La musique bénéfique pour le cerveau
L ‘écoute et la pratique de la musique peuvent améliorer la qualité du fonctionnement de notre cerveau, et ralentir l’apparition de troubles cognitifs. « *On arrive à avoir un effet retard sur les symptômes, éventuellement d’une maladie neurodégénérative dont on est porteur. Lors de leur voyage vers les Kerguelen au début du siècle dernier, Raymond Rallier du Baty et son équipage ont abordé l’île Tristan Da Cuhna, alors peuplée de naufragés dont le contact avec la civilisation dépendait essentiellement de l’égarement de bateaux. Lorsque l’un des aventuriers eut l’idée de jouer de l’accordéon, il suscita des réactions inattendues de la part des insulaires. Ceux-ci, privés du son de tout instrument de musique, se mirent à danser frénétiquement lors d’un épisode décrit comme un joyeux délire par Rallier du Baty.
par
Loïc Damm
Postdoctoral Researcher, Université de Montpellier
Benoît Bardy
Professeur en Sciences du Mouvement, fondateur du centre EuroMov, membre de l’Institut Universitaire de France (IUF), Université de Montpellier dans the Conversation
Cet épisode rappelle que, plus qu’un élément culturel, la musique est inscrite en nous, littéralement. Et nous ignorons encore la portée réelle de son influence.
La musique nous incite au mouvement, et nous sommes capables d’accorder nos mouvements avec ses rythmes – une propension naturelle et universelle. L’élément rythmique le plus marquant que nous identifions et sur lequel nous calons nos mouvements est la pulsation (beat en anglais). La fréquence de la pulsation définit le tempo musical.
Tapoter, bouger en rythme ou bien sûr danser sont des activités qui semblent triviales, elles reposent pourtant sur une faculté essentielle : coordonner les mouvements de notre corps avec des rythmes auditifs réguliers et prédictibles. On parle de couplage entre perception et action.
Quand il s’agit d’accorder son mouvement au rythme de la musique, la précision temporelle est essentielle. Imaginez la chorégraphie d’un danseur : vous attendez une synchronisation entre musique et mouvement. En d’autres termes, fréquence du mouvement et tempo de la musique doivent converger.
Mais ce n’est suffisant. Pour que leur synchronisation soit parfaite, il faut aussi que musique et mouvement soient calés l’un sur l’autre : tout décalage étant immédiatement perceptible. Imaginez cette fois un musicien qui joue en retard par rapport à son orchestre…
Pour aligner nos mouvements aux pulsations musicales, nous devons percevoir précisément le rythme. Ça n’a en fait rien d’évident : la richesse des informations rythmiques d’une musique trompe encore les meilleurs algorithmes spécialisés… Et nous ne sommes pas tous égaux dans ce domaine, notre formation musicale notamment joue sur nos capacités de perception et de synchronisation.
Le déchiffrage des rythmes musicaux repose sur un vaste réseau de structures cérébrales étudiées en neuro-imagerie. Plusieurs régions réagissent, et interagissent, à la présence d’une pulsation : certaines habituellement classées comme étant à dominantes « sensorielles » (comme les aires corticales auditives du lobe temporal du cerveau), d’autres à dominantes « motrices » (comme les ganglions de la base ou les aires prémotrices et motrices du lobe frontal). Elles sont impliquées à la fois au cours de l’analyse et de la perception du rythme.
Des régions cérébrales dédiées à la perception du rythme et au mouvement sont capables d’interagir et de se renforcer. grayjay/Shutterstock
Mais elles sont également activées lorsqu’un mouvement est effectué en suivant un rythme auditif… comme lorsqu’il n’y a pas de mouvement, dans une tâche de perception simple.
La vision classique de la spécialisation des aires cérébrales, en l’occurrence sensorielles et motrices, tend donc à s’évanouir lorsqu’il s’agit de percevoir un rythme ou de bouger en réponse à celui-ci.
