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Monde agricole : une grande diversité sociologique et de problèmes

Monde agricole : une grande diversité sociologique et de problèmes

par Gilles Laferté, chercheur en sciences sociales spécialiste des agriculteurs dans the Conversation

Médiatiquement, il est souvent question des agriculteurs, comme si ces derniers représentaient un groupe social unifié. Est-ce le cas ?

D’un point de vue administratif, institutionnel, du point de vue de la description économique d’une tâche productive, « les agriculteurs », entendus comme les exploitants agricoles, ça existe. Mais d’un point de vue sociologique, non, ce n’est pas un groupe. Les viticulteurs de régions canoniques du vin, ou les grands céréaliers des régions les plus productives, n’ont pas grand-chose à voir avec les petits éleveurs, les maraîchers ou ceux qui pratiquent une agriculture alternative.

Le sociologue aura dont plutôt tendance à rattacher certains d’entre eux aux catégories supérieures, proches des artisans, commerçants, chefs d’entreprises voire des cadres, et d’autres aux catégories supérieures des classes populaires. La plupart des agriculteurs sont proches des pôles économiques, mais une partie, sont aussi fortement dotés en capitaux culturels. Et, encore une fois, même dans les classes populaires, les agriculteurs y seront à part. C’est une classe populaire à patrimoine, ce qui les distingue de manière très décisive des ouvriers ou des petits employés.

Dans l’histoire de la sociologie, les agriculteurs ont d’ailleurs toujours été perçus comme inclassables. Ils sont autant du côté du capital que du travail. Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie. Autre dualité dans leur positionnement : ils sont à la fois du côté du travail en col blanc avec un ensemble de tâches administratives de planification, de gestion, de projection d’entreprise sur le futur, de captation de marchés, mais ils sont aussi du côté du col bleu, du travail manuel, de ses compétences techniciennes.

Comment expliquer alors qu’en France, ce groupe soit encore si souvent présenté comme unifié ?

Cette illusion d’unité est une construction à la fois de l’État et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour un bénéfice mutuel historique : celle d’une co-gestion. Globalement, l’État s’adresse aux agriculteurs via ce syndicat dominant, pour tâcher de bâtir une politique publique agricole cohérente. Même si la co-gestion a été dépassée pour être plus complexe, cette idée que l’agriculture était une histoire entre l’État et les agriculteurs perdure comme on le voit dans les syndicats invités à Matignon, uniquement la FNSEA au début de la crise. La FNSEA a tenté historiquement de rassembler les agriculteurs pour être l’interlocuteur légitime. Mais cet état des lieux est aussi le fruit de l’action historique de l’État, qui a forgé une batterie d’institutions agricoles depuis la IIIème République avec le Crédit Agricole, une mutuelle sociale agricole spécifique, des chambres d’agriculture… Jusque dans les statistiques, les agriculteurs sont toujours un groupe uni, à part, ce qui est une aberration pour les sociologues.

Tout cela a produit l’image d’une existence singulière et unifiée du monde agricole, et dans le quotidien des agriculteurs, on trouve l’écho de cela dans des pratiques sociales communes instituées : l’immense majorité des agriculteurs va de fait à la chambre de l’agriculture, au Crédit Agricole ou à Groupama, ils sont tous affiliés à la mutuelle sociale agricole.

Lorsqu’un agriculteur est présenté, c’est souvent par son type d’activité, la taille de son exploitation, son revenu, son appartenance syndicale. Ces critères sont-ils suffisants pour comprendre sa singularité ?

Ces critères sont pertinents mais pas suffisants. D’abord, ils sont en général assez liés. Le type de culture, et ensuite la taille de l’exploitation sont très prédictives du revenu, avec des filières particulièrement rémunératrices (céréales, viticulture), qui garantissent, avec un nombre d’hectares suffisants, des revenus, et, en bas de l’échelle, le lait, le maraîchage, beaucoup moins rémunérateur. Cette réalité est d’ailleurs assez injuste car les filières les moins rémunératrices sont aussi celles où l’on travaille le plus, du fait des contraintes de traite, de vêlage.

Ensuite, bien sûr, l’appartenance syndicale est très importante, elle situe l’univers de référence, le sens politique d’un agriculteur, son projet de société derrière son activité, avec par exemple une logique productiviste derrière la FNSEA ; une politisation bien à droite, aujourd’hui proche du RN, de plus en plus assumée ces derniers jours du côté de la Coordination Rurale ; et enfin des projets alternatifs, centrés autour de petites exploitations, d’accélération de la transition avec la Confédération Paysanne.

Mais ces critères sont loin d’être suffisants, ceux des générations et des origines sociales sont devenus également déterminants.

Car il faut garder en tête que le groupe agricole est aujourd’hui un groupe âgé, avec une moyenne d’âge d’actifs qui dépasse les cinquante ans en moyenne. Le monde agricole est donc traversé par un enjeu de renouvellement des générations. Ce même monde agricole est aussi un des groupes les plus endogames qui soient. Être agriculteur, c’est surtout être enfant d’agriculteur ou marié à un enfant d’agriculteur, avec des croisements d’alliances historiquement importants à l’échelle du village, du canton, qui fait que les agriculteurs d’aujourd’hui, sont le produit des alliances des agriculteurs d’hier. Ceux qui ont raté ces étapes matrimoniales ont déjà quitté les mondes agricoles.

Mais aujourd’hui, cette réalité est en train de se fissurer. Pour renouveler les groupes agricoles, il faut donc aller puiser dans d’autres groupes sociaux, et les enfants d’agriculteurs d’aujourd’hui ne feront plus l’écrasante majorité des agriculteurs de demain. Des enfants d’autres groupes sociaux sont également attirés par les métiers agricoles. À ce titre, un slogan du mouvement actuel est très intéressant : « l’agriculture : enfant on en rêve, adulte on en crève ».

Cette façon dont l’agriculture fait rêver est un vrai phénomène nouveau, non pas pour les enfants d’agriculteurs, qui sont socialisés à aimer leur métier très tôt, mais pour les groupes extérieurs aux mondes agricoles. L’agriculture incarne désormais quelque chose de particulier dans les possibles professionnels, un métier qui a du sens, qui consisterait à nourrir ses contemporains, avec des productions qui seraient de qualité, pour la santé de chacun, soit une mission très noble. C’est une sorte d’anti-finance, d’anti « bullshit jobs » pour parler comme l’anthropologue David Graeber.

Tout cela génère d’énormes écarts dans le monde agricole entre ceux qui partent et ceux qui arrivent, ceux qui croient en la fonction productiviste de l’agriculture pour gagner des revenus corrects, et ceux qui veulent s’inscrire dans un monde qui a du sens. On trouve ainsi beaucoup de conflits sur les exploitations agricoles entre générations, entre anciens agriculteurs et nouveaux arrivants mais aussi des conflits familiaux. Les nouvelles générations, plus elles sont diplômées d’écoles d’agronomie distinctives, plus elles sont formées à l’agroécologie et plus elles vont s’affronter au modèle parental productiviste.

On entend beaucoup d’agriculteurs s’inquiéter que leur monde disparaisse, n’est-il pas seulement en train de changer ?

Le discours de la mort de l’agriculture est tout sauf nouveau. Un des plus grands livres de la sociologie rurale s’appelle d’ailleurs La Fin des paysans. Il est écrit en 1967. Depuis lors, les paysans se sont effectivement transformés en agriculteurs, et aujourd’hui, on parle de moins en moins d’agriculteurs et de plus en plus d’exploitants agricoles, voire d’entrepreneurs agricoles, à tel point que l’on pourrait écrire La Fin des agriculteurs. De fait, c’est la fin d’un modèle, d’une période de politique publique qui favorisait uniquement le productivisme. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y aura plus de grandes exploitations productivistes, mais c’est la fin d’un mono bloc concentré sur l’idée principale de la production, de développement maximum des intrants et de la mécanisation.

Aujourd’hui, il y a d’autres modèles alternatifs qui sont en place, incluant l’environnement, la santé des agriculteurs et des ruraux, et qui cherche un autre modèle de vie, qui ne serait plus seulement fondé sur l’accumulation matérialiste.

Les agriculteurs en ont conscience, leur modèle est en pleine transformation, et d’ailleurs les agriculteurs d’aujourd’hui eux-mêmes ne veulent plus vivre comme leur parent. Ils revendiquent une séparation des scènes familiales et professionnelles, et aspirent donc à ne pas nécessairement vivre sur l’exploitation, pouvoir partir en vacances, avoir du temps à soi, un modèle plus proche du monde salarial en général. Donc si les agriculteurs crient à la fin d’un monde, ils sont aussi les premiers à espérer vivre autrement.

Et ceux qui sont en colère aujourd’hui ne le sont pas que contre l’Europe, l’État, la grande distribution, les normes, mais également contre eux-mêmes, leurs enfants, leurs voisins. Ils voudraient incarner la transformation mais ils n’ont pas les moyens d’accélérer le changement et subissent des normes qui vont plus vite qu’eux.

