs attire l’attention, dans une tribune au « Monde », sur la mise en doute de leur toxicité par des industriels, et appelle les responsables politiques à les interdire. 

Les PFAS, ou substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, sont des molécules fabriquées par l’homme et surnommées « polluants éternels » par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail à cause de leur stabilité et de leur caractère difficilement dégradable dans l’environnement. On compte plusieurs milliers de PFAS différentes.Un très grand nombre d’industries ont recours à ces molécules polluantes : extraction de ressources, chimie, électronique, agroalimentaire, BTP, médical, cosmétique, armement, etc. Un rapport de l’OCDE alerte par exemple sur la présence de PFAS dans plus de 90 % des emballages alimentaires, quand existent des alternatives plus saines et déjà connues.

Certaines industries sont responsables de rejets de PFAS dans l’environnement, tels que ceux observés au niveau des usines Arkema et Daikin dans la « vallée de la chimie », près de Lyon. Or, l’évaluation du risque sanitaire causé par chaque PFAS peut prendre des décennies.

Pour cette raison, nous demandons que les PFAS soient gérées comme une classe chimique unique, au nom de leur persistance et de leurs risques démontrés ou potentiels sur la santé humaine et environnementale. C’est là aussi une demande de plusieurs agences de sécurité sanitaire de l’UE, explicitée dans la proposition de restriction de l’utilisation des PFAS par les industriels déposée par cinq Etats européens, dont l’Allemagne, à l’Agence européenne des produits chimiques.

Or, lors de la réunion de la commission développement durable qui s’est tenue le 27 mars à l’Assemblée, une partie des débats s’est concentrée sur la différence entre « non-polymères » (tels que le PFOA, acide perfluorooctanoïque) et « polymères » (tels que le PTFE – polytétrafluoroéthylène –, plus connu sous le nom de Téflon pour son nom de marque déposé, utilisé dans les ustensiles de cuisine).

Au regard des amendements proposés dans le projet de loi, l’objectif est ainsi d’exclure les polymères de l’interdiction des PFAS, comme le souhaitent les industriels. Ces derniers défendent l’innocuité des polymères comme le PTFE sur l’argument que leur grande taille ne leur permet pas d’agir sur notre organisme….

Comment anticiper les futures pandémies ?

Comment anticiper les futures pandémies ?

Anticiper l’émergence de nouvelles maladies infectieuses est devenu l’un des défis majeurs de notre époque, comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie de Covid-19. La question n’est pas tant de savoir « si » une prochaine pandémie va se produire, mais bien plutôt « quand »… Pourrons-nous en détecter les signes avant-coureurs suffisamment tôt, afin de ménager aux agences de santé et aux structures étatiques un temps d’avance pour mettre en place une réponse adaptée ? Pour y parvenir, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dressé une liste de maladies présentant un risque de santé publique à grande échelle, en raison de leur potentiel épidémique et de l’absence, ou du nombre limité de traitements ou de mesures de contrôle. Si la majorité des affections répertoriées sur cette liste sont déjà connues (Ebola, Zika, MERS, etc.), on y trouve aussi une mystérieuse « maladie X ». Causée par un nouvel agent pathogène, cette hypothétique, mais probable, « maladie X », encore inconnue, pourrait engendrer une grave épidémie internationale, pour laquelle l’OMS appelle à se préparer.

 

par , Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

, Chargée de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Université de Guyane

, Postdoctoral research associate, Institut de recherche pou dans The Conversation

« Et surtout la santé ! » vous donne les clefs afin de prendre les meilleures décisions pour votre santé
Peut-on vraiment espérer deviner quels microbes pourraient nous menacer, quand la majorité d’entre eux sont encore inconnus des scientifiques ? À défaut de pouvoir lire l’avenir, le passé est riche d’enseignements très utiles pour prévoir les émergences, et déterminer les régions du globe à surveiller en priorité. Nos travaux de modélisation avaient notamment mis en évidence, avant la pandémie de Covid-19, le risque lié aux coronavirus circulant en Chine et en Asie du Sud-Est.

Quel avis éclairé peut-on émettre concernant les endroits où pourrait émerger la maladie X ? Voici un petit tour d’horizon des zones les plus à risques.

Comment identifier une maladie qui n’est pas encore apparue ?
Qu’elles soient dues à des virus, des bactéries, ou des parasites, ces dernières décennies, plus de 70 % des maladies infectieuses émergentes étaient d’origine animale (on parle de zoonoses).

