«Les peuples n’écoutent plus les sermons du clergé médiatique» (Elisabeth Lévy )
Elisabeth Lévy dans le FigaroVox. Revient sur le traitement médiatique de la campagne de Donald Trump et des primaires.
Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique de l’élection américaine. La victoire de Donald Trump est-elle aussi la défaite des médias?
La défaite des médias ne tient pas au fait qu’ils n’avaient pas prévu l’élection de Donald Trump: ils le pouvaient d’autant moins la prévoir qu’il a obtenu moins de voix que son adversaire. La défaite des médias tient au fait qu’on ne les écoute plus. Voilà des années que, collectivement et systémiquement, ils agissent comme le Quartier général de la pensée dominante et qu’ils tentent, bien au-delà de France Inter, de rééduquer des masses de plus en plus rétives à leurs sermons. Ici, leurs trépignements, criailleries et grandes déclarations ont rythmé l’ascension du Front national de 5 à 25 % des voix. En Grande Bretagne, ils ont récolté le Brexit et aux Etats-Unis, Trump à la Maison Blanche. En 2002, Philippe Muray expliquait que Le Pen était le gourdin qu’avaient trouvé les gens pour dire merde aux gouvernants. Eh bien on dirait qu’ils sont prêts à saisir n’importe quel gourdin. Et si les médias sont devenus pour beaucoup l’incarnation la plus honnie de ces gouvernants, c’est parce qu’ils prétendent dire ce qu’il faut penser. Ainsi somment-ils les bons peuples d’applaudir à leur propre disparition tout en leur expliquant qu’ils ne voient pas ce qu’ils voient et ne vivent pas ce qu’ils vivent. Je n’ai aucune certitude mais mon intuition est que, dans les reproches faits aux journalistes, leur incessant prêchi-prêcha en faveur du multiculturalisme et leur encouragement à toutes les revendications identitaires minoritaires figurent en tête.
L’absence de pluralisme mine-t-elle les médias français?
En tout cas, depuis l’élection américaine, tout le monde se pose des questions, tant mieux. Et l’autre jour, à France Inter, il y a eu un «Téléphone sonne» sur l’entre-soi journalistique. Bon, on parlait de l’entre-soi entre soi, mais il faut saluer l’effort. Alors oui, l’absence de pluralisme plombe le débat public. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est le pluralisme: ce n’est pas une arithmétique c’est un état d’esprit, une capacité à se disputer avec soi-même et à faire entrer les arguments de l’autre dans la discussion. Or, plus on est majoritaire, plus cette capacité a tendance à s’éroder. Pour le coup, le refus du pluralisme est loin d’être l’apanage de la gauche. Nous avons tous tendance à rechercher le confort et la réassurance de l’entre-soi. Cependant, attention, une rédaction, ce n’est pas le Parlement. Il n’est pas nécessaire d’être trumpiste ou lepéniste pour parler intelligemment des électeurs de Trump ou de Marine Le Pen, il suffit de descendre du petit piédestal intérieur sur lequel on est assuré de sa propre supériorité morale.
Brice Couturier évoque «un Parti des Médias». Partagez-vous son point de vue?
Que Brice Couturier, dont je recommande la lecture de l’excellent entretien paru dans vos colonnes, me pardonne. Je crois bien que la paternité de l’idée du Parti des Médias revient à feu mon ami Philippe Cohen, avec qui je l’ai développée dans Notre métier a mal tourné (et depuis, ça ne va pas franchement mieux). Donc oui, le Parti des Médias, ça existe. Vous me direz qu’il y a aujourd’hui une profusion telle que chacun peut trouver chaussure médiatique à son pied. De fait, toutes les opinions sont disponibles mais toutes ne sont pas à égalité: il y a une sorte de ronronnement produit par les grands médias qui vous dit ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas. Et les limites du tolérable ne cessent en outre de se rétrécir. Alors, ce parti ignore qu’il existe, il ne tient pas de congrès et il se divise souvent, comme sur le cas Macron. Mais il est soudé par le sentiment partagé de sa propre légitimité. Avant la surprise américaine, il avait déjà sacré Alain Juppé, comme hier Edouard Balladur. Depuis le 9 novembre, c’est la panique au quartier général. L’issue du premier tour nous montrera si ce Parti des Médias résiste mieux à Paris qu’à Londres ou New York. En tout cas, à en juger par le débat de jeudi, tous les candidats ont compris qu’il était populaire de cogner sur les journalistes. Qui, eux, n’ont toujours pas compris pourquoi on ne leur obéit plus.
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