Santé: Des vertus sanitaires du cannabis ?
Selon les scientifiques, les nouveaux progrès technologiques pourraient révolutionner la façon dont les substances dérivées du cannabis sont obtenues et consommées, et peut-être contribuer à libérer le potentiel de la plante comme source de thérapies médicales
Un article du Wall Street Journal ( Extrait)
Le cannabis, nom de la famille de plantes à feuilles comprenant la marijuana et le chanvre, est surtout connu pour le THC qui fait planer ceux qui en consomment. Mais il contient aussi de nombreux autres éléments chimiques. Ses dérivés non toxiques, comme le CBD, ont proliféré au cours des cinq dernières années. Aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique, les chercheurs qui planchent sur de nouveaux produits et les investisseurs se demandent ce que ces plantes peuvent offrir d’autre.
Les scientifiques estiment qu’il existe au moins une centaine de cannabinoïdes, une classe de composés organiques — dont les noms sont souvent abrégés en sigles de trois ou quatre lettres — que l’on trouve principalement dans le cannabis. Le THC et le CBD y sont présents en abondance, et la Food and Drug Administration, le régulateur américain des produits alimentaires et des médicaments, les a déjà autorisés sous certaines formes. Mais de nombreuses autres molécules peuvent avoir des effets thérapeutiques, et toutes les variétés ne produisent pas tous les cannabinoïdes. Des composés rares et intrigants, comme le CBM et le CBD-V, nécessiteraient de pratiquer des sélections de plants pendant des années pour réussir à créer une chaîne de production stable et peu coûteuse.
Les chercheurs affirment que la biologie de synthèse, une technologie qui s’appuie sur l’ingénierie des levures, des algues ou des bactéries pour produire des composés en cuve de fermentation, leur permettra de produire rapidement des molécules sans être confrontés aux coûts et à la complexité liés à la culture du chanvre ou de la marijuana.
Selon les scientifiques, cette technologie pourrait révolutionner la façon dont les substances dérivées du cannabis sont obtenues et consommées, et peut-être contribuer à libérer le potentiel de la plante comme source de thérapies médicales. Les premières études montrent que le cannabigérol, ou CBG, par exemple, est prometteur pour le traitement de troubles neurologiques tels que la maladie de Huntington.
Bien que des questions subsistent sur l’efficacité des composés isolés du reste de la plante de cannabis, les progrès de la biosynthèse permettront de disposer d’un médicament expérimental purifié et homogène, et d’accélérer la compréhension scientifique des toxicités et des avantages potentiels de chaque molécule, selon les chercheurs qui travaillent sur le cannabis. Les analystes de la banque d’investissement Raymond James prévoient que l’industrie émergente des cannabinoïdes biosynthétiques générera un chiffre d’affaires de 10 milliards de dollars dans le monde d’ici à 2025. Et ce, malgré les complications juridiques potentielles liées à la vente de produits dérivés du cannabis, même si leurs composés ont été cultivés en laboratoire.
« Le potentiel de la plante de marijuana est énorme. Plus nous pourrons connaître ses composants, plus nous pourrons faire avancer la science », explique le docteur David Shurtleff, directeur adjoint du National Center for Complementary and Integrative Health des National Institutes of Health.
Au sein des entreprises de biotech, l’essor récent de la recherche et développement sur la biosynthèse moléculaire a des répercussions qui vont bien au-delà du cannabis. Une analyse de McKinsey datant de 2020 prédit que ces « biomolécules » pèseront bientôt plusieurs milliers de milliards de dollars au niveau mondial dans des secteurs aussi divers que l’agriculture, la santé ou la production d’énergie. Certaines vitamines sont d’ailleurs déjà produites par biosynthèse.
Dans l’industrie du cannabis, cette technologie est particulièrement prometteuse, selon les chercheurs et les chefs d’entreprise, en raison de la multiplicité des composés susceptibles d’être utilisés à des fins thérapeutiques, de la rareté des recherches existantes sur le sujet, ainsi que de la difficulté et du coût de leur production par synthèse chimique ou sélection traditionnelle des plantes.
Voici comment les choses fonctionnent. Tout d’abord, les scientifiques identifient les enzymes d’une plante de cannabis qui contiennent la blueprint chimique permettant de produire le composé désiré. Ensuite, ils séquencent ces enzymes pour isoler leur ADN, puis ils insèrent les gènes dans un micro-organisme comme la levure, en utilisant une technologie d’édition de gènes comme Crispr ou la technique plus traditionnelle de recombinaison homologue. La levure est ensuite alimentée en oxygène, en sucre et en nutriments, puis mélangée à de l’eau dans une cuve de fermentation, selon un processus comparable au brassage de la bière. Au bout de quelques jours, la levure commence à sécréter le cannabinoïde. Les scientifiques ajoutent enfin un solvant organique, comme de l’huile, dans la cuve de fermentation, afin d’absorber les composés venant d’être produits et de libérer une solution de cannabinoïdes pouvant être exploitée par la suite.