Ces épidémies peuvent être causées par un agent pathogène jusqu’alors inconnu, ou par un pathogène déjà répertorié qui aurait conquis une nouvelle zone géographique, ou encore qui se serait modifié pour donner naissance à un nouveau variant.

L’étude et la détection des zones les plus à risque (aussi appelées points chauds) sont difficiles, car la façon dont les zoonoses se propagent dépend de la distribution spatiale de leurs réservoirs (les espèces animales sauvages ou domestiques qui abritent le pathogène sans développer de symptômes de la maladie), ainsi que de leurs hôtes mammifères (les espèces qui peuvent être contaminées et développer la maladie), ainsi que de leurs interactions avec l’être humain.

Des études montrent que l’émergence des maladies zoonotiques est étroitement liée aux paysages modifiés par ce dernier, tels que les forêts périurbaines fragmentées, qui perturbent l’interface humain-animal-environnement. Par conséquent, les principaux moteurs des maladies infectieuses émergentes) sont les processus écologiques, les modifications du paysage (en particulier liées au développement agricole), les changements dans les écosystèmes aquatiques, la déforestation et la reforestation.

Parmi les futurs coupables présumés : trois grandes familles de virus
S’il faut garder à l’esprit que certaines bactéries pourraient aussi être responsables de l’émergence de maladies, entre 2020 et 2024, ce sont principalement des virus qui ont été responsables de flambées épidémiques majeures

Les virus, et en particulier les virus à ARN, possèdent en effet des caractéristiques qui leurs confèrent un pouvoir d’émergence particulièrement important, parmi lesquelles ont peut citer : la petite taille de leur génome, la simplicité de leur code génétique, ou encore la taille de leurs populations composée de milliards de variantes virales résultant de mutations qui favorisent leur adaptation rapide aux contraintes de leurs hôte et/ou de leurs environnements. »
Flambées épidémiques majeures à travers le monde pour la période 2020-2024. N indique le nombre total par zone géographique, V indique les épidémies d’origine virale et B d’origine bactérienne. Organisation mondiale de la Santé
En regardant dans notre passé récent, nous savons que les virus non sexuellement transmissibles qui ont émergé au cours de ces dernières décennies et qui ont présenté les plus grands risques infectieux pour l’humanité appartenaient à trois grandes familles de virus, les Filoviridae (Ebola, Marburg…), les Coronaviridae (SARS-CoV-1 et SARS-CoV-2, MERS…) et les Henipavirus (virus Nipah, virus de Hendra…).

Particules du virus Ebola à la surface d’une cellule (micrographie électronique colorisée).
Particules du virus Ebola à la surface d’une cellule (micrographie électronique colorisée). National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIH, CC BY-NC
Il est donc fortement probable que la maladie X sera liée à un virus appartenant à une de ces 3 grandes familles. Il n’y a aucune certitude, mais au vu de l’expérience des dernières décennies, la probabilité qu’une maladie zoonotique émerge d’une famille de virus qui jusque-là n’aurait encore jamais été impliquée dans des épidémies est relativement faible.

S’il s’avérait, comme nous le supposons, la prochaine pandémie (concernant donc la maladie X) résultera bien de l’une de ces familles de virus, les conditions responsables de son émergence se retrouveront inévitablement liées à celles trouvées par le passé dans l’émergence de ces grandes familles de virus.
Partant de ce constat, nous avons caractérisé les conditions socio-environnementales et climatiques associées à l’émergence des virus appartenant à la liste établie par l’OMS. Cette approche « biogéographique » nous a déjà permis par le passé de prédire l’émergence de maladies infectieuses, ce qui témoigne de sa solidité.

Concrètement, il s’agit dans un premier temps d’intégrer les informations concernant la complexité spatiale du milieu (à l’aide de systèmes d’information géographique), la distribution des maladies infectieuses émergentes connues et leur environnement immédiat. Des modèles mathématiques permettent ensuite de mesurer le risque prédictif d’émergence de la maladie X.

Les données que nous avons utilisées proviennent de plusieurs sources : les températures maximales et minimales mensuelles, les précipitations et l’altitude proviennent de la base de données Bioclim (avec une résolution spatiale d’environ 4,5 km à l’équateur). Les données sur les changements d’utilisation des terres ont été tirées du jeu de données Global Human Modification of Terrestrial Systems.

