Une désertification médicale croissante

Une désertification médicale croissante

Un article de Anne Bayle-Iniguez dans l’Opinion dénonce la désertification médicale croissante (extrait)

 

Selon l’Association des maires ruraux de France, le nombre de cantons dépourvus de médecins est passé de 91 en 2010 à 148 en 2017. Neuf millions de Français sont dépourvus de médecin traitant.

Si le problème de la désertification médicale n’est pas nouveau, le phénomène s’est amplifié ces dernières années au point de provoquer des tensions sanitaires aiguës. «  Les difficultés d’accès aux soins sont croissantes dans les départements les moins urbanisés, ceux à la densité médicale la plus faible et aux professionnels les plus âgés, je le ressens dans mon exercice  », confirme le docteur Jean-Marcel Mourgues, généraliste à Pujols (Lot-et-Garonne) et vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM).

A Montluçon, dans l’Allier, cinq bénévoles ont ouvert un centre de santé en septembre 2020, déjà menacé de fermeture après le départ de plusieurs médecins, pourtant salariés à hauteur de 5 000 euros net par mois pour 35 heures de travail hebdomadaire. «  7 000 patients vont se retrouver sur le carreau, soupire Gérard Gardrat, président amer de l’Association gestionnaire de la structure. Nous essayons de trouver des solutions mais ce n’est pas notre job, c’est celui des élus et des pouvoirs publics.  »

A Fougerolles (Haute-Saône), le docteur Elisabeth Aubry-Boco, gynécologue libérale de 63 ans a annoncé fin avril qu’elle «  rend[ait] sa blouse  », fatiguée des tracasseries administratives de la caisse primaire d’assurance-maladie et du fait de travailler seule, «  avec la responsabilité d’une patientèle de plus de 7 000 femmes  ». «  La France rurale est maltraitée  », écrit-elle dans une lettre ouverte.

La situation est suffisamment grave pour que Matignon se saisisse du dossier. Afin de donner de la matière à penser aux parlementaires avant l’examen du projet de la loi «  4D  » (différenciation, décentralisation, déconcentration, décomplexification) de la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Jacqueline Gourault, Jean Castex a chargé Jean-Pierre Cubertafon de plancher sur les enjeux de la ruralité en se focalisant sur la lutte contre la désertification médicale.

Plutôt que ressasser des vieilles recettes un temps efficaces mais aujourd’hui insuffisantes (maisons de santé pluridisciplinaires, médecine salariée), le député MoDem de Dordogne s’intéresse à la notion de médecine foraine. Le concept : déplacer le médecin généraliste au plus près des patients, par des demi-journées travaillées dans des cabinets médicaux secondaires, mis à disposition par les mairies. Une idée loin de faire consensus dans le corps médical mais qui n’est pas sans déplaire au docteur Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), pour qui «  les maires doivent abandonner l’idée d’avoir un médecin au pied de chaque clocher  ». Autre mesure dans l’air du temps : ajouter une année d’études professionnalisante aux étudiants en médecine générale, avec stage obligatoire dans les déserts médicaux !

Nombre de patients poussent de longue date pour «  casser ce cercle vicieux  » de docteurs qui posent leurs valises là où d’autres confrères ont déjà ouvert boutique. L’association sarthoise de citoyens contre les déserts médicaux a même déposé à la mi-mai un recours devant le Conseil d’Etat. «  Quels soins apporte-t-on aux laissés-pour-compte de la médecine, à ceux qui n’ont pas vu de généraliste depuis deux ou trois ans, tempête le docteur Laure Artru, iconoclaste rhumatologue du Mans qui a rejoint ses patients dans cette bataille. Les syndicats professionnels ont eu tout le temps de réorganiser la médecine libérale. Rien n’a changé en quarante ans. L’Etat doit faire ce que les médecins ont refusé de faire : réguler selon les besoins des patients.  »

Juste avant la crise, fin 2019, une note de Bercy évoquait déjà une «  adaptation temporaire à court terme  », «  de façon progressive et en étroite concertation avec les médecins  » de la liberté d’installation. Un vade-mecum anti déserts médicaux qui avait fait scandale dans le petit monde de la santé et qui pourrait bien, à un an de la présidentielle, refaire surface.

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