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Délires de Trump: une chance pour l’Europe ?

Délires de Trump: une chance pour l’Europe ?

Depuis la proclamation par Donald Trump du « jour de la libération » (« liberation day ») et ses déclarations, les regards se sont concentrés sur les tarifs douaniers. Mais une deuxième offensive se profile : une dépréciation massive du dollar qui pourrait provoquer une crise mondiale. Dans cette reconfiguration brutale des équilibres, des opportunités inédites pourraient s’ouvrir pour l’Europe à travers une nouvelle diplomatie commerciale ouverte. Si l’on pense en avoir fini avec les offensives mercantilistes de Trump depuis le « liberation day », on se trompe certainement. La deuxième offensive arrive. Elle pourrait être plus sévère encore. Elle tient en une dépréciation massive du dollar américain. L’onde de ces chocs va en outre créer un effet récessif mondial qui viendra parachever l’œuvre de Trump. À quoi faut-il s’attendre ? Comment réagir à ces offensives ?


par Jean-Marie Cardebat
Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Professeur affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux dans The Conversation

Depuis le début de la décennie, la parité entre l’ euro et le dollar s’établit autour de 1,05 à 1,10 dollar par euro. Au regard des fondamentaux de l’économie américaine, de ses déficits budgétaires et commerciaux abyssaux, cette valeur est surévaluée. Si l’on se réfère au taux de change d’équilibre de parité des pouvoirs d’achat, le taux de change euro-dollar devrait s’établir autour de 1,50 dollar par euro. Ce taux de PPA représente une force de rappel de long terme pour les taux de marché. Si le dollar reste surévalué, c’est parce qu’il est LA monnaie mondiale pour les échanges internationaux et les réserves, donc la monnaie que souhaitent détenir les non américains. Un dollar surévalué, c’est déjà arrivé dans l’histoire, notamment dans les années 1980.

Mais ça, c’était avant. L’administration Trump est fermement décidée à s’attaquer à ce qu’elle considère comme la deuxième cause de son déficit commercial : la surévaluation du dollar. Les droits de douane et la dépréciation du dollar font partie du même plan stratégique de réindustrialisation du pays. Il n’est dès lors pas impensable que la parité Euro-Dollar d’ici à la fin de l’année flirte avec les 1,40 à 1,50 dollar par euro. Cela représenterait une dépréciation de la devise américaine d’environ 30 %.

Mécaniquement, cette dépréciation renchérirait le prix des biens exportés par les Européens, une fois exprimé en dollar sur le marché états-unien, du même montant. En d’autres termes, une dépréciation de 30 % du dollar renchérit les biens exportés vers les États-Unis de 30 %, ce qui dépasse encore les 20 % de droits de douane. Les deux effets de hausse des prix en dollar des biens exportés se cumulant, autant dire que l’accès au marché américain se compliquerait très sévèrement pour les entreprises européennes.

Mais ce n’est pas tout, un effet indirect viendrait s’additionner à ce double choc de prix : c’est l’effet revenu. Les exportations vers le marché états-unien dépendent de deux élasticités : l’élasticité-prix et l’élasticité-revenu. L’élasticité-prix donne le montant de la baisse de la demande locale lorsque les prix augmentent (à cause des droits de douane et de la dépréciation du dollar), l’élasticité-revenu renseigne sur la baisse de la demande locale liée à une baisse de revenu des résidents, les États-Uniens.

Or, la politique de Trump est clairement récessive selon les premiers indicateurs économiques publiés et les prévisions des économistes. Logique, puisqu’une partie de la croissance mondiale vient des gains à l’échange selon le principe de spécialisation des économies hérité d’Adam Smith et David Ricardo. Pire, ce n’est pas seulement la croissance américaine qui va ralentir, mais bien la croissance mondiale par effet de domino, affectant encore un peu plus les exportateurs européens.

Quels sont les signes d’espoir dans ce scénario ? Il y a en plusieurs en fait. D’abord, le dollar, puisqu’il est la monnaie internationale, est largement détenu par les étrangers. Trump voudrait les forcer à vendre leurs dollars pour en faire baisser le cours, mais ce n’est pas si simple. Déjà, il a du mal à tordre le bras du gouverneur de la Fed (banque centrale américaine) pour lui faire changer de politique monétaire afin de faire baisser le dollar. Rappelons que la Fed est en théorie indépendante du gouvernement. Sans entrer dans les détails techniques, si Trump décide des droits de douane des États-Unis, il ne maîtrise pas la valeur du dollar aussi facilement. La dépréciation de 30 % n’aura peut-être pas lieu.

D’autant que l’effet inflationniste de cette dépréciation et de ces droits de douane sur l’économie domestique va user l’opinion américaine autant que leur porte-monnaie. Trump pourrait se heurter à une forme d’épuisement social dès 2025 l’obligeant à infléchir ses positions. Le pire n’est donc pas certain.

Il faut aussi voir le positif dans cette histoire. La Chine est mal en point, affectée par la fermeture du marché états-unien et par des problématiques économiques internes. Ne serait-ce pas le moment pour l’Europe d’essayer de négocier des accords commerciaux de réciprocité plus avantageux pour les Européens ? La Chine a besoin de l’Europe, dont la position de force se renforce finalement avec Trump.

Se tourner vers la Chine pour redéfinir un ordre commercial plus ouvert et équilibré serait sans doute plus utile économiquement que de vouloir affronter Trump dans une guerre commerciale. Si Trump isole et ralentit les États-Unis, laissons-le faire et n’engageons pas des représailles qui ne feraient qu’aggraver notre situation. Ouvrons-nous aux autres en revanche et profitons du fait qu’ils aient besoin de nous.

Ce qui est vrai pour la Chine l’est pour les autres zones du monde. On a beaucoup parlé ces derniers mois du Mercosur et de l’accord avec le Canada (CETA). Faut-il encore s’opposer à des accords de libre-échange entre l’Europe et ces zones ? On peut gager que l’opinion publique européenne va évoluer sur cette question. En d’autres termes, l’isolationnisme de Trump fait naître des opportunités de libre-échange ailleurs. L’Europe pourrait les saisir avec une grande offensive diplomatique. Un judoka se sert de l’élan de son adversaire, Trump s’isole, l’Europe peut accentuer encore cette tendance en négociant des accords avec les autres zones du monde. Et si l’Europe sortait par le haut de cette crise ?

Pour l’Allemagne, l’Europe doit mettre fin à sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis 

Pour l’Allemagne, l’Europe doit mettre fin à sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis 

Après s’être affranchie d’un premier tabou, le financement par la dette, l’Allemagne doit désormais accepter de lever un second dogme, celui du financement monétaire des investissements par la Banque centrale européenne, plaide, dans une chronique au « Monde », la juriste allemande Katharina Pistor.

