L’extrême droite et les nouvelles technologies
Que sait-on du rapport que le RN entretient aux nouvelles technologies ?
D’un point de vue programmatique, la question est passionnante car elle pointe la fragilité de pensée politique du RN. Les lignes doctrinales du RN sont construites autour des thématiques de la souveraineté (pour ne pas dire de souverainisme), de la priorité nationale, de la fermeture de frontières, d’une méfiance d’intensité variable – car politiquement opportuniste – à l’égard de l’Union Européenne. Naturellement, nous aurions pu croire qu’ils auraient portés un discours anti-GAFAM et anti-UE. Une sorte de « France first ». Or dans leur programme on retrouve des propositions consensuelles et incantatoires sur l’orchestration de grands projets européens autour du cloud ou de l’IA, et surtout un silence assourdissant concernant les BigTech américains ou chinois. Pas grand-chose sur les enjeux des réseaux sociaux ou des écrans par ailleurs. Une inflexion même ultra-libérale hostile à la réglementation semble se dessiner si l’on en croit un excellent papier de la revue Telescope. Au contraire même, le parti semble percevoir la taxe GAFAM comme une aubaine pour financer les services de la poste. La question de la souveraineté technologique est donc portée de façon molle, pour ne pas dire sans grande conviction forte, semblant reprendre le minimum syndical en piochant dans quelques propositions provenant des kilomètres de rapports et de propositions récemment produits par l’Assemblée nationale ou le Sénat. En revanche, au sein de leur parti, l’usage de l’IA et de CHATGPT (IA générative de OpenAI) est fortement encouragée, des formations d’élus sont organisées pour les aider à élaborer leurs campagnes, etc… D’autant que nombre d’élus RN, à commencer par Jordan Bardella, sont de la génération « native digitaux ». Son succès auprès des jeunes sur TikTok est incontestable. Chez eux, l’emploi des réseaux sociaux mais aussi la compréhension des outils technologiques sont inscrits naturellement dans leurs usages.
Simpliste, binaire, directe, manipulatoire, décomplexée : la rhétorique de leurs messages programmatiques se prête également à l’usage de ces technologies.
C’est en effet une autoroute qu’il utilisent sans peine malgré les incohérences que je viens de pointer. Notre manque d’autonomie technologique est une autoroute rhétorique aux discours souverainistes, puisque le sujet des nouvelles technologies et de l’IA met en exergue la dépendance de la France et de l’Europe aux géants américains en premier lieu. L’absence, en France, de véritable stratégie scientifique, industrielle, écosystémique et donc le déficit de souveraineté font la part belle aux arguments souverainistes des formations d’extrême droite ; mais comme chez n’importe quel parti, la question technologique est encore secondaire par rapport aux enjeux de pouvoir d’achat et d’immigration. C’est d’ailleurs Marion Maréchal et Reconquête ! qui était alors encore son parti, qui va résoudre l’« équation technopolitique » : l’une de leurs propositions, délirante, est d’augmenter les capacités en IA et robotique pour lutter contre l’immigration. Des robots plutôt que des immigrés : en gros, un grand remplacement mais version technologique ! L’usage de la technologie comme autoroute vers une forme de techno-fascisme… Un vertige total. Sur les questions techno-sécuritaires, il y aurait également matière à craindre des distorsions très graves de l’esprit même de notre Etat de droit, la rhétorique sécuritaire, agrémentée de relents ségrégationniste, étant au cœur de l’ADN. Enfin, en matière industrielle, la principale réponse au déficit français étant l’Europe, et l’Europe étant vouée à être fragilisée si le RN accède au pouvoir, ce n’est pas demain que nous relèverons le niveau de souveraineté nationale ! La réalité des rapports de force dans le monde est l’extrême interdépendance sont, ce n’est pas le fantasme de l’autarcie…
Mais quelle est la logique de souverainisme national quand les nouvelles technologies convoquent des techniques, des acteurs et une articulation espace – temps qui n’ont pas de frontière ?
L’extrême droite n’a absolument pas intégré cette réalité à son discours. Preuve soit qu’elle la méconnait soit qu’elle la manipule. L’extraterritorialité physique est le substrat même des nouvelles technologies, et cela disqualifie donc la promesse de gérer, de contrôler, de maîtriser la recherche et l’industrie des nouvelles technologies à l’intérieur des frontières françaises. Les enjeux de cyber-défense, de cyber-influence, de cyber-espace se traitent-ils au poste frontière ? Le RN pense-t-il que c’est en fermant à double tour les côtes françaises qu’il trouvera la parade aux ingérences étrangères et aux guerres hybrides exercées dans le cyberespace, cinquième domaine de la guerre ? Les nouvelles technologies questionnent en profondeur l’idée d’Etat-nation ; questionner ne signifie pas nécessairement anéantir mais plutôt interroger et remettre à jour les articulations et le fonctionnement de ce que l’on nomme souveraineté, désormais plus liquide, distribuée entre acteurs publics et privés, parfois extracommunautaires comme les géants technologiques. Comment alors repenser le rôle et la place de l’Etat ? C’est une question passionnante mais qui suppose une certaine plasticité de pensée là ou les dogmatismes sont par nature rigides.
