Trump : Une chance pour l’Ukraine ?
À l’heure où l’élection du nouveau locataire de la Maison Blanche rebat les cartes de la scène internationale, le soutien américain à l’Ukraine dans la guerre l’opposant à la Russie sera réévalué. En dépit de déclarations ambiguës, Trump devrait être lors de son second mandat un soutien pragmatique envers Kiev pénalisant Moscou. Le président Volodymyr Zelensky a été l’un des premiers dirigeants mondiaux à s’entretenir avec Donald Trump après sa victoire à l’élection du 5 novembre 2024. À cette occasion, le président ukrainien a exprimé sa confiance dans la « potentialité d’une coopération renforcée ». Or cet optimisme est loin d’être partagé par la plupart des experts. En effet, bien des observateurs de la politique internationale soulignent que Donald Trump a affiché par le passé une posture critique à l’égard de l’OTAN, a jugé trop élevé le montant de l’aide américaine octroyée à Kiev et a, de surcroît, promis un accord rapide avec Moscou pour mettre fin au conflit. Autant de prises de position qui ont alimenté l’incertitude quant à l’engagement de Washington pour aider Kiev à repousser l’armée russe.
Associate Professor of Instruction in the School of Interdisciplinary Global Studies, Affiliate Professor at the Institute for Russian, European, and Eurasian Studies, University of South Florida dans The Conversation
En tant que spécialiste de l’Europe de l’Est, je comprends ces préoccupations, mais je propose toutefois d’en prendre le contre-pied. À mon sens, le retour d’une présidence Trump n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour l’Ukraine.
Donald Trump est souvent dépeint comme un dirigeant isolationniste, profondément nationaliste et opposé à tout type d’interventionnisme sur la scène internationale.
Il a alimenté cette image en affirmant, par exemple, que les États-Unis ne défendraient pas, en cas d’attaque russe, un membre de l’OTAN si ce pays ne remplissait pas ses objectifs en matière de dépenses militaires conformément aux engagements de l’Alliance atlantique.
Néanmoins, ce constat peut être nuancé par des faits établis et les positions antérieures du Parti républicain.
En décembre 2023, le Congrès américain a adopté une loi bipartisane interdisant à un président de retirer unilatéralement les États-Unis de l’OTAN –, incluant ainsi de fait la sécurité et la stabilité de l’Europe dans l’intérêt des États-Unis. Le co-auteur de ce projet de loi, le sénateur républicain Marco Rubio, s’est imposé ces derniers mois comme un partenaire clé de Donald Trump lors de la campagne électorale et, surtout, vient d’être nommé par ce dernier pour intégrer son futur gouvernement au poste prestigieux de secrétaire d’État.
En outre, les États-Unis et l’Europe demeurent mutuellement des partenaires économiques de premier plan. De sorte que Washington devrait continuer à s’engager dans les enjeux sécuritaires européens aussi longtemps qu’une déstabilisation du Vieux Continent aura des effets sur l’économie mondiale et en particulier celle des États-Unis.
Par ailleurs, il n’est pas du tout certain que la nouvelle administration s’écartera significativement des politiques extérieures menées par celles des présidents Obama et Biden, et par Trump durant son premier mandat. Un consensus existe dans la classe politique américaine sur le fait que la Chine constitue la principale menace pour les États-Unis. Or Pékin a apporté son soutien à Vladimir Poutine après le déploiement des opérations militaires en Ukraine.
La poursuite de la coopération entre les États-Unis et leurs alliés européens renforcerait la position du pays en Asie. Des coopérations militaires directes, à l’instar de l’accord AUKUS signé avec le Royaume-Uni et l’Australie pour fournir à cette dernière des sous-marins à propulsion nucléaire, participent à la stratégie américaine visant à contrer et à contenir la menace chinoise dans le Pacifique. Washington entend également montrer à ses alliés en Asie – tels que le Japon, la Corée du Sud ou Taïwan – qu’il est un partenaire fiable en matière de sécurité en temps de crise.
L’idée que Donald Trump entretient de bonnes relations avec Poutine a été largement relayée. Lors de sa campagne électorale, le candidat républicain a insisté sur le fait qu’en cas de victoire, il ramènerait la paix en Ukraine avant même son investiture. Il avait aussi qualifié le dirigeant russe de « génie » et d’homme « avisé » pour avoir envahi l’Ukraine.
