Virus : ne pas tout miser sur la vaccination
Le directeur de l’Institut de santé globale à Genève, en Suisse*, explique l’importance de la vaccination mais qui ne peut dans l’immédiat constituer le seul moyen de lutte ( interview JDD)
Les restrictions commencent-elles à porter leurs fruits?
C’est encore tôt pour le dire. On n’a pas cassé la courbe au niveau national et la situation demeure contrastée sur le territoire. Dans les Hauts-de-France et en Île-de-France, il semble qu’on soit en train de passer un pic, avec un taux de reproduction du virus, le R, proche de 1. Mais on a vu dans le passé qu’il peut y avoir un palier, puis la circulation remonte… Dans d’autres Régions, les contaminations progressent toujours, mais avec une accélération moins rapide que les semaines précédentes. En Auvergne, en Bourgogne ou en Bretagne, la pente est moins raide. Disons que c’est plutôt encourageant.
Quand saura-t-on si le confinement est efficace?
En fin de semaine prochaine. L’enjeu sera la réduction du taux de reproduction du virus. Or il faut en général deux semaines pour que celui-ci se stabilise à un niveau lié à l’efficacité du confinement. S’il reste supérieur à 1, ce sera préoccupant. Avec les écoles fermées et les mesures de freinage adoptées, on peut espérer le voir redescendre à 0,7. Concrètement, une fois passé sous ce seuil, le nombre d’infections diminuera de moitié chaque semaine. En trois semaines à un tel rythme, on passerait de 40 000 à 5 000 nouveaux cas quotidiens. Une reprise en main quasi complète de l’épidémie… Bien sûr, la présence des variants et ce confinement moins strict peuvent changer la donne. Néanmoins, cet objectif n’est pas irréaliste : le Portugal l’a atteint en trois semaines en se confinant et en fermant les écoles à partir de mi-janvier.
Trois semaines de vacances en avril ne suffiront probablement pas à revenir sous la barre des 5 000 cas quotidiens
Que sait-on de l’impact de la fermeture des établissements scolaires?
C’est cette mesure qui a permis au Portugal, au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark de reprendre le contrôle. L’arrêt des activités des adultes est important mais un autre grand vivier est celui des écoles. Autour d’elles, c’est la vie : les parents qui déposent les enfants, discutent entre eux, les enseignants… Leur fermeture freine fortement les interactions sociales. Néanmoins la situation reste très fragile, comme on le voit en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Si les contaminations redescendent en France, il faudra maintenir l’effort au-delà des vacances du printemps.
Aucun objectif chiffré ne conditionne la réouverture des écoles ou la reprise de certaines activités…
Je le regrette. Car trois semaines de vacances en avril ne suffiront probablement pas à revenir sous la barre des 5 000 cas quotidiens. Mais on ne pourra pas en rendre comptables Emmanuel Macron ni son gouvernement, puisqu’ils n’ont pas fixé d’objectif à atteindre pour les indicateurs sanitaires, à part pour la vaccination ! Il nous faut sortir du « vivre avec » pour s’orienter enfin vers une stratégie de suppression du virus. Le risque majeur, avec la stratégie actuelle, est de revenir sur ce plateau élevé qui a pourri la vie des Français depuis décembre, au-dessus de 10-15 000 cas par jour. Il serait alors difficile de relancer la vie économique, culturelle et sportive, d’ouvrir les restaurants et les bars, avec une circulation menaçant à tout moment de repartir à la hausse.
Est-il réaliste de tout miser sur le vaccin pour sortir de la crise?
Cela me paraît un pari hasardeux. Et risqué si de nouveaux variants émergent et mettent en péril l’efficacité des vaccins ; si l’acheminement ne se fait pas au rythme voulu ; si le cas d’AstraZeneca se posait avec d’autres vaccins et remettait en cause l’adhésion de la population. Les pays européens qui réussissent (Grande-Bretagne, Portugal, Danemark, Norvège, Finlande ou Allemagne) s’appuient sur deux piliers : la vaccination, mais aussi une circulation minimale du virus.
