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Un autre regard sur l’évolution humaine

Un autre regard sur l’évolution humaine

par
Bernard Lahire
Directeur de recherche CNRS, Centre Max Weber/ENS de Lyon, ENS de Lyon dans The Conversation

« Et si les sociétés humaines étaient structurées par quelques grandes propriétés de l’espèce et gouvernées par des lois générales ? Et si leurs trajectoires historiques pouvaient mieux se comprendre en les réinscrivant dans une longue histoire évolutive ? Dans une somme importante récemment parue aux Éditions de la Découverte, Bernard Lahire propose une réflexion cruciale sur la science sociale du vivant. Extraits choisis de l’introduction. »

« D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? » [Ces questions] relèvent non de la pure spéculation, mais de travaux scientifiques sur la biologie de l’espèce et l’éthologie comparée, la paléoanthropologie, la préhistoire, l’histoire, l’anthropologie et la sociologie.

C’est avec ce genre d’interrogations fondamentales que cet ouvrage cherche à renouer. Si j’emploie le verbe « renouer », c’est parce que les sciences sociales n’ont pas toujours été aussi spécialisées, enfermées dans des aires géographiques, des périodes historiques ou des domaines de spécialité très étroits, et en définitive coupées des grandes questions existentielles sur les origines, les grandes propriétés et le devenir de l’humanité.

Les sociologues notamment n’ont pas toujours été les chercheurs hyperspécialisés attachés à l’étude de leurs propres sociétés (industrialisées, étatisées, bureaucratisées, scolarisées, urbanisées, etc.) qu’ils sont très largement devenus et n’hésitaient pas à étudier les premières formes de société, à établir des comparaisons inter-sociétés ou inter-civilisations, ou à esquisser des processus de longue durée.

De même, il fut un temps reculé où un anthropologue comme Lewis H. Morgan pouvait publier une étude éthologique sur le mode de vie des castors américains et où deux autres anthropologues étatsuniens, Alfred Kroeber et Leslie White, « ne cessèrent d’utiliser les exemples animaux pour caractériser la question de l’humanité » ; et un temps plus récent, mais qui nous paraît déjà lointain, où un autre anthropologue comme Marshall Sahlins pouvait publier des articles comparant sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs et vie sociale des primates non humains.

Mais ce qui a changé de façon très nette par rapport au passé des grands fondateurs des sciences sociales, c’est le fait que la prise de conscience écologique – récente dans la longue histoire de l’humanité – de la finitude de notre espèce pèse désormais sur le type de réflexion que les sciences sociales peuvent développer. Ce nouvel « air du temps », qui a des fondements dans la réalité objective, a conduit les chercheurs à s’interroger sur la trajectoire spécifique des sociétés humaines, à mesurer ses effets destructeurs sur le vivant, qui font peser en retour des menaces d’autodestruction et de disparition de notre espèce. Ces questions, absentes de la réflexion d’auteurs tels que Durkheim ou Weber, étaient davantage présentes dans la réflexion de Morgan ou de Marx, qui avaient conscience des liens intimes entre les humains et la nature, ainsi que du caractère particulièrement destructeur des sociétés (étatsunienne et européenne) dans lesquelles ils vivaient.

Cinéma et littérature ont pris en charge ces interrogations, qui prennent diversement la forme de scénarios dystopiques, apocalyptiques ou survivalistes. Et des essais « grand public » rédigés par des auteurs plus ou moins académiques, de même que des ouvrages plus savants, brossent depuis quelques décennies des fresques historiques sur la trajectoire de l’humanité, s’interrogent sur ses constantes et les grandes logiques qui la traversent depuis le début, formulent des théories effondristes, etc.

Comme souvent dans ce genre de cas, la science a été plutôt malmenée, cédant le pas au catastrophisme (collapsologie) ou au prométhéisme (transhumanisme) et à des récits faiblement théorisés, inspirés parfois par une vision angélique ou irénique de l’humanité. Cette littérature se caractérise aussi par une méconnaissance très grande, soit des travaux issus de la biologie évolutive, de l’éthologie, de la paléoanthropologie ou de la préhistoire, soit des travaux de l’anthropologie, de l’histoire et de la sociologie, et parfois même des deux, lorsque des psychologues évolutionnistes prétendent pouvoir expliquer l’histoire des sociétés humaines en faisant fi des comparaisons inter-espèces comme des comparaisons inter-sociétés.

Cette situation d’ensemble exigeant une forte conscience de ce que nous sommes, elle me semble favorable à une réflexion scientifique sur les impératifs sociaux transhistoriques et transculturels, et sur les lois de fonctionnement des sociétés humaines, ainsi qu’à une réinscription sociologique de la trajectoire de l’humanité dans une longue histoire évolutive des espèces.

Elle implique pour cela de faire une nette distinction entre le social – qui fixe la nature des rapports entre différentes parties composant une société : entre les parents et les enfants, les vieux et les jeunes, les hommes et les femmes, entre les différents groupes constitutifs de la société, entre « nous » et « eux », etc. – et le culturel – qui concerne tout ce qui se transmet et se transforme : savoirs, savoir-faire, artefacts, institutions, etc. –, trop souvent tenus pour synonymes par les chercheurs en sciences sociales, sachant que les espèces animales non humaines ont une vie sociale mais pas ou peu de vie culturelle en comparaison avec l’espèce humaine, qui combine les deux propriétés.

Si les éthologues peuvent mettre au jour des structures sociales générales propres aux chimpanzés, aux loups, aux cachalots, aux fourmis ou aux abeilles, c’est-à-dire des structures sociales d’espèces non culturelles, ou infiniment moins culturelles que la nôtre, c’est parce que le social ne se confond pas avec la culture.

À ne pas distinguer les deux réalités, les chercheurs en sciences sociales ont négligé l’existence d’un social non humain, laissé aux bons soins d’éthologues ou d’écologues biologistes de formation, et ont fait comme si le social humain n’était que de nature culturelle, fait de variations infinies et sans régularités autres que temporaires, dans les limites de types de sociétés donnés, à des époques données. Certains chercheurs pensent même que la nature culturelle des sociétés humaines – qu’ils associent à tort aux idées d’intentionnalité, de choix ou de liberté – est incompatible avec l’idée de régularité, et encore plus avec celle de loi générale.

C’est cela que je remets profondément en cause dans cet ouvrage, non en traitant de ce problème abstraitement, sur un plan exclusivement épistémologique ou relevant de l’histoire des idées, mais en montrant, par la comparaison interspécifique et inter-sociétés, que des constantes, des invariants, des mécanismes généraux, des impératifs transhistoriques et transculturels existent bel et bien, et qu’il est important de les connaître, même quand on s’intéresse à des spécificités culturelles, géographiques ou historiques.

Cette conversion du regard nécessite un double mouvement : d’une part, regarder les humains comme nous avons regardé jusque-là les non-humains (au niveau de leurs constantes comportementales et de leurs structures sociales profondes) et, d’autre part, regarder les non-humains comme nous avons regardé jusque-là les humains (avec leurs variations culturelles d’une société à l’autre, d’un contexte à l’autre, d’un individu à l’autre, etc.).

L’auteur vient de publier Les structures fondamentales des sociétés humaines, aux Éditions La Découverte, août 2023.

Après  les incendies, pour une autre politique de régénération des forêts

Après  les incendies, pour une autre politique de régénération des forêts

 

Replanter des arbres, surtout d’une même espèce ou faiblement diversifiés, n’est pas toujours le choix le plus avisé, explique dans une tribune au « Monde » Sylvain Angerand, ingénieur forestier et coordinateur de l’association Canopée, qui appelle à une remise à plat de la filière bois.

 

Avec plus de 60 000 hectares de forêts partis en fumée, cet été a marqué le retour des grands incendies en France. Un risque qui ne va faire que croître avec les changements climatiques et qui devrait nous inciter à repenser en profondeur notre politique forestière. Pourtant, l’annonce d’un grand chantier national de reboisement pourrait produire l’effet inverse et affaiblir encore davantage nos forêts en cédant au lobbying d’une partie de la filière.

L’empressement à vouloir planter des arbres est, avant tout, une stratégie de communication destinée à rassurer l’opinion publique en donnant l’illusion d’une maîtrise de la situation et d’un retour rapide à la normale. Mais c’est aussi l’aveu d’une profonde incompréhension de la part de la puissance publique des enjeux forestiers, car planter des arbres n’est pas toujours le choix le plus avisé. Surtout après un incendie, il est le plus souvent préférable de laisser la forêt se régénérer naturellement. Une option plus efficace et moins coûteuse dans de nombreuses situations.

De plus, les plantations d’arbres sont encore trop souvent monospécifiques ou très faiblement diversifiées, ce qui est pourtant indispensable pour renforcer la résistance et la résilience des peuplements face à de nombreux aléas comme les sécheresses, les tempêtes, les maladies ou encore les incendies. Même sur des sols très pauvres comme dans les Landes, où il est difficile de se passer du pin maritime, il est toujours possible d’introduire, en mélange, des feuillus comme le chêne-liège ou le chêne tauzin pour renforcer les peuplements.

L’intérêt du mélange est solidement étayé scientifiquement et, pourtant, il peine à s’imposer comme une condition aux aides publiques ou comme une règle à respecter dans les plans de gestion. Après la tempête de 2009 dans les Landes, la quasi-totalité du massif appartenant à des propriétaires privés a été replantée en monoculture avec l’aide de l’argent public.

Le constat est similaire pour les aides plus récentes du plan de relance qui, faute d’écoconditions suffisantes, ont été détournées par une partie des acteurs pour planter des monocultures, parfois en remplacement de forêts en bonne santé mais jugées peu rentables économiquement (rapport « Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier », Canopée, mars 2022).