Ceux qui manifestent pour avoir du gazole moins cher et des pesticides savent qu’ils ont perdu la bataille, et qu’ils ne gagneront qu’un sursis de quelques années, car leur modèle n’est tout simplement plus viable. Ils sont aussi en colère contre les syndicats qui étaient censés penser pour eux la transformation nécessaire. La FNSEA ne maîtrise pas vraiment le mouvement. Ils savent qu’ils ne peuvent plus modifier la direction générale du changement en cours, ils souhaitent seulement être mieux accompagnés ou a minima, le ralentir.

Si l’on revient à l’idée d’un monde agricole qui se meurt, difficile de ne pas penser également au nombre de suicides parmi les agriculteurs, avec deux suicides par jour en moyenne.

Ces chiffres dramatiques sont effectivement les plus élevés parmi les groupes professionnels. Ils sont aussi révélateurs des immenses changements du monde agricole depuis un siècle. L’étude des suicides est un des premiers grands travaux de la sociologie avec Émile Durkheim. Or lorsque celui-ci étudie cette question, à la fin du XIXème siècle, le groupe agricole était alors celui qui se suicidait le moins. Il y avait peu de suicides car le monde agricole formait un tissu social très riche avec des liens familiaux, professionnels et villageois au même endroit.

Or aujourd’hui, on voit plutôt des conflits entre scène professionnelle et personnelle, une déconnexion avec le village et des tensions sur les usages productifs, résidentiels ou récréatifs de l’espace. Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif, provoquant un isolement des agriculteurs les plus fragiles dans ces rapports de force. La fuite en avant productiviste, l’angoisse des incertitudes marchandes, l’apparition des normes à rebours des investissements réalisés, l’impossible famille agricole entièrement consacrée à la production et les demandes sociales, générationnelles, pour le changement agricole, placent les plus fragiles dans des positions socialement intenables. Le sur-suicide agricole est en tout cas un indicateur d’un malaise social collectif, bien au-delà des histoires individuelles que sont aussi chacun des suicides.

Problèmes de recrutement : Après les 30 glorieuses, les 30 paresseuses !

Problèmes  de recrutement : Après les 30 glorieuses, les 30 paresseuses !

Il est loin le temps des 30 glorieuses caractérisées schématiquement par un taux de croissance assez exceptionnel de l’ordre de 5 % en France. Avec un taux de chômage quasi inexistant inférieur à 2 % et surtout ce dynamisme et cet optimisme de la population active décidée à accéder au progrès tout autant qu’à le produire.

 Pour tout dire ce qui sépare les deux périodes, c’est surtout en dehors des chiffres macro économiques : la perte de la valeur travail. De ce point de vue,  on peut considérer qu’ aux  30 glorieuses des années 45 à 75 succède la période des 30 paresseuses des années 80 à 2010-2020.

A partir des années 80 et jusqu’à maintenant, les pouvoirs public n’ont cessé de construire une immense cathédrale sociale qui finalement s’applique sans distinction à ceux qui en ont besoin et à ceux qui en profitent indûment. Pourquoi dès lors travailler s’il est possible de vivre aussi bien et même mieux en choisissant d’être chômeur. Bien entendu le raisonnement ne s’applique pas à l’ensemble des personnes en recherche d’emploi mais un nombre suffisant pour qu’on considère que la France est engluée dans une crise de recrutement.

Très grossièrement , on constate qu’il y a encore malheureusement 3 millions de chômeurs mais que 3 millions d’emplois restent vacants. On ne peut évidemment combler le manque global de manière mécanique. Se pose aussi des problèmes de formation, de compétences mais aussi de motivation. Et dans la plupart des cas et dans toutes les catégories sociaux professionnelles, la France est contrainte de recourir à la main-d’œuvre étrangère ( du médecin au cueilleur de pommes).

Les valeurs du travail se sont progressivement étiolées et la responsabilité en incombe aux familles, à l’école, aux politiques, à la société tout entière. Le travail a en effet une triple fonction. Certes il permet d’obtenir une rémunération qui finance les conditions de vie. Mais c’est aussi une nécessité pour une insertion sociale harmonieuse de la population. C’est enfin le moyen d’assurer des richesses au pays qui peuvent alors être redistribuées. Bref le travail est aussi une valeur citoyenne.

Or par démagogie,  on n’a cessé de porter atteinte à cette valeur et l’un des derniers coups a été la mise en place brutale des 35 heures qui a contribué à tuer un peu plus la compétitivité en France et surtout à favorisé la culture RTT puis la distance voire  l’indifférence et même le rejet du travail.

La principale faiblesse économique de la France c’est précisément ce manque de travail de la population active ( sur la journée, le mois, l’année et toute la vie). Pendant les 30 glorieuses beaucoup travaillaient le double de temps de ceux  d’aujourdhui.

Le problème évidemment c’est que des pays en développement notamment devenus concurrents ne peuvent se payer cette faiblesse des pays développés comme la France où la question devient dramatique d’un point de vue économique et sociétal..

Les problèmes posés par la remontée des taux

Les problèmes posés par la remontée des taux

 

Le resserrement monétaire à marche forcée annoncé par Jerome Powell, présidente de la Réserve fédérale, a fortement alimenté la flambée des taux américains.  Estime un article des Échos.

 

 

Les investisseurs ont probablement sous estimé l’ampleur de la remontée des taux d’intérêt. Le rendement des Bons du Trésor américains à 10 ans, repère central pour les marchés mondiaux, s’est envolé ces derniers jours. A 1,50 % en début d’année, il a dépassé 2,80 % lundi soir, avant de refluer vers 2,70 % après des chiffres d’inflation élevés mais conformes aux attentes. Ils sont ainsi déjà au niveau auquel les voyaient les économistes à la fin de 2022. Tour d’horizon des principales questions posées par une telle remontée des taux.

1- Est-ce un changement d’ère sur les marchés ?

Cette remontée abrupte est au centre des préoccupations des investisseurs. Pour cause, la valorisation des actifs financiers correspond bien souvent à une actualisation des revenus futurs. Ainsi, lorsque les taux montent, les Bourses mondiales, la dette des pays émergents ou encore les obligations émises par les entreprises sont sous pression. « Le marché obligataire américain n’avait jamais subi une correction trimestrielle aussi forte. Entre janvier et mars, il a perdu 5,4 % », commente ainsi Franck Dixmier, responsable mondial de la gestion obligataire chez Allianz GI. Pour les professionnels de la finance, c’est un véritable changement de paradigme. Ils sont davantage habitués à évoluer dans un environnement de baisse des taux que de hausse. Surtout, ils naviguent dans le brouillard. L’inflation a des causes multiples. A l’excès de demande sur l’offre lié à la sortie de la crise sanitaire se sont ajoutés d’autres chocs inflationnistes difficiles à quantifier. « L’inflation des prix de l’énergie et des prix alimentaires devrait durer. Quant au passage de la mondialisation extrême à la régionalisation, il alimentera la hausse des prix », poursuit Franck Dixmier. De quoi expliquer le virage sur l’aile opéré par les banques centrales depuis la fin de l’année dernière.

2- Les banques centrales sont-elles condamnées à accélérer le mouvement face à la hausse de l’inflation ?

Le chiffre d’inflation aux Etats-Unis pour mars a de nouveau franchi un record , 8,5 % sur 12 mois. En Europe, il a également touché un plus haut historique, à 7,5 %. Les banques centrales n’ont donc guère le choix. En retard dans le combat contre la hausse des prix - en novembre dernier encore, elles présentaient l’inflation comme un phénomène transitoire - elles doivent frapper fort . La Réserve fédérale, notamment, affiche un ambitieux programme de hausse de ses taux directeurs. Ils devraient évoluer en fin d’année dans une fourchette de 1,75 %-2 % contre 0,25 %-0,50 % actuellement. Une vitesse quasiment jamais vue. Pourtant, souligne Stéphane Déo, directeur de la stratégie de marchés chez Ostrum, ce ne sera pas suffisant pour véritablement faire baisser l’inflation. Il faudrait pour cela que les taux de la Fed atteignent 9,8 %, ce qui aurait des conséquences lourdes pour l’économie. En zone euro, le mouvement est également engagé , mais il sera plus lent.

 

3- Quelle stratégie va adopter la Fed ?

Lors de sa dernière réunion de politique monétaire, la Fed a montré sa volonté d’aller plus vite dans le resserrement de sa politique monétaire, déclenchant la récente flambée des taux américains. Pour les marchés, les jeux semblent faits. « Nous nous attendons à un relèvement de 50 points de base [au lieu de 25 pb habituellement, NDLR] lors de la réunion de mai, et d’autres hausses de la même ampleur en juin et éventuellement en juillet », anticipe Franck Dixmier. En parallèle elle devrait commencer à réduire son bilan , c’est-à-dire arrêter de réinvestir les montants issus des obligations de son portefeuille arrivées à échéance. Voire, si cela ne suffit pas, vendre des titres sur le marché. L’objectif est de retirer 1.100 milliards de dollars par an à un bilan qui a tutoyé les 9.000 milliards de dollars après la crise du Covid. Ce qui pourrait, à moyen terme, faire bondir le taux américain à 10 ans de 100 à 150 pb.