L’Allemagne amorce une nouvelle « Zeitenwende » (« changement d’époque »). Ce terme avait été employé par le chancelier allemand Olaf Scholz, le 27 février 2022, lorsqu’il avait promis de mobiliser des ressources pour soutenir les Ukrainiens face à la Russie. Une annonce qui n’avait cependant pas conduit à une remise à plat de l’orthodoxie économique, la politique budgétaire allemande étant entravée par la « règle d’or » qui, depuis 2009, limite le déficit structurel annuel à 0,35 % du produit intérieur brut. Le pays se félicitait alors de sa prudence budgétaire, alors que l’Ukraine était frappée, que ses propres infrastructures dépérissaient, et que ses engagements en matière de climat étaient relégués au second plan.

Fort heureusement, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), qui est arrivée en tête aux élections du 23 février, a revu sa position. Le bouleversement de la politique étrangère américaine décidé par Donald Trump l’a convaincu de changer d’approche. Pour Friedrich Merz, chef de la CDU et probable futur chancelier allemand, l’Europe doit mettre fin à sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis.

L’Ouzbékistan craint Poutine et choisit l’Europe

L’Ouzbékistan craint Poutine et choisit l’Europe

Craignant Poutine, l’Ouzbékistan choisit le camp européen.

Pour se protéger notamment de Poutine, président de l’Ouzbékistan, Shavkat Mirzioïev, a effectué une visite d’État cette semaine à Paris. Elle répond à celle d’Emmanuel Macron à Samarkand début novembre 2023, dans la foulée de celle à Astana (capitale du Kazakhstan).

Droits de douane américains: l’Europe riposte aussi

Droits de douane américains: l’Europe riposte aussi

La riposte de l’Europe à la décision américaine d’augmenter les droits de douane de 25 % sur l’acier l’aluminium aura été rapide, déterminée mais cependant proportionnée. En effet les hausses décidées par l’union européenne porteront sur le même montant d’échange autour d’une trentaine de milliards de dollars de biens américains importés.

De toute manière, ces hausses de taxes douanières réciproques vont peser de manière très négative sur le volume des échanges sur la croissance des pays concernés. On peut imaginer que les résultats de cette politique catastrophique et que des revirements américains, surtout de la part de trame, pourrait être intervenir. Ceci étend le mal est fait pour une grande partie car il a en outre instillé l’instabilité et l’inquiétude dans les échanges internationaux et dans les économies internes

Quel avenir de l’Europe dans l’espace ?

 Quel avenir de l’Europe dans l’espace ?

La directrice générale d’Eutelsat, Eva Beneke, qui opère la constellation OneWeb (650 satellites), appelle les pays européens à un sursaut existentiel en matière de connectivité spatiale face aux géants américains que sont Starlink et Kuiper et à des projets chinois de grande ampleur. En attendant la mise en service de la constellation IRIS², elle préconise de se servir solutions déjà disponibles. Il en va de l’autonomie stratégique de l’Europe dans l’espace. Par Eva Berneke, directrice générale d’Eutelsat dans la Tribune

 

L’industrie spatiale mondiale évolue à un rythme sans précédent. Des constellations de satellites non européennes, telles que celles de Starlink, Kuiper et des initiatives chinoises, étendent rapidement leur influence, mêlant ambitions commerciales, innovations technologiques et stratégies géopolitiques. Une constellation en orbite basse européenne existe et s’impose comme la principale force de l’Europe en offrant une alternative compétitive et souveraine en matière de connectivité spatiale, capable de rivaliser avec les grands acteurs mondiaux. L’Europe se trouve néanmoins face à un tournant décisif : prendra-t-elle le leadership de l’ère du « New Space » ou se contentera-t-elle d’un rôle de spectateur ?La connectivité n’est plus un luxe, mais un pilier essentiel sur le plan stratégique pour nos démocraties. Les satellites en orbite basse (LEO) offrent une latence réduite, une couverture étendue et des capacités de résilience accrues, autant d’atouts indispensables pour les infrastructures critiques, les opérations militaires et les applications commerciales. Pourtant, l’Europe reste aujourd’hui fortement dépendante de solutions non européennes, mettant ainsi en péril sa souveraineté.

Face à cette réalité, l’Europe doit adopter une approche multi-orbites, combinant satellites géostationnaires (GEO) déjà existants et (LEO) complémentaires. Cette hybridation est essentielle pour garantir une autonomie totale, tout en préparant l’avenir avec IRIS², le projet phare de l’UE pour la connectivité spatiale.

Certains pays européens se tournent vers des fournisseurs non-européens pour accélérer le déploiement de leurs programmes, mais cet usage doit impérativement être équilibré par des alternatives européennes afin de préserver le contrôle stratégique. L’histoire nous enseigne que l’interopérabilité et la coordination des systèmes au sein des coalitions transnationales renforce les capacités communes. L’Europe doit appliquer cette leçon à l’espace.

L’attente de la mise en service complète d’IRIS² ne doit pas ralentir nos ambitions. Des solutions complémentaires, compatibles à long terme avec IRIS², sont déjà disponibles et doivent être exploitées dès maintenant pour tracer la voie et garantir un avenir autonome. Les systèmes hybrides, alliant LEO et GEO, permettent d’ores et de renforcer sans attendre les infrastructures spatiales européennes, de garantir leur résilience et leur pérennité et d’accélérer la transition vers un réseau de connectivité 100 % européen.

Le projet IRIS² incarne une vision ambitieuse de l’Europe, celle d’une industrie spatiale souveraine et compétitive. Plus qu’un simple programme d’infrastructures, IRIS² représente une affirmation politique de la volonté européenne de se positionner comme un acteur de premier plan dans les technologies stratégiques les plus critiques. Clé de voûte des capacités de l’Europe dans les domaines du numérique et de la défense, IRIS² sera le garant de la d’une innovation européenne compétitive sur la scène mondiale, tout en sauvegardant les intérêts stratégiques du continent.

En attendant le déploiement intégral de ce programme, l’Europe doit agir dès maintenant pour combler l’écart et ne pas se laisser distancer. L’intégration immédiate de solutions hybrides combinant satellites LEO et GEO offre un levier unique et pragmatique aux impératifs de résilience flexibilité permettant à l’Europe de se préparer aux défis futurs.

IRIS² doit devenir, comme une figure de proue, le socle d’une connectivité sécurisée, répondant aux besoins des citoyens, des gouvernements et des forces armées européennes. Mais pour en maximiser le potentiel dès le premier jour, nous devons anticiper dès aujourd’hui : former les utilisateurs aux constellations LEO, développer des terminaux adaptés à tous les environnements (terrestres, aériens et maritimes) et renforcer les infrastructures au sol pour assurer une continuité de service optimale.