Ces dérives ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat de l’abandon des pouvoirs publics à construire une politique forestière intégrant l’ensemble des enjeux. Tiraillée entre quatre ministères, la forêt ne bénéficie pas d’un portage politique fort capable de défendre et de trancher en faveur de l’intérêt général. Elle est laissée au seul jeu d’influence des acteurs, la règle au sein de la filière étant de ne surtout pas pointer du doigt les dérives de certains.

Société-Crise alimentaire : une autre agriculture ?

Société-Crise alimentaire : une autre agriculture ?

Ces 12 derniers mois, un certain nombre de produits de première nécessité ont connu une hausse de prix importante, nous faisant basculer dans un cycle inflationniste, bien douloureux pour les Français. Mais au cœur de la tempête, l’AgTech française doit tenir le cap et peut même sortir son épingle du jeu. Le développement croissant des circuits courts, la multiplication des débouchés bio et locavores et l’audace de nos innovations doivent servir d’exemple pour le reste du monde. Par Gilles Dreyfus, Co-fondateur et Président de Jungle. (La Tribune)

 

Nous l’avons vu au cours des dernières semaines, le problème ne se situe pas seulement à la pompe mais s’étend également à nos supermarchés, à notre vie quotidienne et même à notre assiette. Les 25 à 50 millions de tonnes de céréales actuellement immobilisées en Ukraine – le « grenier à blé » du monde » – laissent craindre « un ouragan de famines », tandis que la moutarde, l’huile de tournesol ou encore le lait sont menacés de pénurie à long terme. Une autonomie fragilisée dans un pays comme la France qui importe plus de 20% de ses ressources alimentaires dont 40% de ses protéines végétales. La guerre en Ukraine, sans être la cause principale de ce phénomène, apparaît comme le révélateur d’une situation qui ne cesse de se détériorer dans l’indifférence ou l’ignorance générale.

C’est un fait, la population mondiale ne cesse d’augmenter et le nombre d’habitants sur la planète devrait approcher les 10 milliards d’ici 2050, alors même que nous avons d’immenses difficultés à nourrir correctement la population actuelle. En France, c’est près de 3% de la population qui était considérée comme sous-alimentée en 2019. Tandis que dans le même temps, le dernier rapport du GIEC indique dans un scénario optimiste, que 8 % des terres actuellement cultivables pourraient devenir impropres à l’agriculture.

Nous faisons donc face à une équation des plus complexes pour les années à venir.  Comment concilier un modèle agricole à la fois durable et productiviste, capable de nourrir un nombre croissant d’êtres humains, alors même que les incertitudes climatiques et géopolitiques sont amenées à se multiplier ?

La France des prochaines années ne sera forte et indépendante que si elle dispose d’une agriculture durable, productive, compétitive et autonome, capable de résister aux chocs, peu importe leurs natures – intempéries, crises politiques, épuisement de nos ressources naturelles… La prise de conscience est là et les milliers d’agriculteurs français et d’entrepreneurs innovants dans l’agriculture préparent l’avenir. Nous devons redoubler d’efforts pour contribuer davantage à la modernisation, à l’innovation et au renforcement de notre compétitivité agricole. En France, le potentiel de développement est immense. Le coq n’a pas fini de chanter, nous sommes le pays qui compte le plus de terres agricoles disponibles en Europe, une chance pour notre souveraineté alimentaire.

Mais nous ne partons pas de rien car au cours des dernières années, la France a fait énormément pour développer son potentiel et encourager l’essor de l’agriculture biologique et des filières locales.  Face à l’urgence, nous devons aller encore plus vite, encore plus loin et encore plus fort. Notre pays doit accompagner davantage les éleveurs et petits producteurs qui s’engagent dans les circuits courts pour fournir une alimentation de qualité, en proximité. C’est l’avenir.

Il est vrai que la tâche qui nous incombe est immense, mais elle n’en reste pas moins exaltante. Construire un système mondial résilient, adapté au changement climatique à même de limiter les tensions à venir en termes d’approvisionnement alimentaire ne sera pas une chose facile, mais cet objectif est à notre portée. Cette ambition nécessite une prise à bras le corps des enjeux agricoles et un courage politique certain. La France devra redoubler d’efforts pour montrer une nouvelle voie. Chiche ?

Développement: un autre politique de solidarité de la France

Développement: un autre politique de solidarité de la France

Après le sommet de Paris pour un Nouveau pacte financier mondial, la France osera-t-elle transformer en profondeur sa politique de solidarité internationale ? Par Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente du CCFD Terre-solidaire ( dans la Tribune)


« Nous sommes venus pas seulement pour parler du besoin d’argent, mais aussi du besoin de réformes du système de gouvernance financière internationale [...], du besoin de profondes transformations pour garantir les sources de capitaux. » Les mots de la charismatique Première Ministre de la Barbade, Mia Mottley, lors du sommet pour un Nouveau pacte financier mondial organisé à Paris par la France fin juin sont clairs : les pays du Sud exigent bien un changement en profondeur des règles du jeu économique mondial. Cet appel résonne alors que les multiples crises qui s’entremêlent ont fortement fragilisé les budgets des pays du Sud, aujourd’hui en incapacité de dégager les revenus nécessaires au financement de leurs politiques de développement, à quoi s’ajoute l’urgence de financer également les mesures d’atténuation et d’adaptation face à la crise climatique qui les touche déjà de plein fouet.

Si les besoins financiers explosent, les capacités de mobilisation de ressources financières se restreignent de plus en plus, notamment sous l’effet d’une nouvelle crise de la dette : 54 pays sont déjà en crise, et le service de la dette des pays du Sud est à son niveau le plus haut depuis la fin des années 1990. L’an dernier, en sortie de pandémie, 62 pays avaient consacré davantage de revenus au remboursement de leurs dettes qu’à leurs dépenses de santé.

Or, les pays du Sud se débattent dans un système économique dont les règles fonctionnent fondamentalement contre leurs intérêts, et dans lequel ils sont largement exclus des espaces et mécanismes de prise de décision.

« Quand le FMI et la Banque mondiale ont été créés à Bretton Woods en 1945, [...] il n’y avait que 44 pays à l’époque, aujourd’hui il y en a 190. [...] Nous souhaitons désormais nous assoir à la table pour participer aux prises de décisions », a expliqué le président kenyan William Rutto pour illustrer le besoin de repenser des règles sur un pied d’égalité.

C’est notamment le cas du système fiscal international injuste et obsolète, qui permet aux multinationales et aux plus riches d’échapper à l’impôt, notamment dans les pays du Sud. Près de 90 milliards de dollars de flux financiers illicites échappent chaque année au continent africain. Et malgré les scandales à répétitions ces dernières années, les multinationales continuent de localiser près de 40% de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux.

« Ce qui est important pour beaucoup d’entre nous est de savoir s’il existe un solide consensus sur la réforme de l’architecture financière internationale », a interpellé le président sud-africain Ramaphosa lors de la clôture du sommet de Paris.

Le Président Macron est-il prêt, ainsi que son gouvernement, à entendre ces appels et à en tirer les enseignements en réorientant les priorités de la politique de solidarité internationale de la France ?

A la lecture des conclusions du Sommet, la réponse est claire : la France n’a pas tenu compte de ces appels et a réaffirmé son attachement au système de l’architecture financière mondiale actuel.

Pourtant, le 13 juillet prochain, sous l’autorité de la Première ministre, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) définira la feuille de route opérationnelle de la France sur ces sujets. Une dernière occasion pour ne pas définitivement ignorer les Etats et les populations du Sud.

Ce CICID offre l’opportunité d’amorcer enfin une transformation en profondeur de la politique de solidarité internationale de notre pays pour qu’elle réponde pleinement aux besoins et attentes exprimées de longue date par les pays du Sud, les premiers concernés par ces questions :

Prendre acte de la nécessité d’une véritable réforme de l’architecture économique mondiale, qui fonctionne pour les peuples et pour la Planète et réponde de façon cohérente aux besoins de financement des pays du Sud tant pour leur développement que pour faire face à la crise climatique. Ils ne doivent pas à avoir à choisir, pas plus que nous, entre garantir l’accès à l’éducation de leurs enfants ou leur garantir un environnement vivable pour leur avenir.

S’assurer d’une plus grande cohérence des politiques publiques menées par la France à l’international pour pleinement répondre aux interpellations des pays du Sud à Paris : œuvrer en faveur d’un système fiscal international plus juste et progressif, notamment en soutenant les efforts des pays africains à l’ONU pour la mise en place d’une Convention fiscale internationale. Répondre à la crise de la dette en soutenant des annulations massives de dettes et la mise en place d’un mécanisme multilatéral de restructuration des dettes, y compris avec les créanciers privés. Soutenir une réforme juste des institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) qui permette un réel partage des pouvoirs avec les pays du Sud et garantisse un financement adéquat sans conditionnalités austéritaires.

Tenir ses promesses de mobilisation de ressources concessionnelles et sous forme de dons pour le développement et le climat des pays du Sud. Si l’aide publique au développement (APD) de la France a connu une croissance importante ces dernières années, nous avons 50 ans de retard sur notre promesse de mobilisation de 0,7% du RNB pour l’APD. C’est aussi la question d’une amélioration majeure de notre aide qui doit être menée, en termes de qualité et d’efficacité : une aide qui doit se faire majoritairement sous forme de dons, alignée sur les politiques nationales des pays concernés, qui doit cibler efficacement les pays les plus pauvres, et qui doit bien plus transiter par les sociétés civiles locales.

Si trois semaines après le Sommet de Paris, la feuille de route du CICID ne reflète pas un début de prise de conscience de la nature des attentes exprimées par les pays du Sud, la France aura un problème de crédibilité sur la scène internationale, notamment vis-à-vis de partenaires qu’elle a fait venir en nombre à ce sommet.

