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Crise environnementale : comment en est-on arrivé là ?

Crise environnementale : comment en est-on arrivé là ?

La Terre à l’époque de l’Anthropocène : comment en est-on arrivé là ? Peut-on en limiter les dégâts ?

Par
Victor Court
Économiste, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, Université Paris Cité dans The Conversation

En 2000, deux scientifiques proposèrent pour la première fois l’hypothèse que l’époque de l’Holocène, amorcée il y a 11 700 ans, était révolue.

L’emprise de l’humanité sur le système terrestre serait devenue si profonde qu’elle rivaliserait avec certaines des grandes forces de la nature, au point d’avoir fait bifurquer la trajectoire géologique et écologique de la Terre.

Il faudrait désormais utiliser le terme d’« Anthropocène » pour désigner avec plus de justesse l’époque géologique actuelle. Cette annonce a ouvert des débats considérables.

Parmi les nombreuses polémiques soulevées par ce nouveau concept, la plus évidente porte encore aujourd’hui sur la date du début de l’Anthropocène.

La proposition initiale portait symboliquement sur 1784, l’année du dépôt du brevet de James Watt pour sa machine à vapeur, véritable emblème de l’amorce de la révolution industrielle. Ce choix coïncide en effet avec l’augmentation significative des concentrations atmosphériques de plusieurs gaz à effet de serre, comme en témoignent les données extraites des carottes de glace.

Des chercheurs d’autres disciplines, archéologie et archéobiologie en l’occurrence, avancèrent ensuite l’idée que l’Anthropocène et l’Holocène devraient être considérés comme une même époque géologique.

Dans la perspective de ces disciplines, c’est la fin de la dernière période glaciaire, il y a plus de 10 000 ans, qui aurait favorisé une augmentation sans précédent de la population humaine (grâce à l’apparition progressive de l’agriculture) et, donc, l’émergence de son rôle de force géoécologique.

Une autre approche défend une idée assez similaire, mais en ajoutant quelques milliers d’années à la date du début de l’Anthropocène. Il aurait fallu attendre que la domestication des plantes et des animaux soit suffisamment développée pour que les répercussions environnementales des sociétés agraires – en particulier les rejets de dioxyde de carbone (CO2) dus à la déforestation – soient assez importantes pour faire sortir la Terre de l’Holocène.

À l’opposé, certains membres de la communauté scientifique penchent pour une date plus récente que celle initialement avancée.

La course de l’humanité semble en effet suivre dans sa partie la plus contemporaine une trajectoire particulière qu’on a qualifiée de « Grande Accélération ». C’est autour de 1950 que les principaux indicateurs du système socioéconomique mondial et du système Terre se sont mis à avoir une tendance réellement exponentielle.

L’empreinte écologique de l’humanité prend des formes diverses et interconnectées qui ne cessent de s’aggraver depuis cette date : une modification du climat sans précédent, par sa vitesse et son intensité ; une dégradation généralisée du tissu de la vie, par l’artificialisation des écosystèmes et les rejets de substances entièrement nouvelles (comme les produits de la chimie de synthèse, les plastiques, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les radionucléides et les gaz fluorés) ; un effondrement de la biodiversité d’une ampleur et d’une rapidité inédites (signe pour certains d’une sixième grande extinction, la cinquième étant celle qui vit disparaître les dinosaures, il y a 66 millions d’années) ; et de multiples perturbations des cycles biogéochimiques (notamment ceux de l’eau, de l’azote et du phosphore).

En parallèle avec cette question sur la date du début de l’Anthropocène, d’autres débats ont émergé autour de ce concept. Le plus important a été porté par Andreas Malm et Alf Hornborg, tous deux membres du département de géographie humaine de l’Université de Lund (Suède).

Ces deux chercheurs ont remarqué que le concept d’Anthropocène suggère que toute l’espèce humaine serait responsable des bouleversements planétaires. C’est pour cette raison que de nombreux auteurs ont tendance, même lorsqu’ils font remonter l’Anthropocène au moment du décollage industriel de quelques nations, à affirmer que la cause ultime de l’émergence de sociétés reposant sur les énergies fossiles correspondrait à un processus évolutif long, donc naturel, qui aurait commencé avec la maîtrise du feu par nos ancêtres (il y a au moins 400 000 ans).

Malm et Hornborg affirment que parler de l’Anthropocène en utilisant des catégories généralisantes, comme « l’espèce humaine », « les humains » ou « l’humanité », revient à naturaliser ce phénomène, c’est-à-dire à supposer qu’il était inéluctable, car découlant d’une propension naturelle de notre espèce à exploiter un maximum de ressources dès qu’elle en a l’occasion.

Pour les deux chercheurs, cette naturalisation occulte la dimension sociale du régime fossile des 200 dernières années.

L’adoption de la machine à vapeur alimentée par le charbon, puis des technologies reposant sur le pétrole et le gaz, n’a pas été réalisée à la suite d’une décision unanime de tous les membres de l’humanité, et ce ne sont pas non plus quelques représentants de cette dernière – qui auraient été élus sur la base de caractéristiques naturelles – qui ont décidé de la trajectoire empruntée par notre espèce.

L’exploitation des énergies fossiles émet du CO₂, première cause du réchauffement climatique. Zbynek Burival/Unsplash
Pour Malm et Hornborg, ce sont au contraire des conditions sociales et politiques particulières qui ont, chaque fois, créé la possibilité d’un investissement lucratif pour quelques détenteurs de capitaux, quasi systématiquement des hommes blancs, bourgeois ou aristocrates.

Par exemple, la possibilité d’exploiter les travailleurs britanniques dans les mines de charbon a été déterminante dans le cas de la machine à vapeur aux XVIIIe et XIXe siècles ; tout comme le soutien de plusieurs gouvernements occidentaux l’a été en ce qui concerne la mise en place des infrastructures nécessaires à l’exploitation du pétrole depuis le milieu du XIXe siècle.

L’Anthropocène perçu à l’échelle de la totalité de l’humanité occulte un autre fait majeur : l’inégalité intraespèce dans la responsabilité des bouleversements climatiques et écologiques.

À l’heure actuelle, parmi tous les habitants du monde, les 10 % qui émettent le plus de gaz à effet de serre (GES) sont responsables de 48 % du total des émissions mondiales, alors que les 50 % qui en émettent le moins sont responsables d’à peine 12 % des émissions globales. Parmi les plus gros émetteurs individuels de la planète, les estimations mettent en avant le 1 % le plus riche (composé majoritairement d’Américains, de Luxembourgeois, de Singapouriens, de Saoudiens, etc.), avec des émissions par personne supérieures à 200 tonnes d’équivalent CO2 par année.

À l’autre extrémité du spectre des émetteurs, on trouve les individus les plus pauvres du Honduras, du Mozambique, du Rwanda et du Malawi, avec des émissions 2000 fois plus faibles, proches de 0,1 tonne d’équivalent CO2 par personne et par an.

Ce lien étroit entre richesse et empreinte carbone implique une responsabilité commune, mais différenciée, qui sied mal à la catégorisation englobante de l’Anthropocène.

Par ailleurs, cette critique prend encore plus de sens dans une perspective historique puisque le dérèglement climatique dépend du cumul des émissions de GES. À titre d’exemple, on peut se dire que le Royaume-Uni n’a pas à être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, car il ne représente actuellement qu’environ 1 % des émissions mondiales de carbone… C’est oublier un peu vite que ce pays a contribué à 4,5 % des émissions globales depuis 1850, ce qui le place au huitième rang des plus gros pollueurs de l’histoire.

Les nations du monde, et les individus au sein de chacune d’entre elles, n’ont pas contribué de façon équivalente à la trajectoire exponentielle du système Terre depuis 200 ans. L’Europe et l’Amérique du Nord sont historiquement les régions les plus polluantes de l’histoire. Le Royaume-Uni et les États-Unis, chefs d’orchestre respectifs du développement économique mondialisé du XIXe et du XXe siècle, ont une dette écologique particulièrement colossale envers les autres nations. Le charbon a été le carburant du projet de domination impériale britannique, alors que c’est le pétrole qui a joué ce rôle pour les États-Unis.

Pour garder les idées claires sur ce sujet épineux de la contribution historique de chaque nation à la dérive climatique, il peut être avisé de toujours garder en tête que les émissions de GES, et plus généralement l’empreinte environnementale d’un pays ou d’une personne donnée, sont déterminées au premier ordre par leur niveau de consommation de biens et de services.

Habiter dans un pays riche et penser être « écolo » n’a généralement aucun rapport avec la réalité. De plus, toutes les données quantitatives en notre possession ne disent rien de la nécessité vitale – ou, au contraire, de la futilité la plus extrême – à l’origine de l’émission d’un même kilogramme de dioxyde de carbone !

Pour certains, émettre un peu plus de gaz à effet de serre est une question de survie : cela peut représenter une ration de riz ou l’installation d’une toiture. Pour d’autres, il ne s’agit que d’acheter un gadget de plus pour se divertir quelques heures. À ceux qui avancent qu’il faudrait réduire la taille de la population mondiale pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique (et toutes les autres perturbations environnementales), on répondra qu’il suffirait plutôt d’empêcher les plus riches de continuer de mener leur train de vie indécent et climaticide.

Parce qu’il fabrique une humanité abstraite qui est uniformément concernée, le discours dominant sur l’Anthropocène suggère une responsabilité tout aussi uniformisée. Les Yanomami et les Achuar d’Amazonie, qui vivent sans recourir à un gramme d’énergie fossile et se contentent de ce qu’ils retirent de la chasse, de la pêche, de la cueillette et d’une agriculture vivrière, devraient-ils donc se sentir aussi responsables du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité que les plus riches industriels, banquiers et autres avocats d’affaires ?

Si la Terre est vraiment entrée dans une nouvelle époque géologique, les responsabilités de chaque nation et de chaque individu sont trop différentes dans l’espace et dans le temps pour qu’on puisse considérer que « l’espèce humaine » est une abstraction satisfaisante pour endosser le fardeau de la culpabilité.

Au-delà de ces nombreux débats et controverses, le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité réclament des actions massives, concrètes, sans délai. Les efforts et les initiatives, dont certaines conduites à un niveau global, ne semblent pas manquer… Mais lesquelles fonctionnent véritablement ?

Quelle efficacité réelle pour l’Accord de Paris ?

Prenons par exemple la 21e Conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, qui s’est tenue à Paris en 2015.

Celle-ci a débouché sur un accord qualifié d’historique puisque, pour la première fois, 196 pays se sont engagés à décarboner l’économie mondiale. En pratique, cet accord laisse à chaque État le soin de définir sa stratégie nationale de transition énergétique. Chaque pays membre doit ensuite présenter aux autres signataires sa « contribution déterminée au niveau national » (CDN). L’addition des CDN forme la trajectoire attendue des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Le problème d’une telle stratégie (si tant est qu’elle soit effectivement appliquée), c’est que le compte n’y est pas : même si toutes les promesses annoncées étaient réalisées, les émissions de GES d’origine humaine nous conduiraient à un réchauffement climatique d’environ 2,7 °C d’ici la fin du siècle.

En 2030, il y aura déjà un écart de 12 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an (Gtéq-CO₂/an) par rapport au plafond requis pour limiter la hausse des températures à 2 °C. Cet écart grimpe à 20 Gtéq-CO2/an si on considère un réchauffement maximal de 1,5 °C.

Dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, les États peuvent théoriquement amender leurs engagements tous les cinq ans pour renforcer leurs ambitions. Dans les faits, rappelons que les émissions continuent d’augmenter pour quasiment tous les pays signataires (lorsqu’elles sont comptabilisées selon la consommation et non selon la production).

Laurent Fabius acte l’adoption de l’accord de Paris, lors de la COP21 de 2015. Cop Paris/Flickr
Comment pourrait-il en être autrement puisque l’Accord de Paris n’incorpore aucun mécanisme de sanction pour les États qui ne respectent pas leurs engagements ? Seule la pression internationale et populaire est censée les contraindre. Mais quel intérêt peut avoir une stratégie de dénonciation si tous les acteurs sont en faute ?

Bien que l’Accord de Paris ait été présenté comme un succès diplomatique, il faut bien admettre qu’il constitue une coquille vide de plus dans la grande liste des engagements inefficaces pour lutter contre le dérèglement climatique. On aurait d’ailleurs pu s’en douter dès la ratification de ce texte puisque les mots « énergie fossile » n’y apparaissent pas une seule fois… Tout a donc été fait pour ne froisser aucun acteur (public ou privé) et pour qu’ainsi un maximum d’États en viennent à signer un accord qui n’apportera aucune solution au problème le plus urgent de l’humanité.

