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Santé -affections de longue durée (ALD): Une fausse vision ?

Santé -affections de longue durée (ALD): Une fausse vision ?

En 2021, en France, 12 millions de patients souffraient d’une maladie chronique reconnue dans le cadre du dispositif d’affection de longue durée (ALD). La prévalence de ces maladies est passée de 14,6 % en 2008 à 17,8 % en 2021, notamment à cause du vieillissement de la population. Alors que le gouvernement veut réduire les dépenses sociales, notamment en coupant dans les remboursements d’affections de longue durée, l’économiste, Frédéric Bizard, spécialiste des questions de protection sociale et de santé estime que l’exécutif ne prend pas le problème de façon pertinente. Pour ce professeur de macroéconomie, affilié à l’ESCP, il faut penser anticipation avant tout. Les patients qui bénéficient de ce système sont pris en charge à 100% par l’Assurance maladie. Selon le ministère de la Santé, ces ALD représentent les deux tiers des remboursements de l’Assurance maladie.( dans La Tribune)

 Le gouvernement assure réfléchir à la pertinence du dispositif des ALD. Est-ce la bonne solution ?

FRÉDÉRIC BIZARD- J’entends Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, assurer que notre modèle social coûte cher, car notre capital humain s’abîme. On estime qu’il y a treize millions de patients en ALD aujourd’hui, un chiffre en forte croissance puisqu’en 1980, il y en avait 3 millions et en 2021, 12 millions.

Bruno Le Maire pose la question de ce que l’on continuerait à rembourser et ce que l’Assurance maladie arrêterait de prendre en charge. Sous-entendu, il y a ceux qui auront les moyens de se payer les soins et les autres. Notre état providence devra rembourser le moins possible les gens qui ont des moyens, et réduire au strict minimum le panier de soin remboursé. Et donc de remettre en cause notre modèle social français, qui je le rappelle repose sur des principes : les riches contribuent pour les pauvres, les biens portants pour les malades. Chacun participe en fonction de ses moyens pour recevoir en fonction de ses besoins. Ce régime social, universel et solidaire, les Français y sont attachés. Il faut donc être vigilant. Et selon moi, Bruno Le Maire ne pose pas le problème dans les bons termes. C’est une vision erronée.

C’est-à-dire ?

L’insoutenabilité financière de notre modèle social tient au fait qu’on agit toujours sur le curatif, la réparation. Et non sur la prévention, la préparation, en amont du risque social. De fait, le gouvernement envisage de couper dans des dépenses, et ce sera mal vécu. Cette approche est très risquée socialement. Je caricature un peu mais ce n’est pas en remboursant les fauteuils roulants uniquement aux personnes les plus vulnérables, et pas aux autres, que l’on fera des économies. En plus, il faudrait définir qui sont les personnes considérées comme moins ou plus vulnérables ? Sans compter qu’en procédant ainsi, on va accentuer la dégradation du capital humain de la population.

Il faut donc plutôt réfléchir en amont, pour limiter les causes de toutes ces pathologies. Faire de la prévention, pour que les gens restent en bonne santé, en emploi plus longtemps, bâtir un grand plan avec les mutuelles pour proposer des programmes de sport, de meilleure alimentation, de prévention des risques psychosociaux etc…

Certes, mais le gouvernement est pressé de trouver des milliards d’euros d’économie…

Agir sur la prévention est un gain considérable d’économie. Par ailleurs, je suis favorable à une participation plus large et plus régulière quand on va chez le médecin, le kiné, à la pharmacie… Si on demandait aux Français une participation -sauf aux plus démunis- pour les actes médicaux du quotidien, cela permettrait de faire rentrer de l’argent dans les caisses. Le gouvernement a commencé à le faire avec les franchises de médicaments. En contrepartie, on leur garantirait le maintien de cette prise en charge, en ALD, si on a un gros pépin de santé. Les Français sont très attachés à être couverts face au risque d’affections lourdes. C’est l’une des richesses de notre modèle d’ailleurs, de savoir que l’on est tous protégés en cas de gros coup dur. C’est un bouclier solidaire, qui fait en plus que psychologiquement, vous êtes rassurés.

Mais, cela demanderait un changement d’architecture du système…

Exactement. Car aujourd’hui avec notre système de remboursement multiple, d’une part par la Sécurité sociale, d’autre part par les mutuelles, quelle déperdition d’énergie et de moyens ! On estime que ces coûts d’administration et de gestion représentent 6% de nos dépenses de santé contre 3% pour la moyenne européenne. Il y a des gains possibles, surtout avec l’intelligence artificielle.

D’autres pistes ? 

Il me semble urgent de s’appuyer sur le réseau de mutuelles et d’assurances. On a la chance en France qu’il soit très important, puisque les primes payées par les Français représentent 44 milliards d’euros (en 2024). On peut réfléchir à une meilleure affectation. On peut aussi revoir les contrats collectifs des assurances, qui bénéficient d’avantages fiscaux et sociaux, qui sont en réalité de moindres rentrées fiscales…estimées à 10 milliards d’euros. Plutôt que transformer l’existant, changeons réellement de stratégie.

Duel Macron- Berger: une opposition entre une vision de banquier et celle du français moyen engagé

Duel Macron- Berger: une opposition entre une vision de banquier et celle du français moyen engagé

Les médias mettent maintenant l’accent sur l’opposition viscérale entre la personnalité de Macron et celle de Laurent Berger numéro un de la CFDT.

Il est clair que les deux intéressés ne partiront sans doute pas en vacances ensemble. Tout les sépare car Macron est ce technocrate parvenu de façon douteuse au pouvoir pour servir les intérêts des plus riches. À l’inverse, Laurent Berger est forcément le porte-parole des salariés, c’est-à-dire des Français moyens. Il n’y a pas photo entre les deux légitimités. Macron met en avant sa des politiques alors que tout le monde sait que ce sont les financiers qui ont soutenu et ont même réussi à l’imposer à Hollande. Macron, c’est le coucou imposé dans le nid socialiste pour prendre la place de Hollande et développer une politique cette fois encore plus favorable aux intérêts financier.

Macron est à la fois un arriviste et un imposteur de plus en plus détesté pour son autoritarisme et son arrogance. Macron n’a jamais eu le moindre engagement sociétal, il ne connait que l’idéologie tehnocratique de l’ENA. En plus pratiqué dans une banque!

De toute évidence, Macron ne connaît pas grand-chose des réalités socio-économiques, il a vécu dans le coton doré d’une famille bourgeoise et son parcours social se limite à un passage dans la banque ! Aucun engagement, aucune conviction non plus ; pour preuve il a utilisées le motif des études pour ne pas faire son service militaire; ce qui qui en dit long sur les valeurs de l’intéressé.

Dès son intronisation il a montré le ridicule de ses prétentions avec une cérémonie aussi grandiose que ridicule. Il restera sans doute dans l’histoire comme l’un des chefs d’État les plus détestés et plus incompétents sii l’on en juge par la situation économique, sociale, financière et sociétale du pays.

Le torchon brûle publiquement entre le président et le patron de la CFDT. Nombreux sont pourtant les macronistes à presser l’Élysée de reprendre le dialogue pour espérer sortir de la nasse sociale.

Une relation sous haute tension, entre deux hommes qui détiennent sans doute les clefs de la sortie de crise. Le ton est encore monté ces dernières heures entre Emmanuel Macron et Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT, alors que l’intersyndicale a défilé ce jeudi pour la 11e fois contre la réforme des retraites voulue par le président de la République.

Depuis son déplacement en Chine, l’entourage d’Emmanuel Macron a regretté ce mercredi après-midi que « pour la première fois de son histoire », le syndicat « n’ait pas présenté un autre projet » pour la réforme des retraites.

« La seule réponse, c’était rien », estime-t-on auprès du chef de l’État.

Berger appelle Macron à « calmer ses nerfs »
Pas question non plus de parler de « crise démocratique » comme l’a avancé le syndicaliste, après l’adoption par 49.3 de la réforme des retraites et le rejet par l’opinion publique du recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. « On ne peut pas parler de crise démocratique quand le projet a été porté, expliqué et assumé », a répondu l’entourage du président de la République.

Autant dire que quelques heures à peine après une brève réunion à Matignon, la première depuis la présentation du projet de loi mi-janvier, l’Élysée n’a pas vraiment arrondi les angles.

« J’appelle le président de la République à ne pas balancer des petites phrases. Sinon il va finir par se mettre à dos l’ensemble des organisations syndicales », a estimé Laurent Berger mercredi soir sur BFMTV, demandant à Emmanuel Macron de « calmer ses nerfs ».

Cette passe d’armes est loin d’être la première. Lors de son interview sur TF1 et France 2 mi-mars, le chef de l’État avait accusé – sans le nommer – le syndicat réformiste de n’avoir « proposé aucun compromis » et affirmé que Laurent Berger était « allé devant son congrès en proposant d’augmenter les durées (de cotisation) ».

Le leader de la CFDT l’avait alors accusé de « déni » et de « mensonge », estimant qu’il voulait là « masquer son incapacité à trouver une majorité pour voter sa réforme injuste ».

« Je pense qu’on a sous-estimé l’opposition de la CFDT à la réforme. On ne nous avait pas vraiment habitué à ça », remarque un député macroniste auprès de BFMTV.com.

Macron- Berger: une opposition entre une vision de banquier et celle du français moyen

Macron- Berger: une opposition entre une vision de banquier et celle du français moyen

Les médias mettent maintenant l’accent sur l’opposition viscérale entre la personnalité de Macron et celle de Laurent Berger numéro un de la CFDT.

Il est clair que les deux intéressés ne partiront sans doute pas en vacances ensemble. Tout les sépare car Macron est ce technocrate parvenu de façon douteuse au pouvoir pour servir les intérêts des plus riches. À l’inverse, Laurent Berger est forcément le porte-parole des salariés, c’est-à-dire des Français moyens. Il n’y a pas photo entre les deux légitimités. Macron met en avant sa des politiques alors que tout le monde sait que ce sont les financiers qui ont soutenu et ont même réussi à l’imposer à Hollande. Macron, c’est le coucou imposé dans le nid socialiste pour prendre la place de Hollande et développer une politique cette fois encore plus favorable aux intérêts financier.

Macron est à la fois un arriviste et un imposteur de plus en plus détesté pour son autoritarisme et son arrogance.
De toute évidence, Macron ne connaît pas grand-chose des réalités socio-économiques, il a vécu dans le coton doré d’une famille bourgeoise et son parcours social se limite à un passage dans la banque ! Aucun engagement, aucune conviction non plus ; pour preuve il a utilisées le motif des études pour ne pas faire son service militaire; ce qui qui en dit long sur les valeurs de l’intéressé.

Dès son intronisation il a montré le ridicule de ses prétentions avec une cérémonie aussi grandiose que ridicule. Il restera sans doute dans l’histoire comme l’un des chefs d’État les plus détestés et plus incompétents sii l’on en juge par la situation économique, sociale, financière et sociétale du pays.

Le torchon brûle publiquement entre le président et le patron de la CFDT. Nombreux sont pourtant les macronistes à presser l’Élysée de reprendre le dialogue pour espérer sortir de la nasse sociale.

Une relation sous haute tension, entre deux hommes qui détiennent sans doute les clefs de la sortie de crise. Le ton est encore monté ces dernières heures entre Emmanuel Macron et Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT, alors que l’intersyndicale a défilé ce jeudi pour la 11e fois contre la réforme des retraites voulue par le président de la République.

Depuis son déplacement en Chine, l’entourage d’Emmanuel Macron a regretté ce mercredi après-midi que « pour la première fois de son histoire », le syndicat « n’ait pas présenté un autre projet » pour la réforme des retraites.

« La seule réponse, c’était rien », estime-t-on auprès du chef de l’État.
Berger appelle Macron à « calmer ses nerfs »
Pas question non plus de parler de « crise démocratique » comme l’a avancé le syndicaliste, après l’adoption par 49.3 de la réforme des retraites et le rejet par l’opinion publique du recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. « On ne peut pas parler de crise démocratique quand le projet a été porté, expliqué et assumé », a répondu l’entourage du président de la République.

Autant dire que quelques heures à peine après une brève réunion à Matignon, la première depuis la présentation du projet de loi mi-janvier, l’Élysée n’a pas vraiment arrondi les angles.

« J’appelle le président de la République à ne pas balancer des petites phrases. Sinon il va finir par se mettre à dos l’ensemble des organisations syndicales », a estimé Laurent Berger mercredi soir sur BFMTV, demandant à Emmanuel Macron de « calmer ses nerfs ».

Cette passe d’armes est loin d’être la première. Lors de son interview sur TF1 et France 2 mi-mars, le chef de l’État avait accusé – sans le nommer – le syndicat réformiste de n’avoir « proposé aucun compromis » et affirmé que Laurent Berger était « allé devant son congrès en proposant d’augmenter les durées (de cotisation) ».

Le leader de la CFDT l’avait alors accusé de « déni » et de « mensonge », estimant qu’il voulait là « masquer son incapacité à trouver une majorité pour voter sa réforme injuste ».

« Je pense qu’on a sous-estimé l’opposition de la CFDT à la réforme. On ne nous avait pas vraiment habitué à ça », remarque un député macroniste auprès de BFMTV.com.

Sous le précédent quinquennat Macron, le syndicat avait ainsi accompagné les ordonnances travail de Muriel Pénicaud, pourtant très contestées par une partie des syndicats. La centrale n’avait pas non plus hésité à tendre la main à l’exécutif pendant la crise des Gilets jaunes.

Cap sur la décision du Conseil constitutionnel
Laurent Berger a d’ailleurs bien proposé une sortie de crise à l’exécutif en l’appelant à mettre « sur pause » la réforme et en permettant une médiation, avec une stratégie assez proche de celle du précédent quinquennat.

Après l’adoption de la réforme de la retraite à points par 49.3, malgré des mobilisations d’ampleur, Édouard Philippe, alors à Matignon, avait accepté de suspendre l’âge pivot à 64 ans et d’organiser une « conférence de financement » pour remettre à plat la réforme.

La CFDT a déjà laissé entendre que « tant que la loi n’est pas promulguée, la mobilisation reste possible », a assuré de son côté Marylise Léon, la secrétaire générale adjointe du syndicat.

Pourtant, nombreux sont ceux dans les rangs de la majorité présidentielle à espérer qu’Emmanuel Macron renoue le fil des discussions avec Laurent Berger.

« La question n’est pas: peuvent-ils se parler? Évidemment, ils doivent se parler! », avance ainsi le député Renaissance Gilles Legendre dans les colonnes du Parisien.

« Les conflits trouvent des solutions quand chacun fait un pas vers l’autre », juge encore le député Modem Erwan Balanant sur notre antenne.

Inflation-salaires: une vision très orthodoxe de la BCE

Inflation-salaires: une vision très orthodoxe de la BCE

Comme certains experts, y compris du gouvernement français, le chef économiste de la Banque centrale européenne, Philip Lane, s’oppose à la hausse des salaires qui, selon lui, serait responsable de la spirale inflation salaires.

Une théorie contestée par d’autres experts compris aux États-Unis. La théorie de la BCE est d’ailleurs contredite par les faits. En effet , l’inflation est antérieure à la hausse des salaires. Elle a été déclenchée surtout par l’envol des matières premières et de l’énergie et la situation géopolitique notamment le conflit entre la Russie et l’Ukraine. L’inflation a dépassé 10 % en Europe alors que les salaires ont seulement progressé de 3 à 4 %. Pourtant pour le chef économiste de la BCE , la hausse des salaires qui « sera le principal moteur de la hausse des prix au cours des prochaines années , écrit-il. Pour l’institution de Francfort monter les salaires dans les pays de la zone euro plongera les économies dans une spirale inflationniste, alors que l’inflation a déjà grimpé jusqu’à 10,6% sur un an en octobre.

Une théorie qui, si elle semble logique, est pourtant contestée par une étude publiée par plusieurs économistes du Fonds monétaire international. Ces derniers affirment en effet qu’augmenter les salaires n’induit pas systématiquement une spirale inflationniste.

Pour l’économiste en chef de la Banque centrale européenne, la hausse des salaires qui arrive en Europe ne correspondra pas à « un changement permanent dans la dynamique des salaires nominaux », estime Philip Lane. Ce dernier s’attend à « ce que les salaires nominaux progressent au rythme correspondant à la somme de la croissance de la productivité du travail et de l’objectif d’inflation de 2% », ajoute-t-il.

C’est dans cette optique de retourner progressivement à un rythme contrôlé de hausse des salaires que la BCE souhaite continuer de monter ces taux. La gardienne de l’euro a récemment augmenté les taux à son rythme le plus rapide jamais enregistré, les relevant d’un total de 200 points de base depuis juillet et portant son principal taux à 1,5% en seulement trois mois. Un taux cependant bien loin de l’inflation qui dépasse 10 %.

L’économiste de la BCE oublie un facteur fondamental à l’origine de l’inflation à savoir la politique très accommodante sur le plan monétaire qui a créé une masse monétaire énorme inondant l’économie et la finance. Mais une masse monétaire déconnectée de la richesse réelle. Aujourd’hui, c’est l’inflation qui réajuste richesse réelle et masse monétaire. Le problème c’est que ce sont surtout les grandes entreprises qui ont profité des largesses monétaires de la banque centrale et que ce sont les ménages qui maintenant payent la facture à travers l’inflation.

Hausse des salaires: une vision très orthodoxe de la BCE

Hausse des salaires: une vision très orthodoxe de la BCE

Comme certains experts, y compris du gouvernement français, le chef économiste de la Banque centrale européenne, Philip Lane, s’oppose à la hausse des salaires qui, selon lui, serait responsable de la spirale inflation salaires.

Une théorie contestée par d’autres experts compris aux États-Unis. La théorie de la BCE est d’ailleurs contredite par les faits. En effet , l’inflation est antérieure à la hausse des salaires. Elle a été déclenchée surtout par l’envol des matières premières et de l’énergie et la situation géopolitique notamment le conflit entre la Russie et l’Ukraine. L’inflation a dépassé 10 % en Europe alors que les salaires ont seulement progressé de 3 à 4 %. Pourtant pour le chef économiste de la BCE , la hausse des salaires qui « sera le principal moteur de la hausse des prix au cours des prochaines années , écrit-il. Pour l’institution de Francfort monter les salaires dans les pays de la zone euro plongera les économies dans une spirale inflationniste, alors que l’inflation a déjà grimpé jusqu’à 10,6% sur un an en octobre.