Le mouvement induit par des stimulations auditives est un cas de couplage sensori-moteur ou de perception-action. Il peut être décrit comme le renforcement des connexions entre des zones cérébrales distinctes, depuis celles qui extraient les caractéristiques temporelles des informations auditives jusqu’à celles qui mettent en œuvre les séquences de mouvement.
L’éventail des expressions du mouvement humain est plus large que ce qui est communément admis, et il est rythmique même en l’absence de stimulations auditives. Il s’étend en fait de la voix à la marche et la course, en passant par pratiquement toutes les formes de mouvements corporels les plus créatives.
Moins intuitive, la production de parole repose en effet sur l’activation de muscles qui font vibrer nos cordes vocales et en font émerger une signature rythmique ! Nous en prenons conscience pendant un discours monotone et soporifique…
La rythmicité la plus évidente reste celle de la locomotion, probablement l’activité physique rythmique la plus conservée parmi les animaux – Homo sapiens compris. Marcher consiste en une simple alternance de pas gauche et droit, par l’activation coordonnée des muscles de nos jambes.
De plus, l’anatomie de notre corps, la longueur de nos os ou la répartition de nos masses limitent la fréquence de nos mouvements, comme les caractéristiques d’un pendule déterminent l’intervalle du tic-tac d’une horloge. En biologie, les cycles, comme celui de la marche, sont maintenus dans le temps par une combinaison de mécanismes passifs (mécaniques) et actifs (musculaires).
Pour caler ce jeu délicat, la bonne coordination des muscles apparaît comme une fonction essentielle du tout système nerveux. La simple locomotion bipède, compte tenu du nombre de muscles impliqués, est une expression fascinante de leur maîtrise des rythmes. Cela est illustré par l’existence, chez les vertébrés, de réseaux de neurones (appelés réseaux locomoteurs spinaux) capables de produire des schémas d’activités musculaires, soit une activation coordonnée d’un ensemble de muscles : de tels schémas se traduisent par des mouvements structurés telle la marche.
Notre cerveau agit également comme un filtre entre les rythmes de notre corps et ceux de notre environnement.
Sa capacité à analyser un rythme musical et à en extraire la pulsation ouvre la possibilité d’utiliser cette dernière afin de fournir un point de repère à nos mouvements, en « l’injectant » dans les zones cérébrales impliquées.
Cependant, pour se frayer un chemin dans notre système (loco-)moteur, les stimulations externes doivent répondre à certains critères. Et là, mécanique et neurophysiologie ont leur mot à dire.
La stabilité de nos rythmes propres détermine en effet les conditions d’un éventuel entraînement locomoteur : un tempo musical ne pourra nous influencer que s’il est suffisamment proche de notre cadence de marche. Dans ce cas, et à condition qu’il existe une interaction entre la locomotion et la musique (par exemple de nature mécanique ou neurophysiologique), notre cadence va converger vers le tempo de la musique : nous sommes entraînés et la synchronisation se produit.
Si l’on considère le rythme de nos mouvements, notre cerveau montre une appétence naturelle pour un tempo autour de 120 battements par minute. Notre marche serait caractérisée par 70 à 130 pas par minute par exemple. Chez les rats, pourtant plus petits et marchant à une cadence plus élevée, ce sont là encore des stimulations auditives à 120 battements par minute qui sont le plus susceptibles d’avoir une influence. Le tempo optimal pour se synchroniser avec la musique pourrait donc dépendre de constantes neurobiologiques conservées à travers les espèces.
La prédilection des cerveaux, tant chez le rat que l’être humain, pour des rythmes se situant autour de 120 battements par minute laisse penser à une faculté cérébrale préservée par l’évolution.