Arriver à se féliciter du contenu de l’Accord de Paris comme l’ont fait de nombreux représentants politiques montre à quel point ces derniers – et les médias relayant complaisamment leurs idées – n’ont pas du tout saisi l’ampleur du problème.

Au moment de la signature de l’accord en 2015, le volume cumulé de CO2 que l’humanité pouvait se permettre d’émettre pour conserver une chance raisonnable de limiter le réchauffement climatique à 2 °C n’était plus que de 1000 Gt. Compte tenu des émissions des cinq dernières années, ce budget carbone n’est déjà plus que de 800 Gt. Cela correspond donc au tiers des 2420 Gt de CO2 émises jusqu’à présent, de 1850 à 2020, dont 1680 Gt par la combustion des énergies fossiles (et la production de ciment) et 740 Gt par l’usage des sols (principalement la déforestation).

Et à raison d’environ 40 Gt d’émissions annuelles, ce budget carbone se réduit comme peau de chagrin : il sera épuisé d’ici 20 ans si rien ne change.

La solution par un traité de non-prolifération des énergies fossiles ?
Pour atteindre ces objectifs de réduction, les humains, et en particulier les plus riches d’entre eux, doivent consentir à ne plus utiliser ce qui a historiquement représenté la source de leur opulence matérielle.

Les réserves de combustibles fossiles correspondent en effet à des émissions potentielles colossales : au niveau mondial, un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % des réserves de charbon doivent rester inutilisés. Dans ce cadre, l’augmentation de la production d’hydrocarbures, que ce soit au travers de mines de charbon ou de gisements de pétroles et de gaz déjà connus, ou par l’exploitation de nouvelles ressources fossiles (par exemple en Arctique), vont à contresens des efforts nécessaires pour limiter le dérèglement du climat.

Par ailleurs, plus nous retardons le moment où nous amorcerons réellement la décarbonation de l’économie mondiale, plus les efforts nécessaires deviendront draconiens. Si la réduction des émissions mondiales de CO2 avait été engagée en 2018, l’humanité aurait pu se contenter d’une baisse annuelle de 5 % jusqu’en 2100 pour limiter le réchauffement à 2 °C. Amorcer ce travail colossal en 2020 aurait demandé une réduction annuelle de 6 %. Patienter jusqu’en 2025, c’est s’obliger à une réduction de 10 % par an.

Face à l’urgence, certains en appellent depuis quelques années à un traité de non-prolifération des combustibles fossiles.

Il « suffirait », en somme, que tout le monde s’engage à ne plus utiliser ce qui active l’économie mondiale depuis 150 ans !

À ce jour, seuls les pays insulaires les plus vulnérables (comme le Vanuatu, les Fidji ou encore les îles Salomon) ont signé ce traité, pas les pays producteurs d’hydrocarbures ni les grands pays importateurs. Il est facile de comprendre pourquoi : cette initiative ne comporte aucun mécanisme financier pour compenser les gouvernements détenteurs de ressources d’hydrocarbures qui accepteraient de laisser sous leurs pieds ce PIB potentiel.

Or, pour que les réserves de combustibles fossiles ne soient pas exploitées, c’est bien une compensation de ce type qu’il faudrait mettre en place pour qu’un accord international puisse aboutir à des résultats significatifs.

La finance, cet acteur clé
Alors, tout est foutu ? Pas forcément !

Une étude a récemment apporté une lueur d’espoir. Deux chercheurs de la Harvard Business School ont montré que le choix de certaines banques de ne plus investir dans le secteur du charbon semble porter leurs fruits.

Les données étudiées (de 2009 à 2021), montrent que les entreprises charbonnières confrontées à de fortes politiques de désinvestissement de la part de leurs bailleurs de fonds réduisent leurs emprunts d’un quart par rapport à leurs homologues non affectés. Ce rationnement du capital semble bien entraîner une réduction des émissions de CO2, car les entreprises « désinvesties » sont plus susceptibles de fermer certaines de leurs installations.

Pourrait-on envisager la même approche avec le secteur du pétrole et du gaz ? En théorie, oui, mais cela serait plus difficile à mettre en œuvre.

Les acteurs du charbon disposent d’un nombre limité d’options pour obtenir un financement alternatif de leur dette si une source existante disparaît. En effet, le nombre de banques qui facilitent les transactions liées au charbon est si faible – et les relations si profondément ancrées – que, par défaut, les banquiers exercent une grande influence sur ce qui est financé dans ce secteur. Ce n’est pas le cas dans le secteur du pétrole et du gaz, où les possibilités de financement sont plus diversifiées. Néanmoins, tout cela montre que le secteur de la finance a bel et bien un rôle à jouer dans la transition bas carbone.

Mais croire que le secteur financier va rediriger l’économie mondiale vers une voie plus écologique, comme par enchantement, serait un leurre.

Le capitalisme impose un impératif de croissance qui n’a tout simplement aucun sens dans un monde aux ressources finies. Ne plus dépasser les limites écologiques du système Terre demande de redéfinir entièrement ce à quoi nous tenons et ce à quoi nous sommes prêts à renoncer.

Comment en est-on arrivé à un telle crise environnementale ?

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La Terre à l’époque de l’Anthropocène : comment en est-on arrivé là ? Peut-on en limiter les dégâts ?

Par
Victor Court
Économiste, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, Université Paris Cité dans The Conversation

En 2000, deux scientifiques proposèrent pour la première fois l’hypothèse que l’époque de l’Holocène, amorcée il y a 11 700 ans, était révolue.

L’emprise de l’humanité sur le système terrestre serait devenue si profonde qu’elle rivaliserait avec certaines des grandes forces de la nature, au point d’avoir fait bifurquer la trajectoire géologique et écologique de la Terre.

Il faudrait désormais utiliser le terme d’« Anthropocène » pour désigner avec plus de justesse l’époque géologique actuelle. Cette annonce a ouvert des débats considérables.

Parmi les nombreuses polémiques soulevées par ce nouveau concept, la plus évidente porte encore aujourd’hui sur la date du début de l’Anthropocène.

La proposition initiale portait symboliquement sur 1784, l’année du dépôt du brevet de James Watt pour sa machine à vapeur, véritable emblème de l’amorce de la révolution industrielle. Ce choix coïncide en effet avec l’augmentation significative des concentrations atmosphériques de plusieurs gaz à effet de serre, comme en témoignent les données extraites des carottes de glace.

Des chercheurs d’autres disciplines, archéologie et archéobiologie en l’occurrence, avancèrent ensuite l’idée que l’Anthropocène et l’Holocène devraient être considérés comme une même époque géologique.

Dans la perspective de ces disciplines, c’est la fin de la dernière période glaciaire, il y a plus de 10 000 ans, qui aurait favorisé une augmentation sans précédent de la population humaine (grâce à l’apparition progressive de l’agriculture) et, donc, l’émergence de son rôle de force géoécologique.

Une autre approche défend une idée assez similaire, mais en ajoutant quelques milliers d’années à la date du début de l’Anthropocène. Il aurait fallu attendre que la domestication des plantes et des animaux soit suffisamment développée pour que les répercussions environnementales des sociétés agraires – en particulier les rejets de dioxyde de carbone (CO2) dus à la déforestation – soient assez importantes pour faire sortir la Terre de l’Holocène.

À l’opposé, certains membres de la communauté scientifique penchent pour une date plus récente que celle initialement avancée.

La course de l’humanité semble en effet suivre dans sa partie la plus contemporaine une trajectoire particulière qu’on a qualifiée de « Grande Accélération ». C’est autour de 1950 que les principaux indicateurs du système socioéconomique mondial et du système Terre se sont mis à avoir une tendance réellement exponentielle.

L’empreinte écologique de l’humanité prend des formes diverses et interconnectées qui ne cessent de s’aggraver depuis cette date : une modification du climat sans précédent, par sa vitesse et son intensité ; une dégradation généralisée du tissu de la vie, par l’artificialisation des écosystèmes et les rejets de substances entièrement nouvelles (comme les produits de la chimie de synthèse, les plastiques, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les radionucléides et les gaz fluorés) ; un effondrement de la biodiversité d’une ampleur et d’une rapidité inédites (signe pour certains d’une sixième grande extinction, la cinquième étant celle qui vit disparaître les dinosaures, il y a 66 millions d’années) ; et de multiples perturbations des cycles biogéochimiques (notamment ceux de l’eau, de l’azote et du phosphore).

En parallèle avec cette question sur la date du début de l’Anthropocène, d’autres débats ont émergé autour de ce concept. Le plus important a été porté par Andreas Malm et Alf Hornborg, tous deux membres du département de géographie humaine de l’Université de Lund (Suède).

Ces deux chercheurs ont remarqué que le concept d’Anthropocène suggère que toute l’espèce humaine serait responsable des bouleversements planétaires. C’est pour cette raison que de nombreux auteurs ont tendance, même lorsqu’ils font remonter l’Anthropocène au moment du décollage industriel de quelques nations, à affirmer que la cause ultime de l’émergence de sociétés reposant sur les énergies fossiles correspondrait à un processus évolutif long, donc naturel, qui aurait commencé avec la maîtrise du feu par nos ancêtres (il y a au moins 400 000 ans).

Malm et Hornborg affirment que parler de l’Anthropocène en utilisant des catégories généralisantes, comme « l’espèce humaine », « les humains » ou « l’humanité », revient à naturaliser ce phénomène, c’est-à-dire à supposer qu’il était inéluctable, car découlant d’une propension naturelle de notre espèce à exploiter un maximum de ressources dès qu’elle en a l’occasion.

Pour les deux chercheurs, cette naturalisation occulte la dimension sociale du régime fossile des 200 dernières années.

L’adoption de la machine à vapeur alimentée par le charbon, puis des technologies reposant sur le pétrole et le gaz, n’a pas été réalisée à la suite d’une décision unanime de tous les membres de l’humanité, et ce ne sont pas non plus quelques représentants de cette dernière – qui auraient été élus sur la base de caractéristiques naturelles – qui ont décidé de la trajectoire empruntée par notre espèce.

L’exploitation des énergies fossiles émet du CO₂, première cause du réchauffement climatique. Zbynek Burival/Unsplash
Pour Malm et Hornborg, ce sont au contraire des conditions sociales et politiques particulières qui ont, chaque fois, créé la possibilité d’un investissement lucratif pour quelques détenteurs de capitaux, quasi systématiquement des hommes blancs, bourgeois ou aristocrates.

Par exemple, la possibilité d’exploiter les travailleurs britanniques dans les mines de charbon a été déterminante dans le cas de la machine à vapeur aux XVIIIe et XIXe siècles ; tout comme le soutien de plusieurs gouvernements occidentaux l’a été en ce qui concerne la mise en place des infrastructures nécessaires à l’exploitation du pétrole depuis le milieu du XIXe siècle.

L’Anthropocène perçu à l’échelle de la totalité de l’humanité occulte un autre fait majeur : l’inégalité intraespèce dans la responsabilité des bouleversements climatiques et écologiques.

À l’heure actuelle, parmi tous les habitants du monde, les 10 % qui émettent le plus de gaz à effet de serre (GES) sont responsables de 48 % du total des émissions mondiales, alors que les 50 % qui en émettent le moins sont responsables d’à peine 12 % des émissions globales. Parmi les plus gros émetteurs individuels de la planète, les estimations mettent en avant le 1 % le plus riche (composé majoritairement d’Américains, de Luxembourgeois, de Singapouriens, de Saoudiens, etc.), avec des émissions par personne supérieures à 200 tonnes d’équivalent CO2 par année.

À l’autre extrémité du spectre des émetteurs, on trouve les individus les plus pauvres du Honduras, du Mozambique, du Rwanda et du Malawi, avec des émissions 2000 fois plus faibles, proches de 0,1 tonne d’équivalent CO2 par personne et par an.

Ce lien étroit entre richesse et empreinte carbone implique une responsabilité commune, mais différenciée, qui sied mal à la catégorisation englobante de l’Anthropocène.

