Archive pour le Tag 'diversité'

Démocratie- de moins en moins de diversité sociale chez les élus

Démocratie- de moins en moins de diversité sociale chez les élus 

Un ouvrage universitaire collectif, coordonné par le politiste et le sociologue Didier Demazière, directeur de recherche au CNRS, revient sur les transformations du profil des élus, le sentiment de déclassement et la perception d’un métier qu’ils n’envisagent plus « à vie ». ( dans Le Monde)

Dans Des élus déclassés ?, ouvrage collectif (PUF, 132 pages, 11 euros), des universitaires posent à nouveaux frais la question de la condition des élus au sein de notre société. Le sociologue Didier Demazière, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre de sociologie des organisations, et le politiste Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille et chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (Ceraps), coordinateurs scientifiques de l’ouvrage, reviennent pour Le Monde sur les transformations récentes du métier et sur la réalité d’une éventuelle perte de prestige.

La question de la condition des élus est rarement posée en tant que telle dans le débat public. Pourquoi, selon vous ?

Rémi Lefebvre : Cet impensé est dû, selon moi, à deux éléments : d’abord, l’idéologie démocratique stipule que la politique est un engagement, et non un métier, ce qui rend difficile de l’analyser en tant que tel. Deuxièmement, il y a aujourd’hui une telle suspicion à l’égard de la politique et des élus, considérés par les Français comme des privilégiés, que les élus eux-mêmes ont peur d’aborder ces questions-là. Nous essayons, avec ce livre, de poser cette question à nouveaux frais – en insistant notamment sur le fait qu’en France, qui compte près de 500 000 élus, cette catégorie ne peut être pensée de manière unifiée car elle recouvre des situations extrêmement hétérogènes.

Comment le métier d’élu et la façon dont il est valorisé se sont-ils transformés dans les dernières décennies ?

Didier Demazière : Prenons l’exemple des maires : ils ont connu un alourdissement et une technicisation de leur travail qui impacte beaucoup les élus des petites communes, disposant de peu moyens humains. L’intercommunalité a souvent eu pour conséquence un transfert de pouvoir vers l’échelon supérieur. Globalement, l’activité des élus est aussi davantage surveillée : le cumul des mandats est restreint, les contrôles sur leurs frais de représentation se multiplient…

C’est dans ce contexte de transformation de leur activité qu’est intervenue la série d’agressions de maires, et qu’elle a été interprétée par leurs assemblées représentantes comme le signe d’une dévaluation de leur image.

Monde agricole : une grande diversité sociologique et de problèmes

Monde agricole : une grande diversité sociologique et de problèmes

par Gilles Laferté, chercheur en sciences sociales spécialiste des agriculteurs dans the Conversation

Médiatiquement, il est souvent question des agriculteurs, comme si ces derniers représentaient un groupe social unifié. Est-ce le cas ?

D’un point de vue administratif, institutionnel, du point de vue de la description économique d’une tâche productive, « les agriculteurs », entendus comme les exploitants agricoles, ça existe. Mais d’un point de vue sociologique, non, ce n’est pas un groupe. Les viticulteurs de régions canoniques du vin, ou les grands céréaliers des régions les plus productives, n’ont pas grand-chose à voir avec les petits éleveurs, les maraîchers ou ceux qui pratiquent une agriculture alternative.

Le sociologue aura dont plutôt tendance à rattacher certains d’entre eux aux catégories supérieures, proches des artisans, commerçants, chefs d’entreprises voire des cadres, et d’autres aux catégories supérieures des classes populaires. La plupart des agriculteurs sont proches des pôles économiques, mais une partie, sont aussi fortement dotés en capitaux culturels. Et, encore une fois, même dans les classes populaires, les agriculteurs y seront à part. C’est une classe populaire à patrimoine, ce qui les distingue de manière très décisive des ouvriers ou des petits employés.

Dans l’histoire de la sociologie, les agriculteurs ont d’ailleurs toujours été perçus comme inclassables. Ils sont autant du côté du capital que du travail. Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie. Autre dualité dans leur positionnement : ils sont à la fois du côté du travail en col blanc avec un ensemble de tâches administratives de planification, de gestion, de projection d’entreprise sur le futur, de captation de marchés, mais ils sont aussi du côté du col bleu, du travail manuel, de ses compétences techniciennes.

Comment expliquer alors qu’en France, ce groupe soit encore si souvent présenté comme unifié ?