Comment rendre les vieilles voitures plus écolos que les nouvelles ?
Comment rendre les vieilles voitures plus écolos que les nouvelles ?
L’urgence écologique nous impose désormais de repenser nos mobilités, seul secteur pour lequel les émissions n’ont jamais cessé de croître. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics multiplient les directives qui enjoignent les citoyens à abandonner leurs voitures thermiques pour des véhicules électriques. En témoignent les récentes annonces du gouvernement qui entend généraliser leur possession par des subventions massives permettant à de nombreux ménages de s’équiper pour une centaine d’euros par mois. Un certain nombre de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), qui consistent à restreindre l’accès aux véhicules qui dépassent un certain seuil d’émission de gaz polluants, ont ainsi été instaurées dans quelques métropoles : Paris, Lyon ou Grenoble par exemple. Avec la loi « climat et résilience » adoptée en 2021, l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants seront concernées d’ici 2024. De fait, dans ces zones, seules les voitures qui répondent à des normes écologiques très récentes (majoritairement électriques ou hybrides) seront autorisées à circuler. Nous assistons dès lors à une épuration de grande ampleur du parc automobile, qui traduit une conception pour le moins enchantée des mobilités électriques présentées comme salvatrices. Cette vision fait reposer le problème de la pollution de l’air sur les usagers de voitures qui, parce que trop anciennes, ne répondent plus aux exigences actuelles en termes d’émissions polluantes, soit celles disposant d’un moteur thermique et construites avant les années 2010.
par Gaëtan Mangin
ATER en sociologie, Université d’Artois dans The conversation
Notre thèse de doctorat en sociologie menée entre 2017 et 2022, qui se donne pour ambition de comprendre la possession et l’usage d’une voiture de plus de 20 ans à l’époque contemporaine, révèle pourtant que les impératifs de durabilité ne sont pas étrangers à de telles mobilités. Dans la quarantaine d’entretiens réalisés, l’analyse de la presse spécialisée, mais aussi les moments plus informels de bricolage et de discussion dans des garages ou en rassemblements de passionnés d’automobiles qui ont constitué les terrains de cette thèse, il devient même possible d’entrevoir, chez certains usagers, qu’ils soient urbains ou ruraux, des engagements forts en faveur d’une certaine écologie.
Dans une large majorité, les propos des usagers de vieilles automobiles expriment une rhétorique du réemploi opposée à la production et la consommation de masse. Il s’agit de promouvoir une écologie priorisant l’usage d’outils fonctionnels (ou réparables) au recours à du neuf. Dans leurs discours, cette écologie du réemploi apparaît comme davantage réaliste parce qu’elle se veut plus accessible financièrement, et correspondrait à un mode de vie sobre déjà dont l’expertise existe déjà dans les catégories populaires qui la développent au quotidien.
Peu coûteuse à l’achat comme à l’entretien, la voiture d’occasion désuète serait aussi écologique parce que le coût écologique de sa production a déjà été assumé.
« Il n’est pas évident d’expliquer à nos chers écolos que conserver et faire rouler une “vieille” auto à la place d’en fabriquer une neuve permet d’économiser des hectolitres d’eau, des kilos d’acier, de caoutchouc et de plastique, etc. C’est tout le problème de ne s’en tenir qu’à la des gaz qui sortent de l’échappement, plutôt que d’analyser le cycle de vie total, de la fabrication au recyclage en passant par l’usage… » (Richard, s’exprimant dans la revue « Youngtimers » n°79)
Comme tout objet technique, une voiture a besoin d’être entretenue pour durer, et une vieille automobile nécessite une attention soutenue, à l’état de ses organes de sécurité notamment (plusieurs fois par an).
Aujourd’hui, un grand nombre de concessions automobiles ne sont plus équipées pour intervenir sur des véhicules dénués de systèmes de diagnostic électronique, et les mécaniciens ne sont plus formés pour intervenir sur une mécanique commercialement dépassée. Dès lors, la maintenance incombe largement aux possesseurs qui développent, aux fil de leurs interventions, un attachement à la voiture dont ils prennent soin, ainsi qu’une connaissance fine qui leur permet de croire que leur objet perdurera encore longtemps à leurs côtés.