L’Europe possède déjà les capacités technologiques et industrielles pour exceller dans l’espace. Mais être leader exige vision et investissements durables. Soutenir des acteurs européens comme Eutelsat, fondé il y a plus de 40 ans pour garantir à l’Europe un accès indépendant aux télécommunications par satellite, est un choix stratégique pour affirmer sa souveraineté dans l’espace.

En tant qu’unique opérateur européen disposant d’une constellation LEO, Eutelsat est au cœur des objectifs stratégiques de l’Union européenne, en militant pour des solutions hybrides et en favorisant la coopération industrielle européenne. Eutelsat représente le parfait exemple de la manière dont les partenariats publics-privés peuvent être moteurs de l’innovation et garants de l’autonomie stratégique européenne.

Contrairement à certaines initiatives privées, dictées par des intérêts économiques ou étrangers, Eutelsat s’appuie sur une gouvernance régulée, soucieuse de garantir un service sécurisé et indépendant aux gouvernements et aux industries. Notre engagement dans IRIS² reflète notre foi en la capacité de l’Europe à construire son propre avenir spatial.

Si l’Europe veut conserver et renforcer son leadership mondial dans le secteur spatial, elle doit faire preuve d’ambition et continuer d’investir pour améliorer la compétitivité du secteur, notamment en réaction aux investissements considérables consentis par les concurrents américains et chinois. Pour tirer le meilleur parti du potentiel d’IRIS² dès le premier jour, nous devons prendre les devants dès aujourd’hui : en formant les équipes opérationnelles à l’utilisation des constellations LEO et en mettant au point des terminaux adaptés aux différents besoins des utilisateurs, que ce soit sur terre, dans les airs ou en mer. Il est également impératif que le segment sol soit robuste et le cadre réglementaire respecté si l’on veut fournir des services irréprochables.

À la différence des initiatives privées portées par des intérêts étrangers, économiques ou individuels, Eutelsat est solidement ancré en Europe et soumis à l’autorité d’organismes de régulation afin de proposer aux gouvernements et aux entreprises des services sécurisés et totalement indépendants. Notre attachement au programme IRIS² témoigne de notre foi en la capacité de l’Europe à forger son propre avenir dans l’espace. Le modèle européen, fondé sur la transparence, la gouvernance et les principes de développement durable, représente une alternative crédible et compétitive face aux modèles qui privilégient une expansion rapide au détriment du contrôle stratégique.

Pendant que Starlink, Kuiper et la Chine avancent au pas de charge et transforment le paysage spatial mondial à coups d’investissements massifs et des évolutions stratégiques, l’Europe se doit de réagir sans attendre. L’espace n’est pas un simple actif, c’est une ressource stratégique vitale. L’Europe ne peut pas se permettre de laisser passer sa chance. Sa souveraineté ne se résume pas à posséder ou construire des infrastructures, elle repose sur sa capacité à les exploiter en toute autonomie, à façonner son propre destin et à sceller des alliances solides au sein de l’UE et avec le reste du monde. L’heure des tergiversations est révolue.

Si l’Europe veut atteindre une véritable autonomie stratégique, elle doit agir maintenant. Cela signifie accélérer les investissements, renforcer l’interopérabilité entre États membres et favoriser une gouvernance commune, fondée sur l’intérêt collectif. Nous ne pouvons pas compter sur d’autres pour préserver nos intérêts dans l’espace. Sans une mobilisation décisive, l’Europe risque de devenir simple spectatrice dans une arène où d’autres puissances mondiales imposent leurs règles. Il est essentiel de miser sur la résilience, l’interopérabilité et la diversité des solutions pour en faire les piliers de notre indépendance future.

Les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront si l’Europe reprend sa place de leader spatial mondial ou si elle sombre dans l’insignifiance. En misant sur la collaboration, l’innovation et l’ambition à long terme, nous pouvons assurer non seulement notre souveraineté, mais aussi un héritage durable de progrès pour les générations futures.

Le moment est venu ! L’Europe doit relever ce défi, non pas demain, ni plus tard, mais maintenant. Les décisions que nous prenons aujourd’hui façonneront notre place dans l’économie spatiale mondiale pour les décennies à venir. En faisant preuve de détermination, en osant investir massivement avec audace et en travaillant ensemble, nous pouvons garantir que l’Europe ne se contente pas d’être présente dans l’espace, mais qu’elle y joue un rôle de premier plan.

Après l’Ukraine, l’Europe face à Poutine

Après l’Ukraine, l’Europe face à Poutine

 

 

Si les États-Unis peuvent peut-être se permettre d’abandonner l’Ukraine à Vladimir Poutine, il n’en va pas de même pour l’Union européenne : ce n’est pas qu’une question de morale mais tout autant une question de survie face à un régime russe qui, non content d’envahir et de dévaster un pays voisin, multiplie les actions hostiles à l’égard des États de l’UE. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie est entrée dans sa quatrième année. Cette guerre est pour l’Union européenne une question très importante, pour une raison très simple : l’UE partage près de 2 300 km de frontières avec la Russie (par la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, ces deux dernières étant frontalières uniquement de l’exclave russe de Kaliningrad) et près de 1 300 avec l’Ukraine (par la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie). Au moment où la nouvelle administration à Washington semble prête à faire des concessions colossales à Moscou pour obtenir au plus vite un cessez-le-feu, quitte à contraindre Kiev à renoncer à une partie considérable de son territoire et à infliger à Volodymyr Zelensky une agression verbale devant les caméras lors de sa récente visite à la Maison Blanche, l’UE se retrouve plus que jamais en première ligne face à l’agressivité du régime de Moscou dans son voisinage immédiat.

 

par Sylvain Kahn
Professeur agrégé d’histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d’histoire de Sciences Po, Sciences Po dans The Conversation 

 
L’argumentaire et les actions russes : le refus fondamental d’une Ukraine réellement indépendante
L’histoire et la géographie de l’État-nation d’Ukraine ne sont ni plus ni moins complexes que celles de la plupart des autres États de l’espace mondial. L’indépendance moderne de l’Ukraine a eu lieu en même temps que celle de la Russie et des anciennes Républiques socialistes soviétiques en 1991.

Lorsque la Russie a remis en cause les frontières orientales de l’Ukraine à partir de 2014, elle l’a fait par la force, avec les actions d’une guerre hybride dans le Donbass, et non par la diplomatie ou le droit international. Les régions d’Ukraine annexées par l’État russe (Crimée en 2014 ; Donetsk, Lougansk, Kherson, Zaporijiia en 2022) ne lui ont pas été rattachées suite à des processus d’autodétermination dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les référendums organisés par Moscou dans chacune de ces régions – dont aucune à l’exception de la Crimée n’est entièrement occupée par la Russie – n’ayant été que des parodies de scrutins démocratiques, sans même parler du fait qu’ils ont été mis en œuvre en violation du droit international.