Cette illusion d’unité est une construction à la fois de l’État et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour un bénéfice mutuel historique : celle d’une co-gestion. Globalement, l’État s’adresse aux agriculteurs via ce syndicat dominant, pour tâcher de bâtir une politique publique agricole cohérente. Même si la co-gestion a été dépassée pour être plus complexe, cette idée que l’agriculture était une histoire entre l’État et les agriculteurs perdure comme on le voit dans les syndicats invités à Matignon, uniquement la FNSEA au début de la crise. La FNSEA a tenté historiquement de rassembler les agriculteurs pour être l’interlocuteur légitime. Mais cet état des lieux est aussi le fruit de l’action historique de l’État, qui a forgé une batterie d’institutions agricoles depuis la IIIème République avec le Crédit Agricole, une mutuelle sociale agricole spécifique, des chambres d’agriculture… Jusque dans les statistiques, les agriculteurs sont toujours un groupe uni, à part, ce qui est une aberration pour les sociologues.

Tout cela a produit l’image d’une existence singulière et unifiée du monde agricole, et dans le quotidien des agriculteurs, on trouve l’écho de cela dans des pratiques sociales communes instituées : l’immense majorité des agriculteurs va de fait à la chambre de l’agriculture, au Crédit Agricole ou à Groupama, ils sont tous affiliés à la mutuelle sociale agricole.

Lorsqu’un agriculteur est présenté, c’est souvent par son type d’activité, la taille de son exploitation, son revenu, son appartenance syndicale. Ces critères sont-ils suffisants pour comprendre sa singularité ?

Ces critères sont pertinents mais pas suffisants. D’abord, ils sont en général assez liés. Le type de culture, et ensuite la taille de l’exploitation sont très prédictives du revenu, avec des filières particulièrement rémunératrices (céréales, viticulture), qui garantissent, avec un nombre d’hectares suffisants, des revenus, et, en bas de l’échelle, le lait, le maraîchage, beaucoup moins rémunérateur. Cette réalité est d’ailleurs assez injuste car les filières les moins rémunératrices sont aussi celles où l’on travaille le plus, du fait des contraintes de traite, de vêlage.

Ensuite, bien sûr, l’appartenance syndicale est très importante, elle situe l’univers de référence, le sens politique d’un agriculteur, son projet de société derrière son activité, avec par exemple une logique productiviste derrière la FNSEA ; une politisation bien à droite, aujourd’hui proche du RN, de plus en plus assumée ces derniers jours du côté de la Coordination Rurale ; et enfin des projets alternatifs, centrés autour de petites exploitations, d’accélération de la transition avec la Confédération Paysanne.

Mais ces critères sont loin d’être suffisants, ceux des générations et des origines sociales sont devenus également déterminants.

Car il faut garder en tête que le groupe agricole est aujourd’hui un groupe âgé, avec une moyenne d’âge d’actifs qui dépasse les cinquante ans en moyenne. Le monde agricole est donc traversé par un enjeu de renouvellement des générations. Ce même monde agricole est aussi un des groupes les plus endogames qui soient. Être agriculteur, c’est surtout être enfant d’agriculteur ou marié à un enfant d’agriculteur, avec des croisements d’alliances historiquement importants à l’échelle du village, du canton, qui fait que les agriculteurs d’aujourd’hui, sont le produit des alliances des agriculteurs d’hier. Ceux qui ont raté ces étapes matrimoniales ont déjà quitté les mondes agricoles.

Mais aujourd’hui, cette réalité est en train de se fissurer. Pour renouveler les groupes agricoles, il faut donc aller puiser dans d’autres groupes sociaux, et les enfants d’agriculteurs d’aujourd’hui ne feront plus l’écrasante majorité des agriculteurs de demain. Des enfants d’autres groupes sociaux sont également attirés par les métiers agricoles. À ce titre, un slogan du mouvement actuel est très intéressant : « l’agriculture : enfant on en rêve, adulte on en crève ».

Cette façon dont l’agriculture fait rêver est un vrai phénomène nouveau, non pas pour les enfants d’agriculteurs, qui sont socialisés à aimer leur métier très tôt, mais pour les groupes extérieurs aux mondes agricoles. L’agriculture incarne désormais quelque chose de particulier dans les possibles professionnels, un métier qui a du sens, qui consisterait à nourrir ses contemporains, avec des productions qui seraient de qualité, pour la santé de chacun, soit une mission très noble. C’est une sorte d’anti-finance, d’anti « bullshit jobs » pour parler comme l’anthropologue David Graeber.

