«Relocalisation: comment ? »
La chronique de Tanguy Tauzinat et Thomas Duteil dans l’Opinion
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» De ces semaines de confinement propices à un foisonnement de réflexions sur l’avenir de notre économie, une opinion se dégage qui, si elle n’a rien de nouveau, semble enfin avoir pris la place qui s’impose : il est urgent de reconstituer notre patrimoine industriel alors que nous nous sommes dépouillés année après année de notre souveraineté économique.
Mais la relocalisation, comme la transition écologique, ne se décrète pas. Elle exige un changement de comportement et de priorités. Comme on ne construit pas un château sur du sable, on ne pourra relocaliser une industrie que si ses fondations reposent sur un écosystème solide. Un tissu compétitif et dense de fournisseurs et de sous-traitants, de sociétés de maintenance et de distribution, de bureaux d’études… Ces entreprises ne sont pas des géants. Ce sont des PME beaucoup moins visibles que les start-up qui font la Une avec des millions levés malgré des business models restant souvent à démontrer. Ces PME régionales, souvent premiers employeurs locaux, fournissent pourtant des produits et prestations de première qualité. Même souvent dépourvues d’avance technologique majeure, elles aussi innovent, se réinventent et détiennent des savoirs faire humains concrets.
. Si l’on souhaite réussir la relocalisation, il y a urgence car ces PME sont paradoxalement délaissées. Un constat étonnant à l’heure où les fonds de capital investissement français détiennent des sommes colossales à investir. Mais ces investisseurs n’ont, pour beaucoup d’entre eux, plus aucun désir d’investir dans des PME. Ils réservent aujourd’hui leurs choix à des start-up lancées dans une course folle à la croissance, ou aux sociétés déjà les plus développées, réalisant plus 50 millions de chiffre d’affaires. Pour rappel en France : 5 400 ETI emploient trois millions de personnes alors que 139 000 PME en emploient 3,6 millions. Les chiffres de cette course à la taille sont sans appel : entre le premier semestre 2013 et le premier semestre 2019, la taille de l’investissement moyen des fonds de capital transmission a doublé pour passer de 12,2 à 24,1 millions d’euros, plus vraiment l’échelle d’une PME.
Il y a urgence parce que, pour un grand nombre de PME, cette crise risque d’être la dernière. Pour celles qui s’en sortiront, le remboursement des dettes accumulées pèsera lourdement sur la capacité d’investissement. Ce sera autant en moins pour moderniser les appareils productifs, digitaliser, recruter et assurer le développement. A moins de faire une priorité du renforcement des fonds propres de nos PME, le terreau de notre économie va s’appauvrir définitivement ruinant tout effort de relocalisation.
Les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer. Il faut d’abord cesser de lire l’avenir de notre économie au prisme du mythe de la licorne. Les mesures présentées dans l’annexe de la loi de Finances 2020 dédiée au financement des PME sont caricaturales : les seules clés de lecture en sont l’innovation et les nouvelles technologies. La seule source de financement en fonds propres mentionnée est le capital-risque. C’est ignorer la réalité d’un grand nombre de PME qui ne sont pas des jeunes pousses du digital. Il suffit de constater qui fait tourner la France en mai 2020 : acteurs de l’agroalimentaire, distributeurs, logisticiens et fabricants de matériel médical.
Soyons clairs : investir dans les technologies de demain est une évidente nécessité, mais si cela se fait au détriment du financement de l’écosystème actuel, ces start-up n’auront plus grand monde à qui vendre leurs services ! Il est ensuite temps d’interroger la pertinence d’un système qui conduit à favoriser l’accroissement de la taille des fonds d’investissement à travers l’action des régulateurs et des grands investisseurs publics qui souhaitent concentrer leur portefeuille : en pénalisant les petits fonds d’investissement, ce sont les financeurs historiques des PME que l’on pénalise.
Notre appel est simple : dans le fléchage des efforts d’investissement à venir, n’oublions pas que tout effort de reconstruction et de relocalisation ne sera viable que s’il se fait sur des bases solides.
Tanguy Tauzinat et Thomas Duteil sont les cofondateurs de la société d’investissement Trajan Capital.
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