4- La Fed peut-elle durcir sa politique monétaire à un tel rythme sans faire dérailler la croissance ?

Pour tenter d’apaiser les tensions inflationnistes, la Réserve fédérale dispose de peu d’outils. Elle joue principalement sur le niveau des taux d’intérêt : plus ils sont élevés, plus il est difficile pour les entreprises et les ménages de se financer, ce qui pèse sur la demande finale. L’effet est indirect et prend du temps pour se refléter dans l’économie réelle. Pour la Fed, le chemin est étroit. Si elle va trop vite, elle pourrait causer une récession . Mais si elle n’en fait pas assez, l’inflation pourrait s’ancrer à un niveau durablement élevé alors que la croissance ralentirait fortement, avec le risque de se retrouver dans un contexte de « stagflation ». La Fed est bien consciente de ces dangers, mais sa priorité est aujourd’hui de combattre l’inflation. Les taux d’intérêt sont un « outil brutal » qui causera forcément des « dommages collatéraux », a ainsi reconnu Christopher Waller, membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale américaine. S’il y a peu de doute que le resserrement de la politique monétaire américaine pèsera sur la croissance, le marché hésite encore entre anticiper un atterrissage en douceur ou une véritable récession.

5- Pourquoi les Bourses mondiales pourraient souffrir ?

Les marchés actions ont profité ces dernières années de la faiblesse des taux d’intérêt et de l’abondance des liquidités déversées dans le système financier via les programmes d’achat d’actifs des grandes banques centrales. Lorsque les taux sont faibles, les investisseurs ont tout intérêt à se reporter sur les actions. Les stratèges de marché parlent d’effet « TINA » : il n’y a pas d’alternative (There Is No Alternative). Avec la remontée des taux de rendement obligataires, les investisseurs pourraient revenir sur les obligations au détriment des actions. Un autre danger vient de la valorisation élevée des actions. Plus les taux sont bas, plus la valeur actuelle des profits futurs augmente. La baisse continue des taux ces dernières années a donc soutenu les cours des actions, en particulier des valeurs de croissance comme la tech.

6- Pourquoi la tech et le luxe souffrent plus que d’autres de la remontée des taux ?

A Wall Street, l’indice Nasdaq à forte coloration technologique a déjà chuté de 10 % cette année, ce qui correspond à plus de 1.000 milliards de dollars de capitalisation effacés. Si la remontée des taux se poursuit, cette correction pourrait s’accélérer. L’Europe boursière a un profil moins tourné vers la tech, mais elle n’est pas pour autant immunisée. Certains secteurs chèrement valorisés peuvent aussi souffrir de la hausse des taux, à commencer par le luxe, principal moteur de la Bourse de Paris.

7- Quelle contagion sur les taux européens ?

Depuis le début de l’année, les taux américains ont entraîné les taux européens dans leur sillage haussier. Pourtant, la situation de l’économie des deux côtés de l’Atlantique n’est pas la même. Notamment en ce qui concerne la nature de l’inflation, issue d’une surchauffe de l’économie domestique aux Etats-Unis, alors qu’elle est beaucoup plus « importée » en zone euro, car très liée à la flambée des prix de l’énergie. Mais c’est la conséquence du rôle central joué par le marché des Treasuries dans l’univers obligataire global. Par effet de contagion, les taux américains donnent le « la » aux autres taux. C’est le cas en Europe. « Dans le même temps, le rendement des Treasuries à 10 ans a progressé de 150 points de base, et celui des Bunds allemands de même maturité a grimpé de 90 points de base, soit une corrélation de 70 % », souligne Franck Dixmier.

8- Dans quelle mesure cela renchérit-il le financement des entreprises ?

Jugés sans risque, les taux d’emprunts des Etats constituent un plancher en dessous duquel les prêts aux sociétés ou les rendements des émissions obligataires « corporate » ne peuvent pas descendre. La flambée des rendements d’Etat va donc s’accompagner d’un renchérissement mécanique du financement pour les sociétés. En outre, un certain nombre d’investisseurs qui étaient allés chercher le rendement offert par les obligations d’entreprises dans un univers de taux souverains faibles vont à terme se détourner de ce marché pour revenir vers la dette d’Etat. Néanmoins, le péril n’est pas imminent. Les entreprises sont globalement saines et ont réussi à dégager de fortes marges. De plus, elles ont profité des conditions de financement exceptionnelles d’avant la hausse des taux pour renforcer leur trésorerie. Elles peuvent donc attendre plusieurs mois avant de se refinancer.

9- Quelle trajectoire pour le dollar en cas de remontée des taux ?

Le consensus des économistes et stratèges établi par l’agence Bloomberg anticipe un recul global du dollar cette année de 2,5 % à horizon de septembre et près de 4 % en fin d’année. L’euro, sous 1,09 dollar, grimperait à 1,12 dollar dans 5 mois et 1,13 fin 2022. La Réserve fédérale va certes remonter ses taux mais elle va courir derrière une inflation bien plus élevée, à 8,5 % en mars, qui va pénaliser la valeur du billet vert. Les marchés anticipent un relèvement des taux de la Fed de 225 points de base d’ici à la fin de l’année. « Aux Etats-Unis, la nouvelle génération, citoyens et décideurs, n’est pas prête à accepter un nouveau Paul Volcker [NDLR : le gouverneur de la Fed qui releva fortement les taux au début des années quatre-vingt pour lutter contre l'inflation]. Pour la Fed, une inflation de 8 % semble se décomposer en une composante structurelle à 3 % et une composante transitoire de 5 % », estime Stephen Jen, stratège chez Eurizon SLJ Capital. En 1994, le doublement des taux d’intérêt en 12 mois avait provoqué un krach obligataire retentissant et un plongeon du dollar. Une crise qui est restée dans toutes les mémoires et qui pourrait inciter la Fed à une certaine retenue.

L’obligation d’activité pour le RSA pose problème !

  L’obligation d’activité pour le  RSA pose problème !  

Critiquant les propositions d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse de conditionner de manière plus stricte le revenu de solidarité active, le président de l’Institut de l’engagement, à l’initiative du RSA en 2009, estime, dans une tribune au « Monde », que c’est plutôt aux pouvoirs publics qu’il revient d’améliorer leur accompagnement vers l’emploi.

 

Un article qui n’est pas sans intérêt avec des arguments pertinents mais qui toutefois donne aussi une légitimité au refus d’une insertion sociale contre le RSA via l’exigence d’assistanat NDLR

Tribune.

 

Nul doute qu’il est préférable de tirer l’essentiel de ses revenus de son travail que d’une allocation, qu’il est sain de considérer que les droits sociaux ont comme contrepartie des devoirs et qu’une société qui laisse durablement une grande fraction de ses membres en dehors du monde du travail est en échec. Nul doute aussi que, si vous demandez à un salarié qui gagne le smic s’il trouve normal que son voisin puisse en toucher la moitié sans travailler, il vous répondra non. Et cette question devient d’autant plus sensible quand il y a des difficultés à recruter dans certains secteurs, y compris pour des emplois peu qualifiés. Pour autant, l’obligation d’activité pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Peu après la création du service civique, plusieurs responsables politiques avaient demandé qu’il devienne obligatoire. Or, il y avait à l’époque plus de jeunes volontaires que de missions proposées et financées. Il était paradoxal de vouloir obliger des jeunes à faire un service civique auquel on leur refusait l’accès ! Si obligation il devait y avoir, c’était celle, pour les pouvoirs publics, d’offrir une mission à chaque jeune volontaire plutôt que l’inverse. Mais cela imposait d’y mettre les moyens et la volonté.

La question de l’obligation d’activité pour les allocataires du RSA est un peu de la même eau. Il est plus facile de cibler les allocataires profiteurs que de reconnaître que les pouvoirs publics n’ont pas satisfait à leurs propres obligations et qu’ils n’appliquent pas celles déjà fixées.

A la création du revenu de solidarité active, j’ai fait inscrire, dans la loi du 1er décembre 2008, que les allocataires devaient être soumis aux mêmes obligations que les autres demandeurs d’emploi, avec la possibilité de réduire ou supprimer l’allocation en cas de refus de deux offres valables d’emploi, assortie de l’obligation pour Pôle emploi d’inscrire les allocataires du RSA. Cette obligation, cohérente avec une logique de droits et devoirs, a suscité une levée de boucliers de certains de mes collègues du gouvernement, à commencer par Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat à l’emploi. Celui-ci m’avait fait valoir qu’étant donné le critère de la baisse du nombre de chômeurs, mesuré par les inscriptions à Pôle emploi, il n’allait pas se tirer une balle dans le pied en laissant s’y inscrire des gens qui avaient moins de chances que les autres d’intégrer le marché du travail. Le même, quelque temps après, dénonçait le « cancer de l’assistanat ».