Par ailleurs, cette critique prend encore plus de sens dans une perspective historique puisque le dérèglement climatique dépend du cumul des émissions de GES. À titre d’exemple, on peut se dire que le Royaume-Uni n’a pas à être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique, car il ne représente actuellement qu’environ 1 % des émissions mondiales de carbone… C’est oublier un peu vite que ce pays a contribué à 4,5 % des émissions globales depuis 1850, ce qui le place au huitième rang des plus gros pollueurs de l’histoire.

Les nations du monde, et les individus au sein de chacune d’entre elles, n’ont pas contribué de façon équivalente à la trajectoire exponentielle du système Terre depuis 200 ans. L’Europe et l’Amérique du Nord sont historiquement les régions les plus polluantes de l’histoire. Le Royaume-Uni et les États-Unis, chefs d’orchestre respectifs du développement économique mondialisé du XIXe et du XXe siècle, ont une dette écologique particulièrement colossale envers les autres nations. Le charbon a été le carburant du projet de domination impériale britannique, alors que c’est le pétrole qui a joué ce rôle pour les États-Unis.

Pour garder les idées claires sur ce sujet épineux de la contribution historique de chaque nation à la dérive climatique, il peut être avisé de toujours garder en tête que les émissions de GES, et plus généralement l’empreinte environnementale d’un pays ou d’une personne donnée, sont déterminées au premier ordre par leur niveau de consommation de biens et de services.

Habiter dans un pays riche et penser être « écolo » n’a généralement aucun rapport avec la réalité. De plus, toutes les données quantitatives en notre possession ne disent rien de la nécessité vitale – ou, au contraire, de la futilité la plus extrême – à l’origine de l’émission d’un même kilogramme de dioxyde de carbone !

Pour certains, émettre un peu plus de gaz à effet de serre est une question de survie : cela peut représenter une ration de riz ou l’installation d’une toiture. Pour d’autres, il ne s’agit que d’acheter un gadget de plus pour se divertir quelques heures. À ceux qui avancent qu’il faudrait réduire la taille de la population mondiale pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique (et toutes les autres perturbations environnementales), on répondra qu’il suffirait plutôt d’empêcher les plus riches de continuer de mener leur train de vie indécent et climaticide.

Parce qu’il fabrique une humanité abstraite qui est uniformément concernée, le discours dominant sur l’Anthropocène suggère une responsabilité tout aussi uniformisée. Les Yanomami et les Achuar d’Amazonie, qui vivent sans recourir à un gramme d’énergie fossile et se contentent de ce qu’ils retirent de la chasse, de la pêche, de la cueillette et d’une agriculture vivrière, devraient-ils donc se sentir aussi responsables du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité que les plus riches industriels, banquiers et autres avocats d’affaires ?

Si la Terre est vraiment entrée dans une nouvelle époque géologique, les responsabilités de chaque nation et de chaque individu sont trop différentes dans l’espace et dans le temps pour qu’on puisse considérer que « l’espèce humaine » est une abstraction satisfaisante pour endosser le fardeau de la culpabilité.

Au-delà de ces nombreux débats et controverses, le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité réclament des actions massives, concrètes, sans délai. Les efforts et les initiatives, dont certaines conduites à un niveau global, ne semblent pas manquer… Mais lesquelles fonctionnent véritablement ?

Quelle efficacité réelle pour l’Accord de Paris ?

Prenons par exemple la 21e Conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, qui s’est tenue à Paris en 2015.

Celle-ci a débouché sur un accord qualifié d’historique puisque, pour la première fois, 196 pays se sont engagés à décarboner l’économie mondiale. En pratique, cet accord laisse à chaque État le soin de définir sa stratégie nationale de transition énergétique. Chaque pays membre doit ensuite présenter aux autres signataires sa « contribution déterminée au niveau national » (CDN). L’addition des CDN forme la trajectoire attendue des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Le problème d’une telle stratégie (si tant est qu’elle soit effectivement appliquée), c’est que le compte n’y est pas : même si toutes les promesses annoncées étaient réalisées, les émissions de GES d’origine humaine nous conduiraient à un réchauffement climatique d’environ 2,7 °C d’ici la fin du siècle.

En 2030, il y aura déjà un écart de 12 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an (Gtéq-CO₂/an) par rapport au plafond requis pour limiter la hausse des températures à 2 °C. Cet écart grimpe à 20 Gtéq-CO2/an si on considère un réchauffement maximal de 1,5 °C.

Dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, les États peuvent théoriquement amender leurs engagements tous les cinq ans pour renforcer leurs ambitions. Dans les faits, rappelons que les émissions continuent d’augmenter pour quasiment tous les pays signataires (lorsqu’elles sont comptabilisées selon la consommation et non selon la production).

Laurent Fabius acte l’adoption de l’accord de Paris, lors de la COP21 de 2015. Cop Paris/Flickr
Comment pourrait-il en être autrement puisque l’Accord de Paris n’incorpore aucun mécanisme de sanction pour les États qui ne respectent pas leurs engagements ? Seule la pression internationale et populaire est censée les contraindre. Mais quel intérêt peut avoir une stratégie de dénonciation si tous les acteurs sont en faute ?

Bien que l’Accord de Paris ait été présenté comme un succès diplomatique, il faut bien admettre qu’il constitue une coquille vide de plus dans la grande liste des engagements inefficaces pour lutter contre le dérèglement climatique. On aurait d’ailleurs pu s’en douter dès la ratification de ce texte puisque les mots « énergie fossile » n’y apparaissent pas une seule fois… Tout a donc été fait pour ne froisser aucun acteur (public ou privé) et pour qu’ainsi un maximum d’États en viennent à signer un accord qui n’apportera aucune solution au problème le plus urgent de l’humanité.

Arriver à se féliciter du contenu de l’Accord de Paris comme l’ont fait de nombreux représentants politiques montre à quel point ces derniers – et les médias relayant complaisamment leurs idées – n’ont pas du tout saisi l’ampleur du problème.

Au moment de la signature de l’accord en 2015, le volume cumulé de CO2 que l’humanité pouvait se permettre d’émettre pour conserver une chance raisonnable de limiter le réchauffement climatique à 2 °C n’était plus que de 1000 Gt. Compte tenu des émissions des cinq dernières années, ce budget carbone n’est déjà plus que de 800 Gt. Cela correspond donc au tiers des 2420 Gt de CO2 émises jusqu’à présent, de 1850 à 2020, dont 1680 Gt par la combustion des énergies fossiles (et la production de ciment) et 740 Gt par l’usage des sols (principalement la déforestation).

Et à raison d’environ 40 Gt d’émissions annuelles, ce budget carbone se réduit comme peau de chagrin : il sera épuisé d’ici 20 ans si rien ne change.

La solution par un traité de non-prolifération des énergies fossiles ?
Pour atteindre ces objectifs de réduction, les humains, et en particulier les plus riches d’entre eux, doivent consentir à ne plus utiliser ce qui a historiquement représenté la source de leur opulence matérielle.

Les réserves de combustibles fossiles correspondent en effet à des émissions potentielles colossales : au niveau mondial, un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % des réserves de charbon doivent rester inutilisés. Dans ce cadre, l’augmentation de la production d’hydrocarbures, que ce soit au travers de mines de charbon ou de gisements de pétroles et de gaz déjà connus, ou par l’exploitation de nouvelles ressources fossiles (par exemple en Arctique), vont à contresens des efforts nécessaires pour limiter le dérèglement du climat.

Par ailleurs, plus nous retardons le moment où nous amorcerons réellement la décarbonation de l’économie mondiale, plus les efforts nécessaires deviendront draconiens. Si la réduction des émissions mondiales de CO2 avait été engagée en 2018, l’humanité aurait pu se contenter d’une baisse annuelle de 5 % jusqu’en 2100 pour limiter le réchauffement à 2 °C. Amorcer ce travail colossal en 2020 aurait demandé une réduction annuelle de 6 %. Patienter jusqu’en 2025, c’est s’obliger à une réduction de 10 % par an.

Face à l’urgence, certains en appellent depuis quelques années à un traité de non-prolifération des combustibles fossiles.

Il « suffirait », en somme, que tout le monde s’engage à ne plus utiliser ce qui active l’économie mondiale depuis 150 ans !

À ce jour, seuls les pays insulaires les plus vulnérables (comme le Vanuatu, les Fidji ou encore les îles Salomon) ont signé ce traité, pas les pays producteurs d’hydrocarbures ni les grands pays importateurs. Il est facile de comprendre pourquoi : cette initiative ne comporte aucun mécanisme financier pour compenser les gouvernements détenteurs de ressources d’hydrocarbures qui accepteraient de laisser sous leurs pieds ce PIB potentiel.

Or, pour que les réserves de combustibles fossiles ne soient pas exploitées, c’est bien une compensation de ce type qu’il faudrait mettre en place pour qu’un accord international puisse aboutir à des résultats significatifs.

La finance, cet acteur clé
Alors, tout est foutu ? Pas forcément !

Une étude a récemment apporté une lueur d’espoir. Deux chercheurs de la Harvard Business School ont montré que le choix de certaines banques de ne plus investir dans le secteur du charbon semble porter leurs fruits.

Les données étudiées (de 2009 à 2021), montrent que les entreprises charbonnières confrontées à de fortes politiques de désinvestissement de la part de leurs bailleurs de fonds réduisent leurs emprunts d’un quart par rapport à leurs homologues non affectés. Ce rationnement du capital semble bien entraîner une réduction des émissions de CO2, car les entreprises « désinvesties » sont plus susceptibles de fermer certaines de leurs installations.

Pourrait-on envisager la même approche avec le secteur du pétrole et du gaz ? En théorie, oui, mais cela serait plus difficile à mettre en œuvre.

Les acteurs du charbon disposent d’un nombre limité d’options pour obtenir un financement alternatif de leur dette si une source existante disparaît. En effet, le nombre de banques qui facilitent les transactions liées au charbon est si faible – et les relations si profondément ancrées – que, par défaut, les banquiers exercent une grande influence sur ce qui est financé dans ce secteur. Ce n’est pas le cas dans le secteur du pétrole et du gaz, où les possibilités de financement sont plus diversifiées. Néanmoins, tout cela montre que le secteur de la finance a bel et bien un rôle à jouer dans la transition bas carbone.

Mais croire que le secteur financier va rediriger l’économie mondiale vers une voie plus écologique, comme par enchantement, serait un leurre.

Le capitalisme impose un impératif de croissance qui n’a tout simplement aucun sens dans un monde aux ressources finies. Ne plus dépasser les limites écologiques du système Terre demande de redéfinir entièrement ce à quoi nous tenons et ce à quoi nous sommes prêts à renoncer.

Crise climatique: une question aussi de comportements individuels

Crise climatique: une question aussi de comportements individuels

L’activiste britannique, Rob Hopkins, auteur de plusieurs livres sur la transition écologique, nous incite à faire preuve de créativité et de détermination pour lutter contre le réchauffement climatique sans quitter son quartier. Invité au sommet ChangeNOW, qui se tient à Paris du 25 au 27 mai et dont franceinfo est partenaire, Rob Hopkins explique ce qui motive ou freine notre capacité à revoir nos façons de vivre ensemble à l’aune du changement climatique.

Aujourd’hui, le réseau que vous avez développé revendique des projets dans plus de 48 pays, dont la France. Comment l’aventure a-t-elle démarré ?

Mon ambition était de trouver un moyen de s’organiser pour vivre mieux à Totnes, la petite ville où j’habite dans le sud-ouest de l’Angleterre. Rien de plus. Très vite, on m’a écrit des villes voisines pour me dire : « C’est génial ! Comment faire chez moi ? » Il n’y a jamais eu de plan machiavélique pour conquérir le monde ! On s’est aperçu qu’un petit groupe d’habitants délesté des lourdeurs administratives – comme une communauté de personnes motivées dans un village, un quartier, etc. – peut lancer des projets très rapidement et faire preuve de beaucoup plus d’imagination que les gouvernements ou les collectivités.

« On croit qu’il faut d’emblée convaincre la majorité et embarquer tout le monde pour réussir à faire changer les choses. Mais dans les faits, il ne suffit souvent que de quelques personnes dans leur coin avec une bonne idée. »

La responsabilité de transformer la société ne doit en aucun cas reposer sur ces petits groupes, mais ils sont une pièce cruciale du puzzle de la transition. L’action doit venir de partout. Des universités aux banques, en passant par les petites villes et les multinationales.

Comment ces initiatives locales peuvent-elles aboutir à de véritables politiques de transition, notamment à l’échelle locale ?