Notre situation sanitaire est-elle discordante par rapport à celle de nos voisins?
Il est un peu tôt pour le dire. Si la France décidait de tendre vers cet objectif, elle se situerait à un mois ou un mois et demi de la situation britannique actuelle. La Grande-Bretagne, qui sort de deux mois de confinement, observe une chute drastique des infections et de la mortalité, amplifiée par sa politique vaccinale. Elle est dans une situation sanitaire très enviable et donne le cap à toute l’Europe. La France pourrait connaître cette situation début juin si elle maintient son niveau de restrictions jusque-là.
Les pays champions dans cette lutte ne tolèrent pas la circulation du virus sur leur territoire
L’exemple américain sonne-t-il comme un avertissement?
Le même schéma se reproduit dans les nations qui ont parié sur le seul vaccin pour régler le problème. La situation actuelle aux États-Unis sera celle de la France en juin si elle ne va pas au bout de l’objectif clair de réduction de circulation du virus. Au prix de nombreux efforts, les États-Unis observaient une baisse continue des cas depuis début janvier. Cette dynamique s’est arrêtée, probablement avec l’arrivée des variants. Aujourd’hui, le taux de reproduction qui avait chuté à 0,8 remonte au-dessus de 1. La mortalité qui ne cessait de baisser ne décroît plus. La couverture vaccinale américaine est pourtant bien supérieure à la nôtre (33 % contre 14 %). Les courbes des États-Unis aujourd’hui pourraient être celles de la France mi-mai, avec l’équivalent de 15 000 cas par jour. C’est-à-dire un plateau trop élevé. Il suffit alors d’un taux de reproduction juste supérieur à 1 pour que ça reflambe.
La France approche des 100 000 décès dus au coronavirus. Le bilan est-il plus lourd qu’ailleurs?
Notre taux de mortalité, 145 pour 100 000 habitants, ressemble à celui de nos homologues européens. Moins bien que l’Allemagne (93), mais mieux que les États-Unis (169). Ce qui est impressionnant, c’est la comparaison de ces taux selon les stratégies adoptées. Dans les pays ayant visé la suppression du virus, la mortalité est dix à quarante fois moindre : au Japon, on compte 7 décès pour 100 000 habitants, 3 en Corée, 13 et 15 en Finlande et en Norvège. Quant aux pays ayant choisi le « zéro Covid », ils affichent des performances exceptionnelles : 0,34 décès pour 100 000 habitants en Nouvelle-Zélande, 0,54 en Chine, 0,04 à Taïwan. Idem en Thaïlande, au Vietnam, ou dans les provinces canadiennes de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.
La boussole française, c’est la capacité du système hospitalier. Faut-il en changer?
Oui, nous n’avons pas le choix. Les pays champions dans cette lutte ne tolèrent pas la circulation du virus sur leur territoire. Et l’économie suit le sanitaire. Retarder le confinement est une vision très court-termiste. Mieux vaut, tant sur les plans sanitaire, que social et économique, résoudre la crise le plus vite possible plutôt que de laisser la circulation du virus traîner et gangréner la société comme une partie de l’Europe le fait depuis novembre.
L’Institut Pasteur estime qu’il ne faut pas espérer reprendre une vie normale, grâce à la vaccination, avant la fin de l’été…
Dans la sphère publique, tant que tout le monde n’est pas protégé, il faudra en effet conserver les mesures barrière, l’Institut Pasteur a raison. Mais au niveau privé, quand deux personnes (ou même six ou douze!) toutes vaccinées se réunissent, il n’y a pas d’utilité à les maintenir entre elles. Un grand-parent vacciné et ses petits-enfants (s’ils n’ont pas de facteurs de risque de complication sévère) peuvent reprendre leur vie comme avant. Ils conserveront des précautions avec les non-vaccinés à risque car on ne connaît pas encore l’efficacité du vaccin sur la transmission du virus. Si on parvient à un niveau très bas en juin, la situation très sûre du fait de la vaccination. Il sera alors crucial de retracer les chaînes de contamination, d’isoler efficacement les porteurs de virus et de contrôler les frontières.