Des bactéries pour protéger du vieillissement
C’est notamment grâce à une petite bactérie ultra-résistante capable de « revenir à la vie » après des attaques extrêmement nocives, que les théories existantes sur la chimie du vieillissement sont en train d’être rebattues.
par Miroslav Radman est fondateur et directeur scientifique de l’Institut Méditerranéen des Sciences de la Vie (MedILS) dans The Conversation
Il s’agit de Deinococcus radiodurans, une des bactéries les plus résistantes connues à ce jour, qui vit dans des environnements arides comme le sable du désert. Elle survit dans les conserves de viande après le traitement de « choc » que constitue une stérilisation par rayonnement gamma. Elle peut également survivre à une dose d’irradiation 5000 fois plus importante que la dose mortelle pour les humains.
Les études ont montré que cette bactérie survit même si son ADN est endommagé et brisé en plusieurs centaines de fragments à cause d’un stress violent. En seulement quelques heures, elle reconstitue entièrement son patrimoine génétique et revient à la vie. Son ADN n’est pas plus résistant, il est simplement réparé immédiatement par des protéines indestructibles face à cette radiation extrême.
Ainsi, le secret de la robustesse de cette bactérie extrêmophile dépend de la robustesse de son « protéome » – l’ensemble de ces protéines – et notamment de ses protéines de réparation de l’ADN.
Ceci suggère un nouveau paradigme : pour augmenter la longévité, et notamment celle des humains, c’est le protéome – plus que l’ADN – qu’il nous faut protéger.
En effet, la survie de l’organisme dépend de l’activité de ses protéines. Si on agit contre l’altération du protéome, qui est à l’origine du vieillissement, on intervient simultanément sur l’ensemble de ses conséquences : par exemple la survie et le fonctionnement cellulaire ; et on évite les mutations induites par les radiations.
Le vieillissement se caractérise par l’accumulation d’évènements qui détériorent les fonctions de nos organes, et par une augmentation exponentielle des risques de décès et des maladies au fil du temps.
De nombreux modèles ont été proposés pour expliquer la base moléculaire du vieillissement, tels que la théorie de la sénescence cellulaire, la diminution de la capacité de réparation de l’ADN, le raccourcissement des télomères, le dysfonctionnement mitochondrial et le stress oxydant ou encore l’inflammation chronique.
Ces différents modèles s’attachent tous à tenter de comprendre les conséquences du vieillissement, et non les causes. Le dogme central « ADN -> ARN -> protéines », qui désigne les relations entre l’ADN, l’ARN et les protéines et qui renvoie à l’idée que cette relation est unidirectionnelle (c’est-à-dire que de l’ADN vers les protéines en passant par l’ARN), mérite aujourd’hui d’être reconsidéré.
En effet, si plutôt que de s’intéresser d’abord à notre ADN et de rechercher à le protéger pour freiner notre vieillissement, nous protégions notre protéome ?
Le terme « protéome » désigne l’ensemble des protéines présentes dans une cellule ou dans un organisme. Les protéines – du grec protos qui signifie « premier » – représentent le second principal constituant du corps humain, après l’eau, soit environ 20 % de sa masse.
Le terme « protéome » a été construit par analogie avec le génome : le protéome étant aux protéines ce que le génome est aux gènes, c’est-à-dire l’ensemble des gènes/protéines d’un individu – cet ensemble protéique variant en fonction de l’activité des gènes.
En effet, le protéome est une entité dynamique, qui s’adapte en permanence aux besoins de la cellule face à son environnement. Les protéines sont des molécules essentielles à la construction et au fonctionnement de tous les organismes vivants. Environ 650 000 réseaux interactifs protéine-protéine ont été identifiés dans divers organismes, dont environ 250 000 chez l’humain.
Les protéines exécutent une grande variété de fonctions :
Un rôle structurel : de nombreuses protéines assurent la structure de chaque cellule, et le maintien et la cohésion de nos tissus. Par exemple, l’actine et la tubuline participent à l’architecture de la cellule. La kératine à celle de notre épiderme, de nos cheveux et de nos ongles. Le collagène est une protéine qui joue un rôle important dans la structure des os, des cartilages et de la peau.