La 5G: Les problèmes posés par la technologie

La 5G: Les problèmes posés par la technologie

 

Si la 5G devrait apporter des avantages et améliorer la vitesse de nos communications, il ne faut pas oublier de penser à toutes les problématiques que pose cette nouvelle technologie. Par Serge Abiteboul, Inria et Gérard Berry, Collège de France ( La tribune, extrait)

 

Le numérique, de manière générale, questionne les défenseurs de l’environnement. Par plein de côtés, il a des effets positifs sur l’environnement. Par exemple, il permet des études fines du climat, la gestion intelligente de l’énergie dans des smart grids, celle des moteurs de tous types, de l’automobile à l’aviation, des économies de transports avec le travail à distance. Par contre, il participe à la course en avant vers toujours plus de productivité et de consommation. Cet aspect très général du débat sera ignoré ici, où nous nous focaliserons sur la 5G.

Du côté positif, la 5G a été conçue dès le départ pour être énergétiquement sobre. Sachant que les chiffres ne sont pas stabilisés, elle devrait diviser fortement la consommation d’électricité pour le transport d’un Gigaoctet de données ; on parle de division par 10 et à terme par 20 par rapport à la 4G. Même si ces prévisions sont peut-être trop optimistes, il faut noter qu’elles vont dans le sens de l’histoire, qui a effectivement vu de pareilles améliorations de la 2G à la 3G à la 4G. Et on pourrait citer aussi les économies du passage du fil de cuivre à la fibre, ou des « vieux » data centers aux plus modernes. Le numérique sait aussi aller vers plus de sobriété, ce qui lui a permis d’absorber une grande partie de l’explosion des données transférées sur le réseau depuis vingt ans.

Une partie de cette explosion, oui, mais une partie seulement, car il faut tenir compte de l’effet rebond. D’une manière très générale, l’effet rebond, encore appelé paradoxe de Jevons, observe que des économies (monétaire ou autres) prévues du fait d’une amélioration de la technologie peuvent être perdues à la suite d’une adaptation du comportement de la société. Avec les améliorations des techniques qui ont permis le transport de plus en plus de données, on a vu cette quantité de données transportées augmenter violemment, en gros, doubler tous les dix-huit mois. Si les récents confinements dus à la pandémie n’ont pas mis à genoux la 4G, c’est grâce à l’année d’avance que sont obligés de prendre les opérateurs pour absorber cette croissance, entièrement due aux utilisateurs d’ailleurs.

L’introduction de la 5G va permettre que cet accroissement se poursuive, ce qui résulterait selon certains en une augmentation de l’impact négatif des réseaux sur l’environnement.

Bien sûr, on doit s’interroger pour savoir si cela aurait été mieux en refusant la 5G. Sans 5G, les réseaux télécoms de centre-ville auraient vite été saturés ce qui aurait conduit à densifier le réseaux de stations 4G. On aurait sans doute assisté à un même impact négatif pour un réseau qui aurait alors fini massivement par dysfonctionner, car la 4G supporte mal la saturation pour des raisons intrinsèques à sa technologie. Ne pas déployer la 5G n’aurait réglé aucun problème, le vrai sujet est celui de la sobriété.

Dans le cadre du déploiement en cours, une vraie question est celle des coûts environnementaux de fabrication des éléments de réseaux comme les stations radio, et surtout des téléphones. Il faut savoir que la fabrication d’un téléphone portable émet beaucoup plus de gaz à effet de serre (GES) que son utilisation. Si tous les Français se précipitent et changent leur téléphone pour avoir accès à la 5G, on arrive à un coût énorme en émission de GES. Il faudrait les convaincre que ça ne sert à rien et qu’on peut se contenter du renouvellement « normal » des téléphones. Il est important d’insister ici sur « normal » : les Français changent de téléphone tous les 18 mois, ce qui n’est pas normal du tout. Même si ça a été effectivement nécessaire quand les téléphones étaient loin de leur puissance de calcul actuelle, ça ne l’est plus maintenant. Et produire tous ces téléphones engendre une gabegie de ressources, d’énergie et d’émission de GES. Au-delà du sujet de la 5G, que faisons-nous pour ralentir ces remplacements ? Que faisons-nous pour qu’ils ne s’accélèrent pas à l’appel des sirènes de l’industrie des smartphones ?

Il faudrait aussi questionner les usages. Le visionnage d’une vidéo sur un smartphone consomme plusieurs fois l’électricité nécessaire au visionnage de la même vidéo après téléchargement par la fibre. Mais la situation est tout sauf simple. Comment comparer le visionnage d’un cours en 4G par un élève ne disposant pas d’autre connexion Internet au visionnage d’une vidéo (qu’on aurait pu télécharger à l’avance) dans le métro parisien ? Il ne s’agit pas ici de décider pour le citoyen ce qu’il peut visionner suivant le contexte, mais juste de le sensibiliser à la question du coût environnemental de ses choix numériques et de lui donner les moyens, s’il le souhaite, d’avoir des comportements plus sobres.

Dans ces dimensions, les effets sont contrastés.

Pour la cybersécurité, la 5G procure des moyens d’être plus exigeants, par exemple, en chiffrant les échanges de bout en bout. Par contre, en augmentant la surface des points névralgiques, on accroît les risques en matière de sécurité. En particulier, la virtualisation des réseaux qu’elle introduit ouvre la porte à des attaques logicielles. L’internet des objets, potentiellement boosté par la 5G, questionne également quand on voit la faiblesse de la sécurité des objets connectés, des plus simples comme les capteurs à basse énergie jusqu’aux plus critiques comme les pacemakers. Le risque lié à la cybersécurité venant de l’internet des objets est accru par la fragmentation de ce marché qui rend difficile de converger sur un cadre et des exigences communes.

Pour ce qui est de la surveillance, les effets sont également contrastés. Les pouvoirs publics s’inquiètent de ne pouvoir que plus difficilement intercepter les communications des escrocs, des terroristes, etc. Des citoyens s’inquiètent de la mise en place de surveillance vidéo massive. La 4G permet déjà une telle surveillance, mais la 5G, en augmentant les débits disponibles la facilite. On peut réaliser les rêves des dictateurs en couvrant le pays de caméra dont les flux sont analysés par des logiciels d’intelligence artificielle. Le cauchemar. Mais la 5G ne peut être tenue seule pour responsable ; si cela arrive, cela tiendra aussi du manque de vigilance des citoyens et de leurs élus.

C’est un vieux sujet. Comme ces ondes sont très utilisées (télécoms, wifi, four à micro-ondes, radars, etc.) et qu’elles sont invisibles, elles inquiètent depuis longtemps. Leurs effets sur la santé ont été intensément étudiés sans véritablement permettre de conclure à une quelconque nocivité dans un usage raisonné. Une grande majorité des spécialistes pensent qu’il n’y a pas de risque sanitaire à condition de bien suivre les seuils de recommandation de l’OMS, qui ajoute déjà des marges importantes au-delà des seuils où on pense qu’il existe un risque. On notera que certains pays comme la France vont encore au-delà des recommandations de l’OMS.

Pourtant, d’autres spécialistes pensent que des risques sanitaires existent. Et on s’accorde généralement pour poursuivre les études pour toujours mieux comprendre les effets biologiques des ondes, en fonction des fréquences utilisées, de la puissance et de la durée d’exposition. Avec le temps, on soulève de nouvelles questions comme l’accumulation des effets de différentes ondes, et après avoir focalisé sur les énergies absorbées et les effets thermiques, on s’attaque aux effets non thermiques.

La controverse se cristallise autour de « l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques ». C’est une pathologie reconnue dans de nombreux pays, qui se manifeste par des maux de tête, des douleurs musculaires, des troubles du sommeil, etc. Malgré son nom, les recherches médicales n’ont montré aucun lien avec l’exposition aux ondes. Ses causes restent mystérieuses.

Venons-en à la question plus spécifique de la 5G. La 5G mobilise différentes nouvelles gammes de fréquences, autour de 3,5 GHz et autour de 26 GHz. Avec la 3.5 GHz, on est très proche de fréquences déjà utilisées, par exemple par le wifi, et de fréquences dont les effets ont été très étudiés. Pour la 26 GHz, si l’utilisation dans un cadre grand public de telles ondes est nouvelle, on dispose déjà d’études sur de telles fréquences élevées. Pourtant, l’utilisation nouvelle de ces fréquences spécifiques légitime le fait que de nouvelles études soient entreprises pour elles, ce qui est déjà le cas.

Un aspect de la 5G conduit naturellement aussi à de nouvelles études : les antennes MIMO dont nous avons parlé. Elles permettent de focaliser l’émission sur l’utilisateur. Cela évite de balancer des ondes dans tout l’espace. Par contre, l’utilisateur sera potentiellement exposé à moins d’ondes au total, mais à des puissances plus importantes. Le contexte de l’exposition changeant aussi radicalement conduit à redéfinir la notion d’exposition aux ondes, et peut-être à de nouvelles normes d’exposition. Cela conduit donc à repenser même les notions de mesure.