Une théorie qui, si elle semble logique, est pourtant contestée par une étude publiée par plusieurs économistes du Fonds monétaire international. Ces derniers affirment en effet qu’augmenter les salaires n’induit pas systématiquement une spirale inflationniste.

Pour l’économiste en chef de la Banque centrale européenne, la hausse des salaires qui arrive en Europe ne correspondra pas à « un changement permanent dans la dynamique des salaires nominaux », estime Philip Lane. Ce dernier s’attend à « ce que les salaires nominaux progressent au rythme correspondant à la somme de la croissance de la productivité du travail et de l’objectif d’inflation de 2% », ajoute-t-il.

C’est dans cette optique de retourner progressivement à un rythme contrôlé de hausse des salaires que la BCE souhaite continuer de monter ces taux. La gardienne de l’euro a récemment augmenté les taux à son rythme le plus rapide jamais enregistré, les relevant d’un total de 200 points de base depuis juillet et portant son principal taux à 1,5% en seulement trois mois. Un taux cependant bien loin de l’inflation qui dépasse 10 %.

L’économiste de la BCE oublie un facteur fondamental à l’origine de l’inflation à savoir la politique très accommodante sur le plan monétaire qui a créé une masse monétaire énorme inondant l’économie et la finance. Mais une masse monétaire déconnectée de la richesse réelle. Aujourd’hui, c’est l’inflation qui réajuste richesse réelle et masse monétaire. Le problème c’est que ce sont surtout les grandes entreprises qui ont profité des largesses monétaires de la banque centrale et que ce sont les ménages qui maintenant payent la facture à travers l’inflation.

Politique-Macron à la télé : Un discours plat et sans vision

Politique-Macron à la télé : Un discours plat et sans vision

Le discours de Macron ne marquera sans doute pas l’histoire politique de la France. Le propos du chef de l’État a surtout été caractérisé par des approches à courte vue témoignant de la gestion au jour le jour du pays dans beaucoup de domaines.On a aussi observé un manque de sérénité c’est le président de plus en plus agacé par le faite qu’il ne maîtrise pas la situation depuis l’instauration d’une majorité relative à l’Assemblée nationale.

Le chef de l’État a renouvelé son intention d’engager une réforme mais au lieu de parler de 65 ans il se replie sur l’âge de 64 ans ! Avec toutefois une évolution sur le nombre obligatoire de trimestres de cotisation.

«On devra décaler l’âge légal de départ de quatre mois par an», a-t-il déclaré, tout en confirmant son calendrier : 63 ans en 2025, 64 ans en 2028 et 65 ans en 2031. Mais le chef de l’État s’est dit «ouvert» à un report de l’âge de départ à 64 ans, et non 65 ans, «en contrepartie» d’un allongement de la durée de cotisation. Macron ne parle plus de régime universel et même de supprimer les régimes spéciaux, Il aimait simplement le souhait de les réformer !

Concernant le débat sur la question brûlante du pouvoir d’achat, le président s’est défaussé considérant que ce n’est pas à l’État de définir les salaires. Mais de proposer quand même que se déroule un vague débat dans le cadre du conseil de la Refondation « sur le partage de la valeur ». Emmanuel Macron a confirmé que le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité sera prolongé mais amoindri l’année prochaine. «Il y aura une hausse de 15% (des prix) sur les premiers mois de l’année», a déclaré le chef de l’État. «C’est beaucoup. Mais si on laissait les choses se passer, ça devrait être des hausses de plus de 100%», a-t-il souligné. «On a déjà amorti, on va continuer d’amortir».

Sur le plan politique, le chef de l’État a adressé des critiques acerbes à l’opposition qui d’après lui paralyse les travaux de l’Assemblée nationale
Le chef de l’État a donc justifié le recours controversé au 49-3 pour adopter le budget sans vote à l’Assemblée nationale, le 19 octobre dernier. «Le gouvernement a eu raison de faire voter ce budget, y compris face à toutes les oppositions qui étaient parfois dans la démagogie», a-t-il déclaré.

«Ce qui me met en colère, c’est le cynisme et le désordre», s’est insurgé Emmanuel Macron

Pour aider les entreprises et les collectivités, Emmanuel Macron veut «garantir un prix raisonnable» de l’électricité. Les petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que les collectivités, bénéficieront d’un «mécanisme» d’amortissement qui sera présenté vendredi par la première ministre Élisabeth Borne. Il inclura aussi les très petites entreprises «très consommatrices d’énergie». S’agissant des entreprises de taille intermédiaire et des grands groupes, un «guichet d’aide» sera ouvert, avec un système d’acomptes et des critères d’accès «simplifiés».
Une «grande conférence sur le partage de la valeur» plutôt qu’une taxation des superprofits

Le président a annoncé une «grande conférence sur le partage de la valeur», menée dans le cadre du Conseil national de la refondation. Un «travail nécessaire», à l’entendre, préféré à une taxation des «superprofits» proposée par la gauche. À ce sujet, Emmanuel Macron a rappelé son soutien à un mécanisme de «contribution temporaire» au niveau européen, qui permet de «financer les mécanismes d’aide» face à l’inflation.

Concernant l’insécurité, Macron ne voit pas de lien «existentiel» entre immigration et sécurité mais «la moitié au moins des faits de délinquance» viennent «de personnes qui sont des étrangers soit en situation irrégulière, soit en attente de titres». L’objectif d’Emmanuel Macron : expulser «100%» des étrangers en situation irrégulière «les plus dangereux». ( actuellement 10%)

Bref un discours qui confirme que le président gère à courte vue, en opérant des slaloms voir des renoncements et qui témoigne d’une certaine incapacité à agir du pouvoir.

Macron en panne d’autorité et de vision

Politique: Macron en panne d’autorité et de vision

Dans de nombreux champs régaliens, le gouvernement est en panne complète d’autorité. En cause, la complexité de l’environnement sur le plan économique, géopolitique, environnemental et sociétal.En outre, la voix du président est de plus en plus floue et inaudible

À cela s’ajoute une panne de vision et le président de la république est contraint de slalomer entre des problèmes conjoncturels. Ainsi par exemple s’exprime-t-il sur les questions de pouvoir d’achat qui normalement doive relever du premier ministre ou du ministre des finances mais surtout des entreprises. Le rôle d’un président n’est pas de s’immiscer dans cette problématique de négociation.

Il doit se situer au-dessus de la mêlée et orienter le débat sur la question du partage de la valeur dans les entreprises entre investissements, actionnaires et salariés. En renvoyant ce problème dans le cadre du conseil national de la Refondation ( Donc par parenthèse plus personne ne parle), Macron enterre de cette problématique essentielle. On pourrait multiplier les exemples de l’attentisme du président par exemple encore sur les questions de sécurité, d’immigration ou d’enseignement ( ou le ministre en cause choisit de strictement ne rien faire pour ne pas créer de réactions) alors que le pays souffre d’une dramatique baisse du niveau scolaire et d’un manque de qualification.

Par exemple concernant la discussion sur le budget 2023, brusquement la discussion s’est interrompue avec l’utilisation du 49–3. Il est vrai que le débat était en train de s’engluer dans un nombre incalculable d’amendements plus ou moins contradictoires et même discutés au sein même de la majorité.De toute manière ce budget soit rapidement caduque en raison des perspectives de quasi récession, des difficultés croissantes des entreprises faces aux coûts de l’énergie et donc d’une nouvelle dérive des dépenses

Du coup concernant la sécurité sociale, le couperet est tombé immédiatement pour mettre fin au bavardage considéré comme inutile avec un nouveau recours aux 49 -3. Ce budget ne fixe pas d’orientation très précise concernant la maîtrise de l’inflation problème numéro un qui affecte gravement le pouvoir d’achat des consommateurs. Or c’est la question économique centrale avec un recul du pouvoir d’achat d’au moins 3 % en 2023, la consommation des ménages va diminuer et la France sans doute retomber en récession. Une récession qui sera en plus accompagnée d’une inflation structurelle qui va donc s’installer dans le temps. Sur le plan économique, la pire des situations.

Les ménages sont particulièrement mécontents de la gestion de cette crise inflationniste par le gouvernement à hauteur de 80 % des sondés. Mais d’autres éléments sont à prendre en compte comme la crise d’autorité également et de clarté concernant la prise en charge des problèmes de sécurité, de santé , d’enseignement, d’immigration un peu partout. Pour résumer la ligne du gouvernement c’est surtout une forme de tolérance qui confine au laxisme.

Le sentiment général dans la population est que ce gouvernement n’a pas de ligne directrice, de vision claire pour l’avenir et qu’il navigue à vue en fonction des événements. On a eu confirmation de ce sentiment lors de la gestion de la crise de l’énergie gérée avec plus de 15 jours de retard et beaucoup d’hésitations.

De la même manière, le pouvoir dans l’éducation hésite à engager un train de réformes alors que le pays souffre cruellement d’un abaissement dramatique du niveau des élèves et d’un manque de qualification ; d’où la crise de recrutement de personnel qualifié dans les entreprises. On pourrait multiplier les exemples dans d’autres champs régaliens. Macron semble actuellement un peu perdu et les sondages témoignent de sa baisse de popularité. La première ministre n’a jamais réussi vraiment à s’imposer ; elle parvient à se maintenir avec un discours aussi modéré que flou. Elle incarne pas en tout cas l’autorité et la crédibilité qui serait nécessaire en cette période de crise.

Macron: Un discours sans flamme et sans vision

Macron: Un discours sans flamme et sans vision

Le discours de Macron ne marquera sans doute pas l’histoire politique de la France. Le propos du chef de l’État a surtout été caractérisé par des approches à courte vue témoignant de la gestion au jour le jour du pays dans beaucoup de domaines.

Le chef de l’État a renouvelé son intention d’engager une réforme mais au lieu de parler de 65 ans il se replie sur l’âge de 64 ans ! Avec toutefois une évolution sur le nombre obligatoire de trimestres de cotisation.

«On devra décaler l’âge légal de départ de quatre mois par an», a-t-il déclaré, tout en confirmant son calendrier : 63 ans en 2025, 64 ans en 2028 et 65 ans en 2031. Mais le chef de l’État s’est dit «ouvert» à un report de l’âge de départ à 64 ans, et non 65 ans, «en contrepartie» d’un allongement de la durée de cotisation. Macron ne parle plus de régime universel et même de supprimer les régimes spéciaux, Il aimait simplement le souhait de les réformer !

Concernant le débat sur la question brûlante du pouvoir d’achat, le président s’est défaussé considérant que ce n’est pas à l’État de définir les salaires. Mais de proposer quand même que se déroule un vague débat dans le cadre du conseil de la Refondation « sur le partage de la valeur ». Emmanuel Macron a confirmé que le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité sera prolongé mais amoindri l’année prochaine. «Il y aura une hausse de 15% (des prix) sur les premiers mois de l’année», a déclaré le chef de l’État. «C’est beaucoup. Mais si on laissait les choses se passer, ça devrait être des hausses de plus de 100%», a-t-il souligné. «On a déjà amorti, on va continuer d’amortir».

Sur le plan politique, le chef de l’État a adressé des critiques acerbes à l’opposition qui d’après lui paralyse les travaux de l’Assemblée nationale
Le chef de l’État a donc justifié le recours controversé au 49-3 pour adopter le budget sans vote à l’Assemblée nationale, le 19 octobre dernier. «Le gouvernement a eu raison de faire voter ce budget, y compris face à toutes les oppositions qui étaient parfois dans la démagogie», a-t-il déclaré.

«Ce qui me met en colère, c’est le cynisme et le désordre», s’est insurgé Emmanuel Macron

Pour aider les entreprises et les collectivités, Emmanuel Macron veut «garantir un prix raisonnable» de l’électricité. Les petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que les collectivités, bénéficieront d’un «mécanisme» d’amortissement qui sera présenté vendredi par la première ministre Élisabeth Borne. Il inclura aussi les très petites entreprises «très consommatrices d’énergie». S’agissant des entreprises de taille intermédiaire et des grands groupes, un «guichet d’aide» sera ouvert, avec un système d’acomptes et des critères d’accès «simplifiés».
Une «grande conférence sur le partage de la valeur» plutôt qu’une taxation des superprofits

Le président a annoncé une «grande conférence sur le partage de la valeur», menée dans le cadre du Conseil national de la refondation. Un «travail nécessaire», à l’entendre, préféré à une taxation des «superprofits» proposée par la gauche. À ce sujet, Emmanuel Macron a rappelé son soutien à un mécanisme de «contribution temporaire» au niveau européen, qui permet de «financer les mécanismes d’aide» face à l’inflation.

Concernant l’insécurité, Macron ne voit pas de lien «existentiel» entre immigration et sécurité mais «la moitié au moins des faits de délinquance» viennent «de personnes qui sont des étrangers soit en situation irrégulière, soit en attente de titres». L’objectif d’Emmanuel Macron : expulser «100%» des étrangers en situation irrégulière «les plus dangereux». ( actuellement 10%)

Bref un discours qui confirme que le président gère à courte vue, en opérant des slaloms voir des renoncements et qui témoigne d’une certaine incapacité à agir du pouvoir.

Macron et Berger ( CFDT): La vision monarchique contre la vision social-démocrate

Macron et Berger ( CFDT): La vision monarchique contre la vision social-démocrate

La CFDT est parvenue à devenir le premier syndicat de France grâce à sa persévérance ; sa conviction était que le dialogue valait mieux que l’affrontement systématique.

Le paysage syndical français est caractérisé par deux lignes idéologiques très différentes. Une ligne qui se veut révolutionnaire avec des intensions politiques au-delà des objectifs syndicaux et une ligne réformiste qui fait de l’indépendance syndicale et de la satisfaction des revendications les objectifs centraux. D’un côté la CGT, Sud, des syndicats enseignants etc. de l’autre la CFDT, L’unsa , la CGC etc.

Depuis maintenant plusieurs années la CFDT est apparue comme le partenaire privilégié des gouvernements successifs pour négocier sur les grands enjeux sociaux. Les syndicats à caractère révolutionnaire préférant jouer le rôle de contestataire dans la rue.

Avec Macron, le contexte a changé depuis 2017. L’actuel président de la république ne veut s’encombrer d’aucune médiation contrainte qu’il s’agisse de partis politiques, du Parlement et a fortiori des syndicats. Pour lui, le dialogue se limite à une forme de concertation simplifiée lorsque les orientations sont déjà définies. Par ailleurs sociologiquement Macron n’a guère d’affinité avec les syndicats. Le président de la république est plus proche d’une vision monarchique que d’une vision démocratique.

Chaque fois qu’il le peut, Macron tente de contourner les institutions et les organisations représentatives en créant de pseudos conseils avec des citoyens choisis au hasard qui évidemment sans formation initiale et sans expérience se font facilement manœuvrer par les experts.

On a vu par exemple ce que donnait le « grand débat » après le mouvement des gilets jaunes : surtout du bavardage sans aucune conclusion et même sans comptes-rendus! L’occasion surtout de montrer aux caméras le monologue insupportable de Macron face à un public et des experts plus ou moins endormis.

Sur le plan du dialogue, la France se caractérise par une pratique superficielle et désuète. Du coup comme le dialogue présente assez peu d’enjeu, le syndicalisme est loin de recruter les meilleurs. Le faible niveau du débat favorise plutôt les plus braillards.

Au sein des entreprises globalement la situation n’est guère meilleure mais il faut bien convenir qu’elle est aussi à l’image de ce qui se passe au sein même de conseil d’administration davantage organes d’enregistrement que lieux de véritables délibérations.

Sur la réforme des retraites, il est probable que Macro risque d’éprouver les pires difficultés à faire avaler sa réforme un peu bâclée qui fait notamment abstraction des inégalités, des conditions de travail et de vie. Pourtant la CFDT est favorable à une réforme mais à condition de prendre en compte les inégalités sociales.

Sciences et société-Les économistes manquent cruellement de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

 

Sciences et société-Les économistes manquent cruellement de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

L’économiste Robert Boyer pointe dans son dernier ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie » (Ed. La Sorbonne) les nombreuses failles de la science économique dominante à expliquer les grande crises économique et sanitaire récentes. Figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta, l’économiste Robert Boyer  plaide pour la création d’agora géante qui pourrait « être le terreau d’une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société ».

Robert Boyer est une figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta. Anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, ce polytechnicien collabore à l’institut des Amériques et anime l’association Recherche et régulation. 

LA TRIBUNE- Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer à ce sujet dans votre dernier ouvrage ?

ROBERT BOYER- J’ai commencé à travailler comme économiste en 1967. A cette époque, je pensais qu’une discipline économique était en voie de constitution et j’espérais y participer. Elle était rigoureuse et permettait d’éclairer de façon assez précise les choix de politique économique. Rétrospectivement le keynésianisme était en effet relativement adapté à la prise en compte des compromis sociaux de l’après Seconde guerre mondiale. Ce n’est plus le cas lorsqu’apparait en 1973 le phénomène de la stagflation, soit une forte inflation malgré la chute de l’activité économique. C’était l’indice de l’entrée dans une nouvelle époque du capitalisme, hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation, que je n’ai cessé depuis lors de travailler. De son côté la majorité des économistes a interprété cet échec comme la conséquence directe de l’absence de bases microéconomiques de la théorie générale de Keynes.

S’est imposée l’idée qu’il fallait refonder la macroéconomie sur la microéconomie. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, mais très vite plusieurs problèmes ont surgi tel le recours à la notion d’agent représentatif, d’anticipations rationnelles, d’équilibre structurellement stable, autant d’hypothèses intenables. Ce programme qui était au début scientifique a été utilisé, au fil du temps, comme justification des stratégies de déréglementation et de libéralisation. Pendant 30 ans, la macroéconomie s’est enfoncée dans l’exploration de prémices totalement faux. Les Etats-Unis étaient réduits à un ensemble de producteurs et de consommateurs, sans prise en compte aucune du rôle des banques, des marchés financiers, et de toutes les organisations et institutions encadrant l’activité économique.