Un rôle fonctionnel : enzymatique (par exemple, les protéases participent au nettoyage des protéines dysfonctionnelles et à la desquamation), hormonal (par exemple, l’insuline régule la glycémie), de transport (par exemple, les aquaporines transportent l’eau dans les différentes couches de la peau) ou de défense (par exemple, les immunoglobulines participent à la réponse immunitaire). Ainsi, l’ensemble des fonctions vitales est assuré par l’activité des protéines.
La « carbonylation », première cause d’altération irréparable de notre protéome
L’équilibre entre la synthèse de nouvelles protéines et leur dégradation s’appelle la protéostasie. Celle-ci est nécessaire au fonctionnement de notre organisme.
Mais cet état d’équilibre est sensible. Il est même constamment menacé, car la synthèse et la dégradation des protéines dépendent… de protéines. Avec le temps et les agressions extérieures, le protéome est soumis à diverses altérations, dont la plus redoutable est la « carbonylation », dommage irréversible lié à l’oxydation des protéines.
Les protéines carbonylées sont modifiées de façon permanente. Elles ne peuvent plus assurer correctement leurs fonctions biologiques ; et acquièrent même parfois des fonctions toxiques sous forme de petits agrégats.
Lorsqu’elles sont endommagées de façon irréparable, les protéines doivent être recyclées ou éliminées. Avec l’âge, cette élimination se fait plus difficilement, ce qui peut causer leur accumulation sous forme d’agrégats toxiques qui entravent la physiologie cellulaire et accélèrent le vieillissement. Au-delà d’un certain seuil, ces agrégats sont néfastes pour l’organisme : un état de protéotoxicité s’installe alors.
La perte de la protéostasie, c’est-à-dire l’équilibre entre la synthèse de nouvelles protéines et leur dégradation, due à l’accumulation d’agrégats protéiques, constitue la cause centrale dans le vieillissement et les maladies dégénératives. Ces agrégats de protéines carbonylées se retrouvent dans la plupart des maladies liées à l’âge, ainsi que dans les principaux signes de vieillissement de la peau.
Ainsi, alors que notre vision du vieillissement était jusqu’à présent centrée sur le génome, les recherches récentes sur le protéome introduisent l’importance de l’accumulation des protéines endommagées comme un facteur-clef du processus de vieillissement dans son ensemble.
Les molécules chaperonnes antioxydantes, pour agir sur les causes du vieillissement
Pour se replier correctement, la plupart des protéines ont besoin de l’aide de protéines spécialisées appelées « chaperonnes ». Les molécules chaperonnes sont de petites protéines qui aident et assistent au repliement normal des protéines après leur synthèse par les ribosomes, ou à leur bon repliement après un stress, tel un stress thermique.
Le terme de molécule chaperonne – d’origine française bien que proposé par John Ellis et Sean Hemmingsen – a été adopté car leur rôle est d’empêcher les interactions indésirables et de rompre les liaisons incorrectes qui peuvent se former, à l’instar d’un chaperon humain. Bref, les chaperonnes (protéiques ou chimiques) sont les médecins des protéines mal-formées !
Revenons à la bactérie Deinococcus radiodurans, chez elle, les chaperonnes jouent un rôle clé dans la protection des protéines contre la carbonylation, en évitant que leurs acides aminés ne soient exposés aux radicaux libres ou ROS. Ainsi, elles réduisent leur susceptibilité aux altérations et limitent la formation d’agrégats. En parallèle, leur efficacité antioxydante neutralise les causes de la carbonylation.
Ces protéines chaperonnes antioxydantes constituent donc un moyen efficace de protéger le protéome, en apportant à la fois une protection physique de la structure fonctionnelle des protéines, et un bouclier antioxydant lié aux protéines qui protège contre les dommages tels que la carbonylation.
Chez Deinococcus radiodurans, grâce à une protection efficace de son protéome contre les dommages oxydatifs par les molécules chaperonnes chimiques, plutôt que de son génome, son protéome intact est alors capable de réparer les dommages causés à son génome et in fine de lui permettre de ressusciter en quelques heures.