« Il nous faut absolument tenir nos promesses sinon nous allons perdre la confiance des populations mondiales. [...] Les règles ce sont nous qui les faisons, elles ne sont pas là pour nous briser, nous sommes là pour les façonner », selon les mots mêmes de Mia Mottley.

Politique: « La Convention » de Bernard Cazeneuve : une autre gauche ?

Politique: « La Convention » de Bernard Cazeneuve : une autre gauche ?

Bernard Cazeneuve réunit ses troupes pour lancer un nouveau parti socialiste en espérant pouvoir créer un espace social-démocrate. La question de savoir s’il s’agirait vraiment d’un parti social démocrate. C’est à dire d’un mouvement véritablement représentatif des couches sociales qu’il prétend représenter. Ou alors simplement un club d’élus comme c’est le cas actuellement pour ce qui reste du PSE. Ce parti a choisi le nom « la convention » *. Un nom historiquement qui a du sens mais politiquement déjà à côté de la plaque pour être compris par les électeurs. Le signe sans doute que ce parti est déjà sous influence de pros de la politique.

*La Convention nationale est à la fois le régime politique français et le Parlement qui gouverne la France du 21 septembre 1792 au 26 octobre 1795 lors de la Révolution française. Elle succède à l’Assemblée législative et fonde la Première République.

Ce samedi, l’ancien Premier ministre a donné rendez-vous aux adhérents de son nouveau mouvement politique, baptisé La Convention, pour ce qu’il présage être « une grande réunion publique », au palais des sports de Créteil, dans le Val-de-Marne. Lancée en mars dernier, la formation compterait 7 000 adhérents indique le JDD:

Mais ce mouvement espère aussi faire revenir dans la maison sociale-démocrate les brebis qui se sont égarées dans les limbes du macronisme. La semaine dernière, le JDD publiait une tribune intitulée « Pourquoi nous serons aux côtés de Bernard Cazeneuve le 10 juin à Créteil » et signée par des élus ou militants se présentant « de gauche de toujours » mais assumant avoir pourtant apporté leur soutien à la candidature d’Emmanuel Macron en 2017 et, pour la plupart, également en 2022, malgré les renoncements du Président sortant sur le plan social.

La tribune est notamment initiée par Gilles Savary et Yves Durand, cofondateurs en 2020 avec les ministres de l’époque, Jean-Yves Le Drian et Olivier Dussopt, du mouvement Territoire de progrès (TDP), qui se veut l’incarnation d’une aile gauche au sein de la majorité présidentielle.

Tous deux finissent par quitter la formation macroniste, en même temps qu’une quinzaine de membres, en novembre dernier, pour protester contre la fusion avec Renaissance et « le renoncement de la direction actuelle de TDP à son projet initial ». Pour l’anecdote, rappelons qu’il s’agissait déjà… de la refondation « d’une gauche sociale-démocrate dans notre pays ».

Reste à voir si les électeurs suivront dans cette direction. Car pour l’heure, aucun espace clair ne semble se dégager entre l’aile gauche de la macronie et la Nupes. En 2017, plus d’un électeur sur deux de François Hollande votait Emmanuel Macron dès le premier tour, tandis qu’en 2022 le président sortant recueillait encore 29 % des voix des sympathisants socialistes rien qu’au premier tour.

« La plupart des électeurs modérés de gauche sont partis sur Macron en 2017, et le sont restés en 2022. Un tiers de son électorat se déclare d’ailleurs encore de gauche, souligne le politiste Rémi Lefebvre, spécialiste du Parti socialiste. C’est un électorat qui a basculé, alors même qu’Emmanuel Macron n’est plus sur des forces de gauche » Ces derniers pourront-ils rebasculer ?

Peut-être qu’une brèche à gauche va s’ouvrir au moment de la succession, encore incertaine, d’Emmanuel Macron. Si des profils comme ceux d’Édouard Philippe ou Gérald Darmanin s’imposent pour prendre le relais, il sera plus difficile de suivre pour les électeurs se considérant de gauche. « Bernard Cazeneuve préempte un espace qui n’existe pas encore en anticipant qu’il pourrait se dégager. C’est une manière de prendre date pour l’élection présidentielle. La vie politique est une dynamique, un espace peut se rouvrir », estime le politiste.

Il y a aussi la question des électeurs modérés de gauche qui sont restés dans leur camp et ont voté pour la Nupes. Si le Parti socialiste continue de suivre une offre principalement incarnée par La France insoumise ou Jean-Luc Mélenchon, la rupture pourrait être consommée pour certains. Mais Rémi Lefebvre rappelle que pour l’instant, « la gauche reste très attachée à son unité, à la Nupes ». Et même si Bernard Cazeneuve appelle à dépasser les sensibilités et les partis pour se rassembler, le panel qui sera présenté ce samedi reste pour l’instant assez étroit.

« D’abord on rassemble son camp. Comment arriver au bout quand vous commencez à tirer sur votre camp en considérant que vous êtes irréconciliable avec une partie de la gauche ? La gauche a besoin de toute la gauche », a lancé Olivier Faure, interrogé mercredi à propos de l’initiative de l’ancien Premier ministre, sur Public Sénat, voyant en elle « une impasse ».

Pour l’heure, « le salut de Bernard Cazeneuve ne pourrait venir que d’une dynamique qui agrégerait à la fois les anciens macronistes de gauche et la frange modérée de l’électorat Nupes », résume Rémi Lefebvre. Un pari sur l’avenir, donc, qui risquerait de ne pas être suffisant face à un Rassemblement national toujours plus fort.

La Convention et Bernard Cazeneuve : une autre gauche ?

La Convention et Bernard Cazeneuve : une autre gauche ?

Bernard Cazeneuve réunit ses troupes pour lancer un nouveau parti socialiste en espérant pouvoir créer un espace social-démocrate. La question de savoir s’il s’agirait vraiment d’un parti social démocrate. C’est à dire d’un mouvement véritablement représentatif des couches sociales qu’il prétend représenter. Ou alors simplement un club d’élus comme c’est le cas actuellement pour ce qui reste du PSE. Ce parti a choisi le nom « la convention » *. Un nom historiquement qui a du sens mais politiquement déjà à côté de la plaque pour être compris par les électeurs. Le signe sans doute que ce parti est déjà sous influence de pros de la politique.

*La Convention nationale est à la fois le régime politique français et le Parlement qui gouverne la France du 21 septembre 1792 au 26 octobre 1795 lors de la Révolution française. Elle succède à l’Assemblée législative et fonde la Première République.

Ce samedi, l’ancien Premier ministre a donné rendez-vous aux adhérents de son nouveau mouvement politique, baptisé La Convention, pour ce qu’il présage être « une grande réunion publique », au palais des sports de Créteil, dans le Val-de-Marne. Lancée en mars dernier, la formation compterait 7 000 adhérents indique le JDD:

Mais ce mouvement espère aussi faire revenir dans la maison sociale-démocrate les brebis qui se sont égarées dans les limbes du macronisme. La semaine dernière, le JDD publiait une tribune intitulée « Pourquoi nous serons aux côtés de Bernard Cazeneuve le 10 juin à Créteil » et signée par des élus ou militants se présentant « de gauche de toujours » mais assumant avoir pourtant apporté leur soutien à la candidature d’Emmanuel Macron en 2017 et, pour la plupart, également en 2022, malgré les renoncements du Président sortant sur le plan social.

La tribune est notamment initiée par Gilles Savary et Yves Durand, cofondateurs en 2020 avec les ministres de l’époque, Jean-Yves Le Drian et Olivier Dussopt, du mouvement Territoire de progrès (TDP), qui se veut l’incarnation d’une aile gauche au sein de la majorité présidentielle.

Tous deux finissent par quitter la formation macroniste, en même temps qu’une quinzaine de membres, en novembre dernier, pour protester contre la fusion avec Renaissance et « le renoncement de la direction actuelle de TDP à son projet initial ». Pour l’anecdote, rappelons qu’il s’agissait déjà… de la refondation « d’une gauche sociale-démocrate dans notre pays ».

Reste à voir si les électeurs suivront dans cette direction. Car pour l’heure, aucun espace clair ne semble se dégager entre l’aile gauche de la macronie et la Nupes. En 2017, plus d’un électeur sur deux de François Hollande votait Emmanuel Macron dès le premier tour, tandis qu’en 2022 le président sortant recueillait encore 29 % des voix des sympathisants socialistes rien qu’au premier tour.

« La plupart des électeurs modérés de gauche sont partis sur Macron en 2017, et le sont restés en 2022. Un tiers de son électorat se déclare d’ailleurs encore de gauche, souligne le politiste Rémi Lefebvre, spécialiste du Parti socialiste. C’est un électorat qui a basculé, alors même qu’Emmanuel Macron n’est plus sur des forces de gauche » Ces derniers pourront-ils rebasculer ?

Peut-être qu’une brèche à gauche va s’ouvrir au moment de la succession, encore incertaine, d’Emmanuel Macron. Si des profils comme ceux d’Édouard Philippe ou Gérald Darmanin s’imposent pour prendre le relais, il sera plus difficile de suivre pour les électeurs se considérant de gauche. « Bernard Cazeneuve préempte un espace qui n’existe pas encore en anticipant qu’il pourrait se dégager. C’est une manière de prendre date pour l’élection présidentielle. La vie politique est une dynamique, un espace peut se rouvrir », estime le politiste.

Il y a aussi la question des électeurs modérés de gauche qui sont restés dans leur camp et ont voté pour la Nupes. Si le Parti socialiste continue de suivre une offre principalement incarnée par La France insoumise ou Jean-Luc Mélenchon, la rupture pourrait être consommée pour certains. Mais Rémi Lefebvre rappelle que pour l’instant, « la gauche reste très attachée à son unité, à la Nupes ». Et même si Bernard Cazeneuve appelle à dépasser les sensibilités et les partis pour se rassembler, le panel qui sera présenté ce samedi reste pour l’instant assez étroit.

