Placement financier : Protéger le consommateur contre lui-même ?
Jusqu’où faut-il aller pour protéger le consommateur en finance, quand on sait combien ses comportements peuvent être irrationnels ? C’est la question que se sont posée les régulateurs européens des services financiers et leurs homologues nationaux au cours d’un séminaire dont le compte-rendu vient d’être publié. Protéger veut-il dire les contrôler ? Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles (Ecole Polytechnique de Bruxelles), Belfius Banque et Anne-Laure Ferron, Belfius Banque (dans La Tribune)
En matière d’assurance, c’est le risque qu’on sous-estime : une inondation catastrophique peut-elle vraiment se produire demain à ses portes ? Dans un futur lointain, oui peut-être. Ce court-termisme dans notre réflexion nous incite à retarder nos décisions. Avec les assurances santé et accidents, même si elles nous préoccupent, ce n’est pas demain non plus qu’un accroc nous arrivera, se dit-on. Pour l’EIOPA, l’autorité de régulation des assurances, l’intuition ou les raccourcis cognitifs ont trop souvent le dessus, comme ne considérer que les résultats antérieurs d’un produit financier en imaginant qu’ils vont continuer. C’est la socio-démographie du client qui décidera s’il prend une assurance, et pas le risque encouru : revenus, région où l’on vit, type d’habitation ou expertise des assurances. Si l’État intervient s’il y a eu de mauvaises expériences avec les assureurs, cela jouera aussi. La notion de risque est bien loin.
Attention, dit L’EIOPA aux dark patterns, quand on achète une assurance e ligne. C’est tout ce qui vous influencera dans la présentation du produit : la pression sociale, comme les témoignages des autres clients, certaines options déjà cochées, la pression du temps (offre limitée dans le temps), un sentiment de culpabilité de ne pas bien se protéger, bref, jouer avec les émotions.
Pour l’ESMA, l’autorité de régulation des marchés financiers, investir est soumis à plusieurs biais, l’excès de confiance et un optimisme débridé. Les investisseurs n’évaluent pas la situation en termes de probabilité. Ils se reposent aussi sur leur croyance antérieure, même face à de nouvelles informations (susceptibles de les contredire). Les probabilités d’évolution financière récemment observées sont surestimées parce qu’encore fort présentes dans leur mémoire.
Tout est pensé, si on n’y fait pas attention pour éviter les regrets, pour ne pas avoir à se reprocher ses décisions en cas de mauvaises performances. À l’aversion au regret se couple l’aversion à la perte : on préfère ne pas perdre d’argent plutôt que d’en gagner plus, un biais qui amène à l’inertie. Qui de nous ne s’est jamais dit que ne pas vendre des actions qui perdent de leur valeur, attendre, c’est ne pas acter sa perte pour se refaire ?
Les biais peuvent rendre Mifid moins efficace (Markets in Financial Instruments Directive). Avec elle, chaque client doit se voir proposer des produits financiers adéquats, pour ses besoins et par rapport à ce qu’il maitrise. Il faut évaluer vos connaissances financières et vos besoins. Il s’agit de questionnaires dont la formulation peut être subjective et mener à des biais comportementaux (fonte de caractères utilisée, mise en page, présentation des réponses en cas de choix multiples) : il ne faut pas essayer, dit l’ESMA, via une question d’en savoir le plus possible sur toute une série d’éléments ou laisser la possibilité de ne pas répondre trop fréquemment. Comment formuler des questions qui révèlent et les véritables besoins du client et sa compréhension de la matière. Laisser trop de latitude, en appliquant Mifid, au client à s’autoévaluer provoquera un biais d’optimisme et de confiance. Mifid ne tient pas compte que l’investisseur va aussi sur les médias sociaux pour s’informer, avec le risque de gamification. L’investissement n’est pas un jeu, ce qui favorise, en plus, le court-termisme. Et quid de Mifid pour le monde des cryptos ?
Car n’oublions pas ce qu’est Mifid, sans équivalent ailleurs. Il faut tout dévoiler, les frais encourus, comment la banque voit le client, en termes de connaissance, de produit à lui proposer. Imaginerait-on d’être ainsi bordé pour tout autre achat ? Ce serait top.
L’autorité néerlandaise des marchés s’est intéressée aux investisseurs qui ne veulent pas de conseils et ne font que passer des ordres (environnement, execution-only). Être livré à soi-même, c’est préjudiciable : 30% de ces investisseurs font trop de transactions sans les diversifier. S’agit-il du biais de sur-optimise ou le syndrome FOMO (Fear of Missing Out, la peur de rater quelque chose) ou, bien, la plate-forme d’investissement qui l’influence. Mieux vaut aussi n’offrir la possibilité d’investir que l’argent vraiment transféré, sans accepter les cartes de crédit pour ce faire. Comment la performance rapportée a également un impact sur le comportement de l’investisseur (performance annuelle, mensuelle, depuis le début de la relation commerciale).
Au fur et à mesure que se numérise la finance, le comportement de l’investisseur comptera de plus en plus. C’est différent de présenter un produit financier directement de conseiller à client, en face-à-face, ce qui ne dépend que de sa compétence et sa présentation sous forme numérique, ce qui comporte de nombreuses subtilités susceptibles d’affecter la réaction du client. Cela peut aller dans les deux sens, exacerber les biais ou mieux découvrir le vrai besoin du client. Mais y a-t-il de « bonne » ou « mauvaise » décisions d’investissement ? N’y a-t-il pas aussi la capacité individuelle à assumer ses choix éclairés. Il y a aussi les biais propres à chaque individu que rien ne corrigera (s’il faut les corriger) : il y aura toujours des investisseurs prêts à acheter quand l’action est au plus haut et d’autres qui ne voudront acheter que des actions en pleine dégringolade sans certitude que c’est fini.