Tout cela génère d’énormes écarts dans le monde agricole entre ceux qui partent et ceux qui arrivent, ceux qui croient en la fonction productiviste de l’agriculture pour gagner des revenus corrects, et ceux qui veulent s’inscrire dans un monde qui a du sens. On trouve ainsi beaucoup de conflits sur les exploitations agricoles entre générations, entre anciens agriculteurs et nouveaux arrivants mais aussi des conflits familiaux. Les nouvelles générations, plus elles sont diplômées d’écoles d’agronomie distinctives, plus elles sont formées à l’agroécologie et plus elles vont s’affronter au modèle parental productiviste.

On entend beaucoup d’agriculteurs s’inquiéter que leur monde disparaisse, n’est-il pas seulement en train de changer ?

Le discours de la mort de l’agriculture est tout sauf nouveau. Un des plus grands livres de la sociologie rurale s’appelle d’ailleurs La Fin des paysans. Il est écrit en 1967. Depuis lors, les paysans se sont effectivement transformés en agriculteurs, et aujourd’hui, on parle de moins en moins d’agriculteurs et de plus en plus d’exploitants agricoles, voire d’entrepreneurs agricoles, à tel point que l’on pourrait écrire La Fin des agriculteurs. De fait, c’est la fin d’un modèle, d’une période de politique publique qui favorisait uniquement le productivisme. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y aura plus de grandes exploitations productivistes, mais c’est la fin d’un mono bloc concentré sur l’idée principale de la production, de développement maximum des intrants et de la mécanisation.

Aujourd’hui, il y a d’autres modèles alternatifs qui sont en place, incluant l’environnement, la santé des agriculteurs et des ruraux, et qui cherche un autre modèle de vie, qui ne serait plus seulement fondé sur l’accumulation matérialiste.

Les agriculteurs en ont conscience, leur modèle est en pleine transformation, et d’ailleurs les agriculteurs d’aujourd’hui eux-mêmes ne veulent plus vivre comme leur parent. Ils revendiquent une séparation des scènes familiales et professionnelles, et aspirent donc à ne pas nécessairement vivre sur l’exploitation, pouvoir partir en vacances, avoir du temps à soi, un modèle plus proche du monde salarial en général. Donc si les agriculteurs crient à la fin d’un monde, ils sont aussi les premiers à espérer vivre autrement.

Et ceux qui sont en colère aujourd’hui ne le sont pas que contre l’Europe, l’État, la grande distribution, les normes, mais également contre eux-mêmes, leurs enfants, leurs voisins. Ils voudraient incarner la transformation mais ils n’ont pas les moyens d’accélérer le changement et subissent des normes qui vont plus vite qu’eux.

Ceux qui manifestent pour avoir du gazole moins cher et des pesticides savent qu’ils ont perdu la bataille, et qu’ils ne gagneront qu’un sursis de quelques années, car leur modèle n’est tout simplement plus viable. Ils sont aussi en colère contre les syndicats qui étaient censés penser pour eux la transformation nécessaire. La FNSEA ne maîtrise pas vraiment le mouvement. Ils savent qu’ils ne peuvent plus modifier la direction générale du changement en cours, ils souhaitent seulement être mieux accompagnés ou a minima, le ralentir.

Si l’on revient à l’idée d’un monde agricole qui se meurt, difficile de ne pas penser également au nombre de suicides parmi les agriculteurs, avec deux suicides par jour en moyenne.

Ces chiffres dramatiques sont effectivement les plus élevés parmi les groupes professionnels. Ils sont aussi révélateurs des immenses changements du monde agricole depuis un siècle. L’étude des suicides est un des premiers grands travaux de la sociologie avec Émile Durkheim. Or lorsque celui-ci étudie cette question, à la fin du XIXème siècle, le groupe agricole était alors celui qui se suicidait le moins. Il y avait peu de suicides car le monde agricole formait un tissu social très riche avec des liens familiaux, professionnels et villageois au même endroit.

Or aujourd’hui, on voit plutôt des conflits entre scène professionnelle et personnelle, une déconnexion avec le village et des tensions sur les usages productifs, résidentiels ou récréatifs de l’espace. Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif, provoquant un isolement des agriculteurs les plus fragiles dans ces rapports de force. La fuite en avant productiviste, l’angoisse des incertitudes marchandes, l’apparition des normes à rebours des investissements réalisés, l’impossible famille agricole entièrement consacrée à la production et les demandes sociales, générationnelles, pour le changement agricole, placent les plus fragiles dans des positions socialement intenables. Le sur-suicide agricole est en tout cas un indicateur d’un malaise social collectif, bien au-delà des histoires individuelles que sont aussi chacun des suicides.