« D’abord on rassemble son camp. Comment arriver au bout quand vous commencez à tirer sur votre camp en considérant que vous êtes irréconciliable avec une partie de la gauche ? La gauche a besoin de toute la gauche », a lancé Olivier Faure, interrogé mercredi à propos de l’initiative de l’ancien Premier ministre, sur Public Sénat, voyant en elle « une impasse ».

Pour l’heure, « le salut de Bernard Cazeneuve ne pourrait venir que d’une dynamique qui agrégerait à la fois les anciens macronistes de gauche et la frange modérée de l’électorat Nupes », résume Rémi Lefebvre. Un pari sur l’avenir, donc, qui risquerait de ne pas être suffisant face à un Rassemblement national toujours plus fort.

Retraites : on ne peut pas passer l’éponge, il faut une autre concertation ( Laurent Berger)

Retraites : on ne peut pas passer l’éponge, il faut une autre conception de la concertation ( Laurent Berger)

On ne peut pas passer aussi vite l’éponge estime le secrétaire général de la CFDT qui met en garde l’exécutif contre le fort « ressentiment » au sein du monde du travail après la promulgation de la réforme des retraites. Par ailleurs si tôt après l’intervention du chef de l’État à la télé, Laurent Berger s’est montrée très dubitatif sur les propositions de Macon concernant l’ouverture d’un chantier sur la question du travail. Tout dépendra de la méthode a-t-il indiqué car si c’est simplement pour appliquer les orientations n du gouvernement c’est inutile, il faut une co_construction a-t-il indiqué.

« Le monde du travail est encore choqué, il y a encore beaucoup de monde qui a manifesté jeudi dernier, il est hors de question d’aller discuter comme si de rien n’était », a-t-il expliqué. Il a précisé qu’ « il y a un délai de décence », ajoutant que l’intersyndicale s’était donnée comme horizon l’ « après 1er mai », date d’une nouvelle journée de mobilisation des opposants à la réforme des retraites, pour entamer les discussions.

La façon dont le chef de l’État a choisi de promulguer la réforme des retraites ne passe toujours pas, trois jours après. Laurent Berger avait déjà dénoncé ce week-end « le mépris » d’Emmanuel Macron, qui a promulgué la loi au Journal officiel dans la nuit de vendredi 14 avril à samedi 15, au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel. Un avis partagé par la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet qui avait qualifié cette décision « en pleine nuit, dans le dos des travailleurs et des travailleuses » de « totalement honteuse ».

« On demande au président de la République de présider et de gouverner autrement que par cette verticalité, de dire quelle méthode de concertation sociale il va employer, quels sujets concrets il va mettre sur la table pour améliorer la vie des travailleurs et travailleuses », a-t-il affirmé.

Cet épisode de la réforme des retraites « a fait monter la défiance dans les institutions », tandis que « le ressentiment social a monté très fortement », a-t-il souligné, estimant que la France est confrontée à une « crise démocratique ».

Il a par ailleurs précisé que la CFDT ne s’associerait pas à d’autres manifestations que celle prévue le 1er mai. « J’aimerais que tout le monde respecte ce communiqué de l’intersyndicale » qui a acté le principe « d’une grosse journée de mobilisation le 1er mai », a souligné Laurent Berger, estimant qu’il n’y a « pas de fissure mais une exigence de rigueur collective ».

Les syndicats misent sur le traditionnel rendez-vous du 1er mai qu’ils souhaitent transformer en « journée de mobilisation exceptionnelle et populaire » contre le cœur de la réforme des retraites, à savoir le départ à 64 ans. Une sorte de 13e round après 12 journées déjà organisées depuis le 19 janvier et qui ont été massivement suivies. La mobilisation sur l’ensemble des manifestations a été la plus forte enregistrée dans la rue depuis des décennies dans les métropoles comme les sous-préfectures. Si la décision du Conseil constitutionnel vendredi est venue clore cette phase, celle-ci n’est « pas finie », veulent croire les syndicats.

Il y a autre chose à faire que la réforme des retraites (Jacques Attali)

Il y a autre chose à faire que la réforme des retraites (Jacques Attali)

L’économiste et écrivain a déclaré sur BFMTV que d’autres « priorités » dans notre société étaient, selon lui, plus urgentes qu’une réforme sur les retraites.

« Dans le peu de temps dont dispose le président de la République pour agir, ce n’était pas la priorité », a-t-il déclaré.
Lui, qui avait proposé la retraite à points en 2008, considère aujourd’hui que « des vraies priorités passent avant les retraites ». « Notre éducation va très mal, notre système de santé est catastrophique, les échéances climatiques sont immenses, les services publics vont très mal, les institutions sont à réformer », a-t-il expliqué.

Jacques Attali a alors mentionné les 13 milliards d’euros qui manqueraient, selon le gouvernement, au système des retraites en 2030 si la réforme n’entrait pas en vigueur au plus vite.
« Je préfère mille fois mettre 13 milliards sur l’éducation que sur un hypothétique déficit des retraites », a plaidé l’écrivain, qui a tout de même concédé qu’il fallait « peut-être faire quelque chose sur les retraites ».
Ces milliards potentiels de déficit, Jacques Attali serait allé les « chercher dans les impôts sur les plus riches », même s’il ne croit pas à la taxation sur les superprofits.

Quoiqu’il arrive, l’économiste de 79 ans a déploré la démarche du gouvernement de récupérer cette somme via le système de retraites. « Quand on trouve facilement 500 milliards pour des tas de choses sans grande difficulté, on aurait peut-être pu en chercher pour les retraites », a-t-il suggéré.

Retraite : un conflit peut en cacher un autre, celui des salaires !

Retraite : un conflit peut en cacher un autre, celui des salaires !

Le conflit sur les retraites pourrait se terminer dans une certaine confusion avec d’une part nombre de modifications (exemple l’index seniors ) qui font perdre à la réforme une partie de son intérêt financier. Mais peut-être aussi du fait de l’affaiblissement de la contestation syndicale. Le problème est que le relais du mécontentement pourrait être repris avec la question brûlante du pouvoir d’achat et qui concerne immédiatement la plupart des Français et tout de celui .

En effet , l’année 2023 va surtout se caractériser par une énorme ponction sur les revenus en raison de la crise de la crise de l’énergie notamment qui a favorisé une hausse brutale de l’inflation de 6 à 7 % en 2022 à laquelle va s’ajouter une autre augmentation de même ampleur en 2023. En clair, les Français auront subi une perte de pouvoir d’achat loin d’être compensée totalement d’environ 15 %. Les postes les plus affectés concernent le carburant et les denrées alimentaires qui auront augmenté en deux ans de près de 25 % ! À cela il faut ajouter les augmentations générales des services y compris publics.

Dans le meilleur des cas les salariés auront obtenu en moyenne autour de 4 % d’augmentation en 2022 est à peine en 2023. Le décalage entre la hausse des prix et les salaires ne fait donc que se creuser. Contrairement à ce qui est affiché par le pouvoir et des institutions proches du pouvoir, l’inflation n’est pas en situation de brutalement se retourner à la baisse. Au mieux il y aura stabilisation à partir de l’été mais rien n’est certain surtout compte tenu de l’instabilité géo stratégique qui pèse en particulier sur l’énergie.

Du coup , la question salariale pourrait bien prendre le relais de la grogne sur la réforme des retraites. Une grogne en l’état qui va nourrir un peu profond ressentiment vis-à-vis du gouvernement qui est passé par-dessus les 70 % de français qui étaient contre la réforme. Sans parler du débat bâclé à l’Assemblée nationale qui pose un véritable problème démocratique.

Sur la lancée, les organisations syndicales pourraient donc enrichir le mécontentement avec la revendication salariale sans doute des perspectives de mobilisation encore autrement plus importantes.

Une autre approche du féminisme

Une autre approche du féminisme

En près d’un demi-siècle, la philosophe Geneviève Fraisse , spécialiste de la pensée féministe, n’a jamais craint d’être à contretemps. La nouvelle édition de « La Fabrique du féminisme » en témoigne à nouveau. (dans le Monde)

 

En voyant passer devant elle, en 2021, le mot « féminisme » dans le slogan d’une publicité placardée sur un autobus, Geneviève Fraisse a été saisie d’étonnement. La philosophe, chercheuse émérite au CNRS, a traversé des périodes « tellement désertiques », dit-elle pour décrire le champ des études féministes de ses débuts, que voir ainsi le « mot maudit » devenir presque à la mode ne pouvait que la frapper, comme elle le raconte en nous recevant chez elle, près de la gare de l’Est, à Paris.

Depuis près de cinquante ans, la spécialiste de la pensée féministe a l’habitude de pratiquer cette forme d’étonnement pour analyser ce qui se passe dans le mouvement des idées touchant le rapport entre les sexes, le droit des femmes ou la politique des sexualités. Comme le montrent la réédition augmentée de La Fabrique du féminisme et sa lumineuse préface inédite, sa pensée détonne, car elle n’est pas embarquée dans les véhi­cules les plus courants de l’opinion ni même entraînée sur les lignes les plus empruntées de la théorie féministe.

Elle vise en effet depuis les débuts de sa vie de chercheuse à produire des « généalogies » ou, mieux, à établir des « provenances », dit-elle en reprenant un terme de Michel Foucault. Ou encore à tracer des « lignées » dans lesquelles la geste féministe prend sens au-delà des surgissements soudains, des vagues limitées dans le temps, ou encore du catalogue des femmes d’exception où puiser éventuellement l’inspiration pour baptiser une station d’autobus. Voilà pourquoi, tandis qu’elle entre au CNRS, en 1983, elle choisit d’écrire sur une philosophe inconnue du XIXe siècle, Clémence Royer (La Découverte, 1985), autodidacte mais non moins traductrice et critique de Darwin, qui n’eut jamais la chance de pouvoir vivre de sa recherche.