Nous concluons cette section en mentionnant un autre effet sur la santé qui va bien au-delà de la 5G pour interpeller tout le numérique : la vitesse de développement de ces technologies. Le numérique met au service des personnes des moyens pour améliorer leurs vies. C’est souvent le cas et, en tant qu’informaticiens, nous aimons souligner cette dimension. Mais, le numérique impose aussi son rythme et son instantanéité à des individus, quelquefois (souvent ?) à leur détriment. C’est particulièrement vrai dans un contexte professionnel. Dans le même temps où il nous décharge de tâches pénibles, il peut imposer des cadences inhumaines. Voici évidemment des usages qu’il faut repousser. Il faut notamment être vigilant pour éviter que la 5G ne participe à une déshumanisation du travail.

On peut difficilement évaluer les retombées économiques de la 5G, mais les analystes avancent qu’elle va bouleverser de nombreux secteurs, par exemple, la fabrication en usine et les entrepôts. On s’attend à ce qu’elle conduise aussi à de nouvelles gammes de services grand public et à la transformation des services de l’État. On entend donc : Le monde de demain sera différent avec la 5G, et ceux qui n’auront pas pris le tournant 5G seront dépassés. C’est une des réponses avancées aux détracteurs de la 5G, la raison économique. On rejouerait un peu ce qui s’est passé avec les plates-formes d’internet : on est parti trop tard et du coup on rame à rattraper ce retard. Sans la 5G, l’économie nationale perdrait en compétitivité et nous basculerions dans le tiers monde.

Il est difficile de valider ou réfuter une telle affirmation. N’abandonnerions-nous la 5G que pour un temps ou indéfiniment ? Est-ce que ce serait pour adopter une autre technologie ? Nous pouvons poser par contre la question de notre place dans cette technique particulière, celle de la France et celle de l’Europe.

Pour ce qui est du développement de la technologie, contrairement à d’autres domaines, l’Europe est bien placée avec deux entreprises européennes sur les trois qui dominent le marché, Nokia et Ericsson. On peut même dire que Nokia est « un peu » française puisqu’elle inclut Alcatel. La dernière entreprise dominante est chinoise, Huawei, que les États-Unis et d’autres essaient de tenir à l’écart parce qu’elle est plus ou moins sous le contrôle du parti communiste chinois. La France essaie d’éviter que des communications d’acteurs sensibles ne puissent passer par les matériels Huawei ce qui revient de fait à l’exclure en grande partie du réseau français.

Pour ce qui est des usages, les industriels français semblent s’y intéresser enfin. Les milieux scientifiques européens et les entreprises technologiques européennes ne sont pas (trop) à la traîne même si on peut s’inquiéter des dominations américaines et chinoises dans des secteurs comme les composants électroniques ou les logiciels, et des investissements véritablement massif des États-Unis et de la Chine dans les technologies numériques bien plus grands qu’en Europe. On peut donc s’inquiéter de voir l’économie et l’industrie européenne prendre du retard. Il est vrai que la 5G ne sera pleinement présente que dans deux ou trois ans. On peut espérer que ce délai sera utilisé pour mieux nous lancer peut-être quand on aura mieux compris les enjeux, en espérant que ce ne sera pas trop tard, qu’en arrivant avec un temps de retard, on n’aura pas laissé les premiers arrivants rafler la mise (« winner-take-all »).

Comme nous l’avons vu, certains questionnements sur la 5G méritent qu’on s’y arrête, qu’on poursuive des recherches, qu’on infléchisse nos usages des technologies cellulaires. La 5G est au tout début de son déploiement. Les sujets traversés interpellent le citoyen. Nous voulons mettre cette technologie à notre service, par exemple, éviter qu’elle ne conduise à de la surveillance de masse ou imposer des rythmes de travail inhumains. Nous avons l’obligation de la mettre au service de l’écologie par exemple en évitant des changements de smartphones trop fréquents ou des téléchargements intempestifs de vidéos en mobilité. C’est bien pourquoi les citoyens doivent se familiariser avec ces sujets pour choisir ce qu’ils veulent que la 5G soit. Décider sans comprendre est rarement la bonne solution.

__________

Technologie 5G: Les problèmes que cela pose

Technologie 5G: Les problèmes que cela pose 

 

Si la 5G devrait apporter des avantages et améliorer la vitesse de nos communications, il ne faut pas oublier de penser à toutes les problématiques que pose cette nouvelle technologie. Par Serge Abiteboul, Inria et Gérard Berry, Collège de France ( La tribune, extrait)

 

Le numérique, de manière générale, questionne les défenseurs de l’environnement. Par plein de côtés, il a des effets positifs sur l’environnement. Par exemple, il permet des études fines du climat, la gestion intelligente de l’énergie dans des smart grids, celle des moteurs de tous types, de l’automobile à l’aviation, des économies de transports avec le travail à distance. Par contre, il participe à la course en avant vers toujours plus de productivité et de consommation. Cet aspect très général du débat sera ignoré ici, où nous nous focaliserons sur la 5G.

Du côté positif, la 5G a été conçue dès le départ pour être énergétiquement sobre. Sachant que les chiffres ne sont pas stabilisés, elle devrait diviser fortement la consommation d’électricité pour le transport d’un Gigaoctet de données ; on parle de division par 10 et à terme par 20 par rapport à la 4G. Même si ces prévisions sont peut-être trop optimistes, il faut noter qu’elles vont dans le sens de l’histoire, qui a effectivement vu de pareilles améliorations de la 2G à la 3G à la 4G. Et on pourrait citer aussi les économies du passage du fil de cuivre à la fibre, ou des « vieux » data centers aux plus modernes. Le numérique sait aussi aller vers plus de sobriété, ce qui lui a permis d’absorber une grande partie de l’explosion des données transférées sur le réseau depuis vingt ans.

Une partie de cette explosion, oui, mais une partie seulement, car il faut tenir compte de l’effet rebond. D’une manière très générale, l’effet rebond, encore appelé paradoxe de Jevons, observe que des économies (monétaire ou autres) prévues du fait d’une amélioration de la technologie peuvent être perdues à la suite d’une adaptation du comportement de la société. Avec les améliorations des techniques qui ont permis le transport de plus en plus de données, on a vu cette quantité de données transportées augmenter violemment, en gros, doubler tous les dix-huit mois. Si les récents confinements dus à la pandémie n’ont pas mis à genoux la 4G, c’est grâce à l’année d’avance que sont obligés de prendre les opérateurs pour absorber cette croissance, entièrement due aux utilisateurs d’ailleurs.

L’introduction de la 5G va permettre que cet accroissement se poursuive, ce qui résulterait selon certains en une augmentation de l’impact négatif des réseaux sur l’environnement.

Bien sûr, on doit s’interroger pour savoir si cela aurait été mieux en refusant la 5G. Sans 5G, les réseaux télécoms de centre-ville auraient vite été saturés ce qui aurait conduit à densifier le réseaux de stations 4G. On aurait sans doute assisté à un même impact négatif pour un réseau qui aurait alors fini massivement par dysfonctionner, car la 4G supporte mal la saturation pour des raisons intrinsèques à sa technologie. Ne pas déployer la 5G n’aurait réglé aucun problème, le vrai sujet est celui de la sobriété.

Dans le cadre du déploiement en cours, une vraie question est celle des coûts environnementaux de fabrication des éléments de réseaux comme les stations radio, et surtout des téléphones. Il faut savoir que la fabrication d’un téléphone portable émet beaucoup plus de gaz à effet de serre (GES) que son utilisation. Si tous les Français se précipitent et changent leur téléphone pour avoir accès à la 5G, on arrive à un coût énorme en émission de GES. Il faudrait les convaincre que ça ne sert à rien et qu’on peut se contenter du renouvellement « normal » des téléphones. Il est important d’insister ici sur « normal » : les Français changent de téléphone tous les 18 mois, ce qui n’est pas normal du tout. Même si ça a été effectivement nécessaire quand les téléphones étaient loin de leur puissance de calcul actuelle, ça ne l’est plus maintenant. Et produire tous ces téléphones engendre une gabegie de ressources, d’énergie et d’émission de GES. Au-delà du sujet de la 5G, que faisons-nous pour ralentir ces remplacements ? Que faisons-nous pour qu’ils ne s’accélèrent pas à l’appel des sirènes de l’industrie des smartphones ?

Il faudrait aussi questionner les usages. Le visionnage d’une vidéo sur un smartphone consomme plusieurs fois l’électricité nécessaire au visionnage de la même vidéo après téléchargement par la fibre. Mais la situation est tout sauf simple. Comment comparer le visionnage d’un cours en 4G par un élève ne disposant pas d’autre connexion Internet au visionnage d’une vidéo (qu’on aurait pu télécharger à l’avance) dans le métro parisien ? Il ne s’agit pas ici de décider pour le citoyen ce qu’il peut visionner suivant le contexte, mais juste de le sensibiliser à la question du coût environnemental de ses choix numériques et de lui donner les moyens, s’il le souhaite, d’avoir des comportements plus sobres.

Dans ces dimensions, les effets sont contrastés.