Le naturaliste Charles Darwin affirmait déjà au XIXe siècle que « la perception, sinon le plaisir, du tempo musical et du rythme est probablement commun à tous les animaux, et dépend sans aucun doute de la nature physiologique commune de leurs systèmes nerveux ». Que les mécanismes associés à sa perception puissent avoir été conservés au cours de l’évolution s’accorde bien à l’idée que le rythme, tout comme il est un aspect fondamental de la construction musicale, serait un principe d’organisation fonctionnelle du cerveau.
Ainsi, si notre espèce est capable d’une synchronisation prédictive volontaire unique aux rythmes, chez les rongeurs existe déjà une faculté de synchronisation spontanée qui pourrait en constituer un précurseur évolutif, moins poussé, certes, mais déjà présent. Sans cette faculté, nous ne serions pas capables de produire ces airs qui nous parlent si viscéralement.
L’association des neurosciences et des sciences du mouvement a permis récemment de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau sous l’influence de stimulations musicales. On l’a vu, ces dernières activent des régions cérébrales associées au mouvement, qui contribuent en retour à leur perception : notre capacité à analyser des rythmes musicaux est ainsi renforcée par le mouvement : un couplage entre la perception et l’action qui nous permet d’interagir au mieux avec notre environnement. Et nous sommes même capables d’extraire les pulsations musicales, unité de base du rythme, des sons reçus afin d’utiliser la musique pour entraîner notre mouvement en nous synchronisant à elle.
On commence seulement à comprendre l’omniprésence de ces phénomènes de synchronisation dans notre quotidien – lorsque nous applaudissons à l’unisson à la fin d’un spectacle ou que nous calons spontanément notre pas sur celui des personnes qui nous entourent dans une foule… Il revient à la science d’en objectiver les influences, comme pour la musique… Les champs d’études relatifs aux interactions sociales, à la cognition et bien d’autres encore, sont loin d’être épuisés !
Sciences: Comment le cerveau a-t-il évolué ?
Sciences: Comment le cerveau a-t-il évolué ?
La nature singulière et les capacités exceptionnelles du cerveau humain ne cessent de nous surprendre. Sa forme arrondie, son organisation complexe et sa longue maturation le distinguent du cerveau des autres primates actuels, et plus particulièrement des grands singes auxquels nous sommes directement apparentés. À quoi doit-on ses spécificités ? Puisque le cerveau ne fossilise pas, il faut chercher la réponse dans les os du crâne retrouvés sur les sites paléontologiques pour remonter le cours de l’histoire. La boîte crânienne renferme des empreintes du cerveau qui constituent de précieuses données sur les 7 millions d’années d’évolution de notre cerveau qui nous séparent de notre plus vieil ancêtre connu : Toumaï (Sahelanthropus tchadensis).
par Amélie Beaudet, Paléoanthropologue (CNRS), Université de Poitiers dans The Conversation
Pendant la croissance, le cerveau et son contenant, le crâne, entretiennent un lien étroit et, par un processus de modelage et remodelage, l’os enregistre la position des sillons à la surface du cerveau qui délimitent les lobes et les aires cérébrales. À partir de ces empreintes, les paléoneurologues cherchent à reconstituer l’histoire évolutive de notre cerveau (par exemple, quand et comment les spécificités cérébrales humaines sont apparues ?), mais également à élaborer des hypothèses sur les capacités cognitives de nos ancêtres (par exemple, quand ont-il commencé à fabriquer des outils ?).
L’Afrique du Sud a joué un rôle central dans la recherche et la découverte d’indices sur les grandes étapes de l’évolution de notre cerveau. Les sites paléontologiques situés dans le « Berceau de l’Humanité », classé au patrimoine mondial par l’Unesco, sont particulièrement riches en fossiles piégés dans d’anciennes grottes dont les dépôts sont aujourd’hui exposés à la surface.