L’autrice des Femmes et leur histoire (Folio, 1998) nomme cette attention aux liens diffractés dans le temps « l’historicité ». « Mon seul combat », dit-elle en guise de synthèse au sujet de ce concept faussement simple. « “Historicité” ne ­signifie pas seulement qu’il y a une histoire des femmes », précise celle qui dirigea, avec l’historienne Michelle Perrot, le quatrième volume, consacré au XIXe siècle, de l’Histoire des femmes en Occident (Plon, 1991), cette série d’ouvrages qui marqua une évolution historiographique majeure dans le domaine.

Se plaçant sous l’angle de l’épistémologie, cette branche de la philosophie qui réfléchit aux conditions rendant une connaissance possible, Fraisse explique : « “Historicité” signifie que, pour comprendre ce qui a trait à la différence des sexes, il faut l’inscrire dans l’histoire et non la renvoyer à des invariants qui existeraient “de tout temps”. Mais cela signifie aussi, à l’inverse, que, pour comprendre l’histoire, il faut l’inscrire dans la différence des sexes, car les sexes, aussi, font l’histoire. » Par exemple, on comprend mieux l’histoire de la démocratie si, derrière tout « contrat social », on met au jour le « contrat sexuel » implicite, selon un terme de la politologue britannique Carole Pateman, que Geneviève Fraisse a fait traduire en français.

Réforme des retraites : Pour un autre partage de la richesse

Réforme des retraites : Pour un autre partage de la richesse

 

Le besoin de réforme structurelle n’est pas là où Emmanuel Macron le situe et le gouvernement risque de se tromper dans ses choix politiques sur les retraites, alerte le syndicaliste Gérard Mardiné,Secrétaire général de la Confédération CFE-CGC,  dans une tribune au « Monde », qui insiste sur la nécessaire évolution de la gouvernance des entreprises.

 

Le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR), publié le 15 septembre, affiche que « ses résultats ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Il donne cependant déjà lieu à des interprétations multiples, ce qui nécessite de bien décoder un contenu très ésotérique.

Les scénarios présentés sont d’abord le fruit d’hypothèses de long terme assez irréalistes, tant dans les champs démographique et économique qui sont les deux déterminants importants du poids et de l’équilibre financiers des retraites.

 

Bien que l’espérance de vie stagne depuis dix ans et alors que la mortalité à mi-août 2022 est déjà supérieure de 8 % à celle sur la même période de 2019, l’hypothèse d’une hausse future significative de l’espérance de vie (à titre d’exemple, l’espérance de vie à 60 ans des hommes augmenterait de deux ans et demi d’ici à 2040) paraît irréaliste.

Une extrapolation mathématique du passé ne peut pas primer sur le constat que l’état des facteurs objectifs influençant la mortalité ne plaide malheureusement pas actuellement pour une hausse de l’espérance de vie à court-moyen terme. A commencer par l’état désastreux de nos hôpitaux et par le niveau de pollution environnementale. Un scénario à espérance de vie constante dans les prochaines années devrait donc être considéré.

La baisse de l’hypothèse de fécondité interpelle également. Les causes de la baisse constatée sont d’abord la difficulté de nombreux jeunes à trouver la stabilité nécessaire pour se construire un projet de vie du fait d’emplois précaires, de difficultés de logement… et l’éco-anxiété des jeunes générations liée au constat de politiques environnementales très insuffisantes. Ne pas garder le chiffre précédent revient à considérer qu’il ne sera pas mené de politiques volontaristes dans ces domaines.

Les hypothèses économiques retenues méritent aussi d’être décodées et remise en cause. Les paramètres d’entrée considérés sont le produit intérieur but (PIB), la productivité du travail et le taux de chômage ; mais finalement, la valeur déterminante est la masse salariale sur laquelle est assis l’essentiel des recettes de notre système de retraite.

« Entre 1997 et 2019, la part revenant aux salariés a baissé, passant de 59,3 % à 54,9 %, alors que la part revenant aux actionnaires a triplé, passant de 5,2 % à 15,8 % »

La masse salariale est liée au PIB au travers du partage de la valeur ajoutée. Les données de la Banque de France montrent que, entre 1997 et 2019, la part revenant aux salariés a baissé significativement, passant de 59,3 % à 54,9 %, alors que la part revenant aux actionnaires a triplé, passant de 5,2 % à 15,8 %. Ce phénomène pénalisant les ressources de notre système de retraite est principalement lié à la financiarisation croissante menée par les directions générales des grandes entreprises ces vingt-cinq dernières années.

Logement : pour un autre conception

Logement :  pour un autre conception 

Philosophe de la ville et de l’architecture, Philippe Simay a parcouru le monde à la découverte des habitats les plus étonnants. De cette expérience est née un questionnement : comment habiter le monde en société et en harmonie avec l’environnement ? Rencontre. (Cet article est issu de T La Revue n°11 – « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire? », actuellement en kiosque).

 

C’est une philosophie révolutionnaire de l’habitat que Philippe Simay enseigne à ses élèves de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, diffuse auprès des lecteurs de la revue Métropolitiques ou des téléspectateurs d’Arte friands de sa série de documentaires « Habiter le monde ». Révolutionnaire parce qu’elle combine frugalité, sobriété et innovation, parce qu’elle dépèce la standardisation hégémonique des formes et des techniques coupable d’éradiquer les savoir-faire traditionnels, parce qu’elle démontre l’extrême nocivité du béton, parce qu’elle discrédite le moteur productiviste par la faute duquel l’habitat est devenu un simple (et vite obsolète) produit de consommation, parce qu’elle fait riposte aux propriétés d’exclusion et de déshumanisation aujourd’hui dominantes dans notre rapport à l’espace. « Or, habiter – qui informe beaucoup sur ce que nous sommes -, c’est considérer, solliciter et accueillir le dehors pour enrichir son dedans, c’est s’unir à autrui, à tous les êtres vivants – humains, animaux, végétaux », estime l’auteur de La Ferme du Rail : pour une ville écologique et solidaire (avec son épouse Clara Simay, Actes Sud, 2022). Et de placer la conscience écologique au cœur de sa révolution espérée de l’habitat. Un habitat alors imbriquant intimement écologie environnementale (enjeu climatique, consommation d’énergie, usage des matériaux bio-sourcés, économie circulaire, etc.) et écologie sociale (insertion, alimentation, santé, formation), conjurant les injustices (environnementales, sociales, spatiales), privilégiant la réparation de l’existant à la construction du neuf, reconnaissant le citoyen dans son utilité déterminante au territoire où il réside. Un habitat responsable, un habitat qui revitalise la démocratie, un habitant réhumanisé et réhumanisant.

Un article intéressant à plusieurs points de vue mais qui cependant ne répond pas clairement à la question de la folie de l’hyper concentration urbaine. Certains aspects sont par ailleurs traités de manière un peu ésotérique! NDLR

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Pourquoi et comment les sujets de l’habitat, de l’architecture, de l’urbanisme, de la construction, interrogent-ils l’exercice de la philosophie ?

Philippe Simay- Philosopher, c’est apprendre à habiter, c’est-à-dire à questionner la façon dont nous sommes présents au monde, aux choses, aux autres et à soi-même. Nous n’avons pas d’autre choix que d’occuper physiquement un espace et de le transformer en fonction de nos besoins. Mais les réponses apportées à cette exigence n’ont rien d’évident. Cet espace, comment le penser, le bâtir, l’occuper, le transformer, l’activer ? La manière dont nous habitons informe beaucoup sur nous-mêmes. Ces fascinantes interrogations nous placent à la croisée de la philosophie et de l’anthropologie.

Mais si habiter est une modalité que nous partageons universellement, elle est une réalité kaléidoscopique : infini est le nombre de configurations – géographiques, historiques, culturelles – qui déterminent les façons d’occuper l’espace. « Absolument tout le monde est extrêmement concerné par le lieu où il vit, l’interrogation sur l’avenir des territoires habités est universellement partagée », avez-vous constaté lors de votre périple sur la planète. Un même diagnostic, mais des remèdes bien différents…

Au cours de mes voyages, j’ai été impressionné par ce constat : partout sur la planète, les individus et les sociétés ont « quelque chose à dire » de passionnant sur la façon dont ils habitent. J’ai été frappé par les discours extrêmement nourris, incroyablement argumentés de mes interlocuteurs. Chaque individu sait ce qu’habiter signifie pour lui. Je ne connais pas d’autre sujet qui déclenche des raisonnements aussi structurés.

La mondialisation – du commerce, de la consommation, des processus – exerce, dans nombre de domaines, un mal sournois, tentaculaire : l’uniformisation. Ce poison contamine-t-il l’habitat dans les mêmes proportions ?

Absolument. Et c’est d’ailleurs à lutter contre cette standardisation, à défendre les trésors de la pluralité – en matière d’architecture mais aussi de modes de vie – que j’emploie mes voyages, mes rencontres, mes travaux. Des pays qui possédaient une architecture vernaculaire traditionnelle extrêmement riche l’ont progressivement perdue au profit d’architectures standardisées. Et que dire du béton, premier matériau de construction au monde, avec une production de 6 milliards de m3 par an ! Observez comment il s’est répandu partout, en Asie mais aussi en Afrique de l’Ouest où le ciment est devenu synonyme de réussite. Heureusement, certains architectes, comme le Burkinabé Diébédo Francis Kéré, premier Africain à recevoir, cette année, le Prix Pritzker, défendent encore la construction en terre crue.