Si l’histoire et la géographie permettent de comprendre la complexité de la relation ukraino-russe, leur mobilisation comme facteur explicatif de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe relève du discours et d’une représentation politiques et non d’une explication causale de sciences humaines et sociales.

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Des universitaires dont les recherches portent sur l’Ukraine ou sur la Russie cherchent à caractériser ce qui est à l’œuvre dans cette politique d’invasion de la première par la seconde. Anna Colin Lebedev tend à démontrer comment, dans les pays occidentaux, la manière commune de voir cette région du monde et cette frontière a été façonnée par le point de vue et le récit de la société russe. Il est celui d’un centre sur une de ses périphéries qui ne peut avoir d’existence que dans sa condition de périphérie dépendante, dominée ou assujettie.

Sergueï Medvedev et Marie Mendras ont récemment abouti dans leurs travaux respectifs à la conclusion que cette guerre d’invasion était une des facettes et une des politiques publiques constitutives du régime qui s’est progressivement construit en Russie depuis 25 années.

Une guerre qui reflète la nature du régime poutinien
Le régime poutinien gouverne la société par l’état de guerre permanent. La pratique du pouvoir et de l’administration y sont nourries par la culture du monde criminel et du monde carcéral. La violence comme mode de relation sociale et mode de relation entre l’État et ses administrés y est devenue la norme instituée, à l’image des sociétés criminelles et mafieuses. La guerre contre la société ukrainienne y est alors légitimée comme le moyen banal de résoudre les problèmes que poserait l’existence de l’Ukraine indépendante.

Les massacres arbitraires de civils – dont celui de Boutcha en mars 2022 est emblématique – et la destruction méthodique et constante des infrastructures critiques des villes ukrainiennes témoignent de cette banalisation de la violence au sein de l’appareil d’État et de l’armée russes.

L’enrôlement massif et contraint de Russes – dont de nombreux détenus des prisons dans lesquelles puise l’armée pour faire cette guerre – est acheté aux « soldats », aux nombreux estropiés et à leurs veuves et femmes par des sommes d’argent importantes.

L’agression de l’Ukraine apparaît donc comme le prolongement de cette culture de la violence hiérarchique et de la valorisation symbolique de la culture de la guerre patriotique qui caractérisent le régime politique russe mis en place par l’administration Poutine à travers ses politiques publiques, notamment scolaires, pénitentiaires, judiciaires, militaires et culturelles.

L’UE face à Poutine
De cette invasion à grande échelle dont le but proclamé est la disparition de l’État ukrainien en tant que tel, au motif que le peuple ukrainien serait une fiction et ses dirigeants des nazis, les Européens comprennent que l’État russe et l’UE frontaliers sont des régimes politiques antagonistes que tout sépare. La pratique du premier menace la stabilité voire l’existence du second.

De fait, la Russie mène depuis 2014 des actions de guerre hybride à l’encontre de l’UE : violation régulière de ses espaces aériens, maritimes et cyber, ingérences et manipulations digitales dans les campagnes électorales européennes, financement de partis politiques illibéraux et eurosceptiques… L’invasion de l’Ukraine par la Russie à la frontière de l’UE donne à ces actions répétées une autre signification : les politiques de l’État russe effraient les Européens tout autant qu’elles les choquent.

C’est pourquoi les Européens ont décidé très rapidement dès février 2022 de sanctionner la Russie pour se déprendre de cette interdépendance et assécher autant que possible le financement de son effort de guerre. Dans le même temps, ils ont décidé de soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine envahie par des approvisionnements en armes, de lui fournir une aide budgétaire et civile d’ampleur, et d’accueillir jusqu’à 6 millions de réfugiés ukrainiens ayant fui les bombardements russes sur leurs villes. L’aide cumulée des Européens tous secteurs compris est aussi importante que celles fournie par les États-Unis sous l’administration Biden. L’UE – Conseil, Commission et Parlement – ont lancé le processus d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie à l’UE.

Sur l’Ukraine, les Européens gardent leur cap : celui d’un accord de paix globale apportant une garantie de sécurité pour l’Ukraine et le retour à sa pleine souveraineté. Ils l’ont réaffirmé sans ambiguïté le 24 février 2025 sur place à Kiev et aussi à Washington lors de la visite tout sourire d’Emmanuel Macron à la Maison Blanche. Et ils l’ont dit à nouveau après la discussion houleuse entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump (accompagné de J. D. Vance) du 28 février dans le Bureau ovale.

Au même moment, à New York, à l’ONU, on vient d’assister à la naissance d’un axe américano-russe dans le vote d’une résolution sur « la paix en Ukraine » qui ne mentionne ni l’agresseur ni les territoires conquis et occupés ; les pays européens ont refusé de la soutenir.

Le retour de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis pose donc une question simple : les Européens sont-ils en capacité de poursuivre leurs buts politiques de soutien à l’Ukraine dès lors que les Américains cessent de soutenir l’Ukraine et adhèrent au narratif des Russes ?

Le sommet sur l’Ukraine de Londres, qui s’est tenu dimanche 2 février 2025, apporte de premiers éléments de réponse à cette importante question. Il a réuni une douzaine de pays européens y compris le président ukrainien ; mais aussi des dirigeants de la Turquie, de la Norvège et l’OTAN – et bien sûr le premier ministre britannique Keir Starmer, hôte de cette réunion.

On voit que les alliés de l’Ukraine réaffirment et maintiennent à nouveau leur ligne en dépit des pressions grandissantes de la nouvelle administration américaine. Ces dernières, peut-être à la grande surprise de Trump et de Vance, loin de fragiliser la cohésion et la détermination des Européens, semblent au contraire non seulement la renforcer mais rapprocher des pays qui s’étaient différenciés.

On voit aussi qu’en dépit du Brexit le Royaume-Uni s’est pleinement impliqué dans les discussions relatives à la sécurité du continent et a augmenté son aide bilatérale à l’Ukraine. Les dirigeants européens, par exemple allemands, polonais, danois, estoniens et de l’UE – Ursula van der Leyen et Kaja Kallas – reprennent à leur compte des propositions de financement d’une base industrielle et technologique de défense à l’échelle européenne et de dépenses publiques d’armements qui étaient jusqu’alors connues comme des postions françaises.