J’ai vu avec étonnement la discipline évoluer et perdre beaucoup de sa pertinence. Pour cerner les raisons de cette dérive, je l’ai resituée par rapport à l’histoire des grands courants de la pensée. Au fil des décennies, j’ai accumulé suffisamment de matériaux pour montrer que la profession d’économiste a beaucoup changé. A grands traits elle est animée par de virtuoses techniciens qui rendent des services aux acteurs mais de moins en moins par de grands économistes dont la visée serait d’analyser les enjeux du monde contemporain. La crise de la macroéconomie est beaucoup plus profonde que l’on ne pense. Le livre soutient que ce sont les bases de la discipline qui sont en cause et non pas quelques erreurs mineures. La crise de 2008 a fait éclater au grand jour la crise de cette nouvelle macroéconomie classique.

Vous affirmez que l’institutionnalisation de la profession d’économiste a conduit à produire des spécialistes de la modélisation mais peu de chercheurs capables de conceptualiser les bases de la discipline. Que voulez-vous dire par là ?

R.B- Dans les années 30, les Etats-Unis comptaient quelques milliers d’économistes. Aujourd’hui, ce pays en recense des centaines de milliers. A l’époque, de grands économistes, de Joseph Schumpeter à Frederick von Hayek, dialoguaient entre eux dans la recherche d’explications à la crise de 1929. C’est l’éclatement du métier qui prévaut : certains sont économistes de banque, d’autres sont économètres, d’autres encore travaillent dans des think tank visant à influencer la politique des gouvernements. Le métier s’est considérablement diversifié en une myriade d’approches, de techniques appliquées aux différents secteurs de l’économie. On note aussi un éclatement des demandes à l’égard des économistes. Leur spécialisation est tellement poussée qu’elle débouche sur une anomie de la division du travail, telle que conceptualisée par le sociologue Emile Durkheim. Sur une même question – par exemple les marchés financiers sont-ils efficients ? – les diverses branches de la discipline livrent des réponses contradictoires.

La structuration du champ académique (hiérarchie des revues, modalités de recrutement des enseignants) crée un système formant essentiellement des techniciens affirmez-vous. Comment faire pour accorder plus de reconnaissance aux intellectuels en économie ?

R.B- On peut distinguer trois phases dans la structuration du champ académique. La première avait pour projet de fonder la discipline sur la théorie de l’équilibre général. Les chercheurs allaient pouvoir produire une formalisation d’une économie de marché justifiant l’image de la main invisible d’Adam Smith, à savoir la possibilité et l’optimalité d’une économie décentralisée où chacun ne poursuit que son intérêt. En fait les mathématiciens finissent par conclure que ce n’est le cas que sous des hypothèses très restrictives, non satisfaites dans les économies contemporaines du fait de l’existence du crédit, de rendements d’échelle, de pouvoir de monopole. Ainsi loin d’être un fait scientifique, la main invisible devient une croyance.

Une deuxième phase enregistre une succession de modélisations macroéconomiques qui entendent remplacer celles inspirées par Keynes. C’est d’abord la théorie monétariste de Milton Friedman qui s’impose comme explicative de l’inflation. Mais elle périclite lorsque se multiplient les innovations qui assurent la liquidité de nombreux actifs financiers, puis quand l’aisance monétaire ne débouche pas sur une accélération de l’inflation, mesurée par les prix à la consommation. Ce sont ensuite des modèles qui modernisent la théorie classique sous l’hypothèse d’auto-équilibration des marchés, transitoirement perturbés par des « chocs » réels ou monétaires. Les Banques Centrales usent de ces modèles mais ils montrent leurs limites lors de la crise de 2008.

Aussi dans une troisième étape, passe-t-on des grandes théories à l’économétrie et de l’économétrie à la « métrie », c’est-à-dire l’application des avancées des techniques statistiques à toutes les données disponibles, bien au-delà des phénomènes économiques.

D’un côté, avec les masses de données produites en temps réel par la finance, une nouvelle discipline, fondée sur les mathématiques financières, prend son essor, sans trop se préoccuper des conséquences macroéconomiques des nouveaux instruments qu’elle invente. Avec l’économie de l’information, apparaît ensuite le besoin d’analyser ces données grâce à l’intelligence artificielle.

De l’autre côté, les recherches en macroéconomie sont presque complètement désertées. Rares sont les jeunes et talentueux chercheurs qui osent se lancer dans un domaine aussi difficile. Or, les dernières crises ont fait apparaître le besoin d’une analyse des économies et des relations qu’elles entretiennent dans un système international en crise. Lorsque la crise financière de 2008 éclate, la macroéconomie se rappelle au bon souvenir des gouvernements et des économistes. L’irruption de la pandémie appelle des réponses, en matière de politique monétaire et budgétaire, soit des questions que la microéconomie ne peut traiter.

Vous évoquez notamment une crise de la macroéconomie. Quels sont les facteurs qui ont pu contribuer à affaiblir cette discipline ?

R.B- D’abord trop souvent le chercheur ne distingue pas entre vision, théorie, modèle, mécanisme, alors que ce sont des concepts bien différents. Une série de modèles, au demeurant fragiles dès qu’on les utilise pour prévoir, ne fondent pas une science car ce ne sont souvent que des éclairages partiels ou des aides à la décision. Ensuite chacun a tendance à se focaliser sur un mécanisme parmi beaucoup d’autres or le propre de la macroéconomie est de prendre en compte et d’articuler l’ensemble des mécanismes pertinents. Enfin, la clôture du champ de la macroéconomie sur lui-même lui interdit de reconnaître sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Plus encore, son accent sur le court terme n’est guère favorable à la reconnaissance des enjeux que sont devenus l’écologie, les pandémies, l’inégalité tant domestique qu’internationale.

Il est sans doute illusoire d’attendre la venue d’un nouveau Keynes. De nos jours, la formation universitaire des économistes ne livre pas une formation suffisamment généraliste permettant de formuler des questions pertinentes et les éclairer. Keynes considérait que « l’économiste doit posséder une rare combinaison de dons…D’une certaine façon, il doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe… Aucune partie de la nature de l’homme ou de ses institutions ne devrait être entièrement hors de sa considération. » Bref un grand intellectuel !

Pourquoi les grands courants économiques dominants ont échoué à rendre compte des grandes crises du 20ème siècle et du 21ème siècle ?

R-B- Les macro-économistes ont pris beaucoup de retard par rapport aux considérables transformations du capitalisme. La plupart ont exclu de leurs modèles la possibilité même de crises. Par définition, l’économie perturbée par des chocs externes revient automatiquement vers l’équilibre de long terme. Or tel n’est pas le cas car la nature des processus économiques est beaucoup plus complexe et changeante dans le temps.

Dans un tel contexte d’incertitude sur les mécanismes à l’œuvre, chaque école de pensée tend à privilégier son interprétation. Ainsi les enjeux s’en trouvent simplifiés, ce qui polarise les conseils adressés aux gouvernements. On observe alors une inversion des relations entre le prince et le conseiller. En théorie, le conseiller estime qu’il est porteur de science et le prince pense qu’il trouve ainsi une justification « objective » de sa politique. En pratique, ce dernier va chercher dans les théories économiques en concurrence celles qui lui sont favorables. Par exemple, la nouvelle théorie monétaire américaine vient à point nommé réhabiliter la politique budgétaire face aux limites que rencontrent la Banque Centrale. Cette apparente révolution intellectuelle vient appuyer le fait que la dépense publique doit être à nouveau un outil puissant pour les Etats-Unis.

Pourtant, ils sont encore très écoutés par les élites et le pouvoir. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R.B- Se reproduit aujourd’hui un phénomène déjà observé à propos des instituts de prévision lors de la fin des trente glorieuses. Plus mauvaise était la qualité de leurs prévisions, plus ils se multipliaient car tour à tour ils avaient raison puis se trompaient. Aucun ne parvenait à percer la grande incertitude liée à un changement d’époque. De nos jours, la même configuration prévaut concernant l’expertise économique : le politique demande d’autant plus d’avis aux économistes qu’il doute de leur expertise ! Il en est de même concernant l’explosion des sondages d’opinion censés éclairer les élections. Comment devrait progresser la connaissance économique ? Par la reconnaissance des erreurs et leur correction, phénomène trop rare. Par ailleurs, il faut savoir avouer que l’on ne sait pas.

La pandémie pourrait-elle permettre de renouveler la vision des économistes dans les pays riches ?

R.B- Les pays riches étaient sûrs que la sophistication de leur système de santé et la vigueur de la recherche pharmaceutique et biologique allaient leur permettre d’éviter le retour des épidémies. Lorsque la Covid-19 est apparue à Wuhan, beaucoup de gouvernements des pays riches pensaient que ce virus allait concerner seulement les pays pauvres. En fait, beaucoup d’Etats ont découvert un bien commun passé jusque-là inaperçu : la sécurité sanitaire mondiale.

Les pays africains qui étaient supposés plus vulnérables ont résisté car leur population était beaucoup plus jeune et les responsables avaient appris des épidémies précédentes, telle Ebola. De même certains Etats asiatiques avaient conservé des stratégies de prévention pour affronter collectivement des nouvelles pandémies. Voilà qui devrait renouveler l’intérêt des économistes pour le rôle parfois déterminant du système de santé : au-delà du contrôle de la croissance des coûts s’impose la prise en considération de sa résilience face à l’imprévu. De même, une série de décisions de court terme peut déboucher sur une crise majeure, comme le montre la situation présente des hôpitaux.

 

Quel(s) rôle(s) les Etats ont-ils pu jouer depuis les dernières crises économiques et sanitaires ?

R.B- Après 2008 et la pandémie, l’Etat est redevenu le maître des horloges. Il socialise les anticipations, ce qui permet aux acteurs de se repérer face à une incertitude qui leur échappe. C’est à l’Etat de fixer le cap en matière de stratégie sanitaire. La pandémie a également rappelé que la monnaie est créée en fonction des besoins de la société. La Banque Centrale Européenne a pu refinancer sur le marché secondaire les dettes publiques associées au Covid-19 et non plus seulement des crédits privés.

Le déficit public est redevenu un outil essentiel pour passer les périodes difficiles. Certains voulaient interdire dans la constitution tout déficit public. On a redécouvert que la solidarité nationale s’exprime grâce à l’Etat. Les années Covid-19 resteront comme une grande césure dans l’histoire. Il est peu probable que l’on retourne vers un passé marqué par de nombreux problèmes structurels non résolus.

Quelles sont les leçons de la crise sanitaire en matière d’inégalités ?

R.B- Sur le plan des inégalités, la pandémie a rappelé qu’au sein des sociétés la privation de l’accès aux services publics, aux hôpitaux, aux médecins accentue les disparités entre les riches et les pauvres. Les plus précaires obligés de travailler habitent dans des zones bien moins desservies sur le plan médical. On redécouvre des inégalités dans le pronostic vital et l’espérance de vie. La pandémie a reformulé la question à partir de la capacité des personnes à mener une vie en bonne santé.

Le système de santé, miné par la volonté de réduire les coûts, a tenu grâce aux initiatives et au dévouement du personnel, situation qui n’est pas tenable à long terme. La médecine de ville et les hôpitaux publics et privés n’ont pas été réorganisés. En 2000, la France avait le meilleur système de santé d’après l’OMS. Il a dégringolé depuis et est devenu inégalitaire et inefficient.

Sur le plan international, la pandémie risque de laisser des traces durables dans nombre de pays pauvres. L’illettrisme dans les pays pauvres s’y est développé, ce qui augure mal des possibilités de développement humain et économique. Dans tous les pays, la pandémie a attisé les tensions sociales.

Les institutions internationales ont-elles joué leur rôle ces dernières années ?

R.B- L’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloquée et le FMI n’apparaît qu’au moment des crises les plus graves, comme c’est encore le cas en Argentine. Sur le front international, font défaut les institutions nécessaires. Il faudrait créer une agence pour le climat qui soit aussi forte que le FMI ou la Banque mondiale à une certaine époque. Un institut international de la migration ne serait pas inutile car avec le changement climatique, les vagues migratoires pourraient être considérables.

Enfin, l’organisation mondiale de la santé (OMS) devrait avoir le pouvoir d’organiser la sécurité sanitaire mondiale mais aussi de piloter l’innovation médicale pour répondre par des dispositifs de prévention à des pandémies. Ce avec un budget conséquent et des moyens pour vacciner à l’échelle mondiale. Les institutions de Brettons Woods ont vieilli et de nouvelles peinent à émerger. La crise va durer en fonction de l’incapacité à engendrer ces institutions. Nous vivons donc une période charnière et historique mais lourde de risques.

Dans votre ouvrage, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de sortie de crise. Plus de deux années après le début de la pandémie, sur quel type de capitalisme cette crise pourrait-elle déboucher ?

R.B- Nous avons échappé au scénario de la dystopie d’un repliement nationaliste général, qui serait intervenu avec une seconde victoire de Donald Trump. Joe Biden a provisoirement enrayé ce scénario. Cette crise a cependant révélé un très grand retard dans la coopération internationale. On enregistre certes quelques avancées sur la fiscalité des multinationales, ou encore l’initiative COVAX pour les vaccins. L’Europe a pour la première fois émis des titres de dette européens. Un pas a été franchi mais d’autres seront nécessaires. Prise entre les Etats-Unis et la Russie, l’Europe est un partenaire sans grand pouvoir géopolitique. Dans la crise de l’Ukraine, le multilatéralisme est loin de s’affirmer. L’économie mondiale est à nouveau proche de conflits ouverts impliquant les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

La crise de 2008 et la pandémie ont révélé beaucoup de structures cachées. La finance était aux yeux de beaucoup un facteur de stabilisation. Ce n’était pas le cas puisqu’elle peut durablement enrayer la croissance de certains pays, ce dont l’Argentine donne un cruel exemple. Le monde a-t-il raison de continuer la financiarisation ?

La mondialisation a été beaucoup critiquée ces dernières décennies. Dans quelle direction la globalisation pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?

R.B- La globalisation a certes permis à la Chine de se développer mais elle a induit beaucoup de problèmes qui ne sont pas résolus. La mondialisation a été heureuse pour quelques-uns et moins bonne pour beaucoup d’autres. La pandémie a redistribué la carte du monde, en accélérant le déplacement de son centre de gravité en direction de l’Asie. Partout les failles de la globalisation ont favorisé le retour du principe de souveraineté nationale qui est aussi une menace pour l’Union Européenne qui se trouve sans doute à la croisée des chemins.

Nous vivons une période charnière. Les Etats-Unis attendaient l’effondrement de la Chine, à l’image de celle de l’URSS. Or la Chine ne va pas rejoindre l’idéal occidental. Elle vient de signer le plus grand traité régional de libre-échange sur la planète. L’Europe ne peut plus affirmer qu’elle est la plus vaste zone de libre-échange. Taïwan, la Corée du Sud et d’autres pays du Sud ont réussi à bien mieux s’en sortir que d’autres pays. Le monde a changé mais l’Europe est à la traîne.

Quel regard portez-vous sur la polarisation à l’intérieur des sociétés ?

R.B- Dans beaucoup de pays, deux fractions de la société aux conceptions opposées s’affrontent sur toutes les questions : l’ouverture à l’international, l’immigration, l’organisation des services collectifs ou encore la fiscalité. Le Brexit est à ce titre emblématique car il a mis en exergue la profondeur de cette division. Les différents sondages et enquêtes ont montré que les ruraux, peu diplômés et âgés ont voté en faveur du Brexit. A l’inverse, les jeunes urbains diplômés ont voté pour l’Europe. Les gouvernements doivent faire face à de redoutables difficultés d’intermédiation car ils ne peuvent trouver une solution médiane tant les attentes sont contradictoires.

Auparavant, les Etats compensaient les perdants par des transferts monétaires. Comme cette solution traditionnelle est inopérante car le conflit porte sur les valeurs, les gouvernements sont tentés par l’autoritarisme. La démocratie représentative est en crise, ce qui appelle une refondation. Dans beaucoup de pays, la polarisation s’avère insurmontable. Ainsi Joe Biden s’est retrouvé coincé entre la gauche des démocrates et les trumpistes du parti républicain qui entendent gagner les élections de mi-mandat. Alors même que son expérience de négociateur est reconnue, les marges de manœuvre se sont vite rétrécies, car il y a peu de compromis possibles. La question de la reconstruction du lien social est posée et les solutions sont à trouver

Société- Le grave manque de culture et de vision des économistes ( Robert Boyer, économiste)

Société- Le grave manque de culture et de vision  des économistes  ( Robert Boyer, économiste)

 

L’économiste Robert Boyer pointe dans son dernier ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie » (Ed. La Sorbonne) les nombreuses failles de la science économique dominante à expliquer les grande crises économique et sanitaire récentes. Figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta, l’économiste Robert Boyer  plaide pour la création d’agora géante qui pourrait « être le terreau d’une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société ».

Robert Boyer est une figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta. Anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, ce polytechnicien collabore à l’institut des Amériques et anime l’association Recherche et régulation. 

LA TRIBUNE- Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer à ce sujet dans votre dernier ouvrage ?

ROBERT BOYER- J’ai commencé à travailler comme économiste en 1967. A cette époque, je pensais qu’une discipline économique était en voie de constitution et j’espérais y participer. Elle était rigoureuse et permettait d’éclairer de façon assez précise les choix de politique économique. Rétrospectivement le keynésianisme était en effet relativement adapté à la prise en compte des compromis sociaux de l’après Seconde guerre mondiale. Ce n’est plus le cas lorsqu’apparait en 1973 le phénomène de la stagflation, soit une forte inflation malgré la chute de l’activité économique. C’était l’indice de l’entrée dans une nouvelle époque du capitalisme, hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation, que je n’ai cessé depuis lors de travailler. De son côté la majorité des économistes a interprété cet échec comme la conséquence directe de l’absence de bases microéconomiques de la théorie générale de Keynes.

S’est imposée l’idée qu’il fallait refonder la macroéconomie sur la microéconomie. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, mais très vite plusieurs problèmes ont surgi tel le recours à la notion d’agent représentatif, d’anticipations rationnelles, d’équilibre structurellement stable, autant d’hypothèses intenables. Ce programme qui était au début scientifique a été utilisé, au fil du temps, comme justification des stratégies de déréglementation et de libéralisation. Pendant 30 ans, la macroéconomie s’est enfoncée dans l’exploration de prémices totalement faux. Les Etats-Unis étaient réduits à un ensemble de producteurs et de consommateurs, sans prise en compte aucune du rôle des banques, des marchés financiers, et de toutes les organisations et institutions encadrant l’activité économique.