Enfin, nous avons inclus une mesure de la densité de la population humaine (Gridded Population of the World). La distribution géographique et l’étendue spatiale des hôtes primaires et des mammifères réservoirs a été obtenu à partir de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

En modélisant ces facteurs d’émergences associés, nous sommes en mesure d’identifier quels sont les critères environnementaux augmentant le plus significativement le risque d’émergence. Il suffit ensuite de passer en revue toutes les zones géographiques dans le monde où ces critères d’émergences sont présents pour espérer obtenir une cartographie des zones où la maladie X pourrait se développer.

Quels facteurs pourraient être responsables de l’émergence de la maladie X ?
Les attributs naturels du paysage, tels que l’altitude, et les facteurs du paysage modifiés par l’être humain, tels que la déforestation et l’expansion de l’agriculture, influencent l’étendue spatiale des hôtes et des réservoirs de virus.

Par exemple, les altitudes élevées et les étendues d’eau peuvent jouer un rôle de barrières géographiques, en empêchant le déplacement des hôtes des virus. À l’inverse, des changements rapides du paysage comme la déforestation peuvent augmenter la probabilité de contact avec un hôte réservoir et, par conséquent, favoriser l’émergence de micro-organismes jusqu’alors inconnus de l’être humain.

L’augmentation de la température minimale a en général une influence directe sur l’émergence et la distribution des maladies émergentes. L’imprévisibilité des précipitations dues au changement climatique ont aussi un effet indirect sur l’émergence de la maladie par le biais de changements soudains dans les habitats des mammifères réservoirs, de la perte de biodiversité et de la migration des petits mammifères.
La déforestation liée aux activités humaines comme l’agriculture et l’élevage augmente le risque d’émergence. Shutterstock/Leonardo Dantas Teixeira
La perte de biodiversité conduit à la disparition des prédateurs et à la migration des petits mammifères vers les habitations humaines. Par exemple, une diminution de prédateurs peut provoquer un déséquilibre du rapport prédateur-proie dans l’écosystème, entraînant une augmentation des réservoirs de virus tels que les micromammifères et ainsi la transmission de virus par des vecteurs de maladies tels que les tiques.

La moindre diversité des espèces et les interactions interespèces facilitent la propagation du virus vers des hôtes humains accidentels. Lorsque la biodiversité est importante, cette propagation est plus difficile : c’est ce que l’on appelle « l’effet de dilution ».
En ce qui concerne les Filoviridae (Ebola, Marburg), nous avons observé que la température minimale et les précipitations étaient les prédicteurs significatifs des épidémies. Les émergences du virus Marburg sont par exemple corrélées positivement avec la température minimale, et négativement avec la température maximale. Pour le virus Ebola, c’est l’augmentation de la température minimale et les changements de la couverture terrestre induits par l’être humain qui favoriseraient l’émergence.

Cette dépendance spatiale directe de l’émergence de maladies infectieuses virales aux températures minimales est inquiétante. En effet, avec le changement climatique, l’augmentation des températures minimales nocturnes allonge la saison sans gel dans la plupart des régions de moyenne et haute latitude. L’ensemble de ces conditions pourraient donc favoriser l’émergence de la maladie X sous des latitudes plus larges.

Pour d’autres familles de virus comme les Coronaviridae, nous avons observé une influence significative de la densité de population et des changements d’occupation du sol sur la distribution des points chauds d’émergences. Dans d’autres cas, comme pour les Henipavirus, l’altitude semble jouer un rôle négatif alors que l’augmentation des changements du paysage induit par l’être humain et les précipitations moyennes favoriseraient leurs émergences.

L’émergence d’une maladie X serait probablement influencée par ces facteurs environnementaux, même si l’implication potentielle de variables « inconnues » (non utilisées dans nos études) est possible. Par exemple, nous avons constaté que les facteurs liés à l’être humain pouvaient aussi être impliqués, en particulier l’impact de la croissance démographique sur les paysages modifiés par les activités humaines, qui constitue un facteur prédictif commun à l’émergence de ces maladies infectieuses virales.
Les déplacements de chauves-souris peuvent être à l’origine de la dissémination de virus.
Des études ont établi l’impact de la déforestation et de la migration des chauves-souris sur l’apparition de maladies virales et la plupart des modèles ont montré une perte de couverture arborée à 100 km autour de l’apparition des maladies virales d’origines zoonotiques.

Où se trouvent les zones à risques d’émergence de la maladie X ?
Les points chauds d’émergence des maladies à Filoviridae se trouvent en Afrique dans les régions forestières de l’Ouganda, du Sud-Soudan et des parties orientales de la République Démocratique du Congo, avec des zones plus petites en Afrique occidentale et centrale, jusqu’à l’Angola.