Au-delà du génome, la protection de notre protéome, c’est-à-dire de nos protéines, peut être considérée aujourd’hui comme la clé de notre santé et de notre longévité. Toute autre théorie du vieillissement est compatible avec cette théorie, et se laisse interpréter par celle-ci.
Société- comment protéger les enseignants ?
Société- comment protéger les enseignants ?
Trois ans après la mort de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie tué à la sortie de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), l’assassinat ce vendredi 13 octobre 2023 de Dominique Bernard, professeur de français de la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras ouvre à nouveau la question des protections à assurer dans les établissements scolaires, en particulier pour les professeurs qui peuvent subir des agressions venant de l’extérieur mais doivent aussi faire face à des mises en cause inadmissibles en interne, en particulier pour ce qui concerne les enseignements en EPS, SVT ou histoire.
Claude Lelièvre
Enseignant-chercheur en histoire de l’éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité dans The Conversation
Peut-on vraiment « sanctuariser » les établissements et les enseignements ? Un certain nombre d’annonces qui ont été faites dans le passé apparaissent difficilement applicables ou laissent dans l’ombre certains aspects du problème pourtant bien réels.
Pour sécuriser l’entrée des établissements scolaires, on songe immédiatement aux annonces concernant la mise en place de portiques, évoquée depuis une quinzaine d’années. En mai 2009, en visite au collège de Fenouillet en Haute-Garonne où une enseignante avait été poignardée par un élève de cinquième après son refus de lui retirer une punition, le ministre de l’Éducation Xavier Darcos avait ainsi déclaré envisager l’installation de dispositifs de détection de métaux devant certains établissements.
Un mois plus tôt, à la suite de l’intrusion d’une bande armée dans un lycée professionnel de Gagny en Seine-Saint-Denis se soldant par une dizaine de blessés, Xavier Darcos s’était déjà prononcé pour l’implantation de caméras de surveillance dans les collèges et lycées. Cependant, ces nouveaux dispositifs sont à la charge des départements et des régions, et peu d’entre eux s’engagent alors dans cette voie.
À la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, lors de la campagne des élections régionales, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, futurs présidents des régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, avaient demandé l’installation de portiques de sécurité à l’entrée de tous les lycées. Le plus engagé dans cette voie était Laurent Wauquiez qui avait annoncé que sa région doterait ses 320 lycées de portiques tels qu’on peut en trouver dans les aéroports, afin de contrer le « terrorisme, l’intrusion d’armes à feu et le trafic de drogues ».
Le nouveau président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes avait décidé d’expérimenter cette mesure dans quinze établissements pilotes. Mais six mois après l’annonce, la région a dû faire marche arrière et a opté pour de simples tourniquets avec badge. Les conseils d’administration des établissements concernés ne se sont en effet pas prononcés pour les portiques mais plutôt pour des remises aux normes des clôtures, des réparations des grillages ou des caméras de surveillance. En mars 2017, alors que la fusillade dans un lycée de Grasse relance le débat, sur France Inter, Philippe Tournier, le secrétaire général du SNPDEN, syndicat majoritaire des chefs d’établissement rappelle les écueils logistiques à ce type de dispositifs :
« Le calcul a été fait par nos collègues, notamment dans la région Auvergne-Rhône-Alpes où le projet a existé. Pour un lycée d’un millier d’élèves, il fallait qu’ils arrivent une heure en avance pour passer les contrôles de sécurité alors qu’on lutte déjà pour que les élèves arrivent à l’heure normale. Ce n’est techniquement pas sérieux. »
Mais Philippe Tournier revendique non moins nettement que les établissements scolaires soient dotés d’agents de sécurité : « cela existe dans les hôpitaux, dans les centres commerciaux, dans les mairies et même au ministère de l’Éducation nationale mais toujours pas dans les établissements scolaires. Nous ne demandons pas des gardes armés devant les établissements. Ce n’est absolument pas notre demande. Mais on dit que la sécurité est un métier ». Des équipes mobiles de sécurité sont alors chargées de lutter contre la violence scolaire mais elles ne représentent que 500 personnes pour 60 000 établissements. Le ministre de l’Éducation nationale. En octobre 2023, Gabiel Attal vient d’annoncer « le déploiement de 1 000 personnels de sécurité » dans les établissements scolaires.