Toutefois, ne nions pas que le béton a été un matériau capital de progrès urbanistique, social, sociétal, en premier lieu dans les pays en voie de développement…

Le béton a été, pendant un temps, un outil d’émancipation : économique à produire, facile à mettre en œuvre, il a permis de promouvoir partout en Europe une architecture de qualité. Ainsi, par exemple, le mouvement Bauhaus mettait en exergue un même design quelles que soient les classes sociales auxquelles il s’adressait. Mais ce caractère démocratique du béton a occulté ses conditions de production. Conditions écologiques d’abord, puisque chaque mètre cube nécessite 350 kg de ciment, 700 kg de sable, 1 200 kg de gravillons et 150 litres d’eau, soit autant de ressources non-renouvelables. Conditions sociales, ensuite, parce que la culture du béton a appauvri les techniques de construction ou d’artisanat, jusqu’à les voir disparaître. Aujourd’hui, qui oserait le nier ? Même si les industriels communiquent abondamment sur l’innovation des « bétons haute performance », nombreux – notamment les jeunes – sont ceux qui cherchent des alternatives.

De jeunes diplômés d’AgroParisTech ont d’ailleurs récemment exhorté leur auditoire à entrer en dissidence avec les pratiques traditionnelles de leur filière. Cet acte de contestation, voire de rébellion, l’observez-vous dans votre environnement ? Y souscrivez-vous ?

Cette colère, je la vois monter également parmi mes étudiants. On leur enseigne que l’architecture a pour vocation de permettre aux personnes d’habiter du mieux possible, or ils constatent que les techniques conventionnelles de construction, toujours fondées sur le béton, l’aluminium, l’acier – soit les matériaux les plus carbonés – sont une arme de destruction massive de la planète. « Quelque chose » dissone en eux : la manière dont ils reçoivent leurs études n’est pas alignée sur les difficultés qu’ils éprouvent à se projeter dans un monde devenu vulnérable et de plus en plus incertain. Le monde de la construction est sorti de ses gonds, et la génération en devenir a le courage de le dire.

La manière dont nous habitons le monde, notre logement, notre conscience – et en filigrane notre intégrité, notre éthique – devraient, idéalement, être homogènes. Du rêve à la réalité, il existe bien souvent un abîme. L’Occident consumériste, capitaliste, aliénateur, extracteur, dévoie-t-il le sens du verbe « habiter » ?

Je le crois profondément. La logique de l’économie linéaire, « extraire – consommer – jeter », traduit une trajectoire délétère pour la planète. Il est urgent de sortir d’un système productiviste qui conçoit le logement comme un produit de consommation rapidement obsolète. Il n’est également plus tolérable que 98 % des matériaux qui constituent nos habitats soient non renouvelables alors que l’on pourrait construire avec des matières premières issues de la biomasse (chanvre, bois, paille, etc.). L’extraction et la consommation de matières premières détruisent massivement nos écosystèmes. Nous feignons de l’ignorer en exploitant des terres et des hommes à l’autre bout de la planète, dans des pays pauvres. Mais nous sommes rattrapés par ces images de sols éventrés, de forêts décimées, de nappes phréatiques empoisonnées. Il est temps de se réveiller.

À n’être que des « consommateurs » de notre logement, nous ne pouvons pas le considérer comme un lieu d’espace vers l’autre, de construction de relations sociales, de relations humaines, d’intégration dans un environnement…

Cette relation fondamentale aux autres doit se retrouver dans l’acte même de construire, dans la relation aux matériaux qui nous permettent d’habiter. Nous ne nous en soucions jamais, comme si nous pouvions prendre et jeter impunément les matériaux. Mais il existe de par le monde de nombreuses sociétés qui interrogent vraiment ce que l’on peut prendre, mais aussi ce que l’on doit rendre à la nature. En Papouasie, j’ai pu rencontrer les Korowai, qui vivent dans une forêt immense. La ressource en bois est pléthorique et pourrait être largement exploitée. Pourtant, ils veillent à ne pas étendre le périmètre de leurs maisons. D’où vient une telle sagesse ? Ils estiment qu’ils n’habitent pas simplement leur maison mais l’ensemble de la forêt, qui constitue un milieu vivant. Attention, cela ne signifie pas qu’ils ne coupent pas d’arbres ; mais plutôt que chaque arbre composant cette forêt est un être vivant auquel ils réservent une attention particulière. Sur la rive péruvienne du lac Titicaca, s’étend une île artificielle faite de joncs. Lesquels se désagrègent très vite et doivent être coupés toutes les deux semaines pour régénérer le socle de l’île. On devine comment cela se traduit en termes de consommation de ressources… De ce jonc, dénommé totora, un Indien uros me confia un jour : « Elle est mon père et ma mère. » Symboliquement, il m’indiquait que nous avons des devoirs envers les plantes comme nous en avons envers nos parents. Nous pouvons utiliser des matériaux qui proviennent de la vie, mais nous devons avoir pour eux respect ou amour, et a minima attention. La conscience écologique, la conscience de partager un espace avec d’autres êtres vivants, devrait être centrale dans notre conception de l’habitat.

En Occident, la notion de propriété en général est centrale, celle du logement en particulier est cardinale. Avec pour conséquence le sentiment d’exercer un droit sur l’espace intérieur et extérieur que l’on habite. Mais « philosophiquement » est-il juste d’être propriétaire de ce bout de planète ? N’est-ce pas l’addition de ces propriétés qui conduit à la dévastation de la planète ?

Le sujet de la propriété devrait être indissociable de celui de la responsabilité. Être propriétaire ne devrait pas autoriser à entreprendre « n’importe quoi », ni « n’importe comment ». Dans son remarquable ouvrage, La propriété de la terre (Wildproject, 2018), la juriste Sarah Vanuxem démontre par le droit que la propriété ne peut être considérée comme le pouvoir souverain d’un individu sur les choses mais qu’il implique des obligations vis-à-vis de la Terre, qui nous est commune. Nous savons pertinemment que nos manières de construire et d’habiter arrivent désormais à une forme d’épuisement, d’impasse. Elles doivent évoluer dans le sens d’une grande responsabilité.

Les expériences de mixité – sociale, ethnique, intergénérationnelle – s’étendent. Avec à la clé des résultats nécessairement contrastés. De quelles « valeurs » un tronc commun doit-il être constitué assurant à ces expériences de s’accomplir et d’essaimer ?

L’espace, habité en commun, doit être produit en commun : voilà la valeur centrale pour sortir d’une culture de l’expertise et du travail en silo. C’est ce que nous avons voulu montrer avec l’équipe de la Ferme du Rail dont ma femme est l’une des architectes. Cette aventure, entreprise dans le cadre de l’appel à projet « Réinventer Paris » lancé par Anne Hidalgo, a pour cadre une minuscule parcelle du 19ᵉ arrondissement. Nous y avons bâti la première ferme urbaine à Paris, riche d’une activité maraîchère et composée d’un bâtiment de logements – qui héberge des personnes en situation de grande précarité – et d’une serre avec un restaurant. Ces personnes sont formées pour collecter des déchets organiques, fabriquer du compost, amender les sols, et cultiver des produits bio. Nous voulons harmoniser et même imbriquer l’écologie environnementale (enjeu climatique, consommation d’énergie, usage des matériaux bio-sourcés, etc.) et l’écologie sociale (insertion, alimentation, santé, formation). Ces deux dimensions de l’écologie sont indissociables l’une de l’autre : accomplir l’une exige d’intégrer l’autre, et leurs bienfaits respectifs se nourrissent mutuellement. Injustices environnementale, sociale, spatiale sont insécables. Y faire riposte répond de la même logique, car c’est la condition pour rassembler les consciences, fédérer les énergies, et déterminer un sens, une utilité concrète à cette dynamique. À cette condition, nous pouvons habiter autrement.

Les nouvelles technologies dissolvent les frontières spatiales et temporelles, plaçant leurs utilisateurs dans une extrême promiscuité. Elles nous font vivre dans l’hyperconnectivité instantanée. Est-ce supportable, lorsque s’y ajoutent l’hyperdensification, l’hyperurbanisation caractéristiques des villes, partout sur la planète ?

 Nous avons des raisons d’avoir peur mais nous avons aussi des raisons et, peut-être, le devoir d’espérer. Il existe une ambivalence intrinsèque des technologies qu’il est possible de retourner à son avantage. Internet est à la fois ce système qui mondialise la communication et qui s’empare de nos données ; les réseaux sociaux démocratisent la parole et propagent en même temps les discours de haine. Tant qu’il est possible de la « hacker » – au sens de requestionner, détourner, se réapproprier à des fins démocratiques -, toute innovation technologique mérite de se développer ; et il vaut mieux « être dans » le système que l’on s’emploie ainsi à corriger, à limiter, à améliorer, plutôt que de s’en éloigner au risque alors de laisser dériver ces technologies vers des pratiques délétères.

La standardisation des modèles (de consommation, d’architecture, de villes) est-elle corrélée aux nouvelles possibilités de mobilité par lesquelles nous défions l’organisation traditionnelle des espaces ?

Il n’est pas rare qu’un touriste qui séjourne à Shanghai ou à Rio de Janeiro aille boire un café dans un Starbucks, se restaurer dans un McDonald’s, et s’habiller chez Zara. Comment expliquer qu’à l’autre bout de « son » monde il éprouve le besoin de retrouver ce qu’il connaît plutôt que de s’aventurer dans l’inconnu ? Probablement parce que c’est facile et rassurant. Quand les lieux ont une identité trop forte, ils exigent du temps et des efforts. Pour nombre de personnes, c’est une entrave à la mobilité. Les lieux doivent donc perdre une partie de leur singularité pour devenir accessibles. C’est le revers de la médaille : l’identité des lieux n’est pas compatible avec l’exigence de mobilité et d’immédiateté universelles.

