Cacao : L’exploitation éhontée des grandes multinationales sur les petits producteurs
La professeure de management Jovana Stanisljevic explique, dans une tribune au « Monde », pourquoi la politique conduite par l’Union européenne ne tient pas compte de la situation des revenus des agriculteurs dans les pays producteurs de cacao et menace ainsi le travail des producteurs plus faibles, qui sont aussi les plus essentiels.
Notons en effet par exemple que le kilo de cacao sur champ est payé un peu plus de 2 euros et que le kilo de chocolat transformé est revendu dans les commerces autour de 150 à 300 € le kilo!
Tribune. L
e chocolat est la confiserie la plus prisée au monde, dégustée avec gourmandise par des milliards de personnes. A l’heure où les consommateurs attachent de plus en plus d’importance aux questions liées à l’environnement, la problématique de la durabilité du chocolat se retrouve au centre des débats. Au cœur du problème réside la pauvreté endémique dans laquelle se trouvent de nombreux producteurs de cacao.
Le 23 février, l’Union européenne (UE) a adopté la proposition de directive sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de développement durable, qui vise à engager une plus grande responsabilité des entreprises dans le respect des droits de l’homme et les impacts environnementaux tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Elle prévoit également d’interdire l’importation dans l’UE de produits associés à la déforestation, obligeant les entreprises à apporter la preuve que leur production ne contribue pas à la dégradation de l’environnement.
Le cacao, principal ingrédient du chocolat, est directement concerné. La directive proposée constitue en soi une avancée majeure, mais si elle s’adresse aux multinationales pour les responsabiliser, elle semble, pour le moment, manquer sa cible, car les multinationales se taillent toujours la part du lion. En l’état, le texte n’aborde pas la question cruciale des revenus des agriculteurs dans les pays producteurs de cacao, négligeant ainsi les acteurs ayant les plus faibles revenus et pourtant indispensables à la production de cette douceur mondialement consommée.
La chaîne d’approvisionnement mondiale du cacao se caractérise par une répartition profondément inégale des revenus entre ses différents acteurs. D’un côté, une industrie du chocolat dominée par un petit groupe de multinationales en plein essor avec un marché estimé à 138 milliards de dollars (124 milliards d’euros) en 2022. De l’autre, des millions d’agriculteurs issus des pays producteurs de cacao en Afrique, Amérique centrale et du Sud ainsi qu’en Asie.
Près de 95 % du cacao mondial sont cultivés dans de petites exploitations en autosubsistance, s’étendant sur 1 à 3 hectares. La production de cacao en Afrique de l’Ouest représente actuellement 74 % de la production mondiale. Plus spécifiquement, les deux premiers producteurs mondiaux sont la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Cependant, alors que la filière du cacao est dépendante de la production de l’Afrique de l’Ouest, l’écart dans la répartition de la valeur semble plus large que jamais, car les agriculteurs locaux disposent des revenus les plus bas du secteur.