Énergie: Une volatilité des prix incontrôlable
Frédéric Gonand est professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine-PSL, spécialiste des questions énergétiquesExplique pourquoi la volatilité des prix devient incontrôlable (dans l’Opinion, extrait).
Pétrole, gaz, électricité : la flambée des cours de l’énergie est-elle temporaire ou voyons-nous là les prémices de la transition énergétique ?
De manière générale, les prix de l’énergie et des matières premières figurent parmi les plus volatils d’une économie. L’actuelle reprise mondiale implique un décollage de la demande d’énergie, que l’offre a du mal à suivre. C’est surtout vrai pour la Chine qui a mis en œuvre une relance budgétaire dès mai 2020 – là où l’Union Européenne a mis plus d’un an – et a redémarré vigoureusement dès la fin de 2020. Cela a tiré vers le haut les prix des métaux, par exemple, mais aussi du gaz naturel. En Europe, le prix du gaz a d’autant plus augmenté qu’on a observé en 2021 des baisses de production (notamment en Mer du Nord) et d’importation via les gazoducs (notamment venant de Russie). La catastrophe a été évitée grâce aux stockages de gaz, qui ont été très sollicités et sont actuellement très bas, alors que l’hiver arrive. L’ensemble de ces facteurs ne devraient pas se dissiper avant la mi-2022. La question de l’effet sur les prix de la transition énergétique est assez différente car elle porte sur un horizon temporel plus long. Il y a beaucoup d’arguments qui laissent penser que l’énergie sera plus chère pendant la durée de cette transition (coût de production, de transport, de distribution, prix du carbone…). Les investissements nécessaires en infrastructures sont colossaux, et les changements de comportements doivent être accompagnés par une tarification du carbone qu’il faut bien payer si l’on souhaite défendre le climat.
Bercy a-t-il raison de partir en guerre contre le marché européen de l’électricité, jugé « obsolète » par Bruno Le Maire et qualifié « d’aberration écologique et économique » par sa ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher ?
La force des termes est sans doute à la hauteur de la pression qu’un responsable politique ressent quand les prix de l’énergie s’envolent à quelques mois de l’élection présidentielle. Même s’il y aurait beaucoup à dire sur le fonctionnement du marché européen de l’électricité, la situation où le producteur marginal (assez souvent une centrale à gaz ou à charbon) détermine le prix sur le marché est celle qui permet de produire l’électricité en moyenne à moindre coût, et qui a aussi permis aux centrales nucléaires d’être rentables depuis quarante ans. Je serais donc plus mesuré dans mon appréciation, car un système électrique fonctionne sous des contraintes physiques qui sont rarement « obsolètes » ou « aberrantes ». Un des autres apports du marché européen de l’électricité est d’avoir contribué, depuis vingt ans, à la transparence des coûts et des prix. Ce n’est pas négligeable car cela évite les rentes indues payées par le consommateur. Mais il est vrai que le credo libéral européen, qui a fait croire que le marché de l’énergie pouvait être aussi concurrentiel que celui des baguettes de pain ou des voitures, a posé des problèmes.
Peut-on trouver de nouvelles solutions pour lutter contre la volatilité des cours de l’énergie ?
De la volatilité, il y en aura de plus en plus sur le marché de l’électricité à l’avenir, précisément en lien avec le développement des énergies renouvelables. L’une des solutions importantes et qui est en train d’arriver progressivement, c’est le stockage sur les réseaux électriques. La technologie est mûre et le modèle d’affaires sera bientôt rentable. Il aura, certes, besoin d’être en partie régulé. Mais il est consolant de voir que le couplage du photovoltaïque et du stockage massif d’électricité a probablement un bel avenir devant lui.
Cet épisode souligne aussi le problème de l’indépendance énergétique de l’Europe. Le nucléaire reste-t-il la solution ?
Plutôt qu’une solution unique, dans le domaine de l’énergie il y a des éléments de solution. Le nucléaire a des avantages techniques et économiques, mais le coût des nouvelles centrales a aussi augmenté dans le passé récent, et les questions environnementales ne sont bien sûr pas illégitimes. Ce qu’il ne faut vraiment pas faire, c’est fermer des centrales déjà construites et qui fonctionnent bien. Et pour finir, une autre politique de l’énergie efficace, peu chère et qui préserve notre indépendance : le pull en laine. Avec 19°C en pull plutôt que 21° en chemise, vous n’imaginez pas le bien que vous faites à l’économie et à l’environnement !