En général, pendant deux ou trois ans, les acteurs institutionnels sont sceptiques. Puis, quand le projet s’avère une réussite, les mairies appellent et demandent : « Comment peut-on vous aider ? » « Quels blocages pouvons-nous lever ? » Quand on me demande ce qu’il faut faire, je réponds qu’il suffit de commencer ! Au pire, ça ne fonctionne pas et ce n’est pas grave. Car quand ça marche, le voisin se sentira encouragé à tenter quelque chose, puis son voisin et ainsi de suite.

En 2014, des habitants de Liège, en Belgique, se sont demandé comment faire pour que la nourriture qu’ils consomment soit en majorité produite localement à l’horizon de quelques années. Ils ont organisé une simple réunion publique. Aujourd’hui, on compte 27 coopératives dans la ville et un réseau composé d’une ferme, de vignes, d’une brasserie, de quatre magasins… Et tout a démarré sans l’aide des banques, ni de la ville, ni rien. Les porteurs du projet discutent avec la municipalité pour livrer les cantines scolaires, les hôpitaux, etc. Le concept a essaimé dans d’autres communes de Belgique, et même en France.

Sécheresse en Espagne et en France, inondations en Italie, incendies et vagues de chaleur précoces dans toute l’Europe… Ces catastrophes récentes sont-elles les meilleures avocates de la transition, ce changement de modèle que vous prônez depuis des années ?

C’est le problème avec le réchauffement climatique. Personne ne peut se réjouir que les catastrophes nous donnent raison. D’autant plus que, quand bien même les effets du réchauffement climatique sont clairs et indéniables, les entreprises du secteur pétrogazier continuent de mener d’énormes campagnes de désinformation, extrêmement bien organisées, pour préserver leurs intérêts et freiner la sortie des énergies fossiles.

J’ai vu de mes propres yeux des embouteillages de vélos aux heures de pointe, des quartiers agréables et dynamiques interdits aux voitures, d’innombrables solutions pour produire de l’énergie renouvelable, des innovations, partout dans le monde, etc. Nous avons la preuve depuis longtemps que des alternatives existent, mais la transition se heurte au pouvoir de ces géants du pétrole, du gaz, etc.

Le mot de « transition » étant employé à tout va, comment éviter le « greenwashing » ?

Il m’arrive de me rendre dans des villes et de m’apercevoir que ce qu’on y appelle « transition » n’est pas toujours très intéressant. Par exemple, je me méfie quand on me parle d’ »atteindre la neutralité carbone d’ici 2050″. Les gouvernements et les pouvoirs publics adorent cette expression, or elle cache souvent l’incapacité à réagir à l’urgence et l’illusion qu’on peut continuer sans rien changer.

« La transition, ce n’est pas faire comme d’habitude et se contenter d’installer des panneaux solaires sur le toit ou de se déplacer en voiture électrique. »

La culture dominante selon laquelle plus l’on consomme et mieux l’on vit est de plus en plus remise en question. Les choses évoluent car il apparaît que ce modèle nous a rendus de moins en moins capables de résister aux crises. A l’inverse, des petites communautés en transition à qui j’ai récemment rendu visite, à Londres, et qui existent depuis parfois quatorze ou quinze ans, se portent mieux que jamais. Que ce soit un « repair café » par-ci, un jardin communautaire par-là… Outre l’aspect économique de ces initiatives, tous les membres de la communauté créée autour de ces projets nous font part de la satisfaction d’avoir retrouvé du contact humain et d’avoir renoué des relations, alors qu’un mode de vie tourné vers la consommation nous isole les uns des autres. Il faut changer d’état d’esprit et réfléchir à ce à quoi nous accordons de la valeur.

Comment voyez-vous l’avenir de ce réseau ?

Tout d’abord, je suis très fier et honoré d’avoir contribué à la naissance d’un réseau qui aide les gens à impulser ce genre de transformations. Mais je suis aussi réaliste : depuis que nous avons mis en place le réseau, l’humanité s’est rendue responsable de 30% du total des émissions de CO2 dans l’atmosphère. C’est donc une très belle histoire, c’est vrai, mais elle se finira mal si nous perdons le combat contre les entreprises du pétrole et du gaz qui, contrairement à nous, sont riches, puissantes et politiquement influentes.

« Quand tout le monde réalisera l’ampleur de la tâche qui nous attend, j’espère que ce réseau jouera le rôle d’une immense bibliothèque d’expériences. »

Ces projets répartis à travers le monde alimentent un catalogue de tous ce que nous avons appris, de tous les outils utilisés, de toutes les idées que des groupes de citoyens ont mises en pratique. Ces connaissances n’ont pas de prix.

D’expérience, constatez-vous davantage de difficultés à imaginer ces nouveaux modèles en ville ou à la campagne ? Entre l’injonction à abandonner la voiture et les appels répétés à la sobriété, urbains, périurbains et ruraux s’accusent parfois mutuellement de ne pas faire leur part de l’effort de transition…

Partout où je vais, j’entends : « Ce que vous racontez est très chouette, mais ce sera plus difficile à faire ici que chez le voisin. » C’est vrai dans un village ou en plein centre de Paris, et même d’un pays à l’autre ! Si je parle à des Allemands d’un projet français ou italien dont ils pourraient s’inspirer, quelqu’un argumentera que « oui, mais en France et en Italie, c’est facile ». La réalité, c’est qu’avec un peu de créativité et de curiosité, on peut tous se lancer et tenter quelque chose de nouveau. Parfois, un même problème se pose en ville et dans un petit village, mais les solutions trouvées pour y remédier sont différentes. Si vous vivez dans un endroit isolé, vous n’aurez jamais le métro et le bus à toute heure devant chez vous. En revanche, j’ai vu des gens se regrouper pour créer leur propre service de transports en commun, adapté à leurs besoins, ou d’autres se concerter pour optimiser les trajets. L’arrivée des vélos électriques offre aussi énormément de possibilités.

Une chose est sûre : si l’on continue à penser que les autres doivent changer mais que nous, juste nous, pouvons continuer comme avant, alors cela nous conduira dans le mur. Car le climat, lui, change déjà.

Crise climatique : taxer la richesse ou les comportements ?

Crise climatique : taxer la richesse ou les comportements ?


Alors que la question du financement de la transition écologique semble se poser avec de plus en plus d’acuité certains estiment qu’il faut faire payer les riches, d’autres au contraire qu’il s’agit de s’attaquer aux comportements.

Le problème du financement de la transition énergétique pose une difficulté particulière en France où le taux de prélèvements obligatoires figure déjà parmi les plus hauts du monde. De toute manière en dernier ressort, l’éventuel taxation environnementale retombera nécessairement sur les consommateurs ou les citoyens. Au final, il est vraisemblable qu’il faudra trouver à la fois des financements et changer aussi le comportement des Français.

Gilbert Cette ,professeur d’économie à Neoma Business School estime dans le Figaro que la priorité est de changer les comportements.

LE FIGARO. – Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a fustigé mardi la «solution pavlovienne de l’énarchie française: un problème, une taxe». Le recours à la fiscalité est-il ancré dans la tradition française?

Gilbert CETTE. – Oui, c’est un mauvais réflexe «génétiquement» français. Quelque chose à financer? Une taxe. C’est habituel et culturel en France. Et cela nous amène à être le pays avancé, avec le Danemark, à la fiscalité la plus lourde, y compris en termes de progressivité. Au contraire, économiser sur des dépenses pour en financer d’autres, par exemple pour la transition climatique, est un bon réflexe pour un pays comme le nôtre qui est le champion de la dépense publique, et co-champion en matière de prélèvements publics.

Rejet de Macron : une crise de légitimité ou de crédibilité ?

Rejet de Macron : une crise de légitimité ou de crédibilité ?

par Patrick Charaudeau
Professeur émérite en Sciences du langage, Université Sorbonne Nord, chercheur au CERLIS (CNRS), Paris Cité, Université Sorbonne Paris Nord dans The Conversation

« L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple et la foule n’a pas la légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus », a déclaré le chef de l’État devant les parlementaires de Renaissance, mardi 21 mars. Cela a provoqué nombre de réactions tant de la part des différentes autorités politiques et syndicales que de penseurs du politique, dans diverses tribunes journalistiques. Il reste cependant quelque chose à souligner : ce qui est en cause dans les rapports de force entre gouvernants et gouvernés n’est pas affaire de légitimité mais affaire de crédibilité.

La légitimité, en son origine, désigne l’état de celui qui est reconnu par la loi (lex, legis), puis, dans le vocabulaire politique au XVIIe siècle, l’état du souverain qui est détenteur d’un pouvoir reconnu par tous.

Dans un régime monarchique, ce pouvoir est hérité ; dans un régime démocratique, il est attribué. Dans ce dernier cas, on voit que la légitimité se fonde sur un principe et reconnaissance : on est légitimé par le corps social, du droit à agir ou à parler au nom d’une position et d’une finalité qui sont acceptées par la majorité. La légitimité se soutient d’une croyance collective, et elle est fondée en raison. On n’est pas légitime par soi-même, on est légitime parce qu’on est reconnu digne de représenter ce qui est instauré et reconnu par la collectivité.

Dans un régime démocratique, la légitimité politique est entre les mains d’un collectif, le peuple, qui, reconnaissant le droit des individus à se construire une destinée collective, s’attribue à lui-même le droit de gouverner pour son propre bien, le bien commun.

Cette souveraineté ne pouvant s’accomplir par la gouvernance de la totalité d’un peuple, elle se transforme en souveraineté représentative qui octroie une légitimité par mandatement, à travers l’instauration d’un système de délégation de pouvoir, les représentants issus de ce système de délégation devenant comptable de ce pouvoir devant ceux qui le leur ont attribué, une légitimité, selon le sociologue Max Weber, à la fois « légale et traditionnelle », « reposant sur la croyance en la légalité des règlements » ; une légitimité évaluable, parce qu’elle est fondée sur une organisation reconnue et régie par des normes institutionnelles qui ont à la fois une valeur juridique et symbolique, comme c’est la cas de la Constitution française.

Ainsi, le chef d’État mandaté au terme d’un processus de représentation tient sa souveraineté d’une puissance qui se trouve au-dessus de lui, qui l’a investi en cette place, le délègue et en même temps le protège. Il n’est jamais que le porte-parole d’une voix collective, l’ensemble des citoyens représentant la souveraineté populaire.

Il est donc en quelque sorte sous tutelle, mais il est en même temps la puissance tutélaire elle-même, car, en tant que dépositaire de celle-ci, il se voit obligé de coller à elle-même, voire à se fondre en elle. Sa légitimité se fonde, selon le rêve rousseauiste repris par la philosophe Hannah Arendt, sur une « volonté commune des hommes de vivre ensemble » en construisant une loi commune.

Mais alors, qu’en est-il du mandant, le peuple qui, par un acte de délégation de pouvoir donne le droit d’agir en son nom ? Il est porteur d’une voix collective de « demande sociale » qui s’exprime à travers sondages, manifestations et divers mouvements sociaux, et se constitue, à la fois, en donateur et bénéficiaire de sa propre quête de bien-être social. C’est là sa légitimité de peuple citoyen. Mais c’est en réagissant et en répondant à une offre politique d’idéalité sociale, ce qui fait que la relation entre l’offre politique et la demande sociale est d’ordre contractuel.

Un « contrat moral » qui oblige chacun des partis : le mandataire à respecter les termes du contrat, le mandant à lui faire confiance, car tout acte de délégation d’une représentation implique un acte de confiance de la part de celui qui délègue.

Acte de confiance, donc, mais en même temps, acte de surveillance. Car tout mouvement de confiance exige de l’autre qu’il se porte garant du contrat et du pouvoir qui lui est remis. Ainsi le peuple citoyen est-il légitime dans son activité de surveillance, surtout lorsqu’elle est organisée comme ce fut le cas de l’affaire du « sang contaminé », ce scandale d’État, qui, durant les années 1980-90, sous l’impulsion des associations des victimes et hémophiles, passa par les diverses instances judiciaires jusqu’à la Cour de justice de la République, révéla les faillites de l’État protecteur et se solda par des peines au civil et au pénal avec indemnisation des victimes.