Pour la cybersécurité, la 5G procure des moyens d’être plus exigeants, par exemple, en chiffrant les échanges de bout en bout. Par contre, en augmentant la surface des points névralgiques, on accroît les risques en matière de sécurité. En particulier, la virtualisation des réseaux qu’elle introduit ouvre la porte à des attaques logicielles. L’internet des objets, potentiellement boosté par la 5G, questionne également quand on voit la faiblesse de la sécurité des objets connectés, des plus simples comme les capteurs à basse énergie jusqu’aux plus critiques comme les pacemakers. Le risque lié à la cybersécurité venant de l’internet des objets est accru par la fragmentation de ce marché qui rend difficile de converger sur un cadre et des exigences communes.

Pour ce qui est de la surveillance, les effets sont également contrastés. Les pouvoirs publics s’inquiètent de ne pouvoir que plus difficilement intercepter les communications des escrocs, des terroristes, etc. Des citoyens s’inquiètent de la mise en place de surveillance vidéo massive. La 4G permet déjà une telle surveillance, mais la 5G, en augmentant les débits disponibles la facilite. On peut réaliser les rêves des dictateurs en couvrant le pays de caméra dont les flux sont analysés par des logiciels d’intelligence artificielle. Le cauchemar. Mais la 5G ne peut être tenue seule pour responsable ; si cela arrive, cela tiendra aussi du manque de vigilance des citoyens et de leurs élus.

C’est un vieux sujet. Comme ces ondes sont très utilisées (télécoms, wifi, four à micro-ondes, radars, etc.) et qu’elles sont invisibles, elles inquiètent depuis longtemps. Leurs effets sur la santé ont été intensément étudiés sans véritablement permettre de conclure à une quelconque nocivité dans un usage raisonné. Une grande majorité des spécialistes pensent qu’il n’y a pas de risque sanitaire à condition de bien suivre les seuils de recommandation de l’OMS, qui ajoute déjà des marges importantes au-delà des seuils où on pense qu’il existe un risque. On notera que certains pays comme la France vont encore au-delà des recommandations de l’OMS.

Pourtant, d’autres spécialistes pensent que des risques sanitaires existent. Et on s’accorde généralement pour poursuivre les études pour toujours mieux comprendre les effets biologiques des ondes, en fonction des fréquences utilisées, de la puissance et de la durée d’exposition. Avec le temps, on soulève de nouvelles questions comme l’accumulation des effets de différentes ondes, et après avoir focalisé sur les énergies absorbées et les effets thermiques, on s’attaque aux effets non thermiques.

La controverse se cristallise autour de « l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques ». C’est une pathologie reconnue dans de nombreux pays, qui se manifeste par des maux de tête, des douleurs musculaires, des troubles du sommeil, etc. Malgré son nom, les recherches médicales n’ont montré aucun lien avec l’exposition aux ondes. Ses causes restent mystérieuses.

Venons-en à la question plus spécifique de la 5G. La 5G mobilise différentes nouvelles gammes de fréquences, autour de 3,5 GHz et autour de 26 GHz. Avec la 3.5 GHz, on est très proche de fréquences déjà utilisées, par exemple par le wifi, et de fréquences dont les effets ont été très étudiés. Pour la 26 GHz, si l’utilisation dans un cadre grand public de telles ondes est nouvelle, on dispose déjà d’études sur de telles fréquences élevées. Pourtant, l’utilisation nouvelle de ces fréquences spécifiques légitime le fait que de nouvelles études soient entreprises pour elles, ce qui est déjà le cas.

Un aspect de la 5G conduit naturellement aussi à de nouvelles études : les antennes MIMO dont nous avons parlé. Elles permettent de focaliser l’émission sur l’utilisateur. Cela évite de balancer des ondes dans tout l’espace. Par contre, l’utilisateur sera potentiellement exposé à moins d’ondes au total, mais à des puissances plus importantes. Le contexte de l’exposition changeant aussi radicalement conduit à redéfinir la notion d’exposition aux ondes, et peut-être à de nouvelles normes d’exposition. Cela conduit donc à repenser même les notions de mesure.

Nous concluons cette section en mentionnant un autre effet sur la santé qui va bien au-delà de la 5G pour interpeller tout le numérique : la vitesse de développement de ces technologies. Le numérique met au service des personnes des moyens pour améliorer leurs vies. C’est souvent le cas et, en tant qu’informaticiens, nous aimons souligner cette dimension. Mais, le numérique impose aussi son rythme et son instantanéité à des individus, quelquefois (souvent ?) à leur détriment. C’est particulièrement vrai dans un contexte professionnel. Dans le même temps où il nous décharge de tâches pénibles, il peut imposer des cadences inhumaines. Voici évidemment des usages qu’il faut repousser. Il faut notamment être vigilant pour éviter que la 5G ne participe à une déshumanisation du travail.

On peut difficilement évaluer les retombées économiques de la 5G, mais les analystes avancent qu’elle va bouleverser de nombreux secteurs, par exemple, la fabrication en usine et les entrepôts. On s’attend à ce qu’elle conduise aussi à de nouvelles gammes de services grand public et à la transformation des services de l’État. On entend donc : Le monde de demain sera différent avec la 5G, et ceux qui n’auront pas pris le tournant 5G seront dépassés. C’est une des réponses avancées aux détracteurs de la 5G, la raison économique. On rejouerait un peu ce qui s’est passé avec les plates-formes d’internet : on est parti trop tard et du coup on rame à rattraper ce retard. Sans la 5G, l’économie nationale perdrait en compétitivité et nous basculerions dans le tiers monde.

Il est difficile de valider ou réfuter une telle affirmation. N’abandonnerions-nous la 5G que pour un temps ou indéfiniment ? Est-ce que ce serait pour adopter une autre technologie ? Nous pouvons poser par contre la question de notre place dans cette technique particulière, celle de la France et celle de l’Europe.

Pour ce qui est du développement de la technologie, contrairement à d’autres domaines, l’Europe est bien placée avec deux entreprises européennes sur les trois qui dominent le marché, Nokia et Ericsson. On peut même dire que Nokia est « un peu » française puisqu’elle inclut Alcatel. La dernière entreprise dominante est chinoise, Huawei, que les États-Unis et d’autres essaient de tenir à l’écart parce qu’elle est plus ou moins sous le contrôle du parti communiste chinois. La France essaie d’éviter que des communications d’acteurs sensibles ne puissent passer par les matériels Huawei ce qui revient de fait à l’exclure en grande partie du réseau français.

Pour ce qui est des usages, les industriels français semblent s’y intéresser enfin. Les milieux scientifiques européens et les entreprises technologiques européennes ne sont pas (trop) à la traîne même si on peut s’inquiéter des dominations américaines et chinoises dans des secteurs comme les composants électroniques ou les logiciels, et des investissements véritablement massif des États-Unis et de la Chine dans les technologies numériques bien plus grands qu’en Europe. On peut donc s’inquiéter de voir l’économie et l’industrie européenne prendre du retard. Il est vrai que la 5G ne sera pleinement présente que dans deux ou trois ans. On peut espérer que ce délai sera utilisé pour mieux nous lancer peut-être quand on aura mieux compris les enjeux, en espérant que ce ne sera pas trop tard, qu’en arrivant avec un temps de retard, on n’aura pas laissé les premiers arrivants rafler la mise (« winner-take-all »).

Comme nous l’avons vu, certains questionnements sur la 5G méritent qu’on s’y arrête, qu’on poursuive des recherches, qu’on infléchisse nos usages des technologies cellulaires. La 5G est au tout début de son déploiement. Les sujets traversés interpellent le citoyen. Nous voulons mettre cette technologie à notre service, par exemple, éviter qu’elle ne conduise à de la surveillance de masse ou imposer des rythmes de travail inhumains. Nous avons l’obligation de la mettre au service de l’écologie par exemple en évitant des changements de smartphones trop fréquents ou des téléchargements intempestifs de vidéos en mobilité. C’est bien pourquoi les citoyens doivent se familiariser avec ces sujets pour choisir ce qu’ils veulent que la 5G soit. Décider sans comprendre est rarement la bonne solution.

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Par Serge Abiteboul, Directeur de recherche à Inria, membre de l’Académie des Sciences, Inria et Gérard Berry, Professeur émérite en informatique, Collège de France.

Pour aller plus loin: « La 5G et les réseaux de communications mobiles », rapport du groupe de travail de l’Académie des sciences sur les réseaux du futur, 12 juillet 2021

5G: Les problèmes posés par la technologie

5G: Les problèmes posés par la technologie

 

Si la 5G devrait apporter des avantages et améliorer la vitesse de nos communications, il ne faut pas oublier de penser à toutes les problématiques que pose cette nouvelle technologie. Par Serge Abiteboul, Inria et Gérard Berry, Collège de France ( La tribune, extrait)

 

Le numérique, de manière générale, questionne les défenseurs de l’environnement. Par plein de côtés, il a des effets positifs sur l’environnement. Par exemple, il permet des études fines du climat, la gestion intelligente de l’énergie dans des smart grids, celle des moteurs de tous types, de l’automobile à l’aviation, des économies de transports avec le travail à distance. Par contre, il participe à la course en avant vers toujours plus de productivité et de consommation. Cet aspect très général du débat sera ignoré ici, où nous nous focaliserons sur la 5G.