Si les Européens et leurs alliés sont encore loin d’avoir les réponses opérationnelles à la question « comment faire sans les Américains de Trump en train de construire un nouvel axe avec la Russie de Poutine ? », le sommet de Londres a montré qu’ils sont déterminés à les trouver et à poursuivre leur soutien à l’Ukraine en guerre contre son envahisseur.

Zelinsky ridiculisé et Humilié par Trump mais soutenu par l’Europe et ailleurs

Zelinsky ridiculisé et Humilié par Trump mais soutenu en France

 

Globalement la classe politique française apporte son soutien à zelinskyqui a véritablement été ridiculisé et humilié en public par un TRUMP reprenant la totalité des positions de Poutine.( (Extrait du journal le Figaro)

 Bon nombre de responsables politiques français se sont indignés vendredi de l’altercation entre Donald Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche, et ont appelé l’Europe à faire bloc avec l’Ukraine.
Le premier ministre, François Bayrou, a jugé que le président ukrainien «était l’honneur de l’Europe» en «refusant de plier» devant son homologue américain. «Il nous reste à décider ce que nous, Européens, voulons être. Et si nous voulons être, tout court», a écrit le maire de Pau. «L’Ukraine n’a pas été battue. Elle est trahie», a réagi Édouard Philippe sur le réseau social X, estimant que l’exécutif américain était «en train d’humilier tout un peuple»«La France et l’Europe doivent être aux côtés de l’Ukraine, c’est notre avenir qui est en jeu», a-t-il poursuivi.

François Hollande a lui qualifié la scène à la Maison-Blanche de «scène obscène de télé-réalité» et déclaré que la France et l’Europe devaient «décider au plus vite un nouveau plan d’aide pour l’Ukraine»«Si Donald Trump, dans le Bureau ovale, parlait, c’est Vladimir Poutine qui était son souffleur», a-t-il taclé. Son ancien premier ministre, Bernard Cazeneuve, a constaté que Zelensky a trouvé «l’invective et les vérités alternatives, l’abandon et la trahison» dans le bureau ovale. Les Américains devraient «avoir honte» ce soir, a écrit en anglais l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, appelant dans un second message les Européens à «assumer seuls notre sécurité et l’aide à la résistance ukrainienne».

Les responsables de nombreux partis politiques français ont également rapidement réagi. «Ce soir, les États-Unis ont perdu le droit de se revendiquer comme les leaders du monde libre», a déclaré Gabriel Attal, secrétaire général du parti présidentiel Renaissance et ex-premier ministre. «Ce soir, ce rôle nous revient à nous, Européens.» «Ce qui se joue, c’est la défense du droit international, de la paix et de la liberté», a considéré la ministre de l’Éducation nationale Elisabeth Borne.

. La patronne des Écologistes Marine Tondelier a jugé que Donald Trump et son vice-président s’étaient comportés «avec Zelensky comme des brutes à la solde de Poutine»«L’Europe doit se réveiller: elle est seule», a-t-elle ajouté.

«En humiliant Zelensky, Trump prouve qu’il n’a rien à faire du soi-disant accord avec Macron», a pour sa part écrit le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon. «Les Européens découvrent comment les USA traitent l’Amérique du Sud et ses dirigeants depuis un siècle. Les atlantistes européens sont les coupables d’une capitulation sans condition sans issue!» Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel s’est dit choqué par la «violence» de l’échange dans le Bureau ovale. «Le président américain se fiche de la paix et montre son vrai visage, celui d’un oligarque prêt à soumettre le monde aux appétits financiers des plus riches américains», a ajouté le maire communiste de Saint-Amand-les-Eaux.

À droite, le patron des députés Les Républicains Laurent Wauquiez a lui aussi estimé qu’il était «urgent que l’Europe se réveille». Valérie Pécresse, président de la région Île-de-France, avance que «le président Trump ne réussira pas à instaurer une paix durable en humiliant l’Ukraine et en oubliant qu’elle ne fait que se défendre contre l’impérialisme de Poutine»«Aujourd’hui, la Maison-Blanche a parlé comme le Kremlin», a-t-elle martelé.

 

Risque de vassalisation pour l’Europe d’après Macron

Risque de vassalisation pour l’Europe d’après Macron

En dépit d’une bonne relation personnelle avec Trump, Macron attire l’attention de l’Europe sur les risques de la vassalisation  par les États-Unis. Un  appel de sa part au renforcement de l’Europe sur le plan économique et de la défense aussi en faveur d’une attitude plus agressive.

En visite d’État pour deux jours au Portugal, Emmanuel Macron a appelé jeudi les Européens à se montrer «plus que jamais unis et forts » et à refuser la «vassalisation heureuse» vis-à-vis des États-Unis. «Je vois plein de gens dans notre Europe dire “on va devoir être gentil avec les Américains, ça va passer, il faut courber l’échine”», a-t-il déclaré en fin de journée lors d’une rencontre dans un incubateur de start-up sur le thème de l’innovation et de l’intelligence artificielle. Mais «la réponse n’est pas dans une soumission» et «je ne suis pas pour la vassalisation heureuse», a-t-il ajouté.
Au contraire, «les Européens peuvent être convaincus d’une chose: il leur faut plus que jamais être unis et forts», et pour cela «nous devons absolument faire des choix très profonds (…) en matière technologique, industrielle (et) de défense», avait-il affirmé un peu plus tôt depuis l’Assemblée de la République portugaise.

 

 

Politique- La cécité de l’Europe vis à vis de Poutine

Politique- La cécité de l’Europe vis à vis de Poutine

Face à la pression totalitaire que le président russe exerce sur l’Europe, le lauréat 2024 du prix Jacques Delors du livre européen, Karl Schlögel, rappelle, dans une tribune au « Monde », l’européanité de l’Ukraine et s’alarme d’un retour de l’« Occident kidnappé » évoqué par Milan Kundera.

Qu’attend encore l’Europe ? Il y a dix ans, lorsque les troupes russes ont occupé la Crimée et lancé une insurrection de criminels et de séparatistes dans l’est de l’Ukraine, on pouvait encore se permettre d’être « choqué » et « stupéfait ». Même à la veille du 24 février 2022, après des mois de déploiement de centaines de milliers de soldats russes, on refusait encore de croire qu’on en arriverait à un véritable conflit territorial de grande ampleur contre un pays européen.
Depuis trois ans maintenant, l’Europe voit presque quotidiennement aux informations ce qui se passe à moins de deux heures de vol d’ici : le bombardement incessant des villes, la fuite de millions de personnes hors des zones de guerre et au-delà des frontières, d’innombrables crimes perpétrés contre la population civile, des frappes de missiles à proximité d’installations nucléaires – bref, l’anéantissement des moyens de subsistance de la nation ukrainienne. Il s’agit de plonger l’Ukraine dans le froid et l’obscurité et de la contraindre à la capitulation.