« Moi, ma voiture, je l’entretiens ! Pour qu’elle soit belle et pouvoir continuer de rouler avec. Je voudrais l’user jusqu’à la corde, celle-là. Attends, une Golf comme ça, je fais 300 000 kilomètres avec ! Elle peut encore vivre 30 ans, ma voiture ! » (Larry, 64 ans, décorateur retraité, roule en Volkswagen Golf 3 de 1993)
Refuser de passer à une voiture plus récente relève également d’un scepticisme assumé envers les intentions écologiques des constructeurs. La voiture contemporaine, surtout lorsqu’elle est électrique, est soupçonnée d’être bien plus polluante qu’il n’y paraît, notamment par sa production qui nécessite l’extraction de métaux précieux tels que le lithium ou le cobalt.
Ses équipements électroniques et numériques font eux aussi l’objet de méfiance quant à la planification de leur obsolescence. C’est, là aussi, la logique de remplacement précoce qui est critiquée, et avec elle la stratégie consistant à rendre chaque modèle rapidement obsolète en le remplaçant par un autre ou en en proposant une version restylisée.
« Par leur fiabilité, elles se retrouvent plus vite à la casse qu’une voiture ancienne. Elles ont pas vocation à durer, non… le but, c’est de consommer ! Avant, on faisait des voitures robustes ! La Saab 900, c’est de la voiture robuste. Pourquoi ? Parce qu’on n’était pas dans cette démarche-là, de consommation ! » (Yannis, 40 ans, Chef d’entreprise, roule en Saab 900 de 1985)
Si on les compare aux voitures récentes, les voitures de plus de 15 ans sont moins confortables et moins sécurisées, ce qui requière une attention plus soutenue de la part du conducteur qui devra davantage faire preuve d’observation et d’anticipation.
Elles sont aussi plus exigeantes à conduire, ce qui sollicite davantage ses cinq sens. Par exemple, elles ne bénéficient pas de régulateurs de vitesse, d’aide au freinage d’urgence, ni même parfois de direction assistée, ce qui complique particulièrement les manœuvres. Parce qu’elles se trouvent à l’opposé des impératifs d’efficacité, de telles voitures deviennent l’outil idéal pour tenir à distance un sentiment d’accélération qui caractérise notre époque, en s’immergeant dans des mobilités « douces » car convoquant un imaginaire du voyage, empreint de lenteur et de contemplation.
« Mes parents, ils sont là-dedans. Ils gagnent du temps, ils ont le petit boîtier pour passer au péage et puis tout est prélevé sur leur compte… Moi, je trouve ça effrayant ! C’est effrayant ! T’as l’impression que c’est simple, mais au final, ça va encore plus vite ! » (Lucas, 22 ans, étudiant en philosophie reconverti en charpentier traditionnel, roule en Renault 4 de 1982)
Plus encore que des marchandises et un système économique, c’est aussi tout un système de mobilité qui se trouve tenu à distance. Pour bon nombre d’usagers en effet, faire persister la centralité de la voiture dans l’aménagement du territoire et dans les mobilités quotidiennes, ce serait manquer d’ambition face aux enjeux écologiques contemporains.
Ainsi, nombre d’usagers de vieilles voitures plaident pour une refonte ambitieuse du système de mobilité qui ferait la part belle aux mobilités alternatives, et qui prendrait notamment au sérieux la bicyclette en tant que moyen de transport efficace. Aussi, tous affirment qu’ils se passeraient de voiture au quotidien si cela leur était possible.
« Moi, je suis pas nostalgique. Je pense que cette société d’avant, celle de la conquête, on se trompait. Elle a oublié la finitude des choses, comme je pense qu’aujourd’hui on oublie qu’il y a des perspectives ! La perspective c’est le vélo par exemple […] Avec le vélo, on va dans des endroits où la voiture ne va plus, on s’affranchit des embouteillages, voilà. On peut se projeter de nouveau ! » (Fabrice, 47 ans, enseignant-chercheur, roule avec plusieurs Citroën des années 1970 à 2000)
Rouler en vieille voiture, c’est donc pour certains une manière de vivre ses mobilités de façon plus sobre, en privilégiant la qualité (du trajet, de l’objet…) à une forme d’abondance.
« Je trouve qu’on a été trop loin sur certaines choses, qu’on va trop loin par rapport à la planète aussi, la pollution, tout ça. Je veux pas rentrer là-dedans, enfin je veux plus. Un de mes rêves, ce serait d’être autonome au niveau énergétique. Donc il y a, dans ma démarche, quelque chose d’écolo… Oui, écolo ! On peut dire écolo. » (Bruno, 56 ans, éducateur spécialisé, roule en Renault 4 de 1986).
Cette éthique de la sobriété se trouve bien souvent au fondement d’un mode de vie plus frugal, et suppose une posture réflexive quant à nos actions et leurs conséquences. Si convertir tout un chacun à la « vieille voiture » ne peut représenter un projet de transition écologique, le rapport de tels usagers à leurs mobilités nous invite toutefois à ne plus prendre la route à la légère. Il exhorte, au contraire, à questionner la banalité de notre recours à la voiture pour penser un automobilisme plus éclairé.