Vers un système de santé à deux vitesses
Si la centralisation par les réseaux des groupements hospitaliers de territoires peut permettre de mieux aiguiller les patients et de mutualiser des moyens, elle risque d’accentuer les inégalités d’accès aux soins, analyse Carine Milcent, économiste spécialiste des systèmes de santé, dans une tribune au « Monde ».
Les structures hospitalières s’éloignent des zones rurales. Les hôpitaux se regroupent en réseaux et sont en train de changer notre paysage hospitalier, de modifier notre accès aux soins et de territorialiser l’offre. En quoi ces réseaux de groupements hospitaliers de territoires (GHT) répondent-ils aux besoins de soins de la population, de la qualité attendue au service d’urgence ?
Depuis 2016, les établissements du secteur public ont l’obligation de se regrouper. Au sein de ces réseaux, les structures doivent coopérer et se coordonner autour de la prise en charge du patient et de son accompagnement. Le patient n’est plus aujourd’hui pris en charge par un établissement, mais par l’un des 135 réseaux d’établissements découpant le territoire français. Il s’agit de désenclaver le patient grâce à une offre de proximité. Quelle que soit la porte d’entrée dans le GHT, le patient est aiguillé vers l’établissement le plus adapté pour sa prise en charge. Cela peut également conduire à une diminution des délais d’attente. Les patients sont orientés, limitant ainsi les inadéquations de prise en charge.
Dans le même temps, la concentration des plateaux techniques, des équipements de haute technologie en un nombre limité d’établissements permet une amélioration de la qualité grâce à l’apprentissage par la pratique. L’innovation devient alors accessible à tous en fonction des besoins.
La convergence des systèmes d’information et de son partage est un avantage certain des GHT. Piloter des soins implique de pouvoir transmettre en temps réel l’ensemble de l’information nécessaire à chacun des acteurs concernés. On pourrait même envisager que cette convergence des systèmes d’information s’étende à l’ensemble des professionnels soignants, donc à la médecine de ville. L’inclusion de la santé numérique en serait facilitée. Un système d’information performant permettrait partiellement de répondre au vieillissement de la démographie médicale et aux déserts médicaux.
Cette centralisation suppose néanmoins des contreparties. La mise en réseau des établissements alourdit les prises de décision, notamment logistiques comme les achats de matériels. La mise en place des pôles, si celle-ci est bien pensée, peut atténuer ces difficultés de fonctionnement.
Ce système vertueux implique un certain nombre de prérequis. Le premier est de repenser l’attribution des budgets hospitaliers. Le financement actuel (T2A) se fait par établissement hospitalier, ce qui a pour conséquence de les mettre en concurrence les uns avec les autres pour la prise en charge du patient : un système contradictoire avec la volonté affichée de faire coopérer les établissements entre eux. Plus encore, ces derniers peuvent être incités à garder le patient inutilement longtemps dans leur service pour optimiser leur budget. Ainsi, le parcours du patient ne serait pas forcément coordonné par les besoins de soins de ce dernier, mais afin de maximiser le budget de chacune des structures du GHT. Ce comportement conduirait à une multiplication artificielle des séjours à des fins d’optimisation budgétaire. Ce n’est pas la T2A qui est pointée ici, mais son mode d’attribution.