Crise agricole : une grande diversité sociologique et de problèmes

Crise agricole : une grande diversité sociologique et de problèmes

par Gilles Laferté, chercheur en sciences sociales spécialiste des agriculteurs dans the Conversation

Médiatiquement, il est souvent question des agriculteurs, comme si ces derniers représentaient un groupe social unifié. Est-ce le cas ?

D’un point de vue administratif, institutionnel, du point de vue de la description économique d’une tâche productive, « les agriculteurs », entendus comme les exploitants agricoles, ça existe. Mais d’un point de vue sociologique, non, ce n’est pas un groupe. Les viticulteurs de régions canoniques du vin, ou les grands céréaliers des régions les plus productives, n’ont pas grand-chose à voir avec les petits éleveurs, les maraîchers ou ceux qui pratiquent une agriculture alternative.

Le sociologue aura dont plutôt tendance à rattacher certains d’entre eux aux catégories supérieures, proches des artisans, commerçants, chefs d’entreprises voire des cadres, et d’autres aux catégories supérieures des classes populaires. La plupart des agriculteurs sont proches des pôles économiques, mais une partie, sont aussi fortement dotés en capitaux culturels. Et, encore une fois, même dans les classes populaires, les agriculteurs y seront à part. C’est une classe populaire à patrimoine, ce qui les distingue de manière très décisive des ouvriers ou des petits employés.

Dans l’histoire de la sociologie, les agriculteurs ont d’ailleurs toujours été perçus comme inclassables. Ils sont autant du côté du capital que du travail. Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie. Autre dualité dans leur positionnement : ils sont à la fois du côté du travail en col blanc avec un ensemble de tâches administratives de planification, de gestion, de projection d’entreprise sur le futur, de captation de marchés, mais ils sont aussi du côté du col bleu, du travail manuel, de ses compétences techniciennes.

Comment expliquer alors qu’en France, ce groupe soit encore si souvent présenté comme unifié ?

Cette illusion d’unité est une construction à la fois de l’État et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour un bénéfice mutuel historique : celle d’une co-gestion. Globalement, l’État s’adresse aux agriculteurs via ce syndicat dominant, pour tâcher de bâtir une politique publique agricole cohérente. Même si la co-gestion a été dépassée pour être plus complexe, cette idée que l’agriculture était une histoire entre l’État et les agriculteurs perdure comme on le voit dans les syndicats invités à Matignon, uniquement la FNSEA au début de la crise. La FNSEA a tenté historiquement de rassembler les agriculteurs pour être l’interlocuteur légitime. Mais cet état des lieux est aussi le fruit de l’action historique de l’État, qui a forgé une batterie d’institutions agricoles depuis la IIIème République avec le Crédit Agricole, une mutuelle sociale agricole spécifique, des chambres d’agriculture… Jusque dans les statistiques, les agriculteurs sont toujours un groupe uni, à part, ce qui est une aberration pour les sociologues.

Tout cela a produit l’image d’une existence singulière et unifiée du monde agricole, et dans le quotidien des agriculteurs, on trouve l’écho de cela dans des pratiques sociales communes instituées : l’immense majorité des agriculteurs va de fait à la chambre de l’agriculture, au Crédit Agricole ou à Groupama, ils sont tous affiliés à la mutuelle sociale agricole.

Lorsqu’un agriculteur est présenté, c’est souvent par son type d’activité, la taille de son exploitation, son revenu, son appartenance syndicale. Ces critères sont-ils suffisants pour comprendre sa singularité ?

Ces critères sont pertinents mais pas suffisants. D’abord, ils sont en général assez liés. Le type de culture, et ensuite la taille de l’exploitation sont très prédictives du revenu, avec des filières particulièrement rémunératrices (céréales, viticulture), qui garantissent, avec un nombre d’hectares suffisants, des revenus, et, en bas de l’échelle, le lait, le maraîchage, beaucoup moins rémunérateur. Cette réalité est d’ailleurs assez injuste car les filières les moins rémunératrices sont aussi celles où l’on travaille le plus, du fait des contraintes de traite, de vêlage.

Ensuite, bien sûr, l’appartenance syndicale est très importante, elle situe l’univers de référence, le sens politique d’un agriculteur, son projet de société derrière son activité, avec par exemple une logique productiviste derrière la FNSEA ; une politisation bien à droite, aujourd’hui proche du RN, de plus en plus assumée ces derniers jours du côté de la Coordination Rurale ; et enfin des projets alternatifs, centrés autour de petites exploitations, d’accélération de la transition avec la Confédération Paysanne.