Du côté positif, la 5G a été conçue dès le départ pour être énergétiquement sobre. Sachant que les chiffres ne sont pas stabilisés, elle devrait diviser fortement la consommation d’électricité pour le transport d’un Gigaoctet de données ; on parle de division par 10 et à terme par 20 par rapport à la 4G. Même si ces prévisions sont peut-être trop optimistes, il faut noter qu’elles vont dans le sens de l’histoire, qui a effectivement vu de pareilles améliorations de la 2G à la 3G à la 4G. Et on pourrait citer aussi les économies du passage du fil de cuivre à la fibre, ou des « vieux » data centers aux plus modernes. Le numérique sait aussi aller vers plus de sobriété, ce qui lui a permis d’absorber une grande partie de l’explosion des données transférées sur le réseau depuis vingt ans.

Une partie de cette explosion, oui, mais une partie seulement, car il faut tenir compte de l’effet rebond. D’une manière très générale, l’effet rebond, encore appelé paradoxe de Jevons, observe que des économies (monétaire ou autres) prévues du fait d’une amélioration de la technologie peuvent être perdues à la suite d’une adaptation du comportement de la société. Avec les améliorations des techniques qui ont permis le transport de plus en plus de données, on a vu cette quantité de données transportées augmenter violemment, en gros, doubler tous les dix-huit mois. Si les récents confinements dus à la pandémie n’ont pas mis à genoux la 4G, c’est grâce à l’année d’avance que sont obligés de prendre les opérateurs pour absorber cette croissance, entièrement due aux utilisateurs d’ailleurs.

L’introduction de la 5G va permettre que cet accroissement se poursuive, ce qui résulterait selon certains en une augmentation de l’impact négatif des réseaux sur l’environnement.

Bien sûr, on doit s’interroger pour savoir si cela aurait été mieux en refusant la 5G. Sans 5G, les réseaux télécoms de centre-ville auraient vite été saturés ce qui aurait conduit à densifier le réseaux de stations 4G. On aurait sans doute assisté à un même impact négatif pour un réseau qui aurait alors fini massivement par dysfonctionner, car la 4G supporte mal la saturation pour des raisons intrinsèques à sa technologie. Ne pas déployer la 5G n’aurait réglé aucun problème, le vrai sujet est celui de la sobriété.

Dans le cadre du déploiement en cours, une vraie question est celle des coûts environnementaux de fabrication des éléments de réseaux comme les stations radio, et surtout des téléphones. Il faut savoir que la fabrication d’un téléphone portable émet beaucoup plus de gaz à effet de serre (GES) que son utilisation. Si tous les Français se précipitent et changent leur téléphone pour avoir accès à la 5G, on arrive à un coût énorme en émission de GES. Il faudrait les convaincre que ça ne sert à rien et qu’on peut se contenter du renouvellement « normal » des téléphones. Il est important d’insister ici sur « normal » : les Français changent de téléphone tous les 18 mois, ce qui n’est pas normal du tout. Même si ça a été effectivement nécessaire quand les téléphones étaient loin de leur puissance de calcul actuelle, ça ne l’est plus maintenant. Et produire tous ces téléphones engendre une gabegie de ressources, d’énergie et d’émission de GES. Au-delà du sujet de la 5G, que faisons-nous pour ralentir ces remplacements ? Que faisons-nous pour qu’ils ne s’accélèrent pas à l’appel des sirènes de l’industrie des smartphones ?

Il faudrait aussi questionner les usages. Le visionnage d’une vidéo sur un smartphone consomme plusieurs fois l’électricité nécessaire au visionnage de la même vidéo après téléchargement par la fibre. Mais la situation est tout sauf simple. Comment comparer le visionnage d’un cours en 4G par un élève ne disposant pas d’autre connexion Internet au visionnage d’une vidéo (qu’on aurait pu télécharger à l’avance) dans le métro parisien ? Il ne s’agit pas ici de décider pour le citoyen ce qu’il peut visionner suivant le contexte, mais juste de le sensibiliser à la question du coût environnemental de ses choix numériques et de lui donner les moyens, s’il le souhaite, d’avoir des comportements plus sobres.

Dans ces dimensions, les effets sont contrastés.

Pour la cybersécurité, la 5G procure des moyens d’être plus exigeants, par exemple, en chiffrant les échanges de bout en bout. Par contre, en augmentant la surface des points névralgiques, on accroît les risques en matière de sécurité. En particulier, la virtualisation des réseaux qu’elle introduit ouvre la porte à des attaques logicielles. L’internet des objets, potentiellement boosté par la 5G, questionne également quand on voit la faiblesse de la sécurité des objets connectés, des plus simples comme les capteurs à basse énergie jusqu’aux plus critiques comme les pacemakers. Le risque lié à la cybersécurité venant de l’internet des objets est accru par la fragmentation de ce marché qui rend difficile de converger sur un cadre et des exigences communes.

Pour ce qui est de la surveillance, les effets sont également contrastés. Les pouvoirs publics s’inquiètent de ne pouvoir que plus difficilement intercepter les communications des escrocs, des terroristes, etc. Des citoyens s’inquiètent de la mise en place de surveillance vidéo massive. La 4G permet déjà une telle surveillance, mais la 5G, en augmentant les débits disponibles la facilite. On peut réaliser les rêves des dictateurs en couvrant le pays de caméra dont les flux sont analysés par des logiciels d’intelligence artificielle. Le cauchemar. Mais la 5G ne peut être tenue seule pour responsable ; si cela arrive, cela tiendra aussi du manque de vigilance des citoyens et de leurs élus.

C’est un vieux sujet. Comme ces ondes sont très utilisées (télécoms, wifi, four à micro-ondes, radars, etc.) et qu’elles sont invisibles, elles inquiètent depuis longtemps. Leurs effets sur la santé ont été intensément étudiés sans véritablement permettre de conclure à une quelconque nocivité dans un usage raisonné. Une grande majorité des spécialistes pensent qu’il n’y a pas de risque sanitaire à condition de bien suivre les seuils de recommandation de l’OMS, qui ajoute déjà des marges importantes au-delà des seuils où on pense qu’il existe un risque. On notera que certains pays comme la France vont encore au-delà des recommandations de l’OMS.

Pourtant, d’autres spécialistes pensent que des risques sanitaires existent. Et on s’accorde généralement pour poursuivre les études pour toujours mieux comprendre les effets biologiques des ondes, en fonction des fréquences utilisées, de la puissance et de la durée d’exposition. Avec le temps, on soulève de nouvelles questions comme l’accumulation des effets de différentes ondes, et après avoir focalisé sur les énergies absorbées et les effets thermiques, on s’attaque aux effets non thermiques.

La controverse se cristallise autour de « l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques ». C’est une pathologie reconnue dans de nombreux pays, qui se manifeste par des maux de tête, des douleurs musculaires, des troubles du sommeil, etc. Malgré son nom, les recherches médicales n’ont montré aucun lien avec l’exposition aux ondes. Ses causes restent mystérieuses.

Venons-en à la question plus spécifique de la 5G. La 5G mobilise différentes nouvelles gammes de fréquences, autour de 3,5 GHz et autour de 26 GHz. Avec la 3.5 GHz, on est très proche de fréquences déjà utilisées, par exemple par le wifi, et de fréquences dont les effets ont été très étudiés. Pour la 26 GHz, si l’utilisation dans un cadre grand public de telles ondes est nouvelle, on dispose déjà d’études sur de telles fréquences élevées. Pourtant, l’utilisation nouvelle de ces fréquences spécifiques légitime le fait que de nouvelles études soient entreprises pour elles, ce qui est déjà le cas.

Un aspect de la 5G conduit naturellement aussi à de nouvelles études : les antennes MIMO dont nous avons parlé. Elles permettent de focaliser l’émission sur l’utilisateur. Cela évite de balancer des ondes dans tout l’espace. Par contre, l’utilisateur sera potentiellement exposé à moins d’ondes au total, mais à des puissances plus importantes. Le contexte de l’exposition changeant aussi radicalement conduit à redéfinir la notion d’exposition aux ondes, et peut-être à de nouvelles normes d’exposition. Cela conduit donc à repenser même les notions de mesure.

Nous concluons cette section en mentionnant un autre effet sur la santé qui va bien au-delà de la 5G pour interpeller tout le numérique : la vitesse de développement de ces technologies. Le numérique met au service des personnes des moyens pour améliorer leurs vies. C’est souvent le cas et, en tant qu’informaticiens, nous aimons souligner cette dimension. Mais, le numérique impose aussi son rythme et son instantanéité à des individus, quelquefois (souvent ?) à leur détriment. C’est particulièrement vrai dans un contexte professionnel. Dans le même temps où il nous décharge de tâches pénibles, il peut imposer des cadences inhumaines. Voici évidemment des usages qu’il faut repousser. Il faut notamment être vigilant pour éviter que la 5G ne participe à une déshumanisation du travail.