En démocratie, le citoyen, comme le dit le philosophe Jacques Derrida « prend le droit de tout critiquer publiquement », il dispose en quelque sorte d’un « droit de regard ». Ainsi s’instaure un rapport de forces entre pouvoir et contre-pouvoirs dans lequel se confrontent deux puissances : la puissance politique et la puissance citoyenne. Ainsi s’affrontent deux légitimités : celle, politique, qui a force de la Loi, voire de coercition, laquelle est issue de la délégation de pouvoir ; celle qui représente la force mandatrice du peuple citoyen dans son activité de surveillance, laquelle l’autorise à évaluer, critiquer, protester, revendiquer et éventuellement révoquer.

C’est ce que semble, ou veut, ignorer Emmanuel Macron. Il a raison de dire que « la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus ». Mais il semble, ou veut, ignorer que, les mouvements sociaux qui s’élèvent contre le projet de loi sur les retraites ne constituent pas une foule. Dès lors qu’une masse d’individus s’organise à travers les organisations syndicales, elle s’institue en peuple citoyen légitime qui, dans le jeu de la souveraine populaire, reprend son droit de vigilance, en s’autorisant à interpeller le chef de l’État qu’il a mandaté, et à exiger de lui un autre mode de gouvernance.

Il n’y a pas de démocratie sans possibilité de contre-pouvoir. Certes l’action politique est de l’ordre du possible et l’action citoyenne de l’ordre du souhaitable. Mais dans l’antagonisme entre pouvoir et contre-pouvoir, intrinsèque au régime démocratique, chacune des parties s’oblige à entrer dans le jeu de la régulation sociale. Il y a donc ici confrontation entre deux types de légitimité.

Si le mouvement citoyen doit trouver son mode d’action, le chef de l’État, responsable, doit s’obliger à jouer le jeu de la régulation. Ce n’est manifestement pas la conception d’Emmanuel Macron. Les deux légitimités sont ici en face à face au nom même de la démocratie.

En revanche, il en va de la crédibilité de chacune des parties. La légitimité n’est pas suffisante à qui veut exercer un pouvoir. Dire qu’on a été légitimement élu ne veut pas dire que l’on soit crédible. On peut être légitimé et perdre du crédit, et, à l’inverse, un leader peut avoir du crédit sans qu’aucun système organisationnel ne le légitime, comme c’est le cas des leaders charismatiques.

Le représentant politique est donc condamné à réactiver en permanence sa crédibilité. C’est que la crédibilité politique ne relève pas, comme la légitimité, d’un processus de reconnaissance collective à travers une organisation sociale. Elle est au contraire attachée à la personne et construite par celle-ci à travers sa façon d’agir et de parler, et en même temps, c’est par les autres qu’elle est jugée.

Une personnalité politique sera jugée crédible si l’on est en mesure de vérifier que ses façons d’être, de se comporter et de dire répondent à des conditions de sincérité, de savoir-faire, de conviction et de volonté de négociation, toutes choses sur quoi se construit son autorité. Faute de quoi, en perdant de la crédibilité, on perd sa légitimité.

Pour un leader politique, se vouloir crédible n’est pas simple parce que l’attribution de cette qualité dépend de la perception que les individus ont de celui-ci, et, dans le jeu politique, cette perception varie selon les groupes de population, en fonction de leur appartenance sociale, leur profession, leur position dans l’échelle économique, leur lieu d’habitation, leur mode de vie, etc.

Or, dans le contexte du mouvement social surgi en réaction à la loi sur les retraites, si l’organisation populaire légitime se trouve devant le problème de devoir se construire une crédibilité à travers ses modes d’action, la présentation de ses revendications et ses contre-propositions, Emmanuel Macron se trouve dans une situation où sont mis en balance deux crédibilités : celle, têtue, de sa conviction qui lui fait penser qu’il est dans le vrai, envers et contre tous ; celle, conciliante, de l’éthique de responsabilité, qui accepte le jeu démocratique du pouvoir et contre-pouvoir.

En matière politique, dans un régime démocratique, la légitimé est un préalable de principe, mais une légitimité sans crédibilité produit toujours des effets délétères dans la relation pouvoir politique–pouvoir citoyen. La légitimité donne le droit d’agir et la crédibilité en est la justification. Mais si cette dernière vient à manquer, la première peut en arriver à être mise en cause, du moins dans son aspect symbolique, et le peuple se sentirait autorisé à renverser le pouvoir. Bien qu’Emmanuel Macron ait agi en toute légalité constitutionnelle, il met en péril sa légitimité à ne pas se montrer crédible au regard du jeu démocratique de négociation entre pouvoir et contre-pouvoir.

Politique-Macron : une crise de légitimité ou de crédibilité ?

Politique-Macron : une crise de légitimité ou de crédibilité ?

par Patrick Charaudeau
Professeur émérite en Sciences du langage, Université Sorbonne Nord, chercheur au CERLIS (CNRS), Paris Cité, Université Sorbonne Paris Nord dans The Conversation

« L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple et la foule n’a pas la légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus », a déclaré le chef de l’État devant les parlementaires de Renaissance, mardi 21 mars. Cela a provoqué nombre de réactions tant de la part des différentes autorités politiques et syndicales que de penseurs du politique, dans diverses tribunes journalistiques. Il reste cependant quelque chose à souligner : ce qui est en cause dans les rapports de force entre gouvernants et gouvernés n’est pas affaire de légitimité mais affaire de crédibilité.

La légitimité, en son origine, désigne l’état de celui qui est reconnu par la loi (lex, legis), puis, dans le vocabulaire politique au XVIIe siècle, l’état du souverain qui est détenteur d’un pouvoir reconnu par tous.

Dans un régime monarchique, ce pouvoir est hérité ; dans un régime démocratique, il est attribué. Dans ce dernier cas, on voit que la légitimité se fonde sur un principe et reconnaissance : on est légitimé par le corps social, du droit à agir ou à parler au nom d’une position et d’une finalité qui sont acceptées par la majorité. La légitimité se soutient d’une croyance collective, et elle est fondée en raison. On n’est pas légitime par soi-même, on est légitime parce qu’on est reconnu digne de représenter ce qui est instauré et reconnu par la collectivité.

Dans un régime démocratique, la légitimité politique est entre les mains d’un collectif, le peuple, qui, reconnaissant le droit des individus à se construire une destinée collective, s’attribue à lui-même le droit de gouverner pour son propre bien, le bien commun.

Cette souveraineté ne pouvant s’accomplir par la gouvernance de la totalité d’un peuple, elle se transforme en souveraineté représentative qui octroie une légitimité par mandatement, à travers l’instauration d’un système de délégation de pouvoir, les représentants issus de ce système de délégation devenant comptable de ce pouvoir devant ceux qui le leur ont attribué, une légitimité, selon le sociologue Max Weber, à la fois « légale et traditionnelle », « reposant sur la croyance en la légalité des règlements » ; une légitimité évaluable, parce qu’elle est fondée sur une organisation reconnue et régie par des normes institutionnelles qui ont à la fois une valeur juridique et symbolique, comme c’est la cas de la Constitution française.

Ainsi, le chef d’État mandaté au terme d’un processus de représentation tient sa souveraineté d’une puissance qui se trouve au-dessus de lui, qui l’a investi en cette place, le délègue et en même temps le protège. Il n’est jamais que le porte-parole d’une voix collective, l’ensemble des citoyens représentant la souveraineté populaire.

Il est donc en quelque sorte sous tutelle, mais il est en même temps la puissance tutélaire elle-même, car, en tant que dépositaire de celle-ci, il se voit obligé de coller à elle-même, voire à se fondre en elle. Sa légitimité se fonde, selon le rêve rousseauiste repris par la philosophe Hannah Arendt, sur une « volonté commune des hommes de vivre ensemble » en construisant une loi commune.

Mais alors, qu’en est-il du mandant, le peuple qui, par un acte de délégation de pouvoir donne le droit d’agir en son nom ? Il est porteur d’une voix collective de « demande sociale » qui s’exprime à travers sondages, manifestations et divers mouvements sociaux, et se constitue, à la fois, en donateur et bénéficiaire de sa propre quête de bien-être social. C’est là sa légitimité de peuple citoyen. Mais c’est en réagissant et en répondant à une offre politique d’idéalité sociale, ce qui fait que la relation entre l’offre politique et la demande sociale est d’ordre contractuel.

Un « contrat moral » qui oblige chacun des partis : le mandataire à respecter les termes du contrat, le mandant à lui faire confiance, car tout acte de délégation d’une représentation implique un acte de confiance de la part de celui qui délègue.

Acte de confiance, donc, mais en même temps, acte de surveillance. Car tout mouvement de confiance exige de l’autre qu’il se porte garant du contrat et du pouvoir qui lui est remis. Ainsi le peuple citoyen est-il légitime dans son activité de surveillance, surtout lorsqu’elle est organisée comme ce fut le cas de l’affaire du « sang contaminé », ce scandale d’État, qui, durant les années 1980-90, sous l’impulsion des associations des victimes et hémophiles, passa par les diverses instances judiciaires jusqu’à la Cour de justice de la République, révéla les faillites de l’État protecteur et se solda par des peines au civil et au pénal avec indemnisation des victimes.

En démocratie, le citoyen, comme le dit le philosophe Jacques Derrida « prend le droit de tout critiquer publiquement », il dispose en quelque sorte d’un « droit de regard ». Ainsi s’instaure un rapport de forces entre pouvoir et contre-pouvoirs dans lequel se confrontent deux puissances : la puissance politique et la puissance citoyenne. Ainsi s’affrontent deux légitimités : celle, politique, qui a force de la Loi, voire de coercition, laquelle est issue de la délégation de pouvoir ; celle qui représente la force mandatrice du peuple citoyen dans son activité de surveillance, laquelle l’autorise à évaluer, critiquer, protester, revendiquer et éventuellement révoquer.

C’est ce que semble, ou veut, ignorer Emmanuel Macron. Il a raison de dire que « la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus ». Mais il semble, ou veut, ignorer que, les mouvements sociaux qui s’élèvent contre le projet de loi sur les retraites ne constituent pas une foule. Dès lors qu’une masse d’individus s’organise à travers les organisations syndicales, elle s’institue en peuple citoyen légitime qui, dans le jeu de la souveraine populaire, reprend son droit de vigilance, en s’autorisant à interpeller le chef de l’État qu’il a mandaté, et à exiger de lui un autre mode de gouvernance.

Il n’y a pas de démocratie sans possibilité de contre-pouvoir. Certes l’action politique est de l’ordre du possible et l’action citoyenne de l’ordre du souhaitable. Mais dans l’antagonisme entre pouvoir et contre-pouvoir, intrinsèque au régime démocratique, chacune des parties s’oblige à entrer dans le jeu de la régulation sociale. Il y a donc ici confrontation entre deux types de légitimité.

Si le mouvement citoyen doit trouver son mode d’action, le chef de l’État, responsable, doit s’obliger à jouer le jeu de la régulation. Ce n’est manifestement pas la conception d’Emmanuel Macron. Les deux légitimités sont ici en face à face au nom même de la démocratie.

En revanche, il en va de la crédibilité de chacune des parties. La légitimité n’est pas suffisante à qui veut exercer un pouvoir. Dire qu’on a été légitimement élu ne veut pas dire que l’on soit crédible. On peut être légitimé et perdre du crédit, et, à l’inverse, un leader peut avoir du crédit sans qu’aucun système organisationnel ne le légitime, comme c’est le cas des leaders charismatiques.

Le représentant politique est donc condamné à réactiver en permanence sa crédibilité. C’est que la crédibilité politique ne relève pas, comme la légitimité, d’un processus de reconnaissance collective à travers une organisation sociale. Elle est au contraire attachée à la personne et construite par celle-ci à travers sa façon d’agir et de parler, et en même temps, c’est par les autres qu’elle est jugée.

Une personnalité politique sera jugée crédible si l’on est en mesure de vérifier que ses façons d’être, de se comporter et de dire répondent à des conditions de sincérité, de savoir-faire, de conviction et de volonté de négociation, toutes choses sur quoi se construit son autorité. Faute de quoi, en perdant de la crédibilité, on perd sa légitimité.

Pour un leader politique, se vouloir crédible n’est pas simple parce que l’attribution de cette qualité dépend de la perception que les individus ont de celui-ci, et, dans le jeu politique, cette perception varie selon les groupes de population, en fonction de leur appartenance sociale, leur profession, leur position dans l’échelle économique, leur lieu d’habitation, leur mode de vie, etc.