J’ai vu avec étonnement la discipline évoluer et perdre beaucoup de sa pertinence. Pour cerner les raisons de cette dérive, je l’ai resituée par rapport à l’histoire des grands courants de la pensée. Au fil des décennies, j’ai accumulé suffisamment de matériaux pour montrer que la profession d’économiste a beaucoup changé. A grands traits elle est animée par de virtuoses techniciens qui rendent des services aux acteurs mais de moins en moins par de grands économistes dont la visée serait d’analyser les enjeux du monde contemporain. La crise de la macroéconomie est beaucoup plus profonde que l’on ne pense. Le livre soutient que ce sont les bases de la discipline qui sont en cause et non pas quelques erreurs mineures. La crise de 2008 a fait éclater au grand jour la crise de cette nouvelle macroéconomie classique.

Vous affirmez que l’institutionnalisation de la profession d’économiste a conduit à produire des spécialistes de la modélisation mais peu de chercheurs capables de conceptualiser les bases de la discipline. Que voulez-vous dire par là ?

R.B- Dans les années 30, les Etats-Unis comptaient quelques milliers d’économistes. Aujourd’hui, ce pays en recense des centaines de milliers. A l’époque, de grands économistes, de Joseph Schumpeter à Frederick von Hayek, dialoguaient entre eux dans la recherche d’explications à la crise de 1929. C’est l’éclatement du métier qui prévaut : certains sont économistes de banque, d’autres sont économètres, d’autres encore travaillent dans des think tank visant à influencer la politique des gouvernements. Le métier s’est considérablement diversifié en une myriade d’approches, de techniques appliquées aux différents secteurs de l’économie. On note aussi un éclatement des demandes à l’égard des économistes. Leur spécialisation est tellement poussée qu’elle débouche sur une anomie de la division du travail, telle que conceptualisée par le sociologue Emile Durkheim. Sur une même question – par exemple les marchés financiers sont-ils efficients ? – les diverses branches de la discipline livrent des réponses contradictoires.

La structuration du champ académique (hiérarchie des revues, modalités de recrutement des enseignants) crée un système formant essentiellement des techniciens affirmez-vous. Comment faire pour accorder plus de reconnaissance aux intellectuels en économie ?

R.B- On peut distinguer trois phases dans la structuration du champ académique. La première avait pour projet de fonder la discipline sur la théorie de l’équilibre général. Les chercheurs allaient pouvoir produire une formalisation d’une économie de marché justifiant l’image de la main invisible d’Adam Smith, à savoir la possibilité et l’optimalité d’une économie décentralisée où chacun ne poursuit que son intérêt. En fait les mathématiciens finissent par conclure que ce n’est le cas que sous des hypothèses très restrictives, non satisfaites dans les économies contemporaines du fait de l’existence du crédit, de rendements d’échelle, de pouvoir de monopole. Ainsi loin d’être un fait scientifique, la main invisible devient une croyance.

Une deuxième phase enregistre une succession de modélisations macroéconomiques qui entendent remplacer celles inspirées par Keynes. C’est d’abord la théorie monétariste de Milton Friedman qui s’impose comme explicative de l’inflation. Mais elle périclite lorsque se multiplient les innovations qui assurent la liquidité de nombreux actifs financiers, puis quand l’aisance monétaire ne débouche pas sur une accélération de l’inflation, mesurée par les prix à la consommation. Ce sont ensuite des modèles qui modernisent la théorie classique sous l’hypothèse d’auto-équilibration des marchés, transitoirement perturbés par des « chocs » réels ou monétaires. Les Banques Centrales usent de ces modèles mais ils montrent leurs limites lors de la crise de 2008.

Aussi dans une troisième étape, passe-t-on des grandes théories à l’économétrie et de l’économétrie à la « métrie », c’est-à-dire l’application des avancées des techniques statistiques à toutes les données disponibles, bien au-delà des phénomènes économiques.

D’un côté, avec les masses de données produites en temps réel par la finance, une nouvelle discipline, fondée sur les mathématiques financières, prend son essor, sans trop se préoccuper des conséquences macroéconomiques des nouveaux instruments qu’elle invente. Avec l’économie de l’information, apparaît ensuite le besoin d’analyser ces données grâce à l’intelligence artificielle.

De l’autre côté, les recherches en macroéconomie sont presque complètement désertées. Rares sont les jeunes et talentueux chercheurs qui osent se lancer dans un domaine aussi difficile. Or, les dernières crises ont fait apparaître le besoin d’une analyse des économies et des relations qu’elles entretiennent dans un système international en crise. Lorsque la crise financière de 2008 éclate, la macroéconomie se rappelle au bon souvenir des gouvernements et des économistes. L’irruption de la pandémie appelle des réponses, en matière de politique monétaire et budgétaire, soit des questions que la microéconomie ne peut traiter.

Vous évoquez notamment une crise de la macroéconomie. Quels sont les facteurs qui ont pu contribuer à affaiblir cette discipline ?

R.B- D’abord trop souvent le chercheur ne distingue pas entre vision, théorie, modèle, mécanisme, alors que ce sont des concepts bien différents. Une série de modèles, au demeurant fragiles dès qu’on les utilise pour prévoir, ne fondent pas une science car ce ne sont souvent que des éclairages partiels ou des aides à la décision. Ensuite chacun a tendance à se focaliser sur un mécanisme parmi beaucoup d’autres or le propre de la macroéconomie est de prendre en compte et d’articuler l’ensemble des mécanismes pertinents. Enfin, la clôture du champ de la macroéconomie sur lui-même lui interdit de reconnaître sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Plus encore, son accent sur le court terme n’est guère favorable à la reconnaissance des enjeux que sont devenus l’écologie, les pandémies, l’inégalité tant domestique qu’internationale.

Il est sans doute illusoire d’attendre la venue d’un nouveau Keynes. De nos jours, la formation universitaire des économistes ne livre pas une formation suffisamment généraliste permettant de formuler des questions pertinentes et les éclairer. Keynes considérait que « l’économiste doit posséder une rare combinaison de dons…D’une certaine façon, il doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe… Aucune partie de la nature de l’homme ou de ses institutions ne devrait être entièrement hors de sa considération. » Bref un grand intellectuel !

Pourquoi les grands courants économiques dominants ont échoué à rendre compte des grandes crises du 20ème siècle et du 21ème siècle ?

R-B- Les macro-économistes ont pris beaucoup de retard par rapport aux considérables transformations du capitalisme. La plupart ont exclu de leurs modèles la possibilité même de crises. Par définition, l’économie perturbée par des chocs externes revient automatiquement vers l’équilibre de long terme. Or tel n’est pas le cas car la nature des processus économiques est beaucoup plus complexe et changeante dans le temps.

Dans un tel contexte d’incertitude sur les mécanismes à l’œuvre, chaque école de pensée tend à privilégier son interprétation. Ainsi les enjeux s’en trouvent simplifiés, ce qui polarise les conseils adressés aux gouvernements. On observe alors une inversion des relations entre le prince et le conseiller. En théorie, le conseiller estime qu’il est porteur de science et le prince pense qu’il trouve ainsi une justification « objective » de sa politique. En pratique, ce dernier va chercher dans les théories économiques en concurrence celles qui lui sont favorables. Par exemple, la nouvelle théorie monétaire américaine vient à point nommé réhabiliter la politique budgétaire face aux limites que rencontrent la Banque Centrale. Cette apparente révolution intellectuelle vient appuyer le fait que la dépense publique doit être à nouveau un outil puissant pour les Etats-Unis.

Pourtant, ils sont encore très écoutés par les élites et le pouvoir. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R.B- Se reproduit aujourd’hui un phénomène déjà observé à propos des instituts de prévision lors de la fin des trente glorieuses. Plus mauvaise était la qualité de leurs prévisions, plus ils se multipliaient car tour à tour ils avaient raison puis se trompaient. Aucun ne parvenait à percer la grande incertitude liée à un changement d’époque. De nos jours, la même configuration prévaut concernant l’expertise économique : le politique demande d’autant plus d’avis aux économistes qu’il doute de leur expertise ! Il en est de même concernant l’explosion des sondages d’opinion censés éclairer les élections. Comment devrait progresser la connaissance économique ? Par la reconnaissance des erreurs et leur correction, phénomène trop rare. Par ailleurs, il faut savoir avouer que l’on ne sait pas.

La pandémie pourrait-elle permettre de renouveler la vision des économistes dans les pays riches ?

R.B- Les pays riches étaient sûrs que la sophistication de leur système de santé et la vigueur de la recherche pharmaceutique et biologique allaient leur permettre d’éviter le retour des épidémies. Lorsque la Covid-19 est apparue à Wuhan, beaucoup de gouvernements des pays riches pensaient que ce virus allait concerner seulement les pays pauvres. En fait, beaucoup d’Etats ont découvert un bien commun passé jusque-là inaperçu : la sécurité sanitaire mondiale.

Les pays africains qui étaient supposés plus vulnérables ont résisté car leur population était beaucoup plus jeune et les responsables avaient appris des épidémies précédentes, telle Ebola. De même certains Etats asiatiques avaient conservé des stratégies de prévention pour affronter collectivement des nouvelles pandémies. Voilà qui devrait renouveler l’intérêt des économistes pour le rôle parfois déterminant du système de santé : au-delà du contrôle de la croissance des coûts s’impose la prise en considération de sa résilience face à l’imprévu. De même, une série de décisions de court terme peut déboucher sur une crise majeure, comme le montre la situation présente des hôpitaux.

 

Quel(s) rôle(s) les Etats ont-ils pu jouer depuis les dernières crises économiques et sanitaires ?

R.B- Après 2008 et la pandémie, l’Etat est redevenu le maître des horloges. Il socialise les anticipations, ce qui permet aux acteurs de se repérer face à une incertitude qui leur échappe. C’est à l’Etat de fixer le cap en matière de stratégie sanitaire. La pandémie a également rappelé que la monnaie est créée en fonction des besoins de la société. La Banque Centrale Européenne a pu refinancer sur le marché secondaire les dettes publiques associées au Covid-19 et non plus seulement des crédits privés.

Le déficit public est redevenu un outil essentiel pour passer les périodes difficiles. Certains voulaient interdire dans la constitution tout déficit public. On a redécouvert que la solidarité nationale s’exprime grâce à l’Etat. Les années Covid-19 resteront comme une grande césure dans l’histoire. Il est peu probable que l’on retourne vers un passé marqué par de nombreux problèmes structurels non résolus.

Quelles sont les leçons de la crise sanitaire en matière d’inégalités ?

R.B- Sur le plan des inégalités, la pandémie a rappelé qu’au sein des sociétés la privation de l’accès aux services publics, aux hôpitaux, aux médecins accentue les disparités entre les riches et les pauvres. Les plus précaires obligés de travailler habitent dans des zones bien moins desservies sur le plan médical. On redécouvre des inégalités dans le pronostic vital et l’espérance de vie. La pandémie a reformulé la question à partir de la capacité des personnes à mener une vie en bonne santé.

Le système de santé, miné par la volonté de réduire les coûts, a tenu grâce aux initiatives et au dévouement du personnel, situation qui n’est pas tenable à long terme. La médecine de ville et les hôpitaux publics et privés n’ont pas été réorganisés. En 2000, la France avait le meilleur système de santé d’après l’OMS. Il a dégringolé depuis et est devenu inégalitaire et inefficient.

Sur le plan international, la pandémie risque de laisser des traces durables dans nombre de pays pauvres. L’illettrisme dans les pays pauvres s’y est développé, ce qui augure mal des possibilités de développement humain et économique. Dans tous les pays, la pandémie a attisé les tensions sociales.

Les institutions internationales ont-elles joué leur rôle ces dernières années ?

R.B- L’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloquée et le FMI n’apparaît qu’au moment des crises les plus graves, comme c’est encore le cas en Argentine. Sur le front international, font défaut les institutions nécessaires. Il faudrait créer une agence pour le climat qui soit aussi forte que le FMI ou la Banque mondiale à une certaine époque. Un institut international de la migration ne serait pas inutile car avec le changement climatique, les vagues migratoires pourraient être considérables.

Enfin, l’organisation mondiale de la santé (OMS) devrait avoir le pouvoir d’organiser la sécurité sanitaire mondiale mais aussi de piloter l’innovation médicale pour répondre par des dispositifs de prévention à des pandémies. Ce avec un budget conséquent et des moyens pour vacciner à l’échelle mondiale. Les institutions de Brettons Woods ont vieilli et de nouvelles peinent à émerger. La crise va durer en fonction de l’incapacité à engendrer ces institutions. Nous vivons donc une période charnière et historique mais lourde de risques.

Dans votre ouvrage, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de sortie de crise. Plus de deux années après le début de la pandémie, sur quel type de capitalisme cette crise pourrait-elle déboucher ?

R.B- Nous avons échappé au scénario de la dystopie d’un repliement nationaliste général, qui serait intervenu avec une seconde victoire de Donald Trump. Joe Biden a provisoirement enrayé ce scénario. Cette crise a cependant révélé un très grand retard dans la coopération internationale. On enregistre certes quelques avancées sur la fiscalité des multinationales, ou encore l’initiative COVAX pour les vaccins. L’Europe a pour la première fois émis des titres de dette européens. Un pas a été franchi mais d’autres seront nécessaires. Prise entre les Etats-Unis et la Russie, l’Europe est un partenaire sans grand pouvoir géopolitique. Dans la crise de l’Ukraine, le multilatéralisme est loin de s’affirmer. L’économie mondiale est à nouveau proche de conflits ouverts impliquant les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

La crise de 2008 et la pandémie ont révélé beaucoup de structures cachées. La finance était aux yeux de beaucoup un facteur de stabilisation. Ce n’était pas le cas puisqu’elle peut durablement enrayer la croissance de certains pays, ce dont l’Argentine donne un cruel exemple. Le monde a-t-il raison de continuer la financiarisation ?

La mondialisation a été beaucoup critiquée ces dernières décennies. Dans quelle direction la globalisation pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?

R.B- La globalisation a certes permis à la Chine de se développer mais elle a induit beaucoup de problèmes qui ne sont pas résolus. La mondialisation a été heureuse pour quelques-uns et moins bonne pour beaucoup d’autres. La pandémie a redistribué la carte du monde, en accélérant le déplacement de son centre de gravité en direction de l’Asie. Partout les failles de la globalisation ont favorisé le retour du principe de souveraineté nationale qui est aussi une menace pour l’Union Européenne qui se trouve sans doute à la croisée des chemins.

Nous vivons une période charnière. Les Etats-Unis attendaient l’effondrement de la Chine, à l’image de celle de l’URSS. Or la Chine ne va pas rejoindre l’idéal occidental. Elle vient de signer le plus grand traité régional de libre-échange sur la planète. L’Europe ne peut plus affirmer qu’elle est la plus vaste zone de libre-échange. Taïwan, la Corée du Sud et d’autres pays du Sud ont réussi à bien mieux s’en sortir que d’autres pays. Le monde a changé mais l’Europe est à la traîne.

Quel regard portez-vous sur la polarisation à l’intérieur des sociétés ?

R.B- Dans beaucoup de pays, deux fractions de la société aux conceptions opposées s’affrontent sur toutes les questions : l’ouverture à l’international, l’immigration, l’organisation des services collectifs ou encore la fiscalité. Le Brexit est à ce titre emblématique car il a mis en exergue la profondeur de cette division. Les différents sondages et enquêtes ont montré que les ruraux, peu diplômés et âgés ont voté en faveur du Brexit. A l’inverse, les jeunes urbains diplômés ont voté pour l’Europe. Les gouvernements doivent faire face à de redoutables difficultés d’intermédiation car ils ne peuvent trouver une solution médiane tant les attentes sont contradictoires.

Auparavant, les Etats compensaient les perdants par des transferts monétaires. Comme cette solution traditionnelle est inopérante car le conflit porte sur les valeurs, les gouvernements sont tentés par l’autoritarisme. La démocratie représentative est en crise, ce qui appelle une refondation. Dans beaucoup de pays, la polarisation s’avère insurmontable. Ainsi Joe Biden s’est retrouvé coincé entre la gauche des démocrates et les trumpistes du parti républicain qui entendent gagner les élections de mi-mandat. Alors même que son expérience de négociateur est reconnue, les marges de manœuvre se sont vite rétrécies, car il y a peu de compromis possibles. La question de la reconstruction du lien social est posée et les solutions sont à trouver

 

Le grave manque de culture et de vision des économistes ( Robert Boyer, économiste)

Le grave manque de culture et de vision  des économistes  ( Robert Boyer, économiste)

 

L’économiste Robert Boyer pointe dans son dernier ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie » (Ed. La Sorbonne) les nombreuses failles de la science économique dominante à expliquer les grande crises économique et sanitaire récentes. Figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta, l’économiste Robert Boyer  plaide pour la création d’agora géante qui pourrait « être le terreau d’une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société ».

Robert Boyer est une figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta. Anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, ce polytechnicien collabore à l’institut des Amériques et anime l’association Recherche et régulation. 

LA TRIBUNE- Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer à ce sujet dans votre dernier ouvrage ?

ROBERT BOYER- J’ai commencé à travailler comme économiste en 1967. A cette époque, je pensais qu’une discipline économique était en voie de constitution et j’espérais y participer. Elle était rigoureuse et permettait d’éclairer de façon assez précise les choix de politique économique. Rétrospectivement le keynésianisme était en effet relativement adapté à la prise en compte des compromis sociaux de l’après Seconde guerre mondiale. Ce n’est plus le cas lorsqu’apparait en 1973 le phénomène de la stagflation, soit une forte inflation malgré la chute de l’activité économique. C’était l’indice de l’entrée dans une nouvelle époque du capitalisme, hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation, que je n’ai cessé depuis lors de travailler. De son côté la majorité des économistes a interprété cet échec comme la conséquence directe de l’absence de bases microéconomiques de la théorie générale de Keynes.

