Un nouveau concept : l’économie immergente
Le concept d’« économie émergente » est trop connoté, réducteur, presque vexant, et finalement un peu daté. Mais il continue d’être utilisé, par commodité, ou manque d’imagination, pour classer les pays dans une catégorie ou l’autre. Une économie sera dite émergente si son PIB par habitant est plus faible que celui des économies dites développées, et si sa croissance du PIB est plus rapide que celle de ces mêmes économies. Comme pour exprimer l’idée d’un appel d’air du moins vers le plus. Inévitablement, une telle définition obligera l’économiste à qualifier la Chine d’économie émergente qui n’a pas fini sa mue, alors qu’elle fait d’ores et déjà figure de mastodonte de l’économie mondiale.
« par Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby dans La Tribune »
Or pour une raison qui échappe au bon sens, ce concept d’économie émergente n’a été envisagé que dans un sens. Et pas l’autre : l’immergence. Pourtant, rien ne l’interdit techniquement. On pourrait très bien imaginer un pays connaissant une baisse structurelle de son PIB par habitant, entretenue par une récession insistante de son économie. Certes, en pratique on imagine mal les autorités ou institutions internationales peigner la girafe en attendant que les choses se passent. Le seul réel cas pratique encore dans les mémoires pourrait être celui de la Grèce, durant la crise des dettes souveraines en 2011. Son PIB par habitant avait alors chuté de près de -30%, et n’a jamais récupéré depuis.
En vérité, il est difficile d’imaginer le concept d’économie immergente comme l’exact symétrique d’économie émergente. Par contre, il est tout à fait possible d’envisager une version modérée d’immergence, qui se résumerait à une forme de stabilité du PIB par habitant, et une croissance quasi nulle de son PIB potentiel. Cela peut suffire pour exprimer l’idée d’immergence. Car en économie si on avance plus, c’est que l’on recule. Surtout si pendant ce temps les autres avancent. D’ailleurs, nous avons tous fait cette expérience. Vous êtes à bord d’un train à l’arrêt, le train voisin démarre, mais votre cerveau produit l’illusion que c’est votre train qui recule. Finalement, le concept d’économie immergente exprimerait alors une forme de déclinisme. Quelque chose de plus mou que la stagnation séculaire évoquée par Larry Summers durant la dernière décennie. Ne tournons plus autour du pot. Nous parlons des économies européennes.
Nous ne nous sommes jamais remis vraiment de la crise Covid. En effet, depuis 5 ans le PIB par habitant européen est sur un faux plat, augmentant de seulement 0,5 % par an, quand le PIB par habitant américain augmente de 1,5 % par an. Pour dire les choses autrement, la part de gâteau du consommateur américain augmente 3 fois plus vite que celle du consommateur européen. En fait, le mal dure depuis plus longtemps que la crise Covid. Depuis 2008 date de la crise des Subprimes, le PIB par habitant européen augmente à peine plus à 0,6 % par an, alors que son homologue américain augmente deux fois plus vite à 1,2 %. Il n’en a pas toujours été ainsi. Jadis, les PIB par habitant européen et américain augmentaient de près de 2,5 % par an. Mais ce temps est révolu, et Draghi a déjà tout dit.
Aujourd’hui, l’économie européenne est à l’arrêt. Et cela n’a rien voir avec un simple trou d’air. Plutôt les prémisses d’une phtisie. Car nous sommes à l’arrêt, mais les autres avancent. Si bien que nous nous éloignons, de la frontière technologique notamment, au lien d’en faire partie. Déjà cette frontière ressemble à un mur, tant la dépendance européenne est manifeste. Mais plus inquiétant encore, l’économie européenne décline, et nos rois Soliveau baillent en regardant le spectacle. Il n’y a pas l’ombre d’une mesure, plan, ou accord manifestant une forme de panache européen. Rien. C’est une stratégie comme une autre après tout. Mais terriblement risquée.
« Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre », Sun Tzu.
A leur décharge, nos dirigeants européens ont plusieurs déclinismes à gérer : économique et technologique donc, mais aussi géopolitique, social, et idéologique peut – être aussi. Ce dernier terme peut faire tiquer, à juste titre. Mais le souci vient lorsque l’une des parties (Etats – Unis) en fait sa feuille de route, déroulant son idée logique jusqu’au bout, quitte à tirer la nappe dressée au sortir de la seconde guerre mondiale. Alors que l’autre partie (l’Europe) se perd dans des pétitions de principe, ne réalisant pas alors « qu’en se poliçant, les nations perdent insensiblement leur courage, la vertu, et même leur amour pour la liberté ». Helvétius.
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