Tout cela ne se passe pas quelque part on ne sait où mais en plein cœur de l’Europe. C’est Kiev, ville millénaire avec ses cathédrales et ses monastères, qui est touchée. A Kharkiv, métropole aux gratte-ciel modernistes des années 1920, des quartiers entiers sont en ruine. Même la « petite Vienne » (Lviv, l’ancienne Lemberg habsbourgeoise) n’a pas été épargnée par les missiles russes. Odessa, dont nous connaissons la promenade et l’escalier du Potemkine grâce au film de Sergueï Eisenstein (1898-1948), Le Cuirassé Potemkine (1927), est livrée aux attaques de drones iraniens. Comment réagiraient les Européens si des bombes tombaient sur Trieste, en Italie, ou sur Marseille ?

C’est une dangereuse illusion de supposer qu’il ne s’agit que d’un conflit russo-ukrainien. Depuis le début, les dirigeants russes n’ont laissé planer aucun doute, ni par leurs déclarations ni par leurs actes, sur leurs objectifs : reprendre le contrôle de l’Europe centrale et orientale et restaurer l’Europe de Yalta, que Milan Kundera (1929-2023) avait appelée un jour l’« Occident kidnappé »

La cécité de l’Europe vis à vis de Poutine

La cécité de l’Europe vis à vis de Poutine

Face à la pression totalitaire que le président russe exerce sur l’Europe, le lauréat 2024 du prix Jacques Delors du livre européen, Karl Schlögel, rappelle, dans une tribune au « Monde », l’européanité de l’Ukraine et s’alarme d’un retour de l’« Occident kidnappé » évoqué par Milan Kundera.

Qu’attend encore l’Europe ? Il y a dix ans, lorsque les troupes russes ont occupé la Crimée et lancé une insurrection de criminels et de séparatistes dans l’est de l’Ukraine, on pouvait encore se permettre d’être « choqué » et « stupéfait ». Même à la veille du 24 février 2022, après des mois de déploiement de centaines de milliers de soldats russes, on refusait encore de croire qu’on en arriverait à un véritable conflit territorial de grande ampleur contre un pays européen.

Depuis trois ans maintenant, l’Europe voit presque quotidiennement aux informations ce qui se passe à moins de deux heures de vol d’ici : le bombardement incessant des villes, la fuite de millions de personnes hors des zones de guerre et au-delà des frontières, d’innombrables crimes perpétrés contre la population civile, des frappes de missiles à proximité d’installations nucléaires – bref, l’anéantissement des moyens de subsistance de la nation ukrainienne. Il s’agit de plonger l’Ukraine dans le froid et l’obscurité et de la contraindre à la capitulation.

Tout cela ne se passe pas quelque part on ne sait où mais en plein cœur de l’Europe. C’est Kiev, ville millénaire avec ses cathédrales et ses monastères, qui est touchée. A Kharkiv, métropole aux gratte-ciel modernistes des années 1920, des quartiers entiers sont en ruine. Même la « petite Vienne » (Lviv, l’ancienne Lemberg habsbourgeoise) n’a pas été épargnée par les missiles russes. Odessa, dont nous connaissons la promenade et l’escalier du Potemkine grâce au film de Sergueï Eisenstein (1898-1948), Le Cuirassé Potemkine (1927), est livrée aux attaques de drones iraniens. Comment réagiraient les Européens si des bombes tombaient sur Trieste, en Italie, ou sur Marseille ?

C’est une dangereuse illusion de supposer qu’il ne s’agit que d’un conflit russo-ukrainien. Depuis le début, les dirigeants russes n’ont laissé planer aucun doute, ni par leurs déclarations ni par leurs actes, sur leurs objectifs : reprendre le contrôle de l’Europe centrale et orientale et restaurer l’Europe de Yalta, que Milan Kundera (1929-2023) avait appelée un jour l’« Occident kidnappé »

Politique-L’Europe des valeurs contre les empires de l’argent

 Politique- L’Europe des valeurs contre les empires de l’argent

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Face à cette alliance americano-russe – aussi paradoxale que renversante si l’on se souvient de la guerre froide et, surtout, si l’on songe aux liens privilégiés entre le maître du Kremlin et la Chine, ennemie désignée de Trump -, certains dirigeants européens comme Emmanuel Macron, Keir Starmer et Donald Tusk tentent de résister à cette hégémonie qui conjugue cynisme et brutalité. Ils donnent raison à Bertolt Brecht qui affirmait : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »

 

 par  Bruno Jeudy, directeur délégué dans la « La Tribune Dimanche ».

 

En se rendant à Washington la semaine prochaine pour plaider la cause européenne, le président français et le Premier ministre britannique vont rappeler que les Européens ne sauraient être écartés du règlement du conflit en Ukraine… sur leur continent. C’est la survie de l’UE qui se joue, car il s’agit d’une crise existentielle qu’elle doit surmonter.

Dans ce contexte, il faut saluer le retour d’une entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni face aux semeurs de discorde. Aux Européens de faire fi de la docilité et des médiocres compromis et d’affirmer leurs valeurs (l’indépendance des États, le respect des engagements) face aux foucades de Trump et aux oukases de Poutine.

C’est pourquoi le spectacle offert par certains responsables politiques français pourtant peu avares de tirades patriotiques et de proclamations de souveraineté nationale ne peut que susciter des commentaires ironiques, voire l’opprobre. Jordan Bardella a préféré se dispenser d’une réunion à l’Élysée consacrée à la défense pour se rendre à Washington à un rassemblement des conservateurs les plus extrémistes. Drôle de priorité alors que la France joue son indépendance.

Piteuse expédition où le dirigeant du RN a fait le pari de l’étranger… Pari perdu puisqu’il a dû annuler sa prise de parole après avoir pris connaissance du salut nazi de Steve Bannon. Quant à Éric Zemmour et à Sarah Knafo, ils semblent camper devant la Maison-Blanche. Peut-être attendent-ils la validation de leur green card ! Bref, des nationalistes à la remorque tantôt des Russes, tantôt des Américains… De quoi confirmer les propos d’Albert Schweitzer pour qui « le nationalisme, c’est un patriotisme qui a perdu sa noblesse »

Politique de défense: « Une rupture existentielle pour l’Europe »

LA TRIBUNE DIMANCHE — Le candidat chrétien-démocrate à la chancellerie, Friedrich Merz, a déclaré le 21 février vouloir « discuter avec les Britanniques et les Français pour savoir si leur protection nucléaire pourrait également s’étendre à [l'Allemagne] ». Comment interpréter ses propos ?