Mais on peut faire aussi (et heureusement !) le choix de s’exposer volontairement à cette altérité, de se confronter délibérément à cet inconnu, et ainsi de se placer dans le « merveilleux inconfort » où patientent les véritables trésors du voyage…

C’est l’art du voyage, or il disparaît peu à peu. Car la mobilité, le trajet, le transport, ce n’est pas le voyage. Le voyage, c’est l’idée que toutes les étapes du parcours ont une valeur, c’est la conviction que seule l’expérience de la traversée doit compter. L’exposition aux véritables découvertes, aux déplacements en soi, aux imprévus, aux temps longs, peu de personnes y sont enclines. La logique dominante est de « rationaliser au maximum » son séjour et d’emmagasiner le plus et le plus vite possible.

Lors de vos voyages, parfois dans des zones très inhospitalières, vous avez observé la manière dont l’homme habite l’espace, c’est-à-dire l’occupe, le domine ou s’y soumet, respecte (ou non) son environnement, s’associe (ou non) aux autres membres de son espèce, etc. Avons-nous à « apprendre, philosophiquement, » de la façon dont les animaux composent leur habitat ? Est-il encore possible de dépasser notre anthropocentrisme ?

Question fondamentale. Nos sociétés occidentales considèrent qu’habiter est le propre de l’humain, que seul l’homme habite. Notre anthropocentrisme établit des lignes de partage entre nature et culture, comme s’il était possible de les dissocier ! Cette vanité aveugle nous empêche d’observer la manière, si riche d’enseignements, dont les espèces animales composent leur habitat. Elles aussi habitent, et c’est l’intrication des façons d’habiter de et entre toutes les espèces vivantes qui permet de fabriquer le monde. Pourquoi continue-t-on de ne pas toutes les estimer comme des cohabitants ? L’enjeu capital est de partager l’espace avec eux alors que l’espèce humaine demeure obsédée par sa seule relation à l’espace. Dès lors, pourquoi faudrait-il concevoir l’architecture seulement pour l’espèce humaine ? Pourquoi ne devrait-elle pas être pensée pour rendre la vie possible pour l’ensemble des êtres vivants ?

L’habitat est porteur d’enjeux économiques majeurs : choix des matériaux, types de construction, ingénierie, gestion des risques. Vous l’affirmez : la construction du neuf doit devenir l’exception et non la règle. Nous devons apprendre à faire avec ce qui reste, à réparer et à valoriser l’existant. Si l’on admet que la pertinence d’une pensée se mesure aussi à sa faisabilité et aux conditions de sa mise en œuvre, le philosophe (que vous êtes) a-t-il questionné l’économiste (que vous n’êtes pas) pour estimer les répercussions économiques, financières, sociales d’un tel aggiornamento ?

Le livre que Clara et moi avons écrit sur l’aventure de la Ferme du Rail aborde concrètement ce sujet. Certes, à une petite échelle, mais elle a une valeur. L’architecture écologique se heurte à des obstacles, aussi bien idéologiques, normatifs, assurantiels, etc., et – comme un sempiternel leitmotiv – économiques. Nous démontrons qu’une fois les externalités de production et de consommation réintégrées, le coût final des matériaux traditionnels est sensiblement plus élevé que celui des solutions alternatives que nous proposons. L’extraction des minerais à l’autre bout du globe est-elle d’un coût neutre ? Une fois estimées les nombreuses externalités négatives, la tonne de ciment est-elle toujours aussi abordable ? Et le coût social du travail non déclaré ou des accidents est-il négligeable ? Travailler en réemploi des matériaux déjà produits permet de ne consommer aucune nouvelle ressource, produire des matériaux bio ou géo-sourcés grâce à l’économie circulaire est très économe, créer des réseaux de solidarité entre territoires urbains et agricoles profite équitablement, dégager des économies « matérielles » encourage une meilleure rémunération des ouvriers et l’ouverture de chantiers d’insertion, etc. C’est, au final, redonner un véritable sens, une exigence éthique au projet de construction. Cette réalité, malheureusement, est encore très difficile à promouvoir dans ce secteur de l’architecture fondé sur l’utilisation des ressources nouvelles – elle serait la « garantie » que chaque partie prenante de l’écosystème « profite » financièrement du cycle.

Quel serait votre habitat idéal ?

Lors de mes reportages aux quatre coins du globe, je me suis parfois hasardé à poser cette question à mes interlocuteurs. La réponse était immuable : « Nulle part ailleurs qu’ici, chez moi. » Mon propre « habitat idéal » est, lui aussi, « chez moi », dans ce quartier cosmopolite et bigarré du 19e arrondissement de Paris auquel je suis très attaché. Ce que ce quartier m’a donné, j’éprouve le devoir de le lui rendre, à partir des merveilleuses ressources matérielles, humaines, sociales, associatives que nous contribuons à cultiver – grâce notamment à la Ferme du rail. Ici sont mes racines, je veux être loyal à ce territoire, je veux agir en responsabilité à son égard, selon le délicieux principe de réciprocité. Faire avec les autres rend chacun d’entre nous davantage présent au monde, individuellement mais aussi ensemble. Et c’est une immense source de satisfaction.

Sécheresse : Une autre gestion de l’eau potable

Sécheresse : Une autre gestion de l’eau potable

 

Dans une tribune au « Monde », l’économiste Alexandre Mayol et le professeur en sciences de gestion Simon Porcher mettent en exergue deux enjeux économiques majeurs face à la sécheresse qui sévit : la construction du prix de l’eau en France et la mesure de sa consommation réelle par les ménages.

 

Une tribune intéressante mais qui ne pose pas avec suffisamment de clarté la perspective de séparation de l’eau potable destinée aux besoins alimentaires et celle de l’eau destinée à d’autres usages. NDLR 

 

Alors que la France fait face à l’une des plus grandes sécheresses de son histoire moderne, les propositions de mesures pour limiter la consommation d’eau se multiplient. Eric Piolle, maire de Grenoble, a suggéré de mettre en place une tarification progressive, avec un prix de l’eau qui augmenterait en fonction de la consommation. Plus récemment, Julien Bayou, député de Paris, a proposé d’interdire les piscines privées en cas de sécheresses répétées.

La gestion de l’eau est un sujet de débat récurrent. En 2021, une commission d’enquête parlementaire, créée par le groupe La France insoumise, a formulé 76 propositions pour améliorer la gestion de l’eau en France. Dans un contexte d’urgence environnementale, il faut activer des leviers efficaces pour agir à la fois sur l’offre et la demande d’eau potable.

Selon l’Observatoire national des services publics de l’eau et de l’assainissement, 20 % de l’eau produite sont perdus chaque année, en raison de fuites sur les réseaux de distribution. Cela représente 1 milliard de mètres cubes d’eau, soit la consommation annuelle de 18 millions d’habitants. Le réseau d’eau potable a été développé au cours de la première moitié du XXe siècle. Depuis, certains réseaux ont été largement renouvelés tandis que d’autres sont devenus vétustes, particulièrement dans les zones rurales. Il apparaît urgent, non seulement de réduire les fuites, mais d’investir également pour intégrer les nouvelles technologies de recherche de fuites sur l’ensemble des réseaux. . Quelques leviers devraient être activés rapidement pour améliorer la qualité du réseau : obligations réglementaires d’un taux de fuite minimal à atteindre au terme d’un délai fixé par la loi ; assortir le non-respect de ces délais de sanctions dissuasives pour inciter à ces investissements.

L’innovation est un enjeu essentiel de l’amélioration de l’offre. Les deux plus grandes entreprises mondiales de gestion de l’eau sont françaises [Veolia et Suez] et ont autour d’elles un écosystème d’hydroentrepreneurs. Face à la raréfaction de la ressource en eau, il faut investir dans les technologies de dessalement de l’eau, dans la géo-infiltration, qui consiste à réinjecter de l’eau d’une nappe à l’autre, ou encore dans l’économie circulaire de l’eau. La valorisation des eaux usées, pour un usage agricole par exemple, est un bon moyen de diminuer les tensions sur les milieux naturels. Les solutions développées spécifiquement pour certains territoires en France et l’expérience des pays touchés par un manque d’eau, comme Singapour, doivent être sources d’inspiration.

Pour une autre gestion des crises

Pour une autre gestion des crises

Il est urgent que les États anticipent et réorganisent la gestion des crises. Des crises qui vont se multiplier dans un proche avenir en raison de la montée des tensions internationales, provoquées en grande partie par le réchauffement climatique. Si les armées seront incontournables pour résoudre ces crises, elles devront être aidées par des forces civiles pour porter assistance aux populations et à l’environnement. Par le général (2S) Charles Beaudouin.( la Tribune)

« La pénurie d’eau vécue par deux milliards d’êtres humains vivant dans des pays déjà en déficit hydrique est de nature à générer instabilité politique, famine, problème sanitaires (choléra) et migrations induites » (général 2S Charles Beaudouin) (Crédits : DR)

Depuis quelques années, et particulièrement depuis deux ans avec l’accélération de l’Histoire (pandémie mondiale ; retour des tensions, des conflits interétatiques et de la remise en cause induite de la mondialisation ; de la prégnance des signes tangibles du réchauffement climatique, sans occulter également les crises préexistantes comme le terrorisme, la violence au sein des sociétés…), c’est toute la logique de la gestion des crises qui doit être repensée, si ce n’est réinventée.

 

La gestion des crises procède avant tout d’une économie. Avoir ou ne pas avoir les moyens de l’ambition : cela dépend des budgets nationaux, et particulièrement ceux des ministères concernés par les crises. Force est de constater que pour nombre d’États, s’agissant de la gestion des crises au sens large, l’effort réalisé au profit de la défense n’est pas forcément consenti de façon proportionnée pour d’autres ministères, en particulier pour les ministères de l’Intérieur et de la Santé.