S’est imposée l’idée qu’il fallait refonder la macroéconomie sur la microéconomie. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, mais très vite plusieurs problèmes ont surgi tel le recours à la notion d’agent représentatif, d’anticipations rationnelles, d’équilibre structurellement stable, autant d’hypothèses intenables. Ce programme qui était au début scientifique a été utilisé, au fil du temps, comme justification des stratégies de déréglementation et de libéralisation. Pendant 30 ans, la macroéconomie s’est enfoncée dans l’exploration de prémices totalement faux. Les Etats-Unis étaient réduits à un ensemble de producteurs et de consommateurs, sans prise en compte aucune du rôle des banques, des marchés financiers, et de toutes les organisations et institutions encadrant l’activité économique.

J’ai vu avec étonnement la discipline évoluer et perdre beaucoup de sa pertinence. Pour cerner les raisons de cette dérive, je l’ai resituée par rapport à l’histoire des grands courants de la pensée. Au fil des décennies, j’ai accumulé suffisamment de matériaux pour montrer que la profession d’économiste a beaucoup changé. A grands traits elle est animée par de virtuoses techniciens qui rendent des services aux acteurs mais de moins en moins par de grands économistes dont la visée serait d’analyser les enjeux du monde contemporain. La crise de la macroéconomie est beaucoup plus profonde que l’on ne pense. Le livre soutient que ce sont les bases de la discipline qui sont en cause et non pas quelques erreurs mineures. La crise de 2008 a fait éclater au grand jour la crise de cette nouvelle macroéconomie classique.

Vous affirmez que l’institutionnalisation de la profession d’économiste a conduit à produire des spécialistes de la modélisation mais peu de chercheurs capables de conceptualiser les bases de la discipline. Que voulez-vous dire par là ?

R.B- Dans les années 30, les Etats-Unis comptaient quelques milliers d’économistes. Aujourd’hui, ce pays en recense des centaines de milliers. A l’époque, de grands économistes, de Joseph Schumpeter à Frederick von Hayek, dialoguaient entre eux dans la recherche d’explications à la crise de 1929. C’est l’éclatement du métier qui prévaut : certains sont économistes de banque, d’autres sont économètres, d’autres encore travaillent dans des think tank visant à influencer la politique des gouvernements. Le métier s’est considérablement diversifié en une myriade d’approches, de techniques appliquées aux différents secteurs de l’économie. On note aussi un éclatement des demandes à l’égard des économistes. Leur spécialisation est tellement poussée qu’elle débouche sur une anomie de la division du travail, telle que conceptualisée par le sociologue Emile Durkheim. Sur une même question – par exemple les marchés financiers sont-ils efficients ? – les diverses branches de la discipline livrent des réponses contradictoires.

La structuration du champ académique (hiérarchie des revues, modalités de recrutement des enseignants) crée un système formant essentiellement des techniciens affirmez-vous. Comment faire pour accorder plus de reconnaissance aux intellectuels en économie ?

R.B- On peut distinguer trois phases dans la structuration du champ académique. La première avait pour projet de fonder la discipline sur la théorie de l’équilibre général. Les chercheurs allaient pouvoir produire une formalisation d’une économie de marché justifiant l’image de la main invisible d’Adam Smith, à savoir la possibilité et l’optimalité d’une économie décentralisée où chacun ne poursuit que son intérêt. En fait les mathématiciens finissent par conclure que ce n’est le cas que sous des hypothèses très restrictives, non satisfaites dans les économies contemporaines du fait de l’existence du crédit, de rendements d’échelle, de pouvoir de monopole. Ainsi loin d’être un fait scientifique, la main invisible devient une croyance.

Une deuxième phase enregistre une succession de modélisations macroéconomiques qui entendent remplacer celles inspirées par Keynes. C’est d’abord la théorie monétariste de Milton Friedman qui s’impose comme explicative de l’inflation. Mais elle périclite lorsque se multiplient les innovations qui assurent la liquidité de nombreux actifs financiers, puis quand l’aisance monétaire ne débouche pas sur une accélération de l’inflation, mesurée par les prix à la consommation. Ce sont ensuite des modèles qui modernisent la théorie classique sous l’hypothèse d’auto-équilibration des marchés, transitoirement perturbés par des « chocs » réels ou monétaires. Les Banques Centrales usent de ces modèles mais ils montrent leurs limites lors de la crise de 2008.

Aussi dans une troisième étape, passe-t-on des grandes théories à l’économétrie et de l’économétrie à la « métrie », c’est-à-dire l’application des avancées des techniques statistiques à toutes les données disponibles, bien au-delà des phénomènes économiques.

D’un côté, avec les masses de données produites en temps réel par la finance, une nouvelle discipline, fondée sur les mathématiques financières, prend son essor, sans trop se préoccuper des conséquences macroéconomiques des nouveaux instruments qu’elle invente. Avec l’économie de l’information, apparaît ensuite le besoin d’analyser ces données grâce à l’intelligence artificielle.

De l’autre côté, les recherches en macroéconomie sont presque complètement désertées. Rares sont les jeunes et talentueux chercheurs qui osent se lancer dans un domaine aussi difficile. Or, les dernières crises ont fait apparaître le besoin d’une analyse des économies et des relations qu’elles entretiennent dans un système international en crise. Lorsque la crise financière de 2008 éclate, la macroéconomie se rappelle au bon souvenir des gouvernements et des économistes. L’irruption de la pandémie appelle des réponses, en matière de politique monétaire et budgétaire, soit des questions que la microéconomie ne peut traiter.

Vous évoquez notamment une crise de la macroéconomie. Quels sont les facteurs qui ont pu contribuer à affaiblir cette discipline ?

R.B- D’abord trop souvent le chercheur ne distingue pas entre vision, théorie, modèle, mécanisme, alors que ce sont des concepts bien différents. Une série de modèles, au demeurant fragiles dès qu’on les utilise pour prévoir, ne fondent pas une science car ce ne sont souvent que des éclairages partiels ou des aides à la décision. Ensuite chacun a tendance à se focaliser sur un mécanisme parmi beaucoup d’autres or le propre de la macroéconomie est de prendre en compte et d’articuler l’ensemble des mécanismes pertinents. Enfin, la clôture du champ de la macroéconomie sur lui-même lui interdit de reconnaître sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Plus encore, son accent sur le court terme n’est guère favorable à la reconnaissance des enjeux que sont devenus l’écologie, les pandémies, l’inégalité tant domestique qu’internationale.

Il est sans doute illusoire d’attendre la venue d’un nouveau Keynes. De nos jours, la formation universitaire des économistes ne livre pas une formation suffisamment généraliste permettant de formuler des questions pertinentes et les éclairer. Keynes considérait que « l’économiste doit posséder une rare combinaison de dons…D’une certaine façon, il doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe… Aucune partie de la nature de l’homme ou de ses institutions ne devrait être entièrement hors de sa considération. » Bref un grand intellectuel !

Pourquoi les grands courants économiques dominants ont échoué à rendre compte des grandes crises du 20ème siècle et du 21ème siècle ?

R-B- Les macro-économistes ont pris beaucoup de retard par rapport aux considérables transformations du capitalisme. La plupart ont exclu de leurs modèles la possibilité même de crises. Par définition, l’économie perturbée par des chocs externes revient automatiquement vers l’équilibre de long terme. Or tel n’est pas le cas car la nature des processus économiques est beaucoup plus complexe et changeante dans le temps.

Dans un tel contexte d’incertitude sur les mécanismes à l’œuvre, chaque école de pensée tend à privilégier son interprétation. Ainsi les enjeux s’en trouvent simplifiés, ce qui polarise les conseils adressés aux gouvernements. On observe alors une inversion des relations entre le prince et le conseiller. En théorie, le conseiller estime qu’il est porteur de science et le prince pense qu’il trouve ainsi une justification « objective » de sa politique. En pratique, ce dernier va chercher dans les théories économiques en concurrence celles qui lui sont favorables. Par exemple, la nouvelle théorie monétaire américaine vient à point nommé réhabiliter la politique budgétaire face aux limites que rencontrent la Banque Centrale. Cette apparente révolution intellectuelle vient appuyer le fait que la dépense publique doit être à nouveau un outil puissant pour les Etats-Unis.

Pourtant, ils sont encore très écoutés par les élites et le pouvoir. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R.B- Se reproduit aujourd’hui un phénomène déjà observé à propos des instituts de prévision lors de la fin des trente glorieuses. Plus mauvaise était la qualité de leurs prévisions, plus ils se multipliaient car tour à tour ils avaient raison puis se trompaient. Aucun ne parvenait à percer la grande incertitude liée à un changement d’époque. De nos jours, la même configuration prévaut concernant l’expertise économique : le politique demande d’autant plus d’avis aux économistes qu’il doute de leur expertise ! Il en est de même concernant l’explosion des sondages d’opinion censés éclairer les élections. Comment devrait progresser la connaissance économique ? Par la reconnaissance des erreurs et leur correction, phénomène trop rare. Par ailleurs, il faut savoir avouer que l’on ne sait pas.

La pandémie pourrait-elle permettre de renouveler la vision des économistes dans les pays riches ?

R.B- Les pays riches étaient sûrs que la sophistication de leur système de santé et la vigueur de la recherche pharmaceutique et biologique allaient leur permettre d’éviter le retour des épidémies. Lorsque la Covid-19 est apparue à Wuhan, beaucoup de gouvernements des pays riches pensaient que ce virus allait concerner seulement les pays pauvres. En fait, beaucoup d’Etats ont découvert un bien commun passé jusque-là inaperçu : la sécurité sanitaire mondiale.

Les pays africains qui étaient supposés plus vulnérables ont résisté car leur population était beaucoup plus jeune et les responsables avaient appris des épidémies précédentes, telle Ebola. De même certains Etats asiatiques avaient conservé des stratégies de prévention pour affronter collectivement des nouvelles pandémies. Voilà qui devrait renouveler l’intérêt des économistes pour le rôle parfois déterminant du système de santé : au-delà du contrôle de la croissance des coûts s’impose la prise en considération de sa résilience face à l’imprévu. De même, une série de décisions de court terme peut déboucher sur une crise majeure, comme le montre la situation présente des hôpitaux.

 

Quel(s) rôle(s) les Etats ont-ils pu jouer depuis les dernières crises économiques et sanitaires ?

R.B- Après 2008 et la pandémie, l’Etat est redevenu le maître des horloges. Il socialise les anticipations, ce qui permet aux acteurs de se repérer face à une incertitude qui leur échappe. C’est à l’Etat de fixer le cap en matière de stratégie sanitaire. La pandémie a également rappelé que la monnaie est créée en fonction des besoins de la société. La Banque Centrale Européenne a pu refinancer sur le marché secondaire les dettes publiques associées au Covid-19 et non plus seulement des crédits privés.

Le déficit public est redevenu un outil essentiel pour passer les périodes difficiles. Certains voulaient interdire dans la constitution tout déficit public. On a redécouvert que la solidarité nationale s’exprime grâce à l’Etat. Les années Covid-19 resteront comme une grande césure dans l’histoire. Il est peu probable que l’on retourne vers un passé marqué par de nombreux problèmes structurels non résolus.

Quelles sont les leçons de la crise sanitaire en matière d’inégalités ?

R.B- Sur le plan des inégalités, la pandémie a rappelé qu’au sein des sociétés la privation de l’accès aux services publics, aux hôpitaux, aux médecins accentue les disparités entre les riches et les pauvres. Les plus précaires obligés de travailler habitent dans des zones bien moins desservies sur le plan médical. On redécouvre des inégalités dans le pronostic vital et l’espérance de vie. La pandémie a reformulé la question à partir de la capacité des personnes à mener une vie en bonne santé.

Le système de santé, miné par la volonté de réduire les coûts, a tenu grâce aux initiatives et au dévouement du personnel, situation qui n’est pas tenable à long terme. La médecine de ville et les hôpitaux publics et privés n’ont pas été réorganisés. En 2000, la France avait le meilleur système de santé d’après l’OMS. Il a dégringolé depuis et est devenu inégalitaire et inefficient.

Sur le plan international, la pandémie risque de laisser des traces durables dans nombre de pays pauvres. L’illettrisme dans les pays pauvres s’y est développé, ce qui augure mal des possibilités de développement humain et économique. Dans tous les pays, la pandémie a attisé les tensions sociales.

Les institutions internationales ont-elles joué leur rôle ces dernières années ?

R.B- L’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloquée et le FMI n’apparaît qu’au moment des crises les plus graves, comme c’est encore le cas en Argentine. Sur le front international, font défaut les institutions nécessaires. Il faudrait créer une agence pour le climat qui soit aussi forte que le FMI ou la Banque mondiale à une certaine époque. Un institut international de la migration ne serait pas inutile car avec le changement climatique, les vagues migratoires pourraient être considérables.

Enfin, l’organisation mondiale de la santé (OMS) devrait avoir le pouvoir d’organiser la sécurité sanitaire mondiale mais aussi de piloter l’innovation médicale pour répondre par des dispositifs de prévention à des pandémies. Ce avec un budget conséquent et des moyens pour vacciner à l’échelle mondiale. Les institutions de Brettons Woods ont vieilli et de nouvelles peinent à émerger. La crise va durer en fonction de l’incapacité à engendrer ces institutions. Nous vivons donc une période charnière et historique mais lourde de risques.

Dans votre ouvrage, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de sortie de crise. Plus de deux années après le début de la pandémie, sur quel type de capitalisme cette crise pourrait-elle déboucher ?

R.B- Nous avons échappé au scénario de la dystopie d’un repliement nationaliste général, qui serait intervenu avec une seconde victoire de Donald Trump. Joe Biden a provisoirement enrayé ce scénario. Cette crise a cependant révélé un très grand retard dans la coopération internationale. On enregistre certes quelques avancées sur la fiscalité des multinationales, ou encore l’initiative COVAX pour les vaccins. L’Europe a pour la première fois émis des titres de dette européens. Un pas a été franchi mais d’autres seront nécessaires. Prise entre les Etats-Unis et la Russie, l’Europe est un partenaire sans grand pouvoir géopolitique. Dans la crise de l’Ukraine, le multilatéralisme est loin de s’affirmer. L’économie mondiale est à nouveau proche de conflits ouverts impliquant les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

La crise de 2008 et la pandémie ont révélé beaucoup de structures cachées. La finance était aux yeux de beaucoup un facteur de stabilisation. Ce n’était pas le cas puisqu’elle peut durablement enrayer la croissance de certains pays, ce dont l’Argentine donne un cruel exemple. Le monde a-t-il raison de continuer la financiarisation ?

La mondialisation a été beaucoup critiquée ces dernières décennies. Dans quelle direction la globalisation pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?

R.B- La globalisation a certes permis à la Chine de se développer mais elle a induit beaucoup de problèmes qui ne sont pas résolus. La mondialisation a été heureuse pour quelques-uns et moins bonne pour beaucoup d’autres. La pandémie a redistribué la carte du monde, en accélérant le déplacement de son centre de gravité en direction de l’Asie. Partout les failles de la globalisation ont favorisé le retour du principe de souveraineté nationale qui est aussi une menace pour l’Union Européenne qui se trouve sans doute à la croisée des chemins.

Nous vivons une période charnière. Les Etats-Unis attendaient l’effondrement de la Chine, à l’image de celle de l’URSS. Or la Chine ne va pas rejoindre l’idéal occidental. Elle vient de signer le plus grand traité régional de libre-échange sur la planète. L’Europe ne peut plus affirmer qu’elle est la plus vaste zone de libre-échange. Taïwan, la Corée du Sud et d’autres pays du Sud ont réussi à bien mieux s’en sortir que d’autres pays. Le monde a changé mais l’Europe est à la traîne.

Quel regard portez-vous sur la polarisation à l’intérieur des sociétés ?

R.B- Dans beaucoup de pays, deux fractions de la société aux conceptions opposées s’affrontent sur toutes les questions : l’ouverture à l’international, l’immigration, l’organisation des services collectifs ou encore la fiscalité. Le Brexit est à ce titre emblématique car il a mis en exergue la profondeur de cette division. Les différents sondages et enquêtes ont montré que les ruraux, peu diplômés et âgés ont voté en faveur du Brexit. A l’inverse, les jeunes urbains diplômés ont voté pour l’Europe. Les gouvernements doivent faire face à de redoutables difficultés d’intermédiation car ils ne peuvent trouver une solution médiane tant les attentes sont contradictoires.

Auparavant, les Etats compensaient les perdants par des transferts monétaires. Comme cette solution traditionnelle est inopérante car le conflit porte sur les valeurs, les gouvernements sont tentés par l’autoritarisme. La démocratie représentative est en crise, ce qui appelle une refondation. Dans beaucoup de pays, la polarisation s’avère insurmontable. Ainsi Joe Biden s’est retrouvé coincé entre la gauche des démocrates et les trumpistes du parti républicain qui entendent gagner les élections de mi-mandat. Alors même que son expérience de négociateur est reconnue, les marges de manœuvre se sont vite rétrécies, car il y a peu de compromis possibles. La question de la reconstruction du lien social est posée et les solutions sont à trouver

 

Les économistes :un déficit cruel de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

Les économistes :un déficit cruel de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

L’économiste Robert Boyer pointe dans son dernier ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie » (Ed. La Sorbonne) les nombreuses failles de la science économique dominante à expliquer les grande crises économique et sanitaire récentes. Figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta, l’économiste Robert Boyer  plaide pour la création d’agora géante qui pourrait « être le terreau d’une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société ».

Robert Boyer est une figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta. Anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, ce polytechnicien collabore à l’institut des Amériques et anime l’association Recherche et régulation. 

LA TRIBUNE- Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer à ce sujet dans votre dernier ouvrage ?

ROBERT BOYER- J’ai commencé à travailler comme économiste en 1967. A cette époque, je pensais qu’une discipline économique était en voie de constitution et j’espérais y participer. Elle était rigoureuse et permettait d’éclairer de façon assez précise les choix de politique économique. Rétrospectivement le keynésianisme était en effet relativement adapté à la prise en compte des compromis sociaux de l’après Seconde guerre mondiale. Ce n’est plus le cas lorsqu’apparait en 1973 le phénomène de la stagflation, soit une forte inflation malgré la chute de l’activité économique. C’était l’indice de l’entrée dans une nouvelle époque du capitalisme, hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation, que je n’ai cessé depuis lors de travailler. De son côté la majorité des économistes a interprété cet échec comme la conséquence directe de l’absence de bases microéconomiques de la théorie générale de Keynes.