THIERRY BRETON — Nous vivons un moment historique, à la mesure de la recomposition accélérée de l’ordre mondial qui est à l’œuvre depuis quelques semaines. Si ce qu’a dit Friedrich Merz devait se concrétiser, ce serait un changement radical de posture de la part de l’Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce serait une rupture aussi existentielle, pour elle et pour l’Europe, que le fut sa décision de renoncer au Deutsche Mark au moment de la création de l’euro en 1999. Jusqu’ici, l’Allemagne avait choisi de se placer sous la protection nucléaire ultime des États-Unis dans le cadre de l’Otan. En s’exprimant ainsi à deux jours des élections législatives outre-Rhin, le probable futur chancelier acte la nécessité d’une nouvelle architecture de sécurité européenne face à une double menace : celle d’une vassalisation de l’Europe par les États-Unis et celle d’une volonté ouvertement belliqueuse de la part de la Russie. Il n’est plus possible de sous-traiter la sécurité de notre continent à autrui, un message que la France ne cesse de porter depuis de nombreuses années.

L’Europe des valeurs contre les empires de l’argent

 L’Europe des valeurs contre les empires de l’argent 

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Face à cette alliance americano-russe – aussi paradoxale que renversante si l’on se souvient de la guerre froide et, surtout, si l’on songe aux liens privilégiés entre le maître du Kremlin et la Chine, ennemie désignée de Trump -, certains dirigeants européens comme Emmanuel Macron, Keir Starmer et Donald Tusk tentent de résister à cette hégémonie qui conjugue cynisme et brutalité. Ils donnent raison à Bertolt Brecht qui affirmait : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »

 

 par  Bruno Jeudy, directeur délégué dans la « La Tribune Dimanche ».

 

En se rendant à Washington la semaine prochaine pour plaider la cause européenne, le président français et le Premier ministre britannique vont rappeler que les Européens ne sauraient être écartés du règlement du conflit en Ukraine… sur leur continent. C’est la survie de l’UE qui se joue, car il s’agit d’une crise existentielle qu’elle doit surmonter.

Dans ce contexte, il faut saluer le retour d’une entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni face aux semeurs de discorde. Aux Européens de faire fi de la docilité et des médiocres compromis et d’affirmer leurs valeurs (l’indépendance des États, le respect des engagements) face aux foucades de Trump et aux oukases de Poutine.

C’est pourquoi le spectacle offert par certains responsables politiques français pourtant peu avares de tirades patriotiques et de proclamations de souveraineté nationale ne peut que susciter des commentaires ironiques, voire l’opprobre. Jordan Bardella a préféré se dispenser d’une réunion à l’Élysée consacrée à la défense pour se rendre à Washington à un rassemblement des conservateurs les plus extrémistes. Drôle de priorité alors que la France joue son indépendance.

Piteuse expédition où le dirigeant du RN a fait le pari de l’étranger… Pari perdu puisqu’il a dû annuler sa prise de parole après avoir pris connaissance du salut nazi de Steve Bannon. Quant à Éric Zemmour et à Sarah Knafo, ils semblent camper devant la Maison-Blanche. Peut-être attendent-ils la validation de leur green card ! Bref, des nationalistes à la remorque tantôt des Russes, tantôt des Américains… De quoi confirmer les propos d’Albert Schweitzer pour qui « le nationalisme, c’est un patriotisme qui a perdu sa noblesse ».

Défense : réveil douloureux pour l’Europe

 Défense : réveil douloureux pour l’Europe

 

La spécialiste des enjeux de sécurité Barbara Kunz souligne, dans une tribune au « Monde », à quel point les Européens ont tardé à envisager le retrait de la protection militaire offerte par les Etats-Unis. Ils doivent maintenant agir sans attendre.

 

 

Nombreux sont les Européens qui ont eu pendant longtemps le luxe de pouvoir discuter de leur sécurité en des scénarios hypothétiques. Certains, comme les Allemands, se sont même permis de discuter de leur politique de sécurité comme s’il s’agissait de quelque chose d’optionnel : sans menace apparente, l’urgence n’y était clairement pas. Mais, près de trois ans après l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie, le cauchemar semble devenu réalité. La guerre de haute intensité est de retour sur le continent. Le président Trump et son administration semblent aussi avoir apporté leur réponse à une autre question qui a longtemps divisé les Européens : peuvent-ils encore faire confiance aux Etats-Unis et aux garanties de sécurité américaines ?

Une bonne partie du débat européen sur la politique de sécurité de ces dernières années – et notamment celui, plutôt toxique, autour de la notion d’autonomie stratégique européenne – peut se résumer en un désaccord concernant les Etats-Unis. Pour la plupart des gouvernements européens, l’autonomie stratégique européenne ne constitue en effet pas un objectif en tant que tel, mais plutôt une sorte de plan B au cas où le plan A – l’OTAN et la protection fournie par les Etats-Unis – ne serait plus disponible. Or, qu’il fût nécessaire ou non de réfléchir à ce plan B n’a jamais fait consensus parmi les Européens. Même la première présidence Trump, de 2017 à 2020, a donné lieu à des interprétations très différentes.

Politique-L’Europe vassalisée par les États-Unis

Politique-L’Europe vassalisée par les États-Unis

 

 

Les Big Tech façonnent toujours plus notre quotidien, bien au-delà de leur valorisation financière exceptionnelle. Dans ce contexte, l’économiste Julien Pillot, chercheur à l’Inseec, décrypte comment leur domination sur des infrastructures essentielles et des technologies clés leur confère un pouvoir sans égal, rendant complexe toute tentative de régulation. D’autant plus que le retour de Donald Trump à la Maison Blanche se place sous le signe de l’alliance entre géants de la Tech et pouvoir politique, ce qui redessine les enjeux de souveraineté et de démocratie.

 

par Julien Pillot
Enseignant-Chercheur en Economie, INSEEC Grande École dans The Conversation 

Dans quelle mesure la valorisation financière exceptionnelle des Big Tech affecte-t-elle leur capacité à faire face aux contraintes légales ?

Julien Pillot : Il ne faut pas s’y tromper : les Big Tech tirent moins leur puissance de leur valorisation exceptionnelle que du caractère incontournable de certaines de leurs infrastructures, technologies et services. Songeons aux données de santé des Français qui ont été confiées à Microsoft, ou aux données relatives à la maintenance et la gestion des pièces d’usure du parc nucléaire français confiées à Amazon… L’Italie, de son côté, négocie avec SpaceX la mise en place d’un système de télécommunication satellitaire essentiellement dédié aux services de l’État, y compris dans des domaines aussi sensibles que le militaire, la diplomatie ou la protection civile. Ce qui prête à sourire quand on sait que cette négociation intervient juste quelques jours après le lancement du projet de constellation Iris2, réseau satellitaire propriétaire devant offrir aux États membres de l’Union européenne (UE) des services de connectivité sécurisés.