Or, dans le contexte du mouvement social surgi en réaction à la loi sur les retraites, si l’organisation populaire légitime se trouve devant le problème de devoir se construire une crédibilité à travers ses modes d’action, la présentation de ses revendications et ses contre-propositions, Emmanuel Macron se trouve dans une situation où sont mis en balance deux crédibilités : celle, têtue, de sa conviction qui lui fait penser qu’il est dans le vrai, envers et contre tous ; celle, conciliante, de l’éthique de responsabilité, qui accepte le jeu démocratique du pouvoir et contre-pouvoir.

En matière politique, dans un régime démocratique, la légitimé est un préalable de principe, mais une légitimité sans crédibilité produit toujours des effets délétères dans la relation pouvoir politique–pouvoir citoyen. La légitimité donne le droit d’agir et la crédibilité en est la justification. Mais si cette dernière vient à manquer, la première peut en arriver à être mise en cause, du moins dans son aspect symbolique, et le peuple se sentirait autorisé à renverser le pouvoir. Bien qu’Emmanuel Macron ait agi en toute légalité constitutionnelle, il met en péril sa légitimité à ne pas se montrer crédible au regard du jeu démocratique de négociation entre pouvoir et contre-pouvoir.

Macron : une crise de légitimité ou de crédibilité ?

Macron : une crise de légitimité ou de crédibilité ?

par Patrick Charaudeau
Professeur émérite en Sciences du langage, Université Sorbonne Nord, chercheur au CERLIS (CNRS), Paris Cité, Université Sorbonne Paris Nord dans The Conversation

« L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple et la foule n’a pas la légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus », a déclaré le chef de l’État devant les parlementaires de Renaissance, mardi 21 mars. Cela a provoqué nombre de réactions tant de la part des différentes autorités politiques et syndicales que de penseurs du politique, dans diverses tribunes journalistiques. Il reste cependant quelque chose à souligner : ce qui est en cause dans les rapports de force entre gouvernants et gouvernés n’est pas affaire de légitimité mais affaire de crédibilité.

La légitimité, en son origine, désigne l’état de celui qui est reconnu par la loi (lex, legis), puis, dans le vocabulaire politique au XVIIe siècle, l’état du souverain qui est détenteur d’un pouvoir reconnu par tous.

Dans un régime monarchique, ce pouvoir est hérité ; dans un régime démocratique, il est attribué. Dans ce dernier cas, on voit que la légitimité se fonde sur un principe et reconnaissance : on est légitimé par le corps social, du droit à agir ou à parler au nom d’une position et d’une finalité qui sont acceptées par la majorité. La légitimité se soutient d’une croyance collective, et elle est fondée en raison. On n’est pas légitime par soi-même, on est légitime parce qu’on est reconnu digne de représenter ce qui est instauré et reconnu par la collectivité.

Dans un régime démocratique, la légitimité politique est entre les mains d’un collectif, le peuple, qui, reconnaissant le droit des individus à se construire une destinée collective, s’attribue à lui-même le droit de gouverner pour son propre bien, le bien commun.

Cette souveraineté ne pouvant s’accomplir par la gouvernance de la totalité d’un peuple, elle se transforme en souveraineté représentative qui octroie une légitimité par mandatement, à travers l’instauration d’un système de délégation de pouvoir, les représentants issus de ce système de délégation devenant comptable de ce pouvoir devant ceux qui le leur ont attribué, une légitimité, selon le sociologue Max Weber, à la fois « légale et traditionnelle », « reposant sur la croyance en la légalité des règlements » ; une légitimité évaluable, parce qu’elle est fondée sur une organisation reconnue et régie par des normes institutionnelles qui ont à la fois une valeur juridique et symbolique, comme c’est la cas de la Constitution française.

Ainsi, le chef d’État mandaté au terme d’un processus de représentation tient sa souveraineté d’une puissance qui se trouve au-dessus de lui, qui l’a investi en cette place, le délègue et en même temps le protège. Il n’est jamais que le porte-parole d’une voix collective, l’ensemble des citoyens représentant la souveraineté populaire.

Il est donc en quelque sorte sous tutelle, mais il est en même temps la puissance tutélaire elle-même, car, en tant que dépositaire de celle-ci, il se voit obligé de coller à elle-même, voire à se fondre en elle. Sa légitimité se fonde, selon le rêve rousseauiste repris par la philosophe Hannah Arendt, sur une « volonté commune des hommes de vivre ensemble » en construisant une loi commune.

Mais alors, qu’en est-il du mandant, le peuple qui, par un acte de délégation de pouvoir donne le droit d’agir en son nom ? Il est porteur d’une voix collective de « demande sociale » qui s’exprime à travers sondages, manifestations et divers mouvements sociaux, et se constitue, à la fois, en donateur et bénéficiaire de sa propre quête de bien-être social. C’est là sa légitimité de peuple citoyen. Mais c’est en réagissant et en répondant à une offre politique d’idéalité sociale, ce qui fait que la relation entre l’offre politique et la demande sociale est d’ordre contractuel.

Un « contrat moral » qui oblige chacun des partis : le mandataire à respecter les termes du contrat, le mandant à lui faire confiance, car tout acte de délégation d’une représentation implique un acte de confiance de la part de celui qui délègue.

Acte de confiance, donc, mais en même temps, acte de surveillance. Car tout mouvement de confiance exige de l’autre qu’il se porte garant du contrat et du pouvoir qui lui est remis. Ainsi le peuple citoyen est-il légitime dans son activité de surveillance, surtout lorsqu’elle est organisée comme ce fut le cas de l’affaire du « sang contaminé », ce scandale d’État, qui, durant les années 1980-90, sous l’impulsion des associations des victimes et hémophiles, passa par les diverses instances judiciaires jusqu’à la Cour de justice de la République, révéla les faillites de l’État protecteur et se solda par des peines au civil et au pénal avec indemnisation des victimes.

En démocratie, le citoyen, comme le dit le philosophe Jacques Derrida « prend le droit de tout critiquer publiquement », il dispose en quelque sorte d’un « droit de regard ». Ainsi s’instaure un rapport de forces entre pouvoir et contre-pouvoirs dans lequel se confrontent deux puissances : la puissance politique et la puissance citoyenne. Ainsi s’affrontent deux légitimités : celle, politique, qui a force de la Loi, voire de coercition, laquelle est issue de la délégation de pouvoir ; celle qui représente la force mandatrice du peuple citoyen dans son activité de surveillance, laquelle l’autorise à évaluer, critiquer, protester, revendiquer et éventuellement révoquer.

C’est ce que semble, ou veut, ignorer Emmanuel Macron. Il a raison de dire que « la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus ». Mais il semble, ou veut, ignorer que, les mouvements sociaux qui s’élèvent contre le projet de loi sur les retraites ne constituent pas une foule. Dès lors qu’une masse d’individus s’organise à travers les organisations syndicales, elle s’institue en peuple citoyen légitime qui, dans le jeu de la souveraine populaire, reprend son droit de vigilance, en s’autorisant à interpeller le chef de l’État qu’il a mandaté, et à exiger de lui un autre mode de gouvernance.

Il n’y a pas de démocratie sans possibilité de contre-pouvoir. Certes l’action politique est de l’ordre du possible et l’action citoyenne de l’ordre du souhaitable. Mais dans l’antagonisme entre pouvoir et contre-pouvoir, intrinsèque au régime démocratique, chacune des parties s’oblige à entrer dans le jeu de la régulation sociale. Il y a donc ici confrontation entre deux types de légitimité.

Si le mouvement citoyen doit trouver son mode d’action, le chef de l’État, responsable, doit s’obliger à jouer le jeu de la régulation. Ce n’est manifestement pas la conception d’Emmanuel Macron. Les deux légitimités sont ici en face à face au nom même de la démocratie.

En revanche, il en va de la crédibilité de chacune des parties. La légitimité n’est pas suffisante à qui veut exercer un pouvoir. Dire qu’on a été légitimement élu ne veut pas dire que l’on soit crédible. On peut être légitimé et perdre du crédit, et, à l’inverse, un leader peut avoir du crédit sans qu’aucun système organisationnel ne le légitime, comme c’est le cas des leaders charismatiques.

Le représentant politique est donc condamné à réactiver en permanence sa crédibilité. C’est que la crédibilité politique ne relève pas, comme la légitimité, d’un processus de reconnaissance collective à travers une organisation sociale. Elle est au contraire attachée à la personne et construite par celle-ci à travers sa façon d’agir et de parler, et en même temps, c’est par les autres qu’elle est jugée.

Une personnalité politique sera jugée crédible si l’on est en mesure de vérifier que ses façons d’être, de se comporter et de dire répondent à des conditions de sincérité, de savoir-faire, de conviction et de volonté de négociation, toutes choses sur quoi se construit son autorité. Faute de quoi, en perdant de la crédibilité, on perd sa légitimité.

Pour un leader politique, se vouloir crédible n’est pas simple parce que l’attribution de cette qualité dépend de la perception que les individus ont de celui-ci, et, dans le jeu politique, cette perception varie selon les groupes de population, en fonction de leur appartenance sociale, leur profession, leur position dans l’échelle économique, leur lieu d’habitation, leur mode de vie, etc.

Or, dans le contexte du mouvement social surgi en réaction à la loi sur les retraites, si l’organisation populaire légitime se trouve devant le problème de devoir se construire une crédibilité à travers ses modes d’action, la présentation de ses revendications et ses contre-propositions, Emmanuel Macron se trouve dans une situation où sont mis en balance deux crédibilités : celle, têtue, de sa conviction qui lui fait penser qu’il est dans le vrai, envers et contre tous ; celle, conciliante, de l’éthique de responsabilité, qui accepte le jeu démocratique du pouvoir et contre-pouvoir.

En matière politique, dans un régime démocratique, la légitimé est un préalable de principe, mais une légitimité sans crédibilité produit toujours des effets délétères dans la relation pouvoir politique–pouvoir citoyen. La légitimité donne le droit d’agir et la crédibilité en est la justification. Mais si cette dernière vient à manquer, la première peut en arriver à être mise en cause, du moins dans son aspect symbolique, et le peuple se sentirait autorisé à renverser le pouvoir. Bien qu’Emmanuel Macron ait agi en toute légalité constitutionnelle, il met en péril sa légitimité à ne pas se montrer crédible au regard du jeu démocratique de négociation entre pouvoir et contre-pouvoir.

Immobilier-Faire face à la crise du logement

Immobilier-Faire face à la crise du logement

Xavier Lépine , président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) appelle à repenser les manières de soutenir le secteur pour permettre aux Français d’accéder à la propriété. Tribune dans le JDD.


« 3,5 milliards d’euros : c’est le montant que la Caisse des dépôts va engager pour « sauver » le logement, en rachetant des programmes de construction. C’est beaucoup d’argent, nécessaire et bienvenu ; et en même temps, c’est bien peu. C’est l’équivalent de 17 000 logements, autrement dit pas grand-chose en regard du 1,2 million de transactions annuelles, représentant 250 milliards d’euros, et de l’angoisse qui traverse notre pays du fait de l’impossibilité de bien se loger, ou de se loger tout court. Les politiques publiques à coups de milliards, qui devraient faire disparaître le problème mais ne le font en réalité que superficiellement, nous en avons l’habitude. Elles sont l’expression d’un mal français, fait de résignation, de conservatisme et d’une croyance naïve dans la toute-puissance de l’État. Le logement est en crise : soit ! Eh bien, pour reprendre l’aphorisme churchillien : ne gâchons pas une bonne crise ! À la résignation, opposons l’optimisme, et au conservatisme, l’innovation !

Faisons-le en partant du bon constat. En vingt ans, le prix du logement a doublé alors que les revenus n’ont augmenté que de 35 %. Par ailleurs, les coûts de construction ne vont pas baisser : le réchauffement climatique imposera des coûts supplémentaires d’adaptation de nos habitats. Autre réalité : les taux d’intérêt ne reviendront pas de sitôt à 1 %. Enfin, ce que l’on ne dit pas assez fort, c’est que l’accès à la propriété – rêve que pouvaient encore réaliser les générations précédentes – est devenu pour de multiples raisons un objectif inaccessible. Pour beaucoup de Français, la location s’est imposée comme un horizon indépassable. Pour autant, être locataire suppose déjà que des investisseurs soient prêts à détenir des actifs immobiliers dont la rentabilité est de plus en plus faible.