En Afrique, les variables associées à ces émergences pourraient être liées aux comportements humains, tels que la consommation de viande de brousse, qui sont souvent associés aux épidémies du virus Ebola, à la perte de biodiversité ou même à d’autres co-variables bioclimatiques.

Les régions à haut risque pour l’émergence de maladies infectieuses causées par des Coronaviridae prédominent dans le sous-continent indien, avec quelques zones en Chine et en Asie du Sud-Est. Ces régions avaient pu être mises en évidence dès 2019.

Enfin, les points chauds d’émergence de maladie à Hénipavirus sont dispersés le long de la côte ouest de l’Inde au Bangladesh, le long de la côte en Malaisie et dans les petites zones de l’archipel Indonésien.

Lorsque nous synthétisons ces informations sur ces trois grandes familles de virus qui sont à l’origine des grandes épidémies de ces dernières décennies, nous trouvons que l’Ouganda et une partie de la Chine sont des régions du monde où les conditions socio-environnementales et climatiques pour l’émergence de la maladie X sont réunies.
Le nombre de grandes épidémies a été multiplié par plus de dix entre 1940 et aujourd’hui. Toutes ont été causées par un pathogène ayant émergé des continents africain et asiatique, et ce malgré le fait que des flambées épidémiques localisées se produisent régulièrement sur l’ensemble du globe.

De cette observation émerge un paradoxe qui concerne la non-contribution de l’Amérique du Sud à ces émergences majeures de maladies zoonotiques. Ce continent abrite en effet la plus riche diversité biologique de notre planète, avec environ 60 % de la vie terrestre mondiale (ainsi qu’une flore et une faune marine et d’eau douce extrêmement variée). La forêt amazonienne elle-même est un énorme réservoir de virus et de bactéries, tout comme la diversité des hôtes et des habitats qu’elle abrite. Pourquoi, alors, n’observe-t-on pas davantage d’émergences en provenance de ces régions ?

Parmi les hypothèses expliquant cette situation, on peut imaginer l’existence d’un effet de dilution encore très présent en Amazonie, qui reste relativement protégée par rapport aux forêts indonésienne ou camerounaise. Des facteurs liés à la sociologie des populations locales pourraient aussi jouer.
Il existe en Amazonie une diversité culturelle qui, combinée à la grande diversité biologique de la région, permet d’inventer de nombreuses façons de se soigner, en fonction non seulement de la culture, mais aussi du lieu de résidence (plus ou moins éloigné de la forêt, ou urbain). Cette situation a un effet direct sur l’émergence potentielle de maladies infectieuses zoonotiques, et sur le risque de leur propagation au-delà des communautés concernées.

Les différentes communautés s’organisent en effet pour faire face au risque d’épidémie zoonotique, avec une grande diversité de stratégies et de médecine (biomédecine, médecine traditionnelle) qu’elles utilisent pour faire face à la maladie. Cette meilleure compréhension de la perception de la biomédecine dans un contexte multiculturel et du rôle et de l’effet de la phytomédecine et des pratiques médicales traditionnelles (chamanisme, obia, guérisseurs, vaudou, etc.) éclaire nos modèles sur le rôle des activités culturelles dans le risque d’émergence de maladies zoonotiques.

Enfin, la relative faible densité de population sur un vaste territoire pourrait aussi être envisagée comme une des raisons d’une contribution réduite de l’Amérique du Sud dans les grandes émergences de maladies zoonotiques. Quoi qu’il en soit, au vu des décennies passées, il semble peu probable que la maladie X émerge depuis le continent sud-américain.
La science des données (et la biogéographie en particulier) nous apprend que l’émergence d’une maladie X qui frapperait notre espèce ne sera pas liée au hasard. Elle dépendra vraisemblablement de facteurs environnementaux tels que les modifications du paysage (en particulier la perte de couverture arborée) et les variations climatiques.

L’utilisation d’une approche biogéographique et d’images satellites nous a permis d’identifier des points chauds potentiels ou cette émergence pourrait se produire. Dès 2019, et en l’absence de données spécifiques sur la maladie qui surviendra ! Inutile, donc, de crier au complot lorsqu’on prédit un tel événement…

La perturbation des écosystèmes, en entraînant le déplacement des agents pathogènes et de leurs hôtes, entraînera certainement d’autres émergences. Dans un monde où les échanges globalisés favorisent les diffusions rapides et à grande échelle, savoir où braquer notre regard sera primordial pour espérer éviter de revivre une pandémie telle que celle de 2020.

12345...11



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol