Macron « Brainwash » : L’outrance d’un président impuissant
Avant le sommet sur les océans à Nice, Emmanuel Macron a dénoncé ce 7 juin ses adversaires qui «“lavent le cerveau” sur l’invasion du pays et les derniers faits divers» sans parler du climat. La journaliste Céline Pina voit dans cette outrance le signe d’un président impuissant. ( dans le Figaro)
Céline Pina est journaliste à Causeur, essayiste et militante. Fondatrice de Viv(r)e la République, elle a notamment publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021).
Dans un entretien au Parisien ce 7 juin, Emmanuel Macron a regretté que, face à l’urgence climatique, certains de ses opposants «préfèrent brainwasher (laver le cerveau) sur l’invasion du pays et les derniers faits divers». Les deux enjeux sont-ils à mettre en perspective de cette façon ?
Céline PINA. – Les thèmes de l’insécurité et de l’immigration seront au centre de la campagne de 2027. Un président sans majorité et soutenu par un pan restreint de la population ne devrait pas ignorer les deux préoccupations principales des Français. D’autant que ce comportement explique le succès de la droite et de l’extrême droite. Puisque le président ne peut pas se représenter et que son impuissance parlementaire l’empêche de peser dans le jeu politique, la campagne va démarrer tôt. Elle a même déjà commencé avec l’émergence de Bruno Retailleau comme présidentiable, Gérald Darmanin qui se lance dans la course à l’échalote, Édouard Philippe et Gabriel Attal qui durcissent leur discours… Et face à cela un président qui trépigne, n’est plus écouté, comme si au fond tout le monde était passé à autre chose.
Cette sortie violente et non maîtrisée donne l’impression d’un président qui a du mal à gérer sa frustration car non seulement l’action lui échappe mais qu’il ne pèse pas non plus sur les thématiques structurant le jeu politique. Il n’a pas de poids moral, ce qui renvoie encore à une forme d’insignifiance. Il y perd son sens de la communication et montre son isolement. Sa sortie a choqué ? Il s’obstine et envoie Élisabeth Borne marteler le message dans un entretien au Parisien. Un message aussi creux que dilatoire arguant que l’on ne peut légiférer à chaud face à l’insécurité, quand ce qui rend fou les gens est l’inaction politique devant des problèmes récurrents. L’assassinat d’une surveillante dans un collège par un élève, après ce week-end de Pentecôte où la communication se concentrait sur l’indécence de mettre en avant l’insécurité comme question politique, a signé de manière tragique le décalage total entre le président, sa ministre de l’Éducation et le réel. Avec sa provocation qui blesse les Français, cible une partie de son gouvernement et signe son impuissance et son manque de contrôle, le président a donc ouvert un front sans avoir d’armée dans un contexte qui lui est hostile. Cette sortie est contre-productive.
Vous estimez que la déclaration s’est avérée contre-productive, mais à qui semblait-elle s’adresser à l’origine ?
Elle visait des membres de son gouvernement, en premier lieu Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, deux candidats potentiels à la prochaine présidentielle. L’émergence de Retailleau s’est justement faite sur les thèmes que combat le président. Il cible par ailleurs les médias de la sphère Bolloré qui exciteraient ces bas instincts. Il ne fait aucun lien avec le fait que, si ces médias progressent dans un contexte de crise de l’information et d’attaques en infamie politique, c’est peut-être qu’ils correspondent à des attentes citoyennes qui n’ont rien d’excessives ou d’étonnantes : la sécurité au quotidien, le contrôle de l’immigration… Ces tabous qui ont sauté et que nombre de politiques voudraient rétablir car ils n’ont pas le courage d’agir ou manquent d’idées pour s’y atteler. Le problème, c’est que cela se voit. Le roi est nu même s’il essaie de se draper dans un personnage. En tout cas, en grande conscience morale dénonciatrice de l’emprise perverse de la droite, il ne convainc pas.