S’est imposée l’idée qu’il fallait refonder la macroéconomie sur la microéconomie. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, mais très vite plusieurs problèmes ont surgi tel le recours à la notion d’agent représentatif, d’anticipations rationnelles, d’équilibre structurellement stable, autant d’hypothèses intenables. Ce programme qui était au début scientifique a été utilisé, au fil du temps, comme justification des stratégies de déréglementation et de libéralisation. Pendant 30 ans, la macroéconomie s’est enfoncée dans l’exploration de prémices totalement faux. Les Etats-Unis étaient réduits à un ensemble de producteurs et de consommateurs, sans prise en compte aucune du rôle des banques, des marchés financiers, et de toutes les organisations et institutions encadrant l’activité économique.

J’ai vu avec étonnement la discipline évoluer et perdre beaucoup de sa pertinence. Pour cerner les raisons de cette dérive, je l’ai resituée par rapport à l’histoire des grands courants de la pensée. Au fil des décennies, j’ai accumulé suffisamment de matériaux pour montrer que la profession d’économiste a beaucoup changé. A grands traits elle est animée par de virtuoses techniciens qui rendent des services aux acteurs mais de moins en moins par de grands économistes dont la visée serait d’analyser les enjeux du monde contemporain. La crise de la macroéconomie est beaucoup plus profonde que l’on ne pense. Le livre soutient que ce sont les bases de la discipline qui sont en cause et non pas quelques erreurs mineures. La crise de 2008 a fait éclater au grand jour la crise de cette nouvelle macroéconomie classique.

Vous affirmez que l’institutionnalisation de la profession d’économiste a conduit à produire des spécialistes de la modélisation mais peu de chercheurs capables de conceptualiser les bases de la discipline. Que voulez-vous dire par là ?

R.B- Dans les années 30, les Etats-Unis comptaient quelques milliers d’économistes. Aujourd’hui, ce pays en recense des centaines de milliers. A l’époque, de grands économistes, de Joseph Schumpeter à Frederick von Hayek, dialoguaient entre eux dans la recherche d’explications à la crise de 1929. C’est l’éclatement du métier qui prévaut : certains sont économistes de banque, d’autres sont économètres, d’autres encore travaillent dans des think tank visant à influencer la politique des gouvernements. Le métier s’est considérablement diversifié en une myriade d’approches, de techniques appliquées aux différents secteurs de l’économie. On note aussi un éclatement des demandes à l’égard des économistes. Leur spécialisation est tellement poussée qu’elle débouche sur une anomie de la division du travail, telle que conceptualisée par le sociologue Emile Durkheim. Sur une même question – par exemple les marchés financiers sont-ils efficients ? – les diverses branches de la discipline livrent des réponses contradictoires.

La structuration du champ académique (hiérarchie des revues, modalités de recrutement des enseignants) crée un système formant essentiellement des techniciens affirmez-vous. Comment faire pour accorder plus de reconnaissance aux intellectuels en économie ?

R.B- On peut distinguer trois phases dans la structuration du champ académique. La première avait pour projet de fonder la discipline sur la théorie de l’équilibre général. Les chercheurs allaient pouvoir produire une formalisation d’une économie de marché justifiant l’image de la main invisible d’Adam Smith, à savoir la possibilité et l’optimalité d’une économie décentralisée où chacun ne poursuit que son intérêt. En fait les mathématiciens finissent par conclure que ce n’est le cas que sous des hypothèses très restrictives, non satisfaites dans les économies contemporaines du fait de l’existence du crédit, de rendements d’échelle, de pouvoir de monopole. Ainsi loin d’être un fait scientifique, la main invisible devient une croyance.

Une deuxième phase enregistre une succession de modélisations macroéconomiques qui entendent remplacer celles inspirées par Keynes. C’est d’abord la théorie monétariste de Milton Friedman qui s’impose comme explicative de l’inflation. Mais elle périclite lorsque se multiplient les innovations qui assurent la liquidité de nombreux actifs financiers, puis quand l’aisance monétaire ne débouche pas sur une accélération de l’inflation, mesurée par les prix à la consommation. Ce sont ensuite des modèles qui modernisent la théorie classique sous l’hypothèse d’auto-équilibration des marchés, transitoirement perturbés par des « chocs » réels ou monétaires. Les Banques Centrales usent de ces modèles mais ils montrent leurs limites lors de la crise de 2008.

Aussi dans une troisième étape, passe-t-on des grandes théories à l’économétrie et de l’économétrie à la « métrie », c’est-à-dire l’application des avancées des techniques statistiques à toutes les données disponibles, bien au-delà des phénomènes économiques.

D’un côté, avec les masses de données produites en temps réel par la finance, une nouvelle discipline, fondée sur les mathématiques financières, prend son essor, sans trop se préoccuper des conséquences macroéconomiques des nouveaux instruments qu’elle invente. Avec l’économie de l’information, apparaît ensuite le besoin d’analyser ces données grâce à l’intelligence artificielle.

De l’autre côté, les recherches en macroéconomie sont presque complètement désertées. Rares sont les jeunes et talentueux chercheurs qui osent se lancer dans un domaine aussi difficile. Or, les dernières crises ont fait apparaître le besoin d’une analyse des économies et des relations qu’elles entretiennent dans un système international en crise. Lorsque la crise financière de 2008 éclate, la macroéconomie se rappelle au bon souvenir des gouvernements et des économistes. L’irruption de la pandémie appelle des réponses, en matière de politique monétaire et budgétaire, soit des questions que la microéconomie ne peut traiter.

Vous évoquez notamment une crise de la macroéconomie. Quels sont les facteurs qui ont pu contribuer à affaiblir cette discipline ?

R.B- D’abord trop souvent le chercheur ne distingue pas entre vision, théorie, modèle, mécanisme, alors que ce sont des concepts bien différents. Une série de modèles, au demeurant fragiles dès qu’on les utilise pour prévoir, ne fondent pas une science car ce ne sont souvent que des éclairages partiels ou des aides à la décision. Ensuite chacun a tendance à se focaliser sur un mécanisme parmi beaucoup d’autres or le propre de la macroéconomie est de prendre en compte et d’articuler l’ensemble des mécanismes pertinents. Enfin, la clôture du champ de la macroéconomie sur lui-même lui interdit de reconnaître sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Plus encore, son accent sur le court terme n’est guère favorable à la reconnaissance des enjeux que sont devenus l’écologie, les pandémies, l’inégalité tant domestique qu’internationale.

Il est sans doute illusoire d’attendre la venue d’un nouveau Keynes. De nos jours, la formation universitaire des économistes ne livre pas une formation suffisamment généraliste permettant de formuler des questions pertinentes et les éclairer. Keynes considérait que « l’économiste doit posséder une rare combinaison de dons…D’une certaine façon, il doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe… Aucune partie de la nature de l’homme ou de ses institutions ne devrait être entièrement hors de sa considération. » Bref un grand intellectuel !

Pourquoi les grands courants économiques dominants ont échoué à rendre compte des grandes crises du 20ème siècle et du 21ème siècle ?

R-B- Les macro-économistes ont pris beaucoup de retard par rapport aux considérables transformations du capitalisme. La plupart ont exclu de leurs modèles la possibilité même de crises. Par définition, l’économie perturbée par des chocs externes revient automatiquement vers l’équilibre de long terme. Or tel n’est pas le cas car la nature des processus économiques est beaucoup plus complexe et changeante dans le temps.

Dans un tel contexte d’incertitude sur les mécanismes à l’œuvre, chaque école de pensée tend à privilégier son interprétation. Ainsi les enjeux s’en trouvent simplifiés, ce qui polarise les conseils adressés aux gouvernements. On observe alors une inversion des relations entre le prince et le conseiller. En théorie, le conseiller estime qu’il est porteur de science et le prince pense qu’il trouve ainsi une justification « objective » de sa politique. En pratique, ce dernier va chercher dans les théories économiques en concurrence celles qui lui sont favorables. Par exemple, la nouvelle théorie monétaire américaine vient à point nommé réhabiliter la politique budgétaire face aux limites que rencontrent la Banque Centrale. Cette apparente révolution intellectuelle vient appuyer le fait que la dépense publique doit être à nouveau un outil puissant pour les Etats-Unis.

Pourtant, ils sont encore très écoutés par les élites et le pouvoir. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R.B- Se reproduit aujourd’hui un phénomène déjà observé à propos des instituts de prévision lors de la fin des trente glorieuses. Plus mauvaise était la qualité de leurs prévisions, plus ils se multipliaient car tour à tour ils avaient raison puis se trompaient. Aucun ne parvenait à percer la grande incertitude liée à un changement d’époque. De nos jours, la même configuration prévaut concernant l’expertise économique : le politique demande d’autant plus d’avis aux économistes qu’il doute de leur expertise ! Il en est de même concernant l’explosion des sondages d’opinion censés éclairer les élections. Comment devrait progresser la connaissance économique ? Par la reconnaissance des erreurs et leur correction, phénomène trop rare. Par ailleurs, il faut savoir avouer que l’on ne sait pas.

La pandémie pourrait-elle permettre de renouveler la vision des économistes dans les pays riches ?

R.B- Les pays riches étaient sûrs que la sophistication de leur système de santé et la vigueur de la recherche pharmaceutique et biologique allaient leur permettre d’éviter le retour des épidémies. Lorsque la Covid-19 est apparue à Wuhan, beaucoup de gouvernements des pays riches pensaient que ce virus allait concerner seulement les pays pauvres. En fait, beaucoup d’Etats ont découvert un bien commun passé jusque-là inaperçu : la sécurité sanitaire mondiale.

Les pays africains qui étaient supposés plus vulnérables ont résisté car leur population était beaucoup plus jeune et les responsables avaient appris des épidémies précédentes, telle Ebola. De même certains Etats asiatiques avaient conservé des stratégies de prévention pour affronter collectivement des nouvelles pandémies. Voilà qui devrait renouveler l’intérêt des économistes pour le rôle parfois déterminant du système de santé : au-delà du contrôle de la croissance des coûts s’impose la prise en considération de sa résilience face à l’imprévu. De même, une série de décisions de court terme peut déboucher sur une crise majeure, comme le montre la situation présente des hôpitaux.

 

Quel(s) rôle(s) les Etats ont-ils pu jouer depuis les dernières crises économiques et sanitaires ?

R.B- Après 2008 et la pandémie, l’Etat est redevenu le maître des horloges. Il socialise les anticipations, ce qui permet aux acteurs de se repérer face à une incertitude qui leur échappe. C’est à l’Etat de fixer le cap en matière de stratégie sanitaire. La pandémie a également rappelé que la monnaie est créée en fonction des besoins de la société. La Banque Centrale Européenne a pu refinancer sur le marché secondaire les dettes publiques associées au Covid-19 et non plus seulement des crédits privés.

Le déficit public est redevenu un outil essentiel pour passer les périodes difficiles. Certains voulaient interdire dans la constitution tout déficit public. On a redécouvert que la solidarité nationale s’exprime grâce à l’Etat. Les années Covid-19 resteront comme une grande césure dans l’histoire. Il est peu probable que l’on retourne vers un passé marqué par de nombreux problèmes structurels non résolus.

Quelles sont les leçons de la crise sanitaire en matière d’inégalités ?

R.B- Sur le plan des inégalités, la pandémie a rappelé qu’au sein des sociétés la privation de l’accès aux services publics, aux hôpitaux, aux médecins accentue les disparités entre les riches et les pauvres. Les plus précaires obligés de travailler habitent dans des zones bien moins desservies sur le plan médical. On redécouvre des inégalités dans le pronostic vital et l’espérance de vie. La pandémie a reformulé la question à partir de la capacité des personnes à mener une vie en bonne santé.

Le système de santé, miné par la volonté de réduire les coûts, a tenu grâce aux initiatives et au dévouement du personnel, situation qui n’est pas tenable à long terme. La médecine de ville et les hôpitaux publics et privés n’ont pas été réorganisés. En 2000, la France avait le meilleur système de santé d’après l’OMS. Il a dégringolé depuis et est devenu inégalitaire et inefficient.

Sur le plan international, la pandémie risque de laisser des traces durables dans nombre de pays pauvres. L’illettrisme dans les pays pauvres s’y est développé, ce qui augure mal des possibilités de développement humain et économique. Dans tous les pays, la pandémie a attisé les tensions sociales.

Les institutions internationales ont-elles joué leur rôle ces dernières années ?

R.B- L’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloquée et le FMI n’apparaît qu’au moment des crises les plus graves, comme c’est encore le cas en Argentine. Sur le front international, font défaut les institutions nécessaires. Il faudrait créer une agence pour le climat qui soit aussi forte que le FMI ou la Banque mondiale à une certaine époque. Un institut international de la migration ne serait pas inutile car avec le changement climatique, les vagues migratoires pourraient être considérables.

Enfin, l’organisation mondiale de la santé (OMS) devrait avoir le pouvoir d’organiser la sécurité sanitaire mondiale mais aussi de piloter l’innovation médicale pour répondre par des dispositifs de prévention à des pandémies. Ce avec un budget conséquent et des moyens pour vacciner à l’échelle mondiale. Les institutions de Brettons Woods ont vieilli et de nouvelles peinent à émerger. La crise va durer en fonction de l’incapacité à engendrer ces institutions. Nous vivons donc une période charnière et historique mais lourde de risques.

Dans votre ouvrage, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de sortie de crise. Plus de deux années après le début de la pandémie, sur quel type de capitalisme cette crise pourrait-elle déboucher ?

R.B- Nous avons échappé au scénario de la dystopie d’un repliement nationaliste général, qui serait intervenu avec une seconde victoire de Donald Trump. Joe Biden a provisoirement enrayé ce scénario. Cette crise a cependant révélé un très grand retard dans la coopération internationale. On enregistre certes quelques avancées sur la fiscalité des multinationales, ou encore l’initiative COVAX pour les vaccins. L’Europe a pour la première fois émis des titres de dette européens. Un pas a été franchi mais d’autres seront nécessaires. Prise entre les Etats-Unis et la Russie, l’Europe est un partenaire sans grand pouvoir géopolitique. Dans la crise de l’Ukraine, le multilatéralisme est loin de s’affirmer. L’économie mondiale est à nouveau proche de conflits ouverts impliquant les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

La crise de 2008 et la pandémie ont révélé beaucoup de structures cachées. La finance était aux yeux de beaucoup un facteur de stabilisation. Ce n’était pas le cas puisqu’elle peut durablement enrayer la croissance de certains pays, ce dont l’Argentine donne un cruel exemple. Le monde a-t-il raison de continuer la financiarisation ?

La mondialisation a été beaucoup critiquée ces dernières décennies. Dans quelle direction la globalisation pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?

R.B- La globalisation a certes permis à la Chine de se développer mais elle a induit beaucoup de problèmes qui ne sont pas résolus. La mondialisation a été heureuse pour quelques-uns et moins bonne pour beaucoup d’autres. La pandémie a redistribué la carte du monde, en accélérant le déplacement de son centre de gravité en direction de l’Asie. Partout les failles de la globalisation ont favorisé le retour du principe de souveraineté nationale qui est aussi une menace pour l’Union Européenne qui se trouve sans doute à la croisée des chemins.

Nous vivons une période charnière. Les Etats-Unis attendaient l’effondrement de la Chine, à l’image de celle de l’URSS. Or la Chine ne va pas rejoindre l’idéal occidental. Elle vient de signer le plus grand traité régional de libre-échange sur la planète. L’Europe ne peut plus affirmer qu’elle est la plus vaste zone de libre-échange. Taïwan, la Corée du Sud et d’autres pays du Sud ont réussi à bien mieux s’en sortir que d’autres pays. Le monde a changé mais l’Europe est à la traîne.

Quel regard portez-vous sur la polarisation à l’intérieur des sociétés ?

R.B- Dans beaucoup de pays, deux fractions de la société aux conceptions opposées s’affrontent sur toutes les questions : l’ouverture à l’international, l’immigration, l’organisation des services collectifs ou encore la fiscalité. Le Brexit est à ce titre emblématique car il a mis en exergue la profondeur de cette division. Les différents sondages et enquêtes ont montré que les ruraux, peu diplômés et âgés ont voté en faveur du Brexit. A l’inverse, les jeunes urbains diplômés ont voté pour l’Europe. Les gouvernements doivent faire face à de redoutables difficultés d’intermédiation car ils ne peuvent trouver une solution médiane tant les attentes sont contradictoires.

Auparavant, les Etats compensaient les perdants par des transferts monétaires. Comme cette solution traditionnelle est inopérante car le conflit porte sur les valeurs, les gouvernements sont tentés par l’autoritarisme. La démocratie représentative est en crise, ce qui appelle une refondation. Dans beaucoup de pays, la polarisation s’avère insurmontable. Ainsi Joe Biden s’est retrouvé coincé entre la gauche des démocrates et les trumpistes du parti républicain qui entendent gagner les élections de mi-mandat. Alors même que son expérience de négociateur est reconnue, les marges de manœuvre se sont vite rétrécies, car il y a peu de compromis possibles. La question de la reconstruction du lien social est posée et les solutions sont à trouver

Science et société:Les économistes manquent cruellement de culture et de vision généraliste

Les économistes manquent cruellement de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

L’économiste Robert Boyer pointe dans son dernier ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie » (Ed. La Sorbonne) les nombreuses failles de la science économique dominante à expliquer les grande crises économique et sanitaire récentes. Figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta, l’économiste Robert Boyer  plaide pour la création d’agora géante qui pourrait « être le terreau d’une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société ».

Robert Boyer est une figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta. Anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, ce polytechnicien collabore à l’institut des Amériques et anime l’association Recherche et régulation. 

LA TRIBUNE- Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer à ce sujet dans votre dernier ouvrage ?