C’est une faiblesse. Disposer de piliers capacitaires forts, dans une cohérence d’ensemble pilotée, est essentiel pour la simple raison que les crises revêtent un caractère multiforme encore peu ou mal pris en compte. Il va de l’efficacité des gouvernants de pouvoir traiter les effets de causes multiples simultanées. Il y va même de leur crédibilité tant l’information relative à la conduite des crises est observée, critiquée et relayée de manière exacerbée par les réseaux sociaux.

Aussi les logiques d’ambition stratégique, de livre blanc, de programmation militaire (loi pluriannuelle votée par le parlement), qui font enfin école au sein du ministère de l’Intérieur, doivent être appliquées à d’autres ministères appelés à déployer des moyens, tant les capacités, quelles qu’elles soient, reposent sur une action de longue haleine pour le moins quinquennale. Aucune vision ne vaut sans une déclinaison concrète assumée, planifiée, programmée. La volonté est une chose mais l’argent reste « le nerf de la guerre ».

Dans un ordre mondial renouvelé, caractérisé par le réchauffement climatique et les atteintes à l’environnement, par une désinhibition des dirigeants en matières de conflits, par une violence grandissante au sein des sociétés y compris occidentales, les éléments sont réunis pour une multiplication des contentieux graves intra et interétatiques. Ces contentieux sont des conséquences et non des causes, même s’ils induisent eux-mêmes d’autres effets.

Ces causes sont d’abord et avant tout, au-delà des gesticulations, des sujets très concrets, notamment de géopolitique et de « géoéconomie » (accès à la mer, ressources…). Si ce constat n’est pas nouveau, il est permis de penser que ces sujets prennent une acuité toute nouvelle, propre à ce siècle, par la double conjonction des effets d’une mondialisation à outrance (ayant généré de très fortes dépendances pour les matières premières et composants numériques), aujourd’hui mise à mal, des épuisements prévisibles de certaines ressources et du déséquilibre flagrant de répartition de nouvelles ressources et enfin du réchauffement climatique. D’autant que le réchauffement climatique va générer de façon inexorable une augmentation drastique d’ici à 2050 des catastrophes humanitaires et environnementales provoquant des flux migratoires induits. Sans oublier enfin la révolution numérique qui est particulièrement fragile, énergivore et écocide, et elle-même en grande dépendance. Pour autant, elle structure économies, vies privées et systèmes de sécurité et de défense.

Si on ne s’en tient qu’à l’eau, la pénurie vécue par deux milliards d’êtres humains vivant dans des pays déjà en déficit hydrique est de nature à générer instabilité politique, famine, problèmes sanitaires (choléra) et migrations induites. Autant de sujets qui seront causes de déstabilisation générale, pour le traitement desquels les outils de défense ne sont pas dimensionnés.

Lors d’un conflit armé, il conviendra dans la recherche de l’effet politique final recherché, de planifier à froid, préalablement, de manière ambitieuses, l’assistance aux populations (dans toutes ses dimensions) et la restauration de l’environnement, tant la guerre est écocide (surtout si dans la défaite l’un des belligérants pratique une politique de la « terre brûlée »). Il est tentant d’adapter l’outil militaire pour étendre ses capacités à ces domaines (concept de « green defence »). Ce serait une solution par trop limitative au regard de l’enjeu tout en étant consommatrice en budgets, moyens humains et matériels, au détriment du spectre de capacités des armées, déjà mis à mal par des trous capacitaires à résorber et une masse de combattants trop réduite. C’est une solution prêtant à confusion des genres.

Un tel défi réclame une autre ambition, qui pour une très grande part, ne relève pas de la sphère proprement militaire. Il y a là une force à inventer. En quelque sorte, une forme de réserve d’intervention civile constituée de praticiens dans les nombreux métiers de la « réparation » humaine et environnementale. Une force organisée, entraînée, ad hoc en fonction de la typologie des menaces et des destructions sur les populations et l’environnement, projetable immédiatement après l’action des forces armées. Peut-être même durant le conflit sur ses arrières parfois, avant même la phase de normalisation. Ce qui n’empêche nullement les armées d’intégrer d’abord dans leur réflexion et leur doctrine d’action, le réchauffement et les effets de la démondialisation, et ensuite de prévoir la gestion de ces capacités nouvelles au sein du commandement de théâtre et de savoir les interfacer avec les forces (assurer leur propre manœuvre dans le dispositif, leur protection…).

Forts de cette conscience que les catastrophes naturelles et industrielles, la dérégulation et les conflits nécessitent un accompagnement mieux pensé et bien plus conséquent sur le plan humanitaire et environnemental, le COGES et le GICAT ont inventé le concept HELPED (Humanitary Emergency Logistic and Eco Développement). Un concept qu’ils ont présenté en avant-première lors du salon Eurosatory 2022 un démonstrateur, qui propose une large combinaison de capacités à appliquer lors de catastrophes, aux populations et à l’environnement. Les moyens existent, ils justifient donc une ambition nouvelle.

La prise en compte du réchauffement climatique, des tensions tant au sein des sociétés que dans les échanges mondialisés et de leurs conséquences géopolitiques et géoéconomiques, imprime la nécessité de se doter de moyens d’une anticipation et d’une résolution politique durable des conflits à venir allant au-delà des sphères militaires et sécuritaires traditionnelles. Ce défi, propre à notre siècle, nécessite d’aligner des moyens bien plus larges que les seuls moyens coercitifs. C’est un devoir des gouvernements. C’est aussi une grande cause au profit des populations et de l’environnement, cause nationale et, plus encore, supranationale (européenne notamment), enthousiasmante et positive. Ces outils auront l’avantage d’être d’un usage fréquent, tant les catastrophes humanitaires d’origine naturelle, industrielle ou climatiques se multiplient et dont la fréquence va aller en s’accélérant.

Pour ce faire, dans une approche globale des crises et conflits à venir, il convient, tout en suscitant le développement d’un partenariat fort public-privé, que les ministères concernés fassent l’objet de nouvelles priorités, concertées, pilotées pour établir dans un grand plan le spectre des capacités de résilience et assurer leur montée en puissance. Le temps est déjà compté.

Par le général (2S) Charles Beaudouin

Crise alimentaire : une autre agriculture ?

Crise alimentaire : une autre agriculture ?

+10% pour les pâtes, +16% pour le poisson frais, +24% pour les tomates… Ces 12 derniers mois, un certain nombre de produits de première nécessité ont connu une hausse de prix importante, nous faisant basculer dans un cycle inflationniste, bien douloureux pour les Français. Mais au cœur de la tempête, l’AgTech française doit tenir le cap et peut même sortir son épingle du jeu. Le développement croissant des circuits courts, la multiplication des débouchés bio et locavores et l’audace de nos innovations doivent servir d’exemple pour le reste du monde. Par Gilles Dreyfus, Co-fondateur et Président de Jungle. (La Tribune)

 

Nous l’avons vu au cours des dernières semaines, le problème ne se situe pas seulement à la pompe mais s’étend également à nos supermarchés, à notre vie quotidienne et même à notre assiette. Les 25 à 50 millions de tonnes de céréales actuellement immobilisées en Ukraine – le « grenier à blé » du monde » – laissent craindre « un ouragan de famines », tandis que la moutarde, l’huile de tournesol ou encore le lait sont menacés de pénurie à long terme. Une autonomie fragilisée dans un pays comme la France qui importe plus de 20% de ses ressources alimentaires dont 40% de ses protéines végétales. La guerre en Ukraine, sans être la cause principale de ce phénomène, apparaît comme le révélateur d’une situation qui ne cesse de se détériorer dans l’indifférence ou l’ignorance générale.

C’est un fait, la population mondiale ne cesse d’augmenter et le nombre d’habitants sur la planète devrait approcher les 10 milliards d’ici 2050, alors même que nous avons d’immenses difficultés à nourrir correctement la population actuelle. En France, c’est près de 3% de la population qui était considérée comme sous-alimentée en 2019. Tandis que dans le même temps, le dernier rapport du GIEC indique dans un scénario optimiste, que 8 % des terres actuellement cultivables pourraient devenir impropres à l’agriculture.

Nous faisons donc face à une équation des plus complexes pour les années à venir.  Comment concilier un modèle agricole à la fois durable et productiviste, capable de nourrir un nombre croissant d’êtres humains, alors même que les incertitudes climatiques et géopolitiques sont amenées à se multiplier ?

La France des prochaines années ne sera forte et indépendante que si elle dispose d’une agriculture durable, productive, compétitive et autonome, capable de résister aux chocs, peu importe leurs natures – intempéries, crises politiques, épuisement de nos ressources naturelles… La prise de conscience est là et les milliers d’agriculteurs français et d’entrepreneurs innovants dans l’agriculture préparent l’avenir. Nous devons redoubler d’efforts pour contribuer davantage à la modernisation, à l’innovation et au renforcement de notre compétitivité agricole. En France, le potentiel de développement est immense. Le coq n’a pas fini de chanter, nous sommes le pays qui compte le plus de terres agricoles disponibles en Europe, une chance pour notre souveraineté alimentaire.

Mais nous ne partons pas de rien car au cours des dernières années, la France a fait énormément pour développer son potentiel et encourager l’essor de l’agriculture biologique et des filières locales.  Face à l’urgence, nous devons aller encore plus vite, encore plus loin et encore plus fort. Notre pays doit accompagner davantage les éleveurs et petits producteurs qui s’engagent dans les circuits courts pour fournir une alimentation de qualité, en proximité. C’est l’avenir.

Il est vrai que la tâche qui nous incombe est immense, mais elle n’en reste pas moins exaltante. Construire un système mondial résilient, adapté au changement climatique à même de limiter les tensions à venir en termes d’approvisionnement alimentaire ne sera pas une chose facile, mais cet objectif est à notre portée. Cette ambition nécessite une prise à bras le corps des enjeux agricoles et un courage politique certain. La France devra redoubler d’efforts pour montrer une nouvelle voie. Chiche ?

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