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Faire fonctionner l’interface cerveau-machine

Faire fonctionner l’interface cerveau-machine


Un patient paralysé qui remarche en contrôlant un exosquelette robotique par la force de sa pensée. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est ce que l’on appelle une interface cerveau-machine ; c’est-à-dire un système qui établit une connexion entre le cerveau et un système automatisé sans nécessiter le moindre mouvement de la part de l’utilisateur.

François Hug
Professeur en sciences du mouvement humain, Directeur adjoint du Laboratoire Motricité Humaine Expertise Sport Santé (LAMHESS), Université Côte d’Azur

Simon Avrillon
Post-doctorant en neuroscience, Imperial College London

Le principe consiste à enregistrer les signaux électriques du cerveau puis à les décoder, c’est-à-dire à les associer à des mouvements. Ainsi, en détectant les intentions de mouvement, ces interfaces permettent à des patients de communiquer ou de contrôler des prothèses robotiques. Cependant, mesurer l’activité électrique du cerveau n’est pas facile. On peut utiliser des électrodes posées à la surface du crâne et ainsi obtenir un électroencéphalogramme (EEG). Seulement ces signaux sont souvent difficiles à décoder. Une alternative consiste à implanter des électrodes directement au contact des aires motrices du cerveau, ce qui nécessite une intervention chirurgicale.

Bien que les bénéfices attendus surpassent les risques encourus par la chirurgie, des solutions complémentaires sont actuellement à l’étude. Et de manière surprenante, ces solutions s’intéressent à un organe bien différent du cerveau : le muscle. Ces approches ont l’avantage d’être non invasives et pourraient avoir des applications dans la compréhension des mécanismes cérébraux impliqués dans la production du mouvement ou de manière plus pratique à permettre le contrôle de prothèse chez des personnes en situation de handicap ou qui ont subi une amputation.

Notre cerveau contrôle la plupart de nos mouvements en envoyant à nos muscles des messages nerveux sous forme d’impulsions électriques. Ces messages nerveux transitent notamment via des neurones dits moteurs – ou motoneurones spinaux – qui relient la moelle épinière aux fibres musculaires. Chaque motoneurone est connecté à plusieurs fibres musculaires (jusqu’à plusieurs milliers) et lorsqu’une impulsion électrique se propage le long d’un motoneurone, il conduit nécessairement à la formation d’une impulsion électrique sur chacune des fibres musculaires innervées. Ainsi, en plus de recevoir l’information sur la commande nerveuse du mouvement, le muscle agit comme un amplificateur de cette commande puisque chaque impulsion électrique est démultipliée par le nombre de fibres musculaires sur lesquelles elle se propage.

Depuis bientôt deux décennies, nous sommes capables de décoder l’activité électrique d’un muscle en utilisant une technique appelée électromyographie (EMG) haute densité, qui consiste à placer des dizaines, voire des centaines d’électrodes à la surface de la peau.

Schéma du principe de l’électromyographie (EMG) haute densité. Fourni par l’auteur
Combinés à l’utilisation d’algorithmes d’intelligence artificielle, les signaux recueillis peuvent être décomposés afin d’isoler l’activité de plusieurs motoneurones, fournissant une information sur la commande émise par le cerveau et transitant par la moelle épinière. Ainsi, le motoneurone spinal est le seul neurone du corps humain dont l’activité électrique peut être mesurée de manière non invasive, c’est-à-dire sans franchir la barrière de la peau. De telles informations n’avaient été obtenues jusqu’alors qu’avec des électrodes implantées dans des muscles ou des nerfs.

En utilisant cette approche non invasive, une étude a récemment démontré qu’il est possible de décoder l’intention de mouvement d’un patient tétraplégique pour lui permettre de contrôler une main virtuelle. Malgré la lésion de la moelle épinière de ce patient qui altère fortement la transmission de l’information du cerveau vers les muscles de la main, ces chercheurs ont été capables de mesurer l’activité résiduelle de quelques motoneurones encore actifs. Bien qu’en nombre bien trop faible pour permettre un mouvement, ces motoneurones véhiculent toujours une commande nerveuse émanant principalement du cerveau, et donc une intention de mouvement. Ainsi, lorsque le patient essayait de fléchir son majeur, l’activité de quelques motoneurones était détectée par des électrodes posées sur son avant-bras, puis utilisée pour piloter une main virtuelle qui reproduisait une flexion du majeur. À terme, il devrait être envisageable de piloter des gants robotiques avec cette approche afin de retrouver en partie la fonction des mains.