ROBERT BOYER- J’ai commencé à travailler comme économiste en 1967. A cette époque, je pensais qu’une discipline économique était en voie de constitution et j’espérais y participer. Elle était rigoureuse et permettait d’éclairer de façon assez précise les choix de politique économique. Rétrospectivement le keynésianisme était en effet relativement adapté à la prise en compte des compromis sociaux de l’après Seconde guerre mondiale. Ce n’est plus le cas lorsqu’apparait en 1973 le phénomène de la stagflation, soit une forte inflation malgré la chute de l’activité économique. C’était l’indice de l’entrée dans une nouvelle époque du capitalisme, hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation, que je n’ai cessé depuis lors de travailler. De son côté la majorité des économistes a interprété cet échec comme la conséquence directe de l’absence de bases microéconomiques de la théorie générale de Keynes.

S’est imposée l’idée qu’il fallait refonder la macroéconomie sur la microéconomie. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, mais très vite plusieurs problèmes ont surgi tel le recours à la notion d’agent représentatif, d’anticipations rationnelles, d’équilibre structurellement stable, autant d’hypothèses intenables. Ce programme qui était au début scientifique a été utilisé, au fil du temps, comme justification des stratégies de déréglementation et de libéralisation. Pendant 30 ans, la macroéconomie s’est enfoncée dans l’exploration de prémices totalement faux. Les Etats-Unis étaient réduits à un ensemble de producteurs et de consommateurs, sans prise en compte aucune du rôle des banques, des marchés financiers, et de toutes les organisations et institutions encadrant l’activité économique.

J’ai vu avec étonnement la discipline évoluer et perdre beaucoup de sa pertinence. Pour cerner les raisons de cette dérive, je l’ai resituée par rapport à l’histoire des grands courants de la pensée. Au fil des décennies, j’ai accumulé suffisamment de matériaux pour montrer que la profession d’économiste a beaucoup changé. A grands traits elle est animée par de virtuoses techniciens qui rendent des services aux acteurs mais de moins en moins par de grands économistes dont la visée serait d’analyser les enjeux du monde contemporain. La crise de la macroéconomie est beaucoup plus profonde que l’on ne pense. Le livre soutient que ce sont les bases de la discipline qui sont en cause et non pas quelques erreurs mineures. La crise de 2008 a fait éclater au grand jour la crise de cette nouvelle macroéconomie classique.

Vous affirmez que l’institutionnalisation de la profession d’économiste a conduit à produire des spécialistes de la modélisation mais peu de chercheurs capables de conceptualiser les bases de la discipline. Que voulez-vous dire par là ?

R.B- Dans les années 30, les Etats-Unis comptaient quelques milliers d’économistes. Aujourd’hui, ce pays en recense des centaines de milliers. A l’époque, de grands économistes, de Joseph Schumpeter à Frederick von Hayek, dialoguaient entre eux dans la recherche d’explications à la crise de 1929. C’est l’éclatement du métier qui prévaut : certains sont économistes de banque, d’autres sont économètres, d’autres encore travaillent dans des think tank visant à influencer la politique des gouvernements. Le métier s’est considérablement diversifié en une myriade d’approches, de techniques appliquées aux différents secteurs de l’économie. On note aussi un éclatement des demandes à l’égard des économistes. Leur spécialisation est tellement poussée qu’elle débouche sur une anomie de la division du travail, telle que conceptualisée par le sociologue Emile Durkheim. Sur une même question – par exemple les marchés financiers sont-ils efficients ? – les diverses branches de la discipline livrent des réponses contradictoires.

La structuration du champ académique (hiérarchie des revues, modalités de recrutement des enseignants) crée un système formant essentiellement des techniciens affirmez-vous. Comment faire pour accorder plus de reconnaissance aux intellectuels en économie ?

R.B- On peut distinguer trois phases dans la structuration du champ académique. La première avait pour projet de fonder la discipline sur la théorie de l’équilibre général. Les chercheurs allaient pouvoir produire une formalisation d’une économie de marché justifiant l’image de la main invisible d’Adam Smith, à savoir la possibilité et l’optimalité d’une économie décentralisée où chacun ne poursuit que son intérêt. En fait les mathématiciens finissent par conclure que ce n’est le cas que sous des hypothèses très restrictives, non satisfaites dans les économies contemporaines du fait de l’existence du crédit, de rendements d’échelle, de pouvoir de monopole. Ainsi loin d’être un fait scientifique, la main invisible devient une croyance.

Une deuxième phase enregistre une succession de modélisations macroéconomiques qui entendent remplacer celles inspirées par Keynes. C’est d’abord la théorie monétariste de Milton Friedman qui s’impose comme explicative de l’inflation. Mais elle périclite lorsque se multiplient les innovations qui assurent la liquidité de nombreux actifs financiers, puis quand l’aisance monétaire ne débouche pas sur une accélération de l’inflation, mesurée par les prix à la consommation. Ce sont ensuite des modèles qui modernisent la théorie classique sous l’hypothèse d’auto-équilibration des marchés, transitoirement perturbés par des « chocs » réels ou monétaires. Les Banques Centrales usent de ces modèles mais ils montrent leurs limites lors de la crise de 2008.

Aussi dans une troisième étape, passe-t-on des grandes théories à l’économétrie et de l’économétrie à la « métrie », c’est-à-dire l’application des avancées des techniques statistiques à toutes les données disponibles, bien au-delà des phénomènes économiques.

D’un côté, avec les masses de données produites en temps réel par la finance, une nouvelle discipline, fondée sur les mathématiques financières, prend son essor, sans trop se préoccuper des conséquences macroéconomiques des nouveaux instruments qu’elle invente. Avec l’économie de l’information, apparaît ensuite le besoin d’analyser ces données grâce à l’intelligence artificielle.

De l’autre côté, les recherches en macroéconomie sont presque complètement désertées. Rares sont les jeunes et talentueux chercheurs qui osent se lancer dans un domaine aussi difficile. Or, les dernières crises ont fait apparaître le besoin d’une analyse des économies et des relations qu’elles entretiennent dans un système international en crise. Lorsque la crise financière de 2008 éclate, la macroéconomie se rappelle au bon souvenir des gouvernements et des économistes. L’irruption de la pandémie appelle des réponses, en matière de politique monétaire et budgétaire, soit des questions que la microéconomie ne peut traiter.

Vous évoquez notamment une crise de la macroéconomie. Quels sont les facteurs qui ont pu contribuer à affaiblir cette discipline ?

R.B- D’abord trop souvent le chercheur ne distingue pas entre vision, théorie, modèle, mécanisme, alors que ce sont des concepts bien différents. Une série de modèles, au demeurant fragiles dès qu’on les utilise pour prévoir, ne fondent pas une science car ce ne sont souvent que des éclairages partiels ou des aides à la décision. Ensuite chacun a tendance à se focaliser sur un mécanisme parmi beaucoup d’autres or le propre de la macroéconomie est de prendre en compte et d’articuler l’ensemble des mécanismes pertinents. Enfin, la clôture du champ de la macroéconomie sur lui-même lui interdit de reconnaître sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Plus encore, son accent sur le court terme n’est guère favorable à la reconnaissance des enjeux que sont devenus l’écologie, les pandémies, l’inégalité tant domestique qu’internationale.

Il est sans doute illusoire d’attendre la venue d’un nouveau Keynes. De nos jours, la formation universitaire des économistes ne livre pas une formation suffisamment généraliste permettant de formuler des questions pertinentes et les éclairer. Keynes considérait que « l’économiste doit posséder une rare combinaison de dons…D’une certaine façon, il doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe… Aucune partie de la nature de l’homme ou de ses institutions ne devrait être entièrement hors de sa considération. » Bref un grand intellectuel !

Pourquoi les grands courants économiques dominants ont échoué à rendre compte des grandes crises du 20ème siècle et du 21ème siècle ?

R-B- Les macro-économistes ont pris beaucoup de retard par rapport aux considérables transformations du capitalisme. La plupart ont exclu de leurs modèles la possibilité même de crises. Par définition, l’économie perturbée par des chocs externes revient automatiquement vers l’équilibre de long terme. Or tel n’est pas le cas car la nature des processus économiques est beaucoup plus complexe et changeante dans le temps.

Dans un tel contexte d’incertitude sur les mécanismes à l’œuvre, chaque école de pensée tend à privilégier son interprétation. Ainsi les enjeux s’en trouvent simplifiés, ce qui polarise les conseils adressés aux gouvernements. On observe alors une inversion des relations entre le prince et le conseiller. En théorie, le conseiller estime qu’il est porteur de science et le prince pense qu’il trouve ainsi une justification « objective » de sa politique. En pratique, ce dernier va chercher dans les théories économiques en concurrence celles qui lui sont favorables. Par exemple, la nouvelle théorie monétaire américaine vient à point nommé réhabiliter la politique budgétaire face aux limites que rencontrent la Banque Centrale. Cette apparente révolution intellectuelle vient appuyer le fait que la dépense publique doit être à nouveau un outil puissant pour les Etats-Unis.

Pourtant, ils sont encore très écoutés par les élites et le pouvoir. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R.B- Se reproduit aujourd’hui un phénomène déjà observé à propos des instituts de prévision lors de la fin des trente glorieuses. Plus mauvaise était la qualité de leurs prévisions, plus ils se multipliaient car tour à tour ils avaient raison puis se trompaient. Aucun ne parvenait à percer la grande incertitude liée à un changement d’époque. De nos jours, la même configuration prévaut concernant l’expertise économique : le politique demande d’autant plus d’avis aux économistes qu’il doute de leur expertise ! Il en est de même concernant l’explosion des sondages d’opinion censés éclairer les élections. Comment devrait progresser la connaissance économique ? Par la reconnaissance des erreurs et leur correction, phénomène trop rare. Par ailleurs, il faut savoir avouer que l’on ne sait pas.

La pandémie pourrait-elle permettre de renouveler la vision des économistes dans les pays riches ?

R.B- Les pays riches étaient sûrs que la sophistication de leur système de santé et la vigueur de la recherche pharmaceutique et biologique allaient leur permettre d’éviter le retour des épidémies. Lorsque la Covid-19 est apparue à Wuhan, beaucoup de gouvernements des pays riches pensaient que ce virus allait concerner seulement les pays pauvres. En fait, beaucoup d’Etats ont découvert un bien commun passé jusque-là inaperçu : la sécurité sanitaire mondiale.

Les pays africains qui étaient supposés plus vulnérables ont résisté car leur population était beaucoup plus jeune et les responsables avaient appris des épidémies précédentes, telle Ebola. De même certains Etats asiatiques avaient conservé des stratégies de prévention pour affronter collectivement des nouvelles pandémies. Voilà qui devrait renouveler l’intérêt des économistes pour le rôle parfois déterminant du système de santé : au-delà du contrôle de la croissance des coûts s’impose la prise en considération de sa résilience face à l’imprévu. De même, une série de décisions de court terme peut déboucher sur une crise majeure, comme le montre la situation présente des hôpitaux.

 

Quel(s) rôle(s) les Etats ont-ils pu jouer depuis les dernières crises économiques et sanitaires ?

R.B- Après 2008 et la pandémie, l’Etat est redevenu le maître des horloges. Il socialise les anticipations, ce qui permet aux acteurs de se repérer face à une incertitude qui leur échappe. C’est à l’Etat de fixer le cap en matière de stratégie sanitaire. La pandémie a également rappelé que la monnaie est créée en fonction des besoins de la société. La Banque Centrale Européenne a pu refinancer sur le marché secondaire les dettes publiques associées au Covid-19 et non plus seulement des crédits privés.

Le déficit public est redevenu un outil essentiel pour passer les périodes difficiles. Certains voulaient interdire dans la constitution tout déficit public. On a redécouvert que la solidarité nationale s’exprime grâce à l’Etat. Les années Covid-19 resteront comme une grande césure dans l’histoire. Il est peu probable que l’on retourne vers un passé marqué par de nombreux problèmes structurels non résolus.

Quelles sont les leçons de la crise sanitaire en matière d’inégalités ?

R.B- Sur le plan des inégalités, la pandémie a rappelé qu’au sein des sociétés la privation de l’accès aux services publics, aux hôpitaux, aux médecins accentue les disparités entre les riches et les pauvres. Les plus précaires obligés de travailler habitent dans des zones bien moins desservies sur le plan médical. On redécouvre des inégalités dans le pronostic vital et l’espérance de vie. La pandémie a reformulé la question à partir de la capacité des personnes à mener une vie en bonne santé.

Le système de santé, miné par la volonté de réduire les coûts, a tenu grâce aux initiatives et au dévouement du personnel, situation qui n’est pas tenable à long terme. La médecine de ville et les hôpitaux publics et privés n’ont pas été réorganisés. En 2000, la France avait le meilleur système de santé d’après l’OMS. Il a dégringolé depuis et est devenu inégalitaire et inefficient.

Sur le plan international, la pandémie risque de laisser des traces durables dans nombre de pays pauvres. L’illettrisme dans les pays pauvres s’y est développé, ce qui augure mal des possibilités de développement humain et économique. Dans tous les pays, la pandémie a attisé les tensions sociales.

Les institutions internationales ont-elles joué leur rôle ces dernières années ?

R.B- L’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloquée et le FMI n’apparaît qu’au moment des crises les plus graves, comme c’est encore le cas en Argentine. Sur le front international, font défaut les institutions nécessaires. Il faudrait créer une agence pour le climat qui soit aussi forte que le FMI ou la Banque mondiale à une certaine époque. Un institut international de la migration ne serait pas inutile car avec le changement climatique, les vagues migratoires pourraient être considérables.

Enfin, l’organisation mondiale de la santé (OMS) devrait avoir le pouvoir d’organiser la sécurité sanitaire mondiale mais aussi de piloter l’innovation médicale pour répondre par des dispositifs de prévention à des pandémies. Ce avec un budget conséquent et des moyens pour vacciner à l’échelle mondiale. Les institutions de Brettons Woods ont vieilli et de nouvelles peinent à émerger. La crise va durer en fonction de l’incapacité à engendrer ces institutions. Nous vivons donc une période charnière et historique mais lourde de risques.

Dans votre ouvrage, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de sortie de crise. Plus de deux années après le début de la pandémie, sur quel type de capitalisme cette crise pourrait-elle déboucher ?

R.B- Nous avons échappé au scénario de la dystopie d’un repliement nationaliste général, qui serait intervenu avec une seconde victoire de Donald Trump. Joe Biden a provisoirement enrayé ce scénario. Cette crise a cependant révélé un très grand retard dans la coopération internationale. On enregistre certes quelques avancées sur la fiscalité des multinationales, ou encore l’initiative COVAX pour les vaccins. L’Europe a pour la première fois émis des titres de dette européens. Un pas a été franchi mais d’autres seront nécessaires. Prise entre les Etats-Unis et la Russie, l’Europe est un partenaire sans grand pouvoir géopolitique. Dans la crise de l’Ukraine, le multilatéralisme est loin de s’affirmer. L’économie mondiale est à nouveau proche de conflits ouverts impliquant les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

La crise de 2008 et la pandémie ont révélé beaucoup de structures cachées. La finance était aux yeux de beaucoup un facteur de stabilisation. Ce n’était pas le cas puisqu’elle peut durablement enrayer la croissance de certains pays, ce dont l’Argentine donne un cruel exemple. Le monde a-t-il raison de continuer la financiarisation ?

La mondialisation a été beaucoup critiquée ces dernières décennies. Dans quelle direction la globalisation pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?

R.B- La globalisation a certes permis à la Chine de se développer mais elle a induit beaucoup de problèmes qui ne sont pas résolus. La mondialisation a été heureuse pour quelques-uns et moins bonne pour beaucoup d’autres. La pandémie a redistribué la carte du monde, en accélérant le déplacement de son centre de gravité en direction de l’Asie. Partout les failles de la globalisation ont favorisé le retour du principe de souveraineté nationale qui est aussi une menace pour l’Union Européenne qui se trouve sans doute à la croisée des chemins.

Nous vivons une période charnière. Les Etats-Unis attendaient l’effondrement de la Chine, à l’image de celle de l’URSS. Or la Chine ne va pas rejoindre l’idéal occidental. Elle vient de signer le plus grand traité régional de libre-échange sur la planète. L’Europe ne peut plus affirmer qu’elle est la plus vaste zone de libre-échange. Taïwan, la Corée du Sud et d’autres pays du Sud ont réussi à bien mieux s’en sortir que d’autres pays. Le monde a changé mais l’Europe est à la traîne.

Quel regard portez-vous sur la polarisation à l’intérieur des sociétés ?

R.B- Dans beaucoup de pays, deux fractions de la société aux conceptions opposées s’affrontent sur toutes les questions : l’ouverture à l’international, l’immigration, l’organisation des services collectifs ou encore la fiscalité. Le Brexit est à ce titre emblématique car il a mis en exergue la profondeur de cette division. Les différents sondages et enquêtes ont montré que les ruraux, peu diplômés et âgés ont voté en faveur du Brexit. A l’inverse, les jeunes urbains diplômés ont voté pour l’Europe. Les gouvernements doivent faire face à de redoutables difficultés d’intermédiation car ils ne peuvent trouver une solution médiane tant les attentes sont contradictoires.

Auparavant, les Etats compensaient les perdants par des transferts monétaires. Comme cette solution traditionnelle est inopérante car le conflit porte sur les valeurs, les gouvernements sont tentés par l’autoritarisme. La démocratie représentative est en crise, ce qui appelle une refondation. Dans beaucoup de pays, la polarisation s’avère insurmontable. Ainsi Joe Biden s’est retrouvé coincé entre la gauche des démocrates et les trumpistes du parti républicain qui entendent gagner les élections de mi-mandat. Alors même que son expérience de négociateur est reconnue, les marges de manœuvre se sont vite rétrécies, car il y a peu de compromis possibles. La question de la reconstruction du lien social est posée et les solutions sont à trouver.

Les économistes manquent cruellement de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

Les économistes manquent cruellement de culture et de vision généraliste ( Robert Boyer, économiste)

L’économiste Robert Boyer pointe dans son dernier ouvrage « Une discipline sans réflexivité peut-elle être une science ? Epistémologie de l’économie » (Ed. La Sorbonne) les nombreuses failles de la science économique dominante à expliquer les grande crises économique et sanitaire récentes. Figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta, l’économiste Robert Boyer  plaide pour la création d’agora géante qui pourrait « être le terreau d’une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société ».

Robert Boyer est une figure de l’école de la régulation en France avec l’économiste Michel Aglietta. Anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, ce polytechnicien collabore à l’institut des Amériques et anime l’association Recherche et régulation. 

