Pour une autre régulation du secteur aérien européen
Les politiques européennes et allemandes favorisent les réglementations pénalisantes. Le secteur aérien européen perd en compétitivité internationale, aggravé par des tensions géopolitiques. Par Dr Karl-Ludwig Kley, Président du conseil de surveillance Lufthansa et Christine Behle, Vice-président du syndicat ver.di. ( dans la Tribune)
En Europe, ainsi qu’en Allemagne, le transport aérien subit une pression considérable. Depuis de nombreuses années, nos pôles européens sont en train de perdre leur capacité concurrentielle sur le plan international. Cette situation est aggravée par des développements géopolitiques.
Nous travaillons sans relâche pour rattraper ces désavantages concurrentiels dans la mesure de nos possibilités : en modernisant notre flotte d’avions, en rendant nos services de voyage plus numériques et en promouvant le développement durable dans toutes ses dimensions.
Mais tout n’est pas de la responsabilité des entreprises. La politique doit établir des conditions-cadres qui permettent une économie durable et, par conséquent, qui garantissent des emplois à long terme. La politique européenne et allemande répond de moins en moins à ces exigences. Au contraire : la politique mise trop sur des réglementations qui ne tiennent pas compte des intérêts de l’économie européenne. Mario Draghi a fortement souligné ceci dans son rapport sur l’avenir de la compétitivité de l’UE.
Au cours des dernières années, de nombreuses réglementations qui désavantagent fortement et unilatéralement les compagnies aériennes européennes et les hubs de l’UE dans la concurrence internationale ont été mises en place. Concrètement, les dossiers de politique climatique, économique et du commerce extérieur de l’UE affaiblissent les entreprises européennes. Les bénéficiaires de ce déséquilibre sont les compagnies aériennes du Moyen-Orient, de Turquie et de Chine, qui ne répondent pas aux normes de l’UE en matière de politique sociale, sociétale et environnementale et qui reçoivent un soutien par des investissements massifs dans leurs infrastructures.
Nous appelons la Commission européenne ainsi que le prochain gouvernement fédéral allemand à corriger ces erreurs.
Les lois et projets de loi du pacte vert pour l’Europe (« Green Deal ») touchent unilatéralement les compagnies aériennes de l’UE à des réseaux internationaux. Ces lois sont souvent inefficaces en matière de leur effet climatique, car elles entraînent des délocalisations d’émissions de gaz à effet de serre. Elles mettent en péril les emplois et affaiblissent la connectivité de l’Europe et par conséquent l’autonomie stratégique du continent. C’est notamment le cas pour les quotas de carburants durables et le système d’échange de quotas d’émission de l’UE.
Il est évident que le « Green Deal » ne va pas pouvoir devenir un modèle pour le reste du monde. Il ne sert pas suffisamment les intérêts économiques de l’UE. C’est pourquoi l’objectif politique devrait être de réviser le dossier pour aboutir à une neutralité concurrentielle. Les réglementations qui ne touchent essentiellement que les entreprises de l’UE doivent être rapidement révisées ou au moins suspendues.
De nombreuses et importantes perturbations de la concurrence pèsent sur les compagnies aériennes de l’UE, notamment en ce qui concerne l’accord aérien de l’UE avec le Qatar. La disparité radicale des conditions de la concurrence et l’écart socio-politique viennent s’ajouter aux soupçons de corruption.
Il est temps que la Commission européenne suspende l’accord aérien avec le Qatar. Il est incompréhensible que cette réaction n’ait pas encore eu lieu et que les parquets européens n’aient pas été saisis. Les accusations de corruption sont graves, connues depuis des mois et n’ont pas été réfutées. Elles ne peuvent plus être ignorées.
Nous adhérons aux objectifs politiques de l’UE et sommes solidaires de la position européenne contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Néanmoins, l’UE doit également prendre en compte les conséquences des sanctions sur les entreprises et trouver des réponses. La guerre d’agression menée par la Russie a eu pour conséquence pour les compagnies aériennes de l’UE qu’elles ne peuvent plus utiliser l’espace aérien russe depuis près de trois ans. Cela concerne surtout les vols long-courriers vers la Chine, le Japon et la Corée du Sud. En revanche, les compagnies aériennes chinoises, par exemple, survolent la Russie à haute fréquence et développent ainsi unilatéralement leurs liaisons avec l’Europe. En outre, les compagnies aériennes turques ont considérablement augmenté leurs capacités vers la Russie depuis le début de la guerre, tout en continuant à desservir l’UE. En conséquence, de nouvelles distorsions de concurrence substantielles se produisent au détriment de l’industrie aérienne domestique.
Jusqu’à présent, aucune réaction de politique économique n’a été apportée à ces pertes de parts de marché dues à la guerre. Nous demandons à la Commission européenne et aux États membres d’établir un « level playing field » à travers des mesures financières ou de droit de trafic.
Les charges réglementaires et bureaucratiques, notamment dans le domaine des critères ESG, sont démesurées et surchargent les entreprises. La législation a été mise en place sans tenir compte des conséquences et des coûts administratifs. La bureaucratie ne cesse ainsi d’augmenter. Cela vaut en particulier pour les mesures du Green Deal (par exemple la CSRD, la directive européenne sur les Green Claims et les mesures « anti-tankering »).
Nous demandons à la Commission européenne de revoir les lois, de réduire considérablement les charges administratives dans les entreprises au lieu d’aggraver encore la situation, et de renoncer à de nouvelles initiatives.