Parmi ces fossiles, on compte des spécimens emblématiques comme « l’enfant de Taung » (3-2,6 millions d’années), le tout premier fossile de la lignée humaine découvert sur le continent africain qui sera à l’origine du genre Australopithecus, ou « Little Foot » (3,7 millions d’années), le squelette le plus complet d’Australopithecus jamais mis au jour (50 % plus complet que celui de « Lucy » découvert en Éthiopie et daté à 3,2 millions d’années). Ces sites exceptionnels ont ainsi mené à la découverte de crânes relativement complets (par exemple « Mrs Ples » datée à 3,5-3,4 millions d’années), ainsi que de moulages internes naturels de crânes (par exemple celui de « l’enfant de Taung »), préservant des traces du cerveau de ces individus fossilisés qui ont été étudiés par des experts et ont servi de référence depuis des décennies.
Malgré la relative abondance et la préservation remarquable des spécimens fossiles sud-africains relativement aux sites contemporains est-africains, l’étude des empreintes cérébrales qu’ils conservent est limitée par la difficulté à déchiffrer et interpréter ces traces.
Devant ce constat, notre équipe constituée de paléontologues et de neuroscientifiques a cherché dans un premier temps à intégrer, dans l’étude des spécimens fossiles, les compétences techniques développées en imagerie et en informatique.
Nous avons alors mis en place le projet EndoMap, développé autour de la collaboration entre des équipes de recherche françaises et sud-africaines, dans le but de pousser plus loin l’exploration du cerveau en y associant des méthodes de visualisation et d’analyses virtuelles.
À partir de modèles numériques 3D de spécimens fossiles du « Berceau de l’Humanité » et d’un référentiel digital de crânes de primates actuels, nous avons développé et mis à disposition une base de données unique de cartographies pour localiser les principales différences et similitudes entre le cerveau de nos ancêtres et le nôtre. Ces cartographies reposent sur le principe d’atlas traditionnellement utilisé en neuroscience et ont permis à la fois une meilleure connaissance de la variabilité dans la distribution spatiale des sillons du cerveau humain actuel et l’identification des caractéristiques cérébrales chez les fossiles. En effet, certains désaccords scientifiques majeurs dans la discipline sont la conséquence de notre méconnaissance de la variation inter-individuelle, qui entraîne une surinterprétation des différences entre les spécimens fossiles.
Cependant, EndoMap fait face à un défi majeur dans l’étude des restes fossiles, comment analyser des spécimens incomplets ou pour lesquels certaines empreintes cérébrales sont absentes ou illisibles ? Ce problème de données manquantes, bien connu en informatique et commun à de nombreuses disciplines scientifiques, est un frein à la progression de notre recherche sur l’évolution du cerveau.
Le bond technologique réalisé récemment dans les domaines de l’intelligence artificielle permet d’entrevoir une solution. En particulier, devant le nombre limité de spécimens fossiles et leur caractère unique, les méthodes d’augmentation artificielle des échantillons pourront pallier le problème d’effectif réduit en paléontologie. Par ailleurs, le recours à l’apprentissage profond à l’aide d’échantillons actuels plus complets constitue une piste prometteuse pour la mise au point de modèles capables d’estimer les parties manquantes des spécimens incomplets.
Nous avons alors invité à Johannesburg en 2023 des paléontologues, géoarchéologues, neuroscientifiques et informaticiens de l’Université du Witwatersrand et de l’Université de Cape Town (Afrique du Sud), de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), de l’Université de Toulouse, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris et de l’Université de Poitiers à alimenter notre réflexion sur le futur de notre discipline au sein du colloque « BrAIn Evolution : Palaeosciences, Neuroscience and Artificial Intelligence ».
Cette discussion est à l’origine du numéro spécial de la revue de l’IFAS-Recherche, Lesedi, qui vient de paraître en ligne et qui résume les résultats de ces échanges interdisciplinaires. À la suite de cette rencontre, le projet a reçu le soutien financier de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS dans le cadre l’appel d’offres « Jumeaux numériques : nouvelles frontières et futurs développements » pour intégrer l’IA à la paléoneurologie.