Poutine a félicité Trump pour sa victoire, saluant le « courage » dont il a fait preuve à la suite de la tentative d’assassinat qui l’a visé lors d’un meeting en juillet 2024. Le Kremlin s’est également dit ouvert au dialogue avec le président étasunien nouvellement élu.
Mais en réalité, la politique conduite par Donald Trump à l’égard de la Russie au cours de son premier mandat a été nettement plus musclée que ses mots le laissent supposer. En effet, il y a de bonnes raisons de penser que la première administration Trump s’est montrée plus dure envers Poutine que l’administration Obama qui l’avait précédée.
Trump avait, par exemple, fourni aux Ukrainiens des missiles antichars alors que l’administration Obama avait refusé de leur transférer de telles armes. De même, en 2018, sous Trump, les États-Unis s’étaient retirés du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) en raison des violations du texte par Moscou, alors qu’en 2014, après que la Russie avait prétendument testé un missile de croisière (à longue portée), le président Obama avait accusé Moscou de violer le traité FNI mais n’en avait pas retiré les États-Unis pour autant.
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, avait qualifié le retrait décidé par Donald Trump de décision « très dangereuse ». Et pour cause : le traité FNI empêchait les États-Unis de développer de nouvelles armes et leur liait les mains dans le Pacifique, dans le cadre de leur rivalité stratégique avec la Chine.
Entre Donald Trump et Vladimir Poutine, une entente en dents de scie. Trump White House Archived Shealah Craighead/Flickr
En 2019, Trump avait signé un texte comprenant des sanctions contre la construction du gazoduc Nord Stream 2 qui devait relier directement, via la mer Baltique, la Russie à l’Allemagne. Le gazoduc, rendu inopérant depuis par un sabotage survenu en septembre 2022, était vertement dénoncé par l’Ukraine car il permettait à Moscou d’exporter son pétrole en contournant les pipelines présents sur le territoire ukrainien et de mettre en œuvre à l’encontre du gouvernement de Kiev un « blocus économique et énergétique ». Ces sanctions contre Nord Stream 2 ne sont que l’une des 52 actions politiques portées par la première administration Trump visant à faire pression sur la Russie.
De son côté, l’administration Biden a d’abord levé les sanctions contre Nord Stream 2 en 2021, avant de les réimposer le 23 février 2022, soit la veille du déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Près de trois ans après l’invasion russe du territoire ukrainien, la machine de guerre du Kremlin fonctionne toujours grâce aux revenus tirés de l’exportation d’énergies fossiles. Malgré les sanctions occidentales sans précédent visant à restreindre les ventes de pétrole et de gaz russes, de nombreux pays continuent d’importer des hydrocarbures depuis la Russie. L’Inde, par exemple, est devenue à la suite du déclenchement du conflit le plus gros acheteur de pétrole brut russe.
Dans un tel contexte, la politique menée par Trump dans le domaine de l’énergie, même si elle ne visera pas directement Moscou, pourrait tout de même nuire aux intérêts russes. En effet, Trump a promis à plusieurs reprises d’accroître l’exploitation de pétrole et de gaz sur le sol américain. Et même s’il faut du temps pour que cela se traduise par une altération des prix des énergies fossiles, l’augmentation de la production aux États-Unis – déjà premier producteur mondial de pétrole brut – aurait d’importantes conséquences sur le marché mondial.
Le retour de Trump à la Maison Blanche pourrait également se traduire par une application plus stricte des sanctions pétrolières américaines contre l’Iran, réduisant ainsi la capacité de Téhéran à vendre des armes à la Russie. En effet, l’Iran apporte son soutien à la Russie à la fois diplomatiquement et militairement depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Or depuis 2020, les revenus iraniens provenant des exportations de pétrole ont presque quadruplé, passant de 16 milliards de dollars à 53 milliards en 2023 selon l’Agence d’information sur l’énergie (U.S. Energy Information Administration).
Enfin, toute conjecture sur les décisions que prendra Trump une fois au pouvoir se révèle difficile tant ce dernier s’est toujours montré imprévisible sur la scène politique. Sans oublier que la politique étrangère des États-Unis peut évoluer sur le long cours : il ne faut donc pas s’attendre à des percées immédiates ou à des surprises majeures. Il ressort de tous ces éléments que le bilan du premier mandat Trump permet de contrebalancer les opinions des commentateurs ayant suggéré que sa victoire ne serait pas de bon augure pour l’Ukraine…