LA TRIBUNE- Pourquoi avez-vous décidé de vous attaquer à ce sujet dans votre dernier ouvrage ?

ROBERT BOYER- J’ai commencé à travailler comme économiste en 1967. A cette époque, je pensais qu’une discipline économique était en voie de constitution et j’espérais y participer. Elle était rigoureuse et permettait d’éclairer de façon assez précise les choix de politique économique. Rétrospectivement le keynésianisme était en effet relativement adapté à la prise en compte des compromis sociaux de l’après Seconde guerre mondiale. Ce n’est plus le cas lorsqu’apparait en 1973 le phénomène de la stagflation, soit une forte inflation malgré la chute de l’activité économique. C’était l’indice de l’entrée dans une nouvelle époque du capitalisme, hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation, que je n’ai cessé depuis lors de travailler. De son côté la majorité des économistes a interprété cet échec comme la conséquence directe de l’absence de bases microéconomiques de la théorie générale de Keynes.

S’est imposée l’idée qu’il fallait refonder la macroéconomie sur la microéconomie. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée, mais très vite plusieurs problèmes ont surgi tel le recours à la notion d’agent représentatif, d’anticipations rationnelles, d’équilibre structurellement stable, autant d’hypothèses intenables. Ce programme qui était au début scientifique a été utilisé, au fil du temps, comme justification des stratégies de déréglementation et de libéralisation. Pendant 30 ans, la macroéconomie s’est enfoncée dans l’exploration de prémices totalement faux. Les Etats-Unis étaient réduits à un ensemble de producteurs et de consommateurs, sans prise en compte aucune du rôle des banques, des marchés financiers, et de toutes les organisations et institutions encadrant l’activité économique.

J’ai vu avec étonnement la discipline évoluer et perdre beaucoup de sa pertinence. Pour cerner les raisons de cette dérive, je l’ai resituée par rapport à l’histoire des grands courants de la pensée. Au fil des décennies, j’ai accumulé suffisamment de matériaux pour montrer que la profession d’économiste a beaucoup changé. A grands traits elle est animée par de virtuoses techniciens qui rendent des services aux acteurs mais de moins en moins par de grands économistes dont la visée serait d’analyser les enjeux du monde contemporain. La crise de la macroéconomie est beaucoup plus profonde que l’on ne pense. Le livre soutient que ce sont les bases de la discipline qui sont en cause et non pas quelques erreurs mineures. La crise de 2008 a fait éclater au grand jour la crise de cette nouvelle macroéconomie classique.

Vous affirmez que l’institutionnalisation de la profession d’économiste a conduit à produire des spécialistes de la modélisation mais peu de chercheurs capables de conceptualiser les bases de la discipline. Que voulez-vous dire par là ?

R.B- Dans les années 30, les Etats-Unis comptaient quelques milliers d’économistes. Aujourd’hui, ce pays en recense des centaines de milliers. A l’époque, de grands économistes, de Joseph Schumpeter à Frederick von Hayek, dialoguaient entre eux dans la recherche d’explications à la crise de 1929. C’est l’éclatement du métier qui prévaut : certains sont économistes de banque, d’autres sont économètres, d’autres encore travaillent dans des think tank visant à influencer la politique des gouvernements. Le métier s’est considérablement diversifié en une myriade d’approches, de techniques appliquées aux différents secteurs de l’économie. On note aussi un éclatement des demandes à l’égard des économistes. Leur spécialisation est tellement poussée qu’elle débouche sur une anomie de la division du travail, telle que conceptualisée par le sociologue Emile Durkheim. Sur une même question – par exemple les marchés financiers sont-ils efficients ? – les diverses branches de la discipline livrent des réponses contradictoires.

La structuration du champ académique (hiérarchie des revues, modalités de recrutement des enseignants) crée un système formant essentiellement des techniciens affirmez-vous. Comment faire pour accorder plus de reconnaissance aux intellectuels en économie ?

R.B- On peut distinguer trois phases dans la structuration du champ académique. La première avait pour projet de fonder la discipline sur la théorie de l’équilibre général. Les chercheurs allaient pouvoir produire une formalisation d’une économie de marché justifiant l’image de la main invisible d’Adam Smith, à savoir la possibilité et l’optimalité d’une économie décentralisée où chacun ne poursuit que son intérêt. En fait les mathématiciens finissent par conclure que ce n’est le cas que sous des hypothèses très restrictives, non satisfaites dans les économies contemporaines du fait de l’existence du crédit, de rendements d’échelle, de pouvoir de monopole. Ainsi loin d’être un fait scientifique, la main invisible devient une croyance.

Une deuxième phase enregistre une succession de modélisations macroéconomiques qui entendent remplacer celles inspirées par Keynes. C’est d’abord la théorie monétariste de Milton Friedman qui s’impose comme explicative de l’inflation. Mais elle périclite lorsque se multiplient les innovations qui assurent la liquidité de nombreux actifs financiers, puis quand l’aisance monétaire ne débouche pas sur une accélération de l’inflation, mesurée par les prix à la consommation. Ce sont ensuite des modèles qui modernisent la théorie classique sous l’hypothèse d’auto-équilibration des marchés, transitoirement perturbés par des « chocs » réels ou monétaires. Les Banques Centrales usent de ces modèles mais ils montrent leurs limites lors de la crise de 2008.

Aussi dans une troisième étape, passe-t-on des grandes théories à l’économétrie et de l’économétrie à la « métrie », c’est-à-dire l’application des avancées des techniques statistiques à toutes les données disponibles, bien au-delà des phénomènes économiques.

D’un côté, avec les masses de données produites en temps réel par la finance, une nouvelle discipline, fondée sur les mathématiques financières, prend son essor, sans trop se préoccuper des conséquences macroéconomiques des nouveaux instruments qu’elle invente. Avec l’économie de l’information, apparaît ensuite le besoin d’analyser ces données grâce à l’intelligence artificielle.

De l’autre côté, les recherches en macroéconomie sont presque complètement désertées. Rares sont les jeunes et talentueux chercheurs qui osent se lancer dans un domaine aussi difficile. Or, les dernières crises ont fait apparaître le besoin d’une analyse des économies et des relations qu’elles entretiennent dans un système international en crise. Lorsque la crise financière de 2008 éclate, la macroéconomie se rappelle au bon souvenir des gouvernements et des économistes. L’irruption de la pandémie appelle des réponses, en matière de politique monétaire et budgétaire, soit des questions que la microéconomie ne peut traiter.

Vous évoquez notamment une crise de la macroéconomie. Quels sont les facteurs qui ont pu contribuer à affaiblir cette discipline ?

R.B- D’abord trop souvent le chercheur ne distingue pas entre vision, théorie, modèle, mécanisme, alors que ce sont des concepts bien différents. Une série de modèles, au demeurant fragiles dès qu’on les utilise pour prévoir, ne fondent pas une science car ce ne sont souvent que des éclairages partiels ou des aides à la décision. Ensuite chacun a tendance à se focaliser sur un mécanisme parmi beaucoup d’autres or le propre de la macroéconomie est de prendre en compte et d’articuler l’ensemble des mécanismes pertinents. Enfin, la clôture du champ de la macroéconomie sur lui-même lui interdit de reconnaître sa dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Plus encore, son accent sur le court terme n’est guère favorable à la reconnaissance des enjeux que sont devenus l’écologie, les pandémies, l’inégalité tant domestique qu’internationale.

Il est sans doute illusoire d’attendre la venue d’un nouveau Keynes. De nos jours, la formation universitaire des économistes ne livre pas une formation suffisamment généraliste permettant de formuler des questions pertinentes et les éclairer. Keynes considérait que « l’économiste doit posséder une rare combinaison de dons…D’une certaine façon, il doit être mathématicien, historien, homme d’État, philosophe… Aucune partie de la nature de l’homme ou de ses institutions ne devrait être entièrement hors de sa considération. » Bref un grand intellectuel !

Pourquoi les grands courants économiques dominants ont échoué à rendre compte des grandes crises du 20ème siècle et du 21ème siècle ?

R-B- Les macro-économistes ont pris beaucoup de retard par rapport aux considérables transformations du capitalisme. La plupart ont exclu de leurs modèles la possibilité même de crises. Par définition, l’économie perturbée par des chocs externes revient automatiquement vers l’équilibre de long terme. Or tel n’est pas le cas car la nature des processus économiques est beaucoup plus complexe et changeante dans le temps.

Dans un tel contexte d’incertitude sur les mécanismes à l’œuvre, chaque école de pensée tend à privilégier son interprétation. Ainsi les enjeux s’en trouvent simplifiés, ce qui polarise les conseils adressés aux gouvernements. On observe alors une inversion des relations entre le prince et le conseiller. En théorie, le conseiller estime qu’il est porteur de science et le prince pense qu’il trouve ainsi une justification « objective » de sa politique. En pratique, ce dernier va chercher dans les théories économiques en concurrence celles qui lui sont favorables. Par exemple, la nouvelle théorie monétaire américaine vient à point nommé réhabiliter la politique budgétaire face aux limites que rencontrent la Banque Centrale. Cette apparente révolution intellectuelle vient appuyer le fait que la dépense publique doit être à nouveau un outil puissant pour les Etats-Unis.

Pourtant, ils sont encore très écoutés par les élites et le pouvoir. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

R.B- Se reproduit aujourd’hui un phénomène déjà observé à propos des instituts de prévision lors de la fin des trente glorieuses. Plus mauvaise était la qualité de leurs prévisions, plus ils se multipliaient car tour à tour ils avaient raison puis se trompaient. Aucun ne parvenait à percer la grande incertitude liée à un changement d’époque. De nos jours, la même configuration prévaut concernant l’expertise économique : le politique demande d’autant plus d’avis aux économistes qu’il doute de leur expertise ! Il en est de même concernant l’explosion des sondages d’opinion censés éclairer les élections. Comment devrait progresser la connaissance économique ? Par la reconnaissance des erreurs et leur correction, phénomène trop rare. Par ailleurs, il faut savoir avouer que l’on ne sait pas.

La pandémie pourrait-elle permettre de renouveler la vision des économistes dans les pays riches ?

R.B- Les pays riches étaient sûrs que la sophistication de leur système de santé et la vigueur de la recherche pharmaceutique et biologique allaient leur permettre d’éviter le retour des épidémies. Lorsque la Covid-19 est apparue à Wuhan, beaucoup de gouvernements des pays riches pensaient que ce virus allait concerner seulement les pays pauvres. En fait, beaucoup d’Etats ont découvert un bien commun passé jusque-là inaperçu : la sécurité sanitaire mondiale.

Les pays africains qui étaient supposés plus vulnérables ont résisté car leur population était beaucoup plus jeune et les responsables avaient appris des épidémies précédentes, telle Ebola. De même certains Etats asiatiques avaient conservé des stratégies de prévention pour affronter collectivement des nouvelles pandémies. Voilà qui devrait renouveler l’intérêt des économistes pour le rôle parfois déterminant du système de santé : au-delà du contrôle de la croissance des coûts s’impose la prise en considération de sa résilience face à l’imprévu. De même, une série de décisions de court terme peut déboucher sur une crise majeure, comme le montre la situation présente des hôpitaux.

 

Quel(s) rôle(s) les Etats ont-ils pu jouer depuis les dernières crises économiques et sanitaires ?

R.B- Après 2008 et la pandémie, l’Etat est redevenu le maître des horloges. Il socialise les anticipations, ce qui permet aux acteurs de se repérer face à une incertitude qui leur échappe. C’est à l’Etat de fixer le cap en matière de stratégie sanitaire. La pandémie a également rappelé que la monnaie est créée en fonction des besoins de la société. La Banque Centrale Européenne a pu refinancer sur le marché secondaire les dettes publiques associées au Covid-19 et non plus seulement des crédits privés.

Le déficit public est redevenu un outil essentiel pour passer les périodes difficiles. Certains voulaient interdire dans la constitution tout déficit public. On a redécouvert que la solidarité nationale s’exprime grâce à l’Etat. Les années Covid-19 resteront comme une grande césure dans l’histoire. Il est peu probable que l’on retourne vers un passé marqué par de nombreux problèmes structurels non résolus.

Quelles sont les leçons de la crise sanitaire en matière d’inégalités ?

R.B- Sur le plan des inégalités, la pandémie a rappelé qu’au sein des sociétés la privation de l’accès aux services publics, aux hôpitaux, aux médecins accentue les disparités entre les riches et les pauvres. Les plus précaires obligés de travailler habitent dans des zones bien moins desservies sur le plan médical. On redécouvre des inégalités dans le pronostic vital et l’espérance de vie. La pandémie a reformulé la question à partir de la capacité des personnes à mener une vie en bonne santé.

Le système de santé, miné par la volonté de réduire les coûts, a tenu grâce aux initiatives et au dévouement du personnel, situation qui n’est pas tenable à long terme. La médecine de ville et les hôpitaux publics et privés n’ont pas été réorganisés. En 2000, la France avait le meilleur système de santé d’après l’OMS. Il a dégringolé depuis et est devenu inégalitaire et inefficient.

Sur le plan international, la pandémie risque de laisser des traces durables dans nombre de pays pauvres. L’illettrisme dans les pays pauvres s’y est développé, ce qui augure mal des possibilités de développement humain et économique. Dans tous les pays, la pandémie a attisé les tensions sociales.

Les institutions internationales ont-elles joué leur rôle ces dernières années ?

R.B- L’organisation mondiale du commerce (OMC) est bloquée et le FMI n’apparaît qu’au moment des crises les plus graves, comme c’est encore le cas en Argentine. Sur le front international, font défaut les institutions nécessaires. Il faudrait créer une agence pour le climat qui soit aussi forte que le FMI ou la Banque mondiale à une certaine époque. Un institut international de la migration ne serait pas inutile car avec le changement climatique, les vagues migratoires pourraient être considérables.

Enfin, l’organisation mondiale de la santé (OMS) devrait avoir le pouvoir d’organiser la sécurité sanitaire mondiale mais aussi de piloter l’innovation médicale pour répondre par des dispositifs de prévention à des pandémies. Ce avec un budget conséquent et des moyens pour vacciner à l’échelle mondiale. Les institutions de Brettons Woods ont vieilli et de nouvelles peinent à émerger. La crise va durer en fonction de l’incapacité à engendrer ces institutions. Nous vivons donc une période charnière et historique mais lourde de risques.

Dans votre ouvrage, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de sortie de crise. Plus de deux années après le début de la pandémie, sur quel type de capitalisme cette crise pourrait-elle déboucher ?

R.B- Nous avons échappé au scénario de la dystopie d’un repliement nationaliste général, qui serait intervenu avec une seconde victoire de Donald Trump. Joe Biden a provisoirement enrayé ce scénario. Cette crise a cependant révélé un très grand retard dans la coopération internationale. On enregistre certes quelques avancées sur la fiscalité des multinationales, ou encore l’initiative COVAX pour les vaccins. L’Europe a pour la première fois émis des titres de dette européens. Un pas a été franchi mais d’autres seront nécessaires. Prise entre les Etats-Unis et la Russie, l’Europe est un partenaire sans grand pouvoir géopolitique. Dans la crise de l’Ukraine, le multilatéralisme est loin de s’affirmer. L’économie mondiale est à nouveau proche de conflits ouverts impliquant les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

La crise de 2008 et la pandémie ont révélé beaucoup de structures cachées. La finance était aux yeux de beaucoup un facteur de stabilisation. Ce n’était pas le cas puisqu’elle peut durablement enrayer la croissance de certains pays, ce dont l’Argentine donne un cruel exemple. Le monde a-t-il raison de continuer la financiarisation ?

La mondialisation a été beaucoup critiquée ces dernières décennies. Dans quelle direction la globalisation pourrait-elle évoluer dans les prochaines années ?

R.B- La globalisation a certes permis à la Chine de se développer mais elle a induit beaucoup de problèmes qui ne sont pas résolus. La mondialisation a été heureuse pour quelques-uns et moins bonne pour beaucoup d’autres. La pandémie a redistribué la carte du monde, en accélérant le déplacement de son centre de gravité en direction de l’Asie. Partout les failles de la globalisation ont favorisé le retour du principe de souveraineté nationale qui est aussi une menace pour l’Union Européenne qui se trouve sans doute à la croisée des chemins.

Nous vivons une période charnière. Les Etats-Unis attendaient l’effondrement de la Chine, à l’image de celle de l’URSS. Or la Chine ne va pas rejoindre l’idéal occidental. Elle vient de signer le plus grand traité régional de libre-échange sur la planète. L’Europe ne peut plus affirmer qu’elle est la plus vaste zone de libre-échange. Taïwan, la Corée du Sud et d’autres pays du Sud ont réussi à bien mieux s’en sortir que d’autres pays. Le monde a changé mais l’Europe est à la traîne.

Quel regard portez-vous sur la polarisation à l’intérieur des sociétés ?

R.B- Dans beaucoup de pays, deux fractions de la société aux conceptions opposées s’affrontent sur toutes les questions : l’ouverture à l’international, l’immigration, l’organisation des services collectifs ou encore la fiscalité. Le Brexit est à ce titre emblématique car il a mis en exergue la profondeur de cette division. Les différents sondages et enquêtes ont montré que les ruraux, peu diplômés et âgés ont voté en faveur du Brexit. A l’inverse, les jeunes urbains diplômés ont voté pour l’Europe. Les gouvernements doivent faire face à de redoutables difficultés d’intermédiation car ils ne peuvent trouver une solution médiane tant les attentes sont contradictoires.

Auparavant, les Etats compensaient les perdants par des transferts monétaires. Comme cette solution traditionnelle est inopérante car le conflit porte sur les valeurs, les gouvernements sont tentés par l’autoritarisme. La démocratie représentative est en crise, ce qui appelle une refondation. Dans beaucoup de pays, la polarisation s’avère insurmontable. Ainsi Joe Biden s’est retrouvé coincé entre la gauche des démocrates et les trumpistes du parti républicain qui entendent gagner les élections de mi-mandat. Alors même que son expérience de négociateur est reconnue, les marges de manœuvre se sont vite rétrécies, car il y a peu de compromis possibles. La question de la reconstruction du lien social est posée et les solutions sont à trouver.

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