Mais ces critères sont loin d’être suffisants, ceux des générations et des origines sociales sont devenus également déterminants.

Car il faut garder en tête que le groupe agricole est aujourd’hui un groupe âgé, avec une moyenne d’âge d’actifs qui dépasse les cinquante ans en moyenne. Le monde agricole est donc traversé par un enjeu de renouvellement des générations. Ce même monde agricole est aussi un des groupes les plus endogames qui soient. Être agriculteur, c’est surtout être enfant d’agriculteur ou marié à un enfant d’agriculteur, avec des croisements d’alliances historiquement importants à l’échelle du village, du canton, qui fait que les agriculteurs d’aujourd’hui, sont le produit des alliances des agriculteurs d’hier. Ceux qui ont raté ces étapes matrimoniales ont déjà quitté les mondes agricoles.

Mais aujourd’hui, cette réalité est en train de se fissurer. Pour renouveler les groupes agricoles, il faut donc aller puiser dans d’autres groupes sociaux, et les enfants d’agriculteurs d’aujourd’hui ne feront plus l’écrasante majorité des agriculteurs de demain. Des enfants d’autres groupes sociaux sont également attirés par les métiers agricoles. À ce titre, un slogan du mouvement actuel est très intéressant : « l’agriculture : enfant on en rêve, adulte on en crève ».

Cette façon dont l’agriculture fait rêver est un vrai phénomène nouveau, non pas pour les enfants d’agriculteurs, qui sont socialisés à aimer leur métier très tôt, mais pour les groupes extérieurs aux mondes agricoles. L’agriculture incarne désormais quelque chose de particulier dans les possibles professionnels, un métier qui a du sens, qui consisterait à nourrir ses contemporains, avec des productions qui seraient de qualité, pour la santé de chacun, soit une mission très noble. C’est une sorte d’anti-finance, d’anti « bullshit jobs » pour parler comme l’anthropologue David Graeber.

Tout cela génère d’énormes écarts dans le monde agricole entre ceux qui partent et ceux qui arrivent, ceux qui croient en la fonction productiviste de l’agriculture pour gagner des revenus corrects, et ceux qui veulent s’inscrire dans un monde qui a du sens. On trouve ainsi beaucoup de conflits sur les exploitations agricoles entre générations, entre anciens agriculteurs et nouveaux arrivants mais aussi des conflits familiaux. Les nouvelles générations, plus elles sont diplômées d’écoles d’agronomie distinctives, plus elles sont formées à l’agroécologie et plus elles vont s’affronter au modèle parental productiviste.

On entend beaucoup d’agriculteurs s’inquiéter que leur monde disparaisse, n’est-il pas seulement en train de changer ?

Le discours de la mort de l’agriculture est tout sauf nouveau. Un des plus grands livres de la sociologie rurale s’appelle d’ailleurs La Fin des paysans. Il est écrit en 1967. Depuis lors, les paysans se sont effectivement transformés en agriculteurs, et aujourd’hui, on parle de moins en moins d’agriculteurs et de plus en plus d’exploitants agricoles, voire d’entrepreneurs agricoles, à tel point que l’on pourrait écrire La Fin des agriculteurs. De fait, c’est la fin d’un modèle, d’une période de politique publique qui favorisait uniquement le productivisme. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y aura plus de grandes exploitations productivistes, mais c’est la fin d’un mono bloc concentré sur l’idée principale de la production, de développement maximum des intrants et de la mécanisation.

Aujourd’hui, il y a d’autres modèles alternatifs qui sont en place, incluant l’environnement, la santé des agriculteurs et des ruraux, et qui cherche un autre modèle de vie, qui ne serait plus seulement fondé sur l’accumulation matérialiste.

Les agriculteurs en ont conscience, leur modèle est en pleine transformation, et d’ailleurs les agriculteurs d’aujourd’hui eux-mêmes ne veulent plus vivre comme leur parent. Ils revendiquent une séparation des scènes familiales et professionnelles, et aspirent donc à ne pas nécessairement vivre sur l’exploitation, pouvoir partir en vacances, avoir du temps à soi, un modèle plus proche du monde salarial en général. Donc si les agriculteurs crient à la fin d’un monde, ils sont aussi les premiers à espérer vivre autrement.

Et ceux qui sont en colère aujourd’hui ne le sont pas que contre l’Europe, l’État, la grande distribution, les normes, mais également contre eux-mêmes, leurs enfants, leurs voisins. Ils voudraient incarner la transformation mais ils n’ont pas les moyens d’accélérer le changement et subissent des normes qui vont plus vite qu’eux.