Jeunes générations, familles monoparentales, familles recomposées, familles nombreuses, ou tout simplement résidents dans une zone dense hors de prix : la réponse aux aspirations légitimes de toutes ces personnes ne peut se limiter à soutenir le marché à hauteur de moins de 10 % de la production annuelle de logements neufs, alors même que l’essentiel des transactions concerne l’ancien, dont le volume d’échange est cinq fois supérieur ; elle ne doit pas se limiter à un « coup de pouce » de l’État, ou à généraliser le logement social comme norme de la septième puissance économique mondiale.

Des milliards, oui ! Mais, surtout, plus d’intelligence dans la manière de les investir. Nous avons le devoir de réinventer un marché devenu dysfonctionnel. Et nous sommes quelques acteurs, nouveaux entrants sur le marché de l’immobilier et de l’accès à la propriété, à être persuadés que cette crise est une opportunité d’innover, de penser « out of the box », pour reprendre une expression que Churchill aurait sûrement appréciée.

Il est urgent de faire évoluer notre système de financement, de détention des actifs ; urgent d’adapter au logement ce que le secteur automobile fait depuis des années. Aujourd’hui, on n’achète plus sa voiture comme avant, on l’achète en LOA (location avec option d’achat). On peut imaginer des solutions équivalentes pour l’immobilier. Il existe des voies alternatives à la pleine propriété, qui permettent de faire converger les intérêts de ceux qui aspirent à acheter, jusqu’ici en vain, et ceux d’acteurs institutionnels prêts à investir en sortant des schémas classiques pour autant que la rentabilité soit au rendez-vous. Il y a des voies nouvelles pour permettre à de nombreuses personnes d’acquérir autrement le logement dont elles ont besoin, avec les moyens financiers dont elles disposent.

En nous penchant vraiment sur la question de la propriété, nous touchons à l’âme de notre nation, et à son tourment du déclassement. Cette crise du logement nous invite collectivement, acteurs privés et publics, à faire preuve de plus d’inventivité pour rendre de nouveau possible cette aspiration si puissante dans notre imaginaire : devenir propriétaire de son logement. »

Crise du logement : les propositions du patronat

Crise du logement : les propositions Du patronat

La CPME alerte sur le ralentissement de l’activité immobilière et de la construction. Les réservations de logements neufs ont, en effet, rarement été aussi basses : au premier trimestre, à peine 20.000, soit 41 % de moins qu’un an auparavant, selon le ministère de la transition écologique.

Pour la CPME, une des solutions pour accélérer les processus serait de réduire les délais de délivrance des permis de construire, en diminuant notamment les délais de préemption des communes, ou en informatisant les formalités d’urbanisme.Autre idée du même ordre, réduire le temps entre la promesse de vente et la signature.

Et en matière de contraintes à revoir, l’organisation entend également porter le fer sur les DPE, les diagnostics de performance énergétique, qui doivent être réalisés pour tout bien immobilier, et qui en fonction de leur niveau empêcheront bientôt un propriétaire de mettre son bien à la location.

Par ailleurs, à partir de 2025, y compris pour un bail en cours, le locataire d’un logement pourra saisir le juge qui pourra alors ordonner les travaux de mise en conformité, avec réduction ou suspension de loyers. Une épée de Damoclès insupportable pour les petits propriétaires, estiment les patrons. Ils notent qu’en 2021, les retraités bailleurs ont commencé à prendre peur et sont à l’origine de 51 % des ventes de logements classés F et G. Or, la CPME, compte parmi ses adhérents de nombreux commerçants et artisans qui ont investi dans l’immobilier pour assurer leur retraite. Elle demande donc la suspension de cette menace judiciaire.

Aussi, les patrons proposent-ils de créer un régime de droit de mutation différent pour la première acquisition d’un logement à titre d’habitation principale. Ils envisagent aussi la création d’un crédit d’impôt pour les biens dont le prix de vente est inférieur à 150.000 euros. Ou encore de créer un régime fiscal permettant l’amortissement des intérêts d’emprunt pour les logements à la location, proportionnel au niveau des loyers.

Enfin dernière idée, instaurer un crédit d’impôt pour les frais de déménagement : quand un travailleur change de région pour prendre un emploi, il pourrait être aidé. En effet, les grands groupes prennent souvent à leurs charges ces coûts de déménagement, mais les petites entreprises, elles, n’en ont souvent pas les moyens.

La CPME insiste sur la simplicité de ces mesures. Elle les présentera à Elisabeth Borne et Olivier Dussopt, le ministre du Travail.

Comment faire face à la crise du logement ?

Comment faire face à la crise du logement ?

Xavier Lépine , président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) appelle à repenser les manières de soutenir le secteur pour permettre aux Français d’accéder à la propriété. Tribune dans le JDD.


« 3,5 milliards d’euros : c’est le montant que la Caisse des dépôts va engager pour « sauver » le logement, en rachetant des programmes de construction. C’est beaucoup d’argent, nécessaire et bienvenu ; et en même temps, c’est bien peu. C’est l’équivalent de 17 000 logements, autrement dit pas grand-chose en regard du 1,2 million de transactions annuelles, représentant 250 milliards d’euros, et de l’angoisse qui traverse notre pays du fait de l’impossibilité de bien se loger, ou de se loger tout court. Les politiques publiques à coups de milliards, qui devraient faire disparaître le problème mais ne le font en réalité que superficiellement, nous en avons l’habitude. Elles sont l’expression d’un mal français, fait de résignation, de conservatisme et d’une croyance naïve dans la toute-puissance de l’État. Le logement est en crise : soit ! Eh bien, pour reprendre l’aphorisme churchillien : ne gâchons pas une bonne crise ! À la résignation, opposons l’optimisme, et au conservatisme, l’innovation !

Faisons-le en partant du bon constat. En vingt ans, le prix du logement a doublé alors que les revenus n’ont augmenté que de 35 %. Par ailleurs, les coûts de construction ne vont pas baisser : le réchauffement climatique imposera des coûts supplémentaires d’adaptation de nos habitats. Autre réalité : les taux d’intérêt ne reviendront pas de sitôt à 1 %. Enfin, ce que l’on ne dit pas assez fort, c’est que l’accès à la propriété – rêve que pouvaient encore réaliser les générations précédentes – est devenu pour de multiples raisons un objectif inaccessible. Pour beaucoup de Français, la location s’est imposée comme un horizon indépassable. Pour autant, être locataire suppose déjà que des investisseurs soient prêts à détenir des actifs immobiliers dont la rentabilité est de plus en plus faible.

Jeunes générations, familles monoparentales, familles recomposées, familles nombreuses, ou tout simplement résidents dans une zone dense hors de prix : la réponse aux aspirations légitimes de toutes ces personnes ne peut se limiter à soutenir le marché à hauteur de moins de 10 % de la production annuelle de logements neufs, alors même que l’essentiel des transactions concerne l’ancien, dont le volume d’échange est cinq fois supérieur ; elle ne doit pas se limiter à un « coup de pouce » de l’État, ou à généraliser le logement social comme norme de la septième puissance économique mondiale.

Des milliards, oui ! Mais, surtout, plus d’intelligence dans la manière de les investir. Nous avons le devoir de réinventer un marché devenu dysfonctionnel. Et nous sommes quelques acteurs, nouveaux entrants sur le marché de l’immobilier et de l’accès à la propriété, à être persuadés que cette crise est une opportunité d’innover, de penser « out of the box », pour reprendre une expression que Churchill aurait sûrement appréciée.

Il est urgent de faire évoluer notre système de financement, de détention des actifs ; urgent d’adapter au logement ce que le secteur automobile fait depuis des années. Aujourd’hui, on n’achète plus sa voiture comme avant, on l’achète en LOA (location avec option d’achat). On peut imaginer des solutions équivalentes pour l’immobilier. Il existe des voies alternatives à la pleine propriété, qui permettent de faire converger les intérêts de ceux qui aspirent à acheter, jusqu’ici en vain, et ceux d’acteurs institutionnels prêts à investir en sortant des schémas classiques pour autant que la rentabilité soit au rendez-vous. Il y a des voies nouvelles pour permettre à de nombreuses personnes d’acquérir autrement le logement dont elles ont besoin, avec les moyens financiers dont elles disposent.

En nous penchant vraiment sur la question de la propriété, nous touchons à l’âme de notre nation, et à son tourment du déclassement. Cette crise du logement nous invite collectivement, acteurs privés et publics, à faire preuve de plus d’inventivité pour rendre de nouveau possible cette aspiration si puissante dans notre imaginaire : devenir propriétaire de son logement. »

Crise du Logement : alerte !

Crise du Logement : alerte !

Dans une « lettre ouverte », des professionnels du secteur réclament « une volonté présidentielle claire et ambitieuse ainsi que des mesures chiffrées »

A cor et à cri, voilà les professionnels du secteur du logement qui affichent leur inquiétude face à la crise qui les touche. Dans une « lettre ouverte » dont font état Les Echos, ils demandent « l’expression d’une volonté présidentielle claire et ambitieuse ainsi que des mesures chiffrées, un calendrier de mise en œuvre rapide et des moyens financiers adaptés aux enjeux ».

Le texte est signé par des poids lourds du secteur : Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers, Grégory Monod, président du Pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment (FFB) et représentant les constructeurs de maisons, Olivier Salleron, président de la FFB, Loïc Cantin, président de la Fédération nationale des agents immobiliers, ou encore Danielle Dubrac, présidente du syndicat immobilier Unis, et Yannick Borde, président du réseau Procivis. Est-ce là une forme de réponse en esquisse à la « conférence des parties » qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux ?

« Quand l’Etat prendra-t-il la véritable mesure du risque de bombe économique, sociale et sociétale que représente la crise du ‘pouvoir d’habiter’ à laquelle font face nos concitoyens ? », se demandent et s’inquiètent les auteurs du document. La remontée des taux et un marché de l’immobilier très tendu dans certaines métropoles, dont Paris, grèvent de fait les possibilités des acheteurs… et l’emploi du BTP. « Il n’y aura d’ailleurs pas de plein-emploi si la mobilité des salariés est entravée par l’impossibilité de se loger », estiment les auteurs dans leur « lettre ouverte » en n’hésitant pas à agiter l’épouvantail d’une pénurie d’offres de logements.

Autre point souligné : les obstacles quant à la rénovation énergétique. « Les moyens doivent être à la hauteur des enjeux et des ressources des ménages. À défaut, il faudra se résoudre à assouplir le calendrier de la loi Climat et Résilience […] sous peine de voir le parc locatif privé subir de lourdes pertes », précisent les professionnels du logement en demandant « un électrochoc ».

L’agenda de ce cri d’alerte n’est pas anodin, répondant comme en écho à Emmanuel Macron. La semaine dernière, le président de la République évoquait dans Challenges une « crise multifactorielle du logement », indiquant la nécessité d’« aller encore beaucoup plus loin » que les politiques actuelles. Des annonces sont attendues pour le 5 juin.

Mais Emmanuel Macron s’était également montré critique dans son interview, parlant d’« un système de sur-dépenses publiques pour de l’inefficacité collective ». « C’est un secteur où on finance l’offre, l’investissement et la demande. Malgré tout, on produit moins, et c’est plutôt plus cher qu’ailleurs. […] On a beaucoup d’aides et on a créé un paradis pour les investisseurs immobiliers », avait-il fustigé, en laissant présager sa volonté de remise à plat du système.

Emploi : crise de formation et de compétences en France

Emploi : crise de formation et de compétences en France

Denis Machuel (PDG) et Alexandre Viros (président France Adecco) notent une crise grave de formation et de compétences en France dans une interview à la Tribune

Alexandre Viros- Le groupe prévoit de former 50.000 personnes en 2023. C’est un record. Il n’y a pas de réindustrialisation sans les talents. Pour créer de la compétence, il faut beaucoup former. Le groupe assume le pari d’avoir des talents bien formés. Nous prévoyons un budget de près de 100 millions d’euros pour assurer ces formations, dans le cadre de nos contributions légales et conventionnelles.

Sur quels secteurs allez-vous concentrer vos efforts en matière de formation ?

Alexandre Viros- Il y aura beaucoup de formations sur l’industrie, l’automobile et le BTP. Ce secteur est intéressant car il est possible d’avoir une belle trajectoire professionnelle. La logique des formations est de répondre aux besoins réels de l’économie.