On peut difficilement évaluer les retombées économiques de la 5G, mais les analystes avancent qu’elle va bouleverser de nombreux secteurs, par exemple, la fabrication en usine et les entrepôts. On s’attend à ce qu’elle conduise aussi à de nouvelles gammes de services grand public et à la transformation des services de l’État. On entend donc : Le monde de demain sera différent avec la 5G, et ceux qui n’auront pas pris le tournant 5G seront dépassés. C’est une des réponses avancées aux détracteurs de la 5G, la raison économique. On rejouerait un peu ce qui s’est passé avec les plates-formes d’internet : on est parti trop tard et du coup on rame à rattraper ce retard. Sans la 5G, l’économie nationale perdrait en compétitivité et nous basculerions dans le tiers monde.

Il est difficile de valider ou réfuter une telle affirmation. N’abandonnerions-nous la 5G que pour un temps ou indéfiniment ? Est-ce que ce serait pour adopter une autre technologie ? Nous pouvons poser par contre la question de notre place dans cette technique particulière, celle de la France et celle de l’Europe.

Pour ce qui est du développement de la technologie, contrairement à d’autres domaines, l’Europe est bien placée avec deux entreprises européennes sur les trois qui dominent le marché, Nokia et Ericsson. On peut même dire que Nokia est « un peu » française puisqu’elle inclut Alcatel. La dernière entreprise dominante est chinoise, Huawei, que les États-Unis et d’autres essaient de tenir à l’écart parce qu’elle est plus ou moins sous le contrôle du parti communiste chinois. La France essaie d’éviter que des communications d’acteurs sensibles ne puissent passer par les matériels Huawei ce qui revient de fait à l’exclure en grande partie du réseau français.

Pour ce qui est des usages, les industriels français semblent s’y intéresser enfin. Les milieux scientifiques européens et les entreprises technologiques européennes ne sont pas (trop) à la traîne même si on peut s’inquiéter des dominations américaines et chinoises dans des secteurs comme les composants électroniques ou les logiciels, et des investissements véritablement massif des États-Unis et de la Chine dans les technologies numériques bien plus grands qu’en Europe. On peut donc s’inquiéter de voir l’économie et l’industrie européenne prendre du retard. Il est vrai que la 5G ne sera pleinement présente que dans deux ou trois ans. On peut espérer que ce délai sera utilisé pour mieux nous lancer peut-être quand on aura mieux compris les enjeux, en espérant que ce ne sera pas trop tard, qu’en arrivant avec un temps de retard, on n’aura pas laissé les premiers arrivants rafler la mise (« winner-take-all »).

Comme nous l’avons vu, certains questionnements sur la 5G méritent qu’on s’y arrête, qu’on poursuive des recherches, qu’on infléchisse nos usages des technologies cellulaires. La 5G est au tout début de son déploiement. Les sujets traversés interpellent le citoyen. Nous voulons mettre cette technologie à notre service, par exemple, éviter qu’elle ne conduise à de la surveillance de masse ou imposer des rythmes de travail inhumains. Nous avons l’obligation de la mettre au service de l’écologie par exemple en évitant des changements de smartphones trop fréquents ou des téléchargements intempestifs de vidéos en mobilité. C’est bien pourquoi les citoyens doivent se familiariser avec ces sujets pour choisir ce qu’ils veulent que la 5G soit. Décider sans comprendre est rarement la bonne solution.

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Par Serge Abiteboul, Directeur de recherche à Inria, membre de l’Académie des Sciences, Inria et Gérard Berry, Professeur émérite en informatique, Collège de France.

Pour aller plus loin: « La 5G et les réseaux de communications mobiles », rapport du groupe de travail de l’Académie des sciences sur les réseaux du futur, 12 juillet 2021

Orthographe : des problèmes dans 75 % des entreprises

Orthographe : des problèmes dans 75 % des entreprises

La crise de l’enseignement se répercute maintenant logiquement dans les entreprises qui sont victimes de l’écroulement du niveau scolaire en particulier en orthographe d’après une info d’Europe 1. Selon un sondage Ipsos pour la Fondation Voltaire, trois entreprises françaises sur quatre estiment être confrontées à un problème d’orthographe de leurs employés. Des difficultés d’expression écrite et/ou orale qui nuisent à l’image de ces entreprises, selon Mélanie Viennot, présidente de la Fondation.

Un mot mal orthographié sur le CV, une mauvaise concordance des temps à l’oral, une erreur de vocabulaire au cours d’un entretien… Les fautes d’orthographe sont de plus en plus rédhibitoires pour les employeurs. Et pour cause, selon un sondage Ipsos pour la Fondation Voltaire, 75% des entreprises françaises se retrouvent confrontées à un problème d’orthographe de leurs employés. Un problème lors du recrutement, qui va aussi au-delà.

Car selon la gravité de la faute d’orthographe, cela peut nuire à la crédibilité du salarié, mais également de l’entreprise, explique au micro d’Europe 1, Mélanie Viennot, présidente de la Fondation Voltaire qui a commandé ce sondage. « Aujourd’hui, on écrit beaucoup plus du fait du télétravail, du fait de l’évolution des fonctions, que ce soit sur des postes de techniciens, de commerciaux, de managers, d’encadrants… Tous ces postes sont concernés », précise-t-elle. « Quelqu’un qui fait des fautes, a tendance à apparaître comme moins compétent, moins intelligent, alors que ce n’est pas du tout le cas ». Reste que pour les employeurs, cela pose un véritable problème d’image : « Quelqu’un qui s’exprime mal, qui fait des fautes, nuit à l’image de toute son entreprise. »

Un phénomène accentué par le coronavirus

D’autant que l’arrivée du télétravail dans le sillon du coronavirus a accentué ce phénomène, même à l’oral. Car avec moins de temps informel et plus de réunions, il faut être percutant, plus succinct et maîtriser son expression. D’ailleurs, neuf employeurs sur dix estiment que la qualité de l’expression orale est désormais plus nécessaire qu’avant la crise.

« Ianoukovitch et Timochenko deux problèmes de l’Ukraine »

« Ianoukovitch et Timochenko deux problèmes de l’Ukraine »

L’ancien président ukrainien Viktor Iouchtchenko  était l’invité d’Europe 1 et il en a profité pour partager ses impressions sur la situation politique dans son pays et vis-à-vis de la Russie. Pour lui, l’objectif de Vladimir Poutine est clair « il veut faire renaître une sorte de nouvel empire, une nouvelle URSS mais qui porterait le nom de la Russie. C’est un plan obsessionnel ». « Il a récemment déclaré que sa plus grande tragédie était la chute de l’URSS », a-t-il précisé. Viktor Iouchtchenko estime que les déclarations du président russe ce mardi, qui dit se réserver le droit de recourir à « tous les moyens » pour protéger ses citoyens en Ukraine – le prouvent.  L’ancien président de 2005 à 2010, et leader de la révolution orange en 2004, en profite aussi pour assure qu’il « ne sera pas candidat  à l’élection présidentielle anticipée » en Ukraine qui doit se tenir le 25 mai prochain. « Je pense plutôt qu’il faut soutenir la nouvelle génération, les nouveaux hommes politiques ukrainiens », a-t-il estimé. Toujours sur Europe 1, Viktor Iouchtchenko adresse un tacle à l’opposante Ioulia Timochenko (largement impliquée dans crains enrichissements personnels grâce au gaz russe). Il estime que « Viktor Ianoukovicth et Ioulia Timochenko [qui a été le Premier ministre de Iouchtchenko, ndlr] sont les deux problèmes de l’Ukraine ». Une critique en bonne et due et forme alors même que celle-ci devrait, elle, être candidate à l’élection présidentielle. Viktor Iouchtchenko a par ailleurs estimé que l’ancien boxeur et figure de l’opposition, Vitaly Klitschko « a de très bonnes chances pour cette élection présidentielle s’il prépare une politique qui consoliderait la nation ukrainienne ». L’ancien président s’est même dit « prêt à le soutenir ». Viktor Iouchtchenko a aussi balayé l’idée que la Crimée puisse être cédée à la Russie. « L’Ukraine est une entité, un pays qui ne fait qu’un et on ne peut pas se poser la question de savoir à qui est la Crimée. La Crimée est ukrainienne », a martelé l’ancien président ukrainien. Face à la détermination du président russe, il faut donc trouver des moyens de pressions. Selon lui, « Poutine a peur de deux choses : la réaction internationale et la réaction de son propre peuple ». Enfin, l’ancien dirigeant a été interrogé sur la manière dont la France et François Hollande gère la crise en Ukraine. Viktor Iouchtchenko confie qu’il souhaiterait « à terme que l’Ukraine devienne un membre à part entière de l’Union européenne ».  C’est pourquoi, il demande au président français de garder cette idée en tête, « que cela fasse partie de son programme politique ».




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