Les menaces qui pèsent sur les enseignants ne sont pas seulement extérieures, les mises en cause peuvent tout à fait venir de l’intérieur des établissements scolaires. Et, de ce point de vue, on doit prendre en compte le constat déjà alarmant dressé il y a une vingtaine d’années par l’inspecteur général Jean-Pierre Obin.
En juin 2004, ce rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, rédigé donc par Jean-Pierre Obin à l’issue d’inspections menées dans une soixantaine d’établissements scolaires dits « sensibles », est remis au ministre de l’Éducation nationale François Fillon. Son intitulé : Les signes et manifestations d’appartenances religieuses dans les établissements scolaires. La question du port du voile y est présentée dans ce rapport comme « l’arbre qui cache la forêt » des détériorations de la vie scolaire et des contestations de certains enseignements, notamment en éducation physique et sportive, en sciences de la vie et de la Terre et en histoire. À l’évidence, ce qui est le plus alarmant était laissé dans l’ombre alors qu’on se focalise généralement sur des « signes extérieurs » tels que le port du voile.
Le rapport n’est pas rendu public par le ministère. Et pour cause : le ministre de l’Éducation nationale François Fillon ne rompt pas avec la tentation de mettre en avant ce qui est le plus visible. Il revendique ostensiblement d’avoir été moteur dans l’interdiction du port du voile par les élèves dans les établissements scolaires tout en se prononçant pour l’extension de cette interdiction à l’université. Près d’un an plus tard, en mars 2005, peu après sa publication sur le site de la Ligue de l’enseignement, le rapport est discrètement placé sur le site du ministère, sans qu’aucune autre initiative ne soit prise par le ministre François Fillon.
Les contestations des enseignements pointées par le rapport « Obin » n’ont pas cessé depuis, tant s’en faut. C’est ce qui explique sans doute qu’une proposition de loi« visant à instaurer un délit d’entrave à la liberté d’enseigner dans le cadre des programmes édictés par l’Éducation nationale et à protéger les enseignants et personnels éducatifs » a été déposée fin octobre 2020. Elle tient en un article unique : insérer après le deuxième alinéa de l’article 131-1 du code pénal, un nouvel alinéa disant que
« Le fait de tenter d’entraver ou d’entraver par des pressions, menaces, insultes ou intimidations, l’exercice de la liberté d’enseigner selon les objectifs pédagogiques de l’Éducation nationale, déterminés par le Conseil supérieur des programmes, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Cette proposition a été faite par le sénateur de l’Oise, Olivier Paccaud, professeur agrégé d’histoire-géographie, en compagnie d’une cinquantaine de sénateurs appartenant pour la plupart au groupe Les Républicains. Elle n’a pas abouti.
Elle avait pourtant eu un précédent il y a déjà plus d’un siècle. Fin janvier 1914, la Chambre des députés avait en effet voté u ne série de dispositions afin d’« assurer la défense de l’école laïque ». Il était acté que quiconque exerçant sur les parents une pression matérielle ou morale, les aurait déterminés à retirer leur enfant de l’école ou à empêcher celui-ci de participer aux exercices réglementaires de l’école, sera puni d’un emprisonnement de six jours à un mois et d’une amende de seize francs à deux cents francs or. Enfin, quiconque aurait entravé ou tenté d’entraver le fonctionnement régulier d’une école publique sera frappé des mêmes peines, lesquelles seront sensiblement aggravées s’il y a eu violence, injures ou menaces.
Il avait fallu cinq ans pour que la loi de 1914 soit votée. De 1910 à 1913, de nombreux projets de « défense laïque » s’étaient succédé mais n’étaient pas allés jusqu’au bout. La IIIe République avait elle aussi connu des tergiversations avant le passage à l’acte…
Il ne saurait pourtant être question d’occulter que certaines mises en cause effectives de certains enseignements ne sauraient être tolérées, même si cela arrive moins souvent que certains le pensent. Mais cela existe, et ce qui est intolérable ne doit pas être toléré. Cela appelle la possibilité de mesures coercitives effectives, afin notamment que ceux qui font front se sentent effectivement soutenus lorsque la limite est dépassée. Cela appelle une « défense laïque » renouvelée des enseignements et des enseignants.