Démocratie: Un pays adolescent
Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), plaide pour l’adoption d’une « culture du compromis et de la convergence », après les résultats des législatives.
Il est clair qu’il y a quelques chose de surréaliste en France avec d’un côté une vision techno souvent au service des grands intérêts économiques et de l’autre une posture anarcho révolutionnaire à gauche comme à droite. Dans ces conditions aucun compromis significatif ne peut être réalisé. Les uns avec des arguments technos ne tolèrent aucune remise en cause de leur position quant aux autres ils prônent d’une manière ou d’une autre la remise en cause totale sur le plan économique, social et politique. En fait une révolution de papier car le pays ne tiendrait pas davantage que quelques semaines à se retirer par exemple de l’Europe et notamment de la monnaie unique et notamment de l’euro.Le président du conseil économique et social regrette cette absence de culture du compromis en France. On pourrait y ajouter une absence dramatique de connaissances économiques. NDLR
Tribune Thierry Beaudet
« Depuis deux semaines, la France serait devenue un pays ingouvernable. Pourquoi ? Parce que l’Assemblée nationale n’aurait jamais représenté aussi fidèlement les différentes opinions de nos concitoyens… Ce qui est habituel, voire souhaité, dans n’importe quelle grande démocratie occidentale serait mortifère dans notre pays ? Et cela parce que nos institutions auraient été pensées simplement pour voter et non pour délibérer ? Ne nous soumettons surtout pas à ce constat, car si la robustesse de nos institutions rigidifie parfois notre vie démocratique, en réalité, nos plus grandes limites sont culturelles.
Notre démocratie affiche tous les stigmates de l’adolescence et reste de ce fait bien trop souvent éruptive
Ce qui nous limite, ce n’est pas l’absence d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce qui nous limite, c’est que, bien que comptant parmi les plus anciennes, notre démocratie affiche tous les stigmates de l’adolescence et reste de ce fait bien trop souvent éruptive. Ce qui nous limite, c’est une démocratie qui fonctionne uniquement par spasmes électoraux, figeant un rapport de force pour plusieurs années alors qu’elle doit au contraire devenir plus continue.
L’élection confère la légitimité mais ne donne plus l’élan nécessaire à la traversée du mandat. Les programmes s’effritent sur une réalité de plus en plus changeante, de plus en plus radicale. Ce qui est attendu de nos élus, c’est leur capacité à revenir et dialoguer avec les acteurs et les citoyens, en permanence, pour ajuster l’action et, in fine, revigorer leur socle de légitimité.
Ce qui nous limite, c’est une décision publique dont l’élaboration se limite trop souvent aux acteurs politiques qui cherchent à créer de l’alignement sur leur position plutôt que de donner de l’assise à des propositions. En ne répondant pas, ou trop peu, à l’aspiration de la société civile et des citoyens à participer à la fabrique de la décision, le politique supporte toute la tension et devient, de ce fait, le fusible du système. Il doit avoir une responsabilité finale, pas totale.
Ce qui nous limite, c’est de vouloir enfermer toute la complexité du monde et des aspirations de nos concitoyens dans des logiques binaires, fruits non désirés du fait majoritaire. Dans une société fluide, tout ce qui est figé est contourné. Alors sortons des logiques de blocs pour adopter une culture du compromis et de la convergence. Cette culture existe déjà largement dans nos territoires, elle s’incarne quotidiennement dans notre dialogue social et elle est la matrice même du Conseil économique, social et environnemental, cette assemblée de la société que j’ai l’honneur de présider. Elle doit aujourd’hui finir de gagner l’ensemble des lieux de décision.