Emmanuel Macron a mis l’accent sur la réindustrialisation ces derniers jours. Vos agences ont-elles des difficultés à recruter des bras pour l’industrie tricolore ? L’Allemagne connaît-elle aussi des pénuries de main d’oeuvre pour son industrie ?

Alexandre Viros- La France a payé certains choix depuis plusieurs décennies en matière de compétences. La France a sûrement plus de difficultés que certains de ses voisins. C’est un défi important. Toutes les parties prenantes vont devoir marcher ensemble sur ces problématiques.

Denis Machuel- L’Allemagne a un passé industriel important. Elle reste malgré tout confrontée à des difficultés de recrutement. En France, il y a des viviers de talents dans les quartiers prioritaires de la ville, dans la population immigrée, dans les personnes éloignées de l’emploi. Il faut s’appuyer sur toutes nos forces.

Un an après votre arrivée à la tête du groupe, quelle est votre feuille de route pour les mois à venir ?

Denis Machuel- Le groupe a mis en place depuis deux ans la stratégie « Future at Work » sur l’avenir du travail. Cette orientation consiste à construire des briques autour des talents dont nos clients ont besoin. Dans l’industrie et les services, les entreprises ont besoin de talents pour livrer des performances. Cette stratégie repose sur nos 3 activités : Adecco, Akkodis et LHH et sur deux axes principaux : le focus client et le digital. Opérationnellement, notre dynamique s’articule autour de trois piliers : simplifier, exécuter et croître. Cette feuille de route a délivré de bons résultats au premier trimestre.

En Europe et en France, les créations d’emplois ont ralenti depuis plusieurs mois mais le chômage continue de baisser. Dans le même temps, la croissance marque le pas depuis la guerre en Ukraine. Comment expliquez-vous ce paradoxe d’une faible croissance riche en emplois ?

Denis Machuel- En Europe, ce paradoxe peut s’expliquer par la rareté des talents. Il y a des facteurs démographiques avec le départ à la retraite de la génération du baby-boom. Après la pandémie, beaucoup de travailleurs ont montré qu’ils étaient prêts à travailler moins et préfèrent améliorer leur qualité de vie. Beaucoup de femmes sont sorties du marché du travail. Certains seniors sont également sortis de ce marché. Enfin, il y a un fossé des talents. Avec la transition technologique et la transition écologique, il y a des savoir-faire qui ne sont pas à la hauteur des besoins.

Alexandre Viros- En France, les secteurs mis sous cloche pendant la pandémie comme l’hôtellerie-restauration ou le BTP n’arrivent toujours pas à recruter. Les salariés sont allés trouver du travail dans d’autres secteurs. Il y a aussi des difficultés liées à la géographie et à la desserte en transports en commun. Il faut favoriser la mobilité. Avec l’augmentation » du coût des carburants, les salariés ne vont pas forcément accepter un emploi éloigné de leur domicile.

La formation est un enjeu déterminant. Il s’agit de créer des compétences dans des secteurs en transformation profonde comme l’automobile. Le passage du moteur thermique au moteur électrique nécessite de nouvelles compétences. L’ouverture de nouvelles centrales nucléaires va nécessiter des soudeurs. Or la France n’a pas ses compétences. Il y a une crise de la compétence. Notre métier n’est pas juste d’aller chercher des clients. Il s’agit de comprendre les besoins en emploi.

La réforme des retraites a remis au centre des débats la question cruciale de l’emploi des seniors. Le taux d’emploi des plus de 55 ans est très bas dans l’Hexagone. Une autre partie importante n’est ni en emploi, ni à la retraite. Quels seraient les leviers pour améliorer l’emploi des seniors ?

Alexandre Viros- Pendant longtemps, cette question s’est résumée à la sortie des seniors du monde du travail. Nous n’étions pas hostiles à l’index des seniors proposé par l’exécutif. Il faut mesurer la participation des seniors dans les entreprises. Nous nous engageons à augmenter la part des seniors parmi nos intérimaires de 20% en 2023.

C’est un engagement important. Il y a aussi la question cruciale de la formation des seniors. Les seniors ont deux fois moins recours à la formation que les autres catégories d’âge. Il s’agit de réfléchir en termes de trajectoire professionnelle et pas uniquement de rétention. Je suis convaincu que le départ d’un salarié expérimenté est une perte sèche pour l’entreprise.

Denis Machuel- Dans un monde de rareté des talents, la sortie de gens expérimentés peut se payer très cher. On a pu le voir dans la filière nucléaire. La France a un réservoir de talents formidables. Il y a un sujet de flexibilité sur les fins de carrière. Il ne faut pas uniquement réfléchir en termes de coût pour l’entreprise. Il faut changer le regard sur le monde des seniors.

Malgré les aides massives en faveur de l’apprentissage, le taux de chômage chez les jeunes demeure élevé. Comment améliorer l’insertion professionnelle des jeunes ?

Denis Machuel- Le soutien à l’apprentissage doit se poursuivre. En Allemagne et en Suisse, l’apprentissage est très connecté aux besoins de l’entreprise. La force de l’apprentissage est la connexion entre la formation et les besoins. Une partie des formations que nous prévoyons va se concentrer sur l’apprentissage. Sur les 50.000 personnes formées, 6.500 seront consacrées aux apprentis.

En France, les recrutements se basent la plupart du temps sur l’envoi de CV. Quel regard portez-vous sur cette pratique ?

Alexandre Viros – La France est une société malade du diplôme. C’est contre productif. Les candidats de 35 ans ou 45 ans sont jugés sur les réussites et les échecs lorsqu’ils avaient 20 ans. C’est injuste. Notre groupe est un promoteur d’un recrutement sans CV à travers notamment notre plateforme digitale QAPA.

Il peut se faire sur des analyses scientifiques des soft skills. Ces pratiques permettent d’élargir le champ des emplois auxquels les candidats peuvent prétendre. Le recrutement sans CV est vertueux pour l’économie et les individus.

Crise Logement: une catastrophe annoncée

Crise Logement: une catastrophe annoncée

Par Raphaël Legendre et Jérémy Bouillard dans l’Opinion

Depuis un an, le secteur de l’immobilier connaît un double choc d’offre et de demande. Une bombe sociale à retardement, comme l’explique notre le Raphaël Legendre

Pourquoi le secteur du logement est-il dans la tourmente ?
Raphaël Legendre, journaliste au service économie de l’Opinion : Depuis un an, le secteur de l’immobilier connaît un double choc. Un choc d’offre tout d’abord, avec la flambée des coûts de l’énergie qu’on a connue après l’invasion russe en Ukraine.

Les pénuries de matériaux qui ont entraîné aussi une très forte hausse des coûts de la construction. Et, depuis un an, est venu s’ajouter à ce choc d’offre un choc de demande avec une hausse brutale des taux d’intérêt de la BCE : + 3 points en 12 mois, ce qui a très fortement resserré le crédit bancaire pour les logements.

Les ménages ont aujourd’hui beaucoup moins de moyens de s’endetter pour acheter leur logement. Ce qui a jeté un grand coup de froid sur le marché de l’immobilier.

Pourquoi le problème est politique en plus d’être économique ?

Le logement c’est d’abord et avant tout le quotidien des Français. C’est l’une des premières dépenses contraintes, tout comme l’alimentation. On a vu la colère monter avec la flambée de l’inflation ces derniers mois. C’est la même chose sur le logement.

C’est un sujet d’abord et avant tout politique. Véronique Bédague, présidente de Nexity, premier promoteur immobilier, très critique vis-à-vis de l’inaction du gouvernement ces derniers jours, a cité quelques chiffres qui font froid dans le dos.

Le logement c’est plus 100 000 personnes mal logées, plus 10% de personnes à la rue et plus 100 000 demandeurs de logements sociaux.

Des demandes de logements sociaux qui touchent désormais la classe moyenne. Ce qui donne un sentiment de déclassement qui est, bien évidemment, d’abord et avant tout politique.

Quelles solutions sont sur la table ?

D’abord, au sein de l’exécutif, on explique que si la construction neuve est effectivement en crise, la rénovation peut prendre le relais pour les entreprises du bâtiment.

La France détient le record européen des logements vacants et beaucoup sont à rénover, notamment du côté des passoires énergétiques. Cela donne un relais de croissance pour les entreprises de la construction.

Par ailleurs, la Caisse des dépôts est actuellement en train de préparer un plan pour supporter la construction. On parle de 15 à 20 000 logements supplémentaires qui pourraient être mis sur le marché.

Et enfin, Bruno Le Maire travaille actuellement à un assouplissement des conditions d’octroi du crédit bancaire avec le gouverneur de la Banque de France.

L’année dernière, le Haut Conseil de stabilité financière avait donné un gros tour de vis sur les conditions d’octroi de ces crédits : pas plus de 25 ans, pas plus de 35% d’endettement.

Ces conditions pourraient être assouplies d’ici la prochaine réunion du Haut Conseil de stabilité financière, en juin. Avec, à l’ordre du jour, une éventuelle révision du taux d’usure qui a très nettement contraint le crédit ces derniers mois.

Immobilier : 2023, année du début d’une grande crise

Immobilier : 2023, année du début d’une grande crise

L’année 2023 sera sans doute le début d’une très grande crise affectant l’immobilier. L’envolée des prix a été telle que désormais une énorme majorité de Français n’ont plus la solvabilité nécessaire espérer l’acquisition. Ainsi par exemple pour acquérir un bien de 400 000 € sur 25 ans il faut un salaire de 4850 €Quel revenu pour emprunter 400 000 euros sur 25 ans ? Pour souscrire un emprunt de 400 000 € sur 25 ans, votre salaire mensuel doit être au minimum de 4 850 € , soit seulement autour de 10 % de la population.

par Fatmatül Pralong, Professeur agrégé en sciences économiques, Sorbonne Université dans the Conversation

En 2022, les ventes immobilières ont franchi la barre du million, selon un bilan publié par la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) qui observe cependant un repli du nombre de transactions : -6,5 % sur un an par rapport à 2021. Même constat du côté du réseau d’agences Century 21, qui avance le chiffre de -4 %. Quant aux prix, ils ont commencé à baisser à partir de l’été 2022 et pourraient encore reculer de 5 % à 10 % en 2023. En outre l’envol des taux d’intérêt bientôt à 4 % contribue évidemment honnête tassement du secteur.

Ce retournement s’explique notamment par la forte inflation qui a marqué 2022, atteignant 6,2 % sur un an en fin d’année. Cette hausse des prix a eu deux conséquences qui pèsent sur le marché immobilier. D’abord, les entreprises qui supportent une hausse de leurs coûts de production – comme les matières premières et l’énergie fossile – ont répercuté ces hausses sur les prix afin de sauvegarder leurs marges. Cette inflation dite « par les coûts » pousse ainsi à la hausse des prix à la construction dans le neuf, ce qui évince les acheteurs les plus modestes.

Immobilier: Des taux qui vont approfondir la crise

Immobilier: Des taux qui vont approfondir la crise

La chute drastique du nombre de prêts pour achat immobilier témoigne de la gravité de la crise ; une crise qui va encore s’approfondir avec la perspective de taux encore en hausse et bientôt à 4 %. En clair, se pose une énorme question de solvabilité pour les candidats acheteurs dont la cible continue de se réduire. Il n’y a plus que 10 à 20 % de la population qui présente une solvabilité suffisante pour acquérir un logement.

Le nombre de crédit immobiliers a chuté de 40% en un an. Cela risque de ne pas s’arranger, puisque les taux d’intérêt vont encore augmenter. Qui pourra encore acheter ?
Financer son achat immobilier coûte de plus en plus cher, et la situation pourrait bien empirer, car les taux d’intérêt s’envolent. À 1,07% en moyenne il y a un an et demi, ils sont à 3,15% en avril, et ils pourraient grimper à 4% en septembre.

Avec l’augmentation des taux d’intérêt, les ménages empruntent moins d’argent. Un couple avec 3 000 euros net de revenus par mois pouvait emprunter 210 000 euros en janvier 2022. En septembre, si le taux augmente à 4%, ils n’auront que 165 000 euros. Moins de budget disponible pour acheter, et c’est tout le marché immobilier qui est bousculé.
Les taux d’intérêt continuent d’augmenter, car les banques empruntent elles aussi plus cher qu’avant. Et selon les experts, la situation ne devrait pas s’améliorer. Le nombre de prêts octroyés a baissé de près de 40 % en un an.

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