Au-delà de permettre le développement d’interfaces cerveau-machine innovantes, la capacité à décoder l’activité de motoneurones permet de changer radicalement l’échelle à laquelle nous étudions le mouvement. L’approche classique considère que le mouvement est contrôlé à l’échelle du muscle. Par exemple, lorsque l’on souhaite réaliser une extension de la jambe, le cerveau spécifierait l’activité des muscles produisant cette action, notamment les quatre muscles qui composent le quadriceps (c.-à-d., les muscles situés sur le devant de la cuisse). Cette vision est remise en cause par les résultats d’une étude de notre équipe, impliquant des chercheurs de l’université Côte d’Azur et des chercheurs de l’Imperial College London.

Cette étude démontre que les commandes nerveuses sont distribuées à des groupes de motoneurones, et que ces groupes sont partiellement découplés des muscles. Ainsi, des motoneurones innervant deux muscles différents peuvent recevoir la même commande s’ils contribuent au même mouvement alors que deux motoneurones innervant le même muscle peuvent recevoir des commandes différentes s’ils contribuent à des actions différentes. En d’autres termes, notre cerveau spécifierait une commande pour des groupes de motoneurones, sans nécessairement se soucier des muscles. Cette organisation permettrait de simplifier le contrôle du mouvement (en transmettant la même commande à plusieurs motoneurones) tout en restant capable de réaliser un large répertoire de mouvements (en permettant notamment à certains muscles d’assurer plusieurs fonctions). Au delà de mieux décrire la production du mouvement, cette nouvelle théorie permet d’envisager l’augmentation des capacités humaines.

De la récupération à l’augmentation du mouvement, il n’y a qu’un bras
Bien que la capacité de décoder les intentions de mouvement offre des perspectives de restauration du mouvement pour de nombreux patients, elle permet également d’envisager l’augmentation du corps humain. Bien qu’effrayante et captivante à la fois, l’idée d’augmenter les capacités du corps humain avec des membres supplémentaires est au centre de plusieurs programmes de recherche.

Imaginez-vous en train d’écrire un mail tout en préparant un café grâce à un troisième bras. Bien que nous n’en soyons pas encore là, des chercheurs ont montré que nous sommes capables d’apprendre à utiliser un troisième pouce (robotique) en le contrôlant avec nos gros orteils. Mais attention, pour parler d’augmentation, il ne faut pas que l’utilisation d’un nouveau membre impacte les capacités de mouvement existantes. Par exemple, ce troisième pouce étant contrôlé par les mouvements des gros orteils, il est impossible de l’utiliser en marchant, et sans doute assez difficile de l’utiliser en étant debout.

Il est donc nécessaire de créer une nouvelle commande pour ce nouveau membre. C’est ici que la capacité d’identifier l’activité des motoneurones prend tout son sens. En effet, on pourrait imaginer qu’un individu puisse dissocier l’activité de motoneurones d’un même muscle du bras, de manière spontanée ou après avoir été entraîné à le faire. Ainsi, ces motoneurones transmettraient deux commandes différentes au lieu d’une seule : l’une pour le mouvement du bras et l’autre pour commander ce nouveau membre robotique.

En outre, des études récentes suggèrent que ces motoneurones transmettent bien plus d’information que nécessaire pour contrôler le mouvement ; ainsi des recherches en cours visent à exploiter ces informations non utilisées par nos muscles pour créer de nouvelles possibilités de commande.

Irons-nous jusqu’à nous représenter ce nouveau bras comme partie intégrante de notre corps ? Ou devrons-nous admettre que notre cerveau ne peut contrôler que deux bras et deux jambes ?




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