Ceux qui manifestent pour avoir du gazole moins cher et des pesticides savent qu’ils ont perdu la bataille, et qu’ils ne gagneront qu’un sursis de quelques années, car leur modèle n’est tout simplement plus viable. Ils sont aussi en colère contre les syndicats qui étaient censés penser pour eux la transformation nécessaire. La FNSEA ne maîtrise pas vraiment le mouvement. Ils savent qu’ils ne peuvent plus modifier la direction générale du changement en cours, ils souhaitent seulement être mieux accompagnés ou a minima, le ralentir.

Si l’on revient à l’idée d’un monde agricole qui se meurt, difficile de ne pas penser également au nombre de suicides parmi les agriculteurs, avec deux suicides par jour en moyenne.

Ces chiffres dramatiques sont effectivement les plus élevés parmi les groupes professionnels. Ils sont aussi révélateurs des immenses changements du monde agricole depuis un siècle. L’étude des suicides est un des premiers grands travaux de la sociologie avec Émile Durkheim. Or lorsque celui-ci étudie cette question, à la fin du XIXème siècle, le groupe agricole était alors celui qui se suicidait le moins. Il y avait peu de suicides car le monde agricole formait un tissu social très riche avec des liens familiaux, professionnels et villageois au même endroit.

Or aujourd’hui, on voit plutôt des conflits entre scène professionnelle et personnelle, une déconnexion avec le village et des tensions sur les usages productifs, résidentiels ou récréatifs de l’espace. Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif, provoquant un isolement des agriculteurs les plus fragiles dans ces rapports de force. La fuite en avant productiviste, l’angoisse des incertitudes marchandes, l’apparition des normes à rebours des investissements réalisés, l’impossible famille agricole entièrement consacrée à la production et les demandes sociales, générationnelles, pour le changement agricole, placent les plus fragiles dans des positions socialement intenables. Le sur-suicide agricole est en tout cas un indicateur d’un malaise social collectif, bien au-delà des histoires individuelles que sont aussi chacun des suicides.

Politique : Le «non au cannabis» torpille la diversité de la majorité

  • Politique : Le «non au cannabis» torpille la diversité de la majorité

 

  • dans le Figaro le journaliste Matthieu Deprieck estime que d’une certaine façon Macon a brutalement coupé l’air sous le pied des contestataires de la majorité qui sans doute aurait souhaité un débat plus ouvert laissant la place en particulier à la libéralisation du cannabis. Notons que la France est le pays au monde le plus consommateur de cette drogue qui fait surtout des ravages dans la jeunesse.