A-t-il également entendu profiter de l’exposition internationale conférée par la conférence de l’ONU à Nice pour rappeler au monde son engagement sur les questions climatiques et son combat contre le rejet de l’immigration ?
Si on veut parler d’exposition à l’International, un autre évènement a été bien plus marquant : les émeutes à la suite de la victoire du PSG. Personne n’a raté les scènes de combat urbain ni le nihilisme et la radicalité des jeunes déchaînés. Encore moins le fait que la police paraisse dépassée malgré une mobilisation sans précédent. Cela a pu être vu à l’étranger comme le signe d’un président dans l’incapacité d’assurer la sécurité dans son propre pays. Dans ce cas-là, on reçoit avec un sourire poli les leçons de morale et les bilans artificiellement gonflés.
Les Français ont fait leur deuil de Macron au-delà même du fait qu’il ne peut pas se représenter. Il ne représente rien à leurs yeux : ni direction, ni chemin ni garanties
Céline Pina
Pourtant, il pourrait revendiquer une logique écologique, en mettant en avant un investissement massif dans le nucléaire comme corollaire à notre modèle de développement. Mais Emmanuel Macron choisit de se comporter comme un militant contrarié de Greenpeace, qui invoque l’apocalypse déjà là et hurle à la trahison des États, parce qu’il n’a pas grand-chose de tangible à fournir sur l’écologie. Pire même, les rares mesures proposées, comme les zones à faible à émission, ont été interprétées comme le symbole d’une élite méprisante et l’écologie est vue aujourd’hui comme punitive par une partie de la population. Les opposants aux ZFE sont ainsi allés jusqu’à revendiquer le terme de «gueux», estimant que c’est ainsi que le président les considérait, qu’il les traitait. In fine ce sont les échos des gilets jaunes que l’on a entendus dans le succès de ce terme.
Cette phrase s’inscrirait donc à la suite des petites déclarations jugées méprisantes régulièrement prononcées par Emmanuel Macron depuis 2017 ?
Oui, mais à la différence que la messe est désormais dite. Les Français attendent l’élection présidentielle de 2027. Ils espèrent ce rendez-vous entre un homme, un peuple et un projet d’action et d’avenir. Ils ont fait leur deuil de Macron au-delà même du fait qu’il ne peut pas se représenter. Il ne représente rien à leurs yeux : ni direction, ni chemin ni garanties. Il peut même apparaître, à l’occasion de ses récentes sorties, comme un facteur qui empêche que des décisions fortes soient prises malgré l’augmentation des problèmes. Pour ce qui est de la majorité des Français, ils ont tourné la page et Emmanuel Macron n’a aucune place dans leurs projections imaginaires.
L’importation dans le débat politique de drames liés à l’insécurité ou l’immigration relève-t-elle généralement des «petites polémiques» dénoncées par le président ou repose-t-elle sur une véritable substance ?
Le fond est indéniable, appuyé par des chiffres : si on se penche sur la question de l’immigration, le nombre d’entrées sur le territoire est élevé et les écarts culturels se creusent entre les communautés. Les violences interreligieuses ou les tensions liées au séparatisme sont documentées et s’expliquent par les difficultés d’intégration. En matière de sécurité, les faits divers atroces se multiplient, certes, mais on voit surtout monter une haine politique et raciale archaïque, sans compter les attentats islamistes et l’œuvre séparatiste qui se poursuivent en Europe. Le sentiment d’insécurité n’est pas une surreprésentation d’inquiétudes exploitée par de méchants médias en manque de sensation. Il y a bien une réalité d’augmentation de l’insécurité, d’explosion des violences politiques, de déchaînements antisémites et les signaux ne sont pas faibles. Nier ces chiffres et, plus encore, le fait qu’ils préoccupent l’électorat à juste titre, est plus qu’une erreur politique. À ce stade, il devient de plus en plus dur d’habiller l’irresponsabilité des habits du déni.