L’ensemble du processus prend environ une semaine, alors qu’il faut jusqu’à six mois pour faire pousser et récolter une plante. C’est moins cher, plus simple et plus durable car il n’y a ni besoin de champs entiers de cannabis, ni de procédés d’extraction gourmands en d’énergie, selon le docteur Jeff Chen, fondateur de la Cannabis Research Initiative de l’UCLA.
« Cette technique change la donne pour la recherche, explique-t-il. Elle permet d’étudier les effets de chaque cannabinoïde pris individuellement. C’est très difficile à faire, voire impossible, lorsque vous travaillez avec la matière végétale elle-même ou des extraits de plantes. »
Les entreprises spécialisées dans la biosynthèse des cannabinoïdes ne s’intéressent généralement pas au THC, car le marché de la marijuana dans les Etats est étroitement réglementé.
Au lieu de cela, ils se concentrent sur des composés mystérieux que peu d’humains ont testés, qui portent des noms comme CBE et CBC. Chaque cannabinoïde paraît avoir un effet propre. Alors que le THC a tendance à provoquer des « foncedalles », le THC-V semble, au contraire, couper l’appétit, selon les premières études. D’autres cannabinoïdes pourraient avoir une influence sur toutes sortes de choses, comme la pression sanguine ou la densité osseuse, selon les recherches qui ont, jusqu’à maintenant, été principalement menées sur des souris.
Les cannabinoïdes « peuvent avoir un potentiel thérapeutique pour presque toutes les maladies humaines », ont écrit Pál Pacher et George Kunos, deux chercheurs du National Health Institute, en 2013, en s’appuyant les premières données sur la manière dont les différents composés de la plante de cannabis agissaient sur l’organisme.
Si cette hypothèse se vérifie, la biosynthèse pourrait être la technologie qui permettra aux chercheurs de déterminer quels composés sont efficaces, lesquels sont nocifs et comment ils peuvent être combinés pour traiter diverses affections.
Aux Etats-Unis, la recherche clinique sur le cannabis reste freinée par des réglementations fédérales contraignantes. Il est très difficile d’obtenir l’autorisation de procéder à des essais sur des êtres humains, et il a été encore plus délicat d’avoir accès à une variété de cannabinoïdes à l’Université du Mississippi, où se trouve la seule culture légale de cannabis destinée à la recherche dans le pays. Les études plus approfondies sur le cannabis et les cannabinoïdes émanent généralement d’autres pays, comme Israël et les Pays-Bas. Même si l’on ne sait pas encore comment les régulateurs traiteront le statut juridique des cannabinoïdes biosynthétiques, les chercheurs se veulent cependant optimistes.
Jusqu’à présent, les produits contenant des cannabinoïdes biosynthétiques sont rares. La marque de soins cosmétiques High Beauty vend chez Macy’s un traitement contre l’acné contenant du CBG biosynthétique, dont les premières recherches indiquent qu’il a des propriétés anti-inflammatoires. Ce CBG est fabriqué par Lygos, une biotech basée à Berkeley, en Californie.
Parmi les autres entreprises travaillant sur les cannabinoïdes biosynthétiques, on peut citer Willow Biosciences — basé à Vancouver, au Canada — , qui travaille en partenariat avec Curia et Ginkgo Bioworks, une entreprise de biologie synthétique établie à Boston qui s’est associée au producteur canadien de cannabis Cronos.
En 2014, lorsque Jason Poulos, bioingénieur chez Lygos, a commencé à travailler sur les cannabinoïdes biosynthétiques, ses amis ont plaisanté en disant qu’il était un « défoncé ». Aujourd’hui, il espère produire en masse des cannabinoïdes pour certaines des plus grandes entreprises et institutions de recherche du monde.
« Nous voulons être le fournisseur de ces composants pour tous », déclare le docteur Poulos.
Reste que certains de ces composés peuvent avoir des effets négatifs à certaines doses. « C’est une substance qui est métabolisée, et si l’on en abuse, elle fera des dégâts sur votre foie, prévient le docteur Poulos. Nous devons nous attendre à ce que tous les cannabinoïdes aient une courbe de toxicité similaire à celle du CBD. »
Par ailleurs, pour de nombreux chercheurs, militants et hommes d’affaires spécialisés dans le cannabis, se battre pour fabriquer, découvrir et vendre des produits à base d’un seul cannabinoïde est une perte de temps. Selon eux, pris isolément, aucun cannabinoïde ne sera jamais capable de reproduire les bienfaits apportés par la plante entière et son cocktail de composés principaux et secondaires — une théorie connue sous le nom d’« effet d’entourage ».
« L’idée de recourir à la biosynthèse pour augmenter la production de cannabinoïdes d’importance secondaire n’est pas une percée scientifique, mais il y a un vrai potentiel pour développer des produits qui peuvent être commercialisés et pour convaincre les gens de les utiliser. »
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)