Contrôler les aides publiques aux entreprises
Le nouveau gouvernement nommé fin décembre commence les discussions sur le budget 2025. Dans ce cadre, le sujet des aides publiques à l’investissement va très vite se poser : quelles aides renouveler, créer, supprimer ? Pour y répondre, il est fondamental de changer la manière de penser les aides publiques et d’y intégrer la notion de mesure des résultats et d’assurance croissance. La France ne peut plus se permettre de « raser gratis ». Par Isabelle Saladin, Présidente d’I&S Adviser (*) -dans « la Tribune »-
Face au niveau abyssal de la dette publique et au contexte socioéconomique de ce début 2025, le maintien sans condition de toutes les aides publiques aux entreprises devient insoutenable. Dans l’interview qu’il a donnée à la Tribune Dimanche le 29 décembre, Éric Lombard, ministre de l’Économie et des finances depuis le 23 décembre 2024, évoquait l’enjeu de la compétitivité ; il arguait qu’elle passe « par la formation, l’innovation et l’investissement », la mission de son ministère étant de soutenir les entreprises françaises « à se développer et à investir, dans un cadre européen ».
Un fait demeure indiscutable : notre pays a besoin de faire grandir ses PME pour qu’elles deviennent des ETI durables. Or une entreprise viable à long terme est une entreprise qui génère suffisamment de chiffre d’affaires et de résultat pour subvenir à ses besoins – salaires, investissements, charges fiscales, dépenses courantes, etc. Elle doit non pas compter sur les subsides de l’État pour assurer son développement, mais utiliser sa capacité budgétaire et ses perspectives de croissance, aussi modestes soient-elles compte tenu des incertitudes économiques, pour assurer son activité tout en préparant l’avenir.
Ce principe serait facile à comprendre pour les chefs d’entreprise dans la mesure où, dans leur très grande majorité, ce n’est pas de l’argent qu’ils attendent de l’État, mais de la visibilité sur l’environnement économique, c.-à-d. qu’il soit juridiquement et fiscalement stable et sans taxes qui freinent les investissements et l’emploi.
Certains sujets prioritaires nécessitent des investissements très conséquents et l’appui financier de l’État pour acquérir la force de frappe requise à l’échelle mondiale. C’est notamment le cas des filières qui servent la souveraineté économique française, retenues pour France 2030 : l’IA, la cybersécurité, le cloud, le quantique, l’énergie, l’hydrogène, l’aérospatial, les télécommunications du futur, les biotechnologies, l’agriculture du futur, etc., a fortiori face aux États-Unis et à la Chine qui n’hésitent pas à investir massivement dans leur recherche et leur innovation et à adopter des stratégies protectionnistes pour sécuriser leurs positions.
Face à cette situation, il est crucial pour la France de régulièrement ré-établir ses priorités stratégiques et d’inscrire son action et son soutien dans le temps. Une volonté politique forte et une mobilisation collective des entreprises sont indispensables à ce changement en profondeur. C’est la condition non seulement pour sécuriser l’indépendance économique du pays, mais aussi pour saisir les opportunités de demain.
Pour que cette politique porte ses fruits, il est fondamental qu’elle soit menée dans une perspective à long terme et orientée business visant à rivaliser avec les géants mondiaux. Cela implique entre autres de mesurer les retours sur investissement générés par les financements publics accordés. Un accompagnement opérationnel des dirigeants par des professionnels expérimentés du développement d’entreprise (« operating partners », etc.), eux-mêmes engagés sur des résultats et rendant régulièrement des comptes, complèterait le dispositif. Ainsi les investissements dans l’innovation, la science et les technologies de rupture ne se limiteraient pas à des financements ponctuels ou ne relèveraient plus d’une logique d’assistanat.
Nous sommes à un carrefour : les choix qui seront faits détermineront la position de notre pays dans le monde de demain. Les enjeux soulevés sont cruciaux pour l’avenir économique et stratégique de la France. Mais ces choix doivent aussi être faits en n’oubliant pas que nous sommes Français et non Américains… Le libéralisme économique à l’anglo-saxonne est certes efficace, mais il a des conséquences sociales parfois dramatiques. Il serait risqué de le copier sans prendre en compte les spécificités sociales et culturelles de la France. Prenons le meilleur pour en faire nôtre et n’essayons pas de faire un copier-coller de façade.
L’histoire montre que des grandes nations peuvent renaître de leurs cendres grâce à des réformes radicales. S’il semble difficile de rattraper le retard de création de valeur technologique et industriel face à des nations qui avancent très vite, il est encore temps d’agir. Cela passera par un choc de modernisation radicale dans les domaines économiques et sociaux.
La question n’est donc plus de savoir si nous pouvons encore le faire, mais bien de savoir si nous avons le courage de prendre les décisions qui s’imposent, de changer de « mindset » et de réformer en profondeur. Difficile, mais pas impossible – à condition d’agir maintenant.
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(*) Isabelle Saladin est Présidente fondatrice d’I&S Adviser. Serial entrepreneuse ayant vécu et travaillé de nombreuses années aux États-Unis, elle crée Art-DV dans les années 2000, l’une des premières marketplaces françaises. En 2015, elle lance I&S Adviser, entreprise française d’operating partners