Les Big Tech ont également la main sur des technologies clés dans l’intelligence artificielle (IA), ou des infrastructures essentielles à l’image des câbles sous-marins…

J.P. : Effectivement. Outre de heurter le discours de façade autour de la construction d’une souveraineté numérique européenne, ces quelques exemples montrent surtout une fascination pour les Big Tech nord-américaines – pour ne pas dire une certaine soumission. Il faut reconnaître l’efficacité de leurs solutions, mais cela ne saurait excuser la grande passivité de l’Union européenne qui, faute d’avoir su mener avec force une véritable politique industrielle dans le numérique, s’est laissé vassaliser par les États-Unis et ses champions de la Tech.

Comment, dans ces conditions, les États peuvent-ils se montrer fermes dans l’application de l’arsenal juridique – pourtant bien fourni en Europe en ce qui concerne le numérique ?

J.P. : Les sanctions financières qui sont régulièrement prononcées à leur endroit pour non-conformité aux règlements européens, ou dans le registre de l’antitrust, ne semblent en effet pas particulièrement dissuasives. Seuls le seraient des remèdes comportementaux, qui entraveraient la capacité de ces entreprises à maintenir leurs pratiques en l’état et/ou exercer pleinement leur pouvoir de marché, ou plus encore des bannissements temporaires ou définitifs du marché européen. Ce que prévoit, par exemple, le Digital Services Act (DSA) pour les entreprises convaincues d’infractions répétées. On verra si l’UE ira jusqu’à bannir X de son marché intérieur. Quand on voit comment le commissaire européen Thierry Breton a été lâché par l’exécutif européen après avoir rappelé publiquement à Elon Musk ses responsabilités au titre du DSA, nous sommes légitimement en droit d’en douter…

Comment les stratégies de monétisation uniques des géants de la Tech influencent-elles leur rapport aux lois et réglementations ?

J.P. : En dehors de l’agenda politique des grands leaders de la Tech, on touche là au cœur du problème : ils tirent à la fois leur revenu et leur influence de la collecte et l’exploitation massive de données personnelles. Or, on peut voir que le revenu moyen par utilisateur (ARPU) est maximal dans les zones où la réglementation autour de la protection de la vie privée est la moins stricte. Ce qui peut aisément se comprendre : moins les données sont anonymes et plus les données sont sensibles, et plus elles ont de la valeur pour celui qui va les exploiter.

Il ne faut pas s’y tromper : derrière le discours idéologique autour de la disparition volontaire de la vie privée avec Internet qu’aiment à claironner les géants de la Tech, et leurs intenses campagnes de lobbying, il y a d’abord une histoire de gros sous. Mais l’histoire de s’arrête pas là. Bien des pratiques de marché des géants de la Tech sont aujourd’hui dans le viseur des autorités de concurrence car (potentiellement, pour les affaires encore en cours d’instruction) constitutives d’abus de position dominante. Sans entrer dans un inventaire à la Prévert, on comprend bien que ces entreprises ont pu prospérer sur l’absence de régulation, sur la lenteur de nos procédures antitrust, et osons le dire, quelques réticences à encadrer trop sévèrement cette sphère numérique pourvoyeuse d’emplois, de croissance et d’outils forts pratiques à l’usage.

Qu’est-ce qui peut changer avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, avec notamment la nomination d’Elon Musk dans son équipe ?

J.P. : Je me souviens de l’époque où on m’interrogeait sur les raisons qui poussent Elon Musk à acheter Twitter. Je répondais toujours :

« Personne ne met 44 milliards de dollars sur la table pour acheter une entreprise structurellement déficitaire si ce n’est pas pour en faire un énorme levier d’influence. »

Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. Twitter, devenu X, a été transformé pour servir un dessein politique, mais aussi culturel, voire civilisationnel, illibéral et conservateur.

Sous couvert de libérer toutes les paroles, et de redonner aux utilisateurs le pouvoir de contrôler la qualité du contenu partagé à travers les signalements et les « notes communautaires » (« community notes »), il s’est surtout agi de mettre l’algorithme au service de la diffusion de contenus volontairement clivants et choquants, car les plus susceptibles de générer de l’engagement. Le vrai problème est donc désormais le risque que, dans un contexte de défiance envers les élites et les médias traditionnels, les faits soient ramenés au même niveau que les opinions. Pire, avec le concours des algorithmes, dont l’opacité est toute sauf fantasmée, les opinions majoritaires peuvent s’établir en faits. Avec tous les risques de manipulation et ingérence que l’on peut redouter de la part d’entreprises qui ne font pas grand cas de la démocratie.

Il devient donc de plus en plus difficile, dans un contexte de coexistence de centaines de vérités alternatives, de faire vivre ensemble une communauté nationale et un projet démocratique…

J.P. : On voit d’ailleurs à quel point, depuis l’élection de Donald Trump, les choses sont en train de se mettre en place du côté de la Tech nord-américaine. D’un côté, Musk poursuit ses provocations et ingérences tous azimuts pour déstabiliser, notamment en Europe, les gouvernements trop progressistes à ses yeux. Quant à Mark Zuckerberg, le patron de Meta (Facebook, Threads, Instagram, WhatsApp), il vient de diffuser une vidéo dans laquelle il affirme saisir l’opportunité de l’élection de Trump pour stopper le (coûteux) programme de fact-checking et lutter contre la censure, au bénéfice de ses utilisateurs… mais aussi de la nouvelle administration. Il en profite d’ailleurs pour tacler violemment l’UE en déclarant par exemple :

« L’Europe dispose d’un nombre croissant de lois, institutionnalisant la censure et rendant difficile la construction de projets innovants. »

On peut conclure par conséquent que l’élection de Donald Trump constitue un point de bascule majeur…

J.P. : Effectivement, car il n’hésitera pas à user de tous ses leviers, économiques, diplomatiques et militaires, pour mettre la pression aux pays tiers, alliés ou non, et protéger les intérêts des entreprises nord-américaines, à plus forte raison qu’elles servent à asseoir sa gouvernance et son idéologie. De ce fait, au-delà des seules considérations juridiques, il sera peut-être difficile de trouver suffisamment d’appui à la Commission européenne pour affronter Donald Trump et ses alliés numériques frontalement sur le terrain de l’antitrust et de la régulation.

Ce serait un aveu de faiblesse, mais surtout une formidable erreur. Car, chaque seconde perdue dans ce combat, renforce le capitalisme de surveillance, faisant la part belle aux influenceurs en tout genre, et à la prédation de ressources, notamment énergétiques et métalliques, pour alimenter leurs si gourmands serveurs et intelligences artificielles.

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