Article du Figaro

  • Le « oui, mais », le « en même temps », les « deux jambes », les phrases à rallonge. De tout cela, il n’était pour une fois pas question dans la bouche d’Emmanuel Macron. Dans un entretien au Figaro lundi, le chef de l’Etat a enfilé les habits du ministre de l’Intérieur pour résumer tout le mal qu’il pense du cannabis : « Dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge. Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? Et je ne parle même pas des effets de glissement vers des drogues plus dures (…) On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité. »
  • Le président, jadis libéral, a éteint toute nuance sur un sujet, qui, justement, en réclame. Les vingt-huit députés membres de la mission d’information portant sur les usages du cannabis en savent quelque chose. Ils ont couvert toutes les sensibilités politiques et les six commissions permanentes de l’Assemblée pour, au terme d’un an d’auditions, conclure qu’on ne répond pas au cannabis « oui » ou « non ».
  • « C’est un sujet compliqué », confirme Agnès Firmin Le Bodo, députée Agir de Seine-Maritime. Elue de droite, ancienne adjointe à la sécurité au Havre, professionnelle de santé, elle était « plutôt opposée à ce que l’on autorise certains usages ». Après plus d’un an de travaux, elle a « lentement évolué vers l’idée que nous pouvons trouver un juste milieu ».
  • « Effets délétères ». « Si nous voulions arrêter tous les consommateurs, il faudrait procéder à 330 millions d’interpellations par an. Nous n’avons ni les moyens humains, ni les moyens financiers de mener une telle politique », ajoute Caroline Janvier, député LREM du Loiret, rapporteur du volet « cannabis récréatif ». De fait, la seule répression n’a pas empêché la France de devenir le premier consommateur de joints en Europe.
  • Ce sera une des leçons des deux rapports remis ces prochains jours : début mai pour le volet récréatif, à la mi-mai pour le rapport général, incluant le thérapeutique et le bien-être. Les députés de la majorité attendaient ce moment pour relancer le débat autour de la réglementation. Dans un souci d’apaisement, ils avaient écarté l’idée de déposer une proposition de loi et misaient plutôt sur des éléments à transmettre à leur futur candidat présidentiel. « Le débat doit avoir lieu en 2022. On ne peut pas l’ouvrir à la hussarde maintenant », explique Caroline Janvier.
  • « Rien ne dit que la vérité d’avril 2021 sera celle de janvier 2022 »
  • La position de fermeté prise par Emmanuel Macron vient leur couper l’herbe sous le pied. Comment espérer ouvrir un débat quand le futur candidat semble déjà sûr de lui ? Les députés de la majorité se raccrochent à ce qu’ils peuvent. « Sa position n’est pas si ferme que cela. Le Président dit qu’il faut un débat, eh bien, débattons », s’exclame Ludovic Mendes, député LREM de Moselle. « Cette consultation pourrait être intéressante si elle met vraiment à plat tous les enjeux de la consommation de cannabis », abonde le député LREM et porte-parole du parti, Roland Lescure. « La réflexion ne fait que commencer. Le Président propose un débat. Le rapport parlementaire peut l’alimenter. Il nous appartient de convaincre les Français que la légalisation est la meilleure solution », affirme Caroline Janvier.
  • Affaire de mots. Dans Le Figaro, le chef de l’Etat envisage effectivement un « grand débat national » mais son intitulé laisse peu d’espoir aux réformateurs : il devrait porter sur « la consommation de drogue et ses effets délétères ».
  • « Nous ferons notre travail en montrant que le débat est plus complexe que cela », ne se démonte pas Ludovic Mendes quand Roland Lescure espère que le chef de l’Etat lira les rapports de la mission d’information dont il fait partie. La porte n’est pas fermée, veulent-ils croire, même le député LREM des quartiers nord de Marseille, Saïd Ahamada, qui pourtant salue la fermeté d’Emmanuel Macron. « Les consommateurs de cannabis sont coresponsables de la situation dans les quartiers difficiles. Ils ont du sang sur les mains », dit-il, tout en jugeant que la question de la légalisation se posera, mais plus tard, quand la situation autour des points de deal sera revenue à un niveau plus contrôlable.
  • De toute façon, « rien ne dit que la vérité d’avril 2021 sera celle de janvier 2022 », se rassure un député de la majorité, favorable à ce que son futur candidat « bouge » sur la question lors de la prochaine présidentielle. Déjà en 2017, le cannabis avait valu à Emmanuel Macron des critiques en inconstance. Dans son livre Révolution, il semblait prendre position pour un assouplissement de la loi. Quand, quelques semaines plus tard, dans Le Figaro (déjà), il affirmait ne pas croire « à la dépénalisation des petites doses ». Il disait en réalité la même chose : il faut dresser des contraventions aux consommateurs plutôt que de les menacer de peines de prison inappliquées. Ce n’était qu’une affaire de mots : tendres dans Révolution, durs dans Le Figaro.

Diversité : des mesures gouvernementales trop anecdotiques

Diversité : des mesures gouvernementales trop anecdotiques

. Emmanuel Macron doit annoncer, jeudi 11 février, que des places seront réservées aux candidats issus de milieux modestes dans les concours de la haute fonction publique. L’intention est louable, mais il faudra faire beaucoup plus pour s’attaquer, dans tous les domaines, à l’entre-soi estime le monde dans un éditorial.

Editorial du « Monde ». En 2001, Sciences Po Paris avait bousculé le petit monde clos des grandes écoles à la française en créant un concours spécifique réservé aux lycéens des zones d’éducation prioritaires. Vingt ans après, Emmanuel Macron devait annoncer, jeudi 11 février, que des places seront réservées aux candidats issus de milieux modestes dans les concours de la haute fonction publique.

Il aura fallu deux décennies pour accomplir ce pas de fourmi, alors même que les fractures sociales, scolaires, territoriales n’ont cessé de se creuser en France. Le constat est malheureusement limpide : en matière de diversité sociale dans les formations menant aux postes de responsabilité, le pays fait du surplace.

Entre 2006 et 2016, les établissements qui forment les futures élites administratives, scientifiques et entrepreneuriales n’ont pas élargi leur vivier de recrutement, indique une étude révélée par Le Monde. Les enfants d’ouvriers et de chômeurs, qui représentent 36 % d’une classe d’âge, plafonnent à 10 % dans les grandes écoles, une proportion stagnante. L’Etat, qui finance nombre d’entre elles, a sa part de responsabilité. A l’Ecole nationale d’administration (ENA), qui a admis 1 % d’enfants d’ouvriers en 2019 (contre 4 % en 2006), il dispose même de tous les leviers.

