Vous avez dit porosité ? Dans le langage scientifique, nous parlons de porosité pour définir un matériau ou un corps qui contient des pores, c’est-à-dire des espaces vides dans sa structure, des interstices entre ses molécules. En urbanisme, la notion de porosité amène à se questionner sur la place du vide dans la ville, ces espaces libres et indispensables qui constituent les interstices de l’urbain et de l’humain. Par Olivia Cuir, Fondatrice et Directrice Générale Esprit des Sens et Fondatrice SenCité et Thierry Picq, Professeur à emlyon et fondateur Act4 Talents dans La Tribune
Dans une ville poreuse, les lieux et usages se côtoient et s’imbriquent, sans être parfaitement délimités. Œuvrons à faire de l’espace public le prolongement d’un chez soi, à modifier les configurations urbaines classiques par de nouvelles pratiques !
La chaise par exemple, placée dans l’espace public, agit comme un lien social, une couture poreuse entre le public et le privé. Symbole de l’hospitalité en ville, elle invite au repos, à l’échange, à la contemplation. Multiplions donc les « aires de repos » où l’on peut se poser, se rassembler et dialoguer, et ainsi ralentir le flux de circulation.
Nous sommes convaincus que les décideurs politiques et les acteurs publics peuvent décider de favoriser la porosité des interstices urbains par des programmes d’animation. Par exemple, les projets d’urbanisme transitoire, qui accompagnent le changement d’image, d’usage ou de statut d’un site, le plus souvent par le biais d’une vie sociale intensifiée, constituent une opportunité capable de créer les conditions pour que les citadins s’approprient l’espace public et en deviennent acteurs.
Animer les interstices urbains permet d’en faire des espaces apprenants, des lieux d’expérimentations et donc d’innovation sociale. La porosité peut être synonyme de partage, de continuité entre le bien individuel et le bien commun.
Un lien ténu entre porosité et ville sensible
La démarche SenCité, dont l’acronyme vient du latin « sensa », les sentiments et « civitas », la ville, fait des expériences émotionnelles la clé du mieux-vivre en ville. SenCité, c’est la ville du bon sens, à la fois intelligente (smart) et sensible (sensorielle), qui révèle les émotions, les sensations.
La porosité urbaine favorise la ville sensible, puisqu’elle incite à l’ouverture. Elle créé du lien entre habitants, et, ainsi, du mieux-être. Renforcer le collectif permet de développer les solidarités, en particulier au niveau local, à l’échelle du quartier. A cette échelle, il est possible de trouver dans l’espace public comme un prolongement de l’intime, de son cocon et du confort qu’il permet, lorsque les proximités aux lieux et aux autres sont renforcées.
Il faut travailler les continuités entre les dimensions urbaines en considérant le corps dans l’espace. Partir du corps et de ses sens permet de saisir les expériences sensorielles urbaines et de les augmenter. En encourageant la marche en ville, par exemple, les piétons peuvent prendre davantage conscience de leurs sens, de leurs perceptions et des émotions qui y sont associées. La porosité urbaine s’écrit (ou se définit) à la fois par et pour l’humain, qui dessine la ville sensible au creux de sa déambulation.
L’approche sensible d’un territoire peut aussi devenir un facteur d’attachement, puisqu’elle permet d’identifier ce qui fait la « qualité de ville » d’un territoire, ses atouts sensoriels. Mettre en avant ce qui constitue la singularité d’une ville, d’un lieu, permet à ses habitants de se l’approprier et d’en prendre soin.
Sortons les émotions du cercle de l’intime ! L’émotion collective permet le projet collectif, pour faire de la ville un lieu de partage, de réflexion et d’expériences urbaines positives.
Les conditions de la réussite de la porosité
Mais comment créer les conditions de réussite de la porosité urbaine ?
Les déclinaisons de celle-ci ne sont pas les mêmes selon les villes, les régions, les pays, car intimement liées aux particularités sociales et sensibles d’un territoire et à son histoire.
Les immeubles de centre-ville des pays nordiques, par exemple, sont dotés de larges fenêtres qui laissent passer la lumière lors des courtes journées d’hiver, mais qui permettent également d’entrevoir le quotidien des habitants lorsque la nuit tombe, participant à flouter les limites entre espace public et privé.
Ouvrons nos habitats et nos lieux de travail pour entrer en connexion avec notre environnement !
Les lieux peuvent être « hybrides », au sens de la philosophe Gabrielle Halpern qui appelle à hybrider maisons de retraite, musées, restaurants… pour que ces espaces accueillent d’autres types de publics et deviennent à la fois des lieux de vie, des terrains d’apprentissage et des leviers de rencontres et de croisements. L’installation de pianos dans les halls de gares illustrent ce phénomène : ils invitent la musique et l’échange au cœur d’un espace dédié au voyage, provoquant des situations inattendues vécues de façon très positives.
Les espaces doivent proposer une continuité dans l’expérience de l’individu qui y circule. Le dehors peut-être une extension du dedans, pour des cheminements et ressentis vécus sans rupture à travers les lieux. La ville sensible faite de porosité permet une accessibilité et donc une inclusivité plus grande, puisqu’elle remet l’humain au cœur du processus urbain.
Le maire, vecteur de lien social
Nous sommes convaincus que les maires ou les élus de proximité, au sens large, parce qu’ils sont proches des habitants de leur commune, peuvent jouer un rôle déterminant pour favoriser la porosité urbaine et permettre aux villes de révéler leur sensibilité. A l’image d’un directeur artistique ou d’un chef d’orchestre, qui s’appuie sur sa vision d’ensemble pour créer l’harmonie, ils doivent permettre le mieux-vivre ensemble et être de véritables vecteurs de lien social, pour une société résiliente tournée vers la ville de demain.
Un nouveau rôle et un nouveau défi pour nos élus susceptible de les réconcilier avec les citoyens !