Avancée est lilliputienne

Le dispositif annoncé jeudi par le président de la République consiste à créer des concours « talents » spécifiquement réservés à des étudiants choisis sur critères non seulement académiques mais sociaux et territoriaux. Ils seront dotés au maximum de 15 % des places ouvertes aux concours externes de cinq écoles de la haute fonction publique. Des classes préparatoires et des aides consacrées à ce public seront multipliées. A l’ENA, six places seront ainsi « fléchées » en 2021 au bénéfice de jeunes de milieu populaire.

Soucieux de ne pas être accusé d’introduire une « discrimination positive » et une rupture d’égalité, l’Elysée précise que les épreuves seront les mêmes que celles passées par les autres étudiants et que les places « talents » viennent en supplément. La voie choisie, entre égalité formelle et coup de pouce ciblé, est symbolique d’un astucieux « en même temps ». L’Etat, enfin, donne l’exemple, et ce n’est pas rien. Mais l’avancée est lilliputienne.

Il faut dénoncer l’hypocrisie qui présente les concours, accessibles en réalité à des publics triés sur le volet possédant les clés d’entrée pour les meilleurs lycées et classes préparatoires, comme un modèle suprême d’égalité. Certaines écoles, dont Sciences Po Paris, ont d’ailleurs récemment franchi un pas supplémentaire vers la diversité, instaurant des concours basés non pas sur des dissertations mais sur un dossier permettant de valoriser tous les types de parcours, complété par un oral.

 « Nous avons construit notre propre ­séparatisme », déplorait à juste titre Emmanuel Macron dans son discours des Mureaux (Yvelines) du 2 octobre 2020, appelant à « réveiller » une République capable de tenir « ses promesses d’émancipation ». Le diagnostic est juste. Mais le pays ne peut plus se contenter de beaux discours et de mesures symboliques. Le président, s’il veut réellement équilibrer les mesures répressives contenues dans le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » par des mesures de justice sociale, doit s’attaquer dans tous les domaines – logement, école, emploi – aux différentes formes, structurelles ou inconscientes, de l’entre-soi. Aggravées par l’enfermement que génèrent les réseaux sociaux, elles minent la République et la menace.

Constitution: « reconnaissance de la diversité des territoires »

Constitution: « reconnaissance de la diversité des territoires »

 

Un concept très flou a été introduit à l’assemblée dans le cadre de la modification de la constitution  L’amendement porté par le Modem sur la reconnaissance de la « diversité des territoires » a finalement été adopté par les parlementaires, jeudi. La question est maintenant de savoir quel est le contenu de cette modification à l’article de la constitution. On peut sans doute se féliciter de cette première attaque significative contre le centralisme français et son étatisme paralysant. Ceci étant, il convient de préciser ce qu’on entend par prise en compte des particularités locales. En fait,  c’est le débat sur la décentralisation qui est en cause et notamment le rôle des régions et autres collectivités par rapport à l’Etat. La question fondamentale est de savoir si la France s’oriente vers une véritable régionalisation avec des régions relativement autonomes comme en Allemagne ou en Espagne ou si le pays continu d’être dirigé par les préfets. Une orientation politique, économique, sociale autant que sociétale. Comme le débat n’a pas eu lieu il y a fort à parier que cet amendement du MoDem à été accepté faire plaisir à cet allié de la majorité sans que soient réellement approfondies le contenu de cette nouvelle disposition. Le projet de loi constitutionnel prévoit d’introduire un « droit à la différenciation » des collectivités à l’article 72 de la Constitution qui devrait être débattu en la fin de semaine prochaine. Les collectivités territoriales pourront ainsi déroger aux lois fixant leurs compétences de manière pérenne et non plus seulement à titre expérimental. « Décentralisation et différenciation sont des principes qui visent à permettre la prise en compte des réalités propres à chaque territoire », a plaidé Marc Fesneau. Si cet amendement a été jugé « particulièrement bienvenu » par le régionaliste Paul Molac (LREM) et le nationaliste corse Michel Castellani « car la France n’est pas monolithique », il a été vivement dénoncé par la gauche de la gauche.  »Vous ouvrez une boîte de Pandore qui va remettre en cause l’unité de la République », a tempêté le communiste Sébastien Jumel. Défendant le « jacobinisme », Jean-Luc Mélenchon (LFI) a accusé la majorité de créer « la loi à géométrie variable » par cette « phrase dangereuse ».




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