Aménagement du territoire et zones « vides »
Un article intéressant sur l’aménagement du territoire de Mériadec Raffray dans l’Opinion qui compare les zones pleines ( dynamiques) aux zones vides ( sans développement économique, sans équipement et services collectifs, condamnées au déclin économique, social et démographique
En économie, le pire n’est jamais certain, rappelait fin août Geoffroy Roux de Bézieux lors de « La Rencontre des entrepreneurs de France (« La Ref) ». Annoncée difficile, la rentrée s’effectuait finalement sous de meilleurs auspices. Le moteur français tourne « à 99% de ses capacités de 2019 », confirmait Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, en annonçant la fin progressive des mesures d’urgence. Ce n’est pas une raison pour tomber dans l’euphorie, conseillait cependant le patron des patrons français. Pragmatique, le président du Medef sillonne l’hexagone et a sans doute lu la mise en garde formulée en mars par le rapport intitulé « Rééquilibrer le développement de nos territoires » de l’institut Montaigne : « La crise économique et sociale actuelle pénalise davantage les territoires épars, qui souffrent pourtant déjà de fragilités structurelles face aux grandes métropoles du territoire ». En ne répondant « pas pleinement à ces enjeux de territorialisation de la relance », le plan de relance dévoilé le 3 septembre 2020 « emporte le risque d’une aggravation des écarts, au profit des métropoles ».
D’orientation libérale, proche du patronat et de la macronie, le think tank souscrit en partie aux constats des récents travaux de chercheurs sur la fracture territoriale. Le problème, explique-t-il, est que la France est « le pays le plus polarisé de l’OCDE ». Dans ce club des pays développés, les aires métropolitaines représentent, en moyenne et sur une longue période, 51% de la croissance du PIB par habitant. Par comparaison, en France, les quinze plus grandes métropoles génèrent 81% de la croissance du pays. Partout ailleurs, dans ce « reste » totalisant 98% de la superficie et 70% de la population, que ce rapport nomme les « territoires épars », la croissance et le niveau de vie économique « stagnent, voire déclinent ».
Cette France-là avait déjà souffert de la dernière crise financière. Entre 2008 et 2015, le nombre des emplois y a stagné alors qu’il augmentait de 3,4% dans les métropoles. À peine avait-elle pansé ses plaies, voilà que surgit la crise sanitaire. L’agriculture, qui s’y déploie quasi-exclusivement, a été peu impactée par le confinement dur du printemps 2020. Mais cela ne suffira pas à préserver un tissu économique. Le choc a été très rude pour son commerce de proximité et ses filières très exposées, comme le tourisme, le loisir ou l’aéronautique ; les territoires très spécialisés étant particulièrement affectés.
. De surcroît, ces territoires épars présentent une fragilité structurelle. Ils hébergent la plupart des petites et moyennes entreprises du pays. Or, les TPE et PME encaissent moins bien les secousses systémiques que les plus grosses sociétés ; « la diversification des activités, la trésorerie disponible et la capacité à solliciter des dispositifs publics de soutien sont autant d’atouts qui permettent de résister », rappelle l’Institut Montaigne, chiffres à l’appui. En mars 2020, 19% des entreprises ont stoppé leur activité. Ce taux a grimpé à 29% pour celles employant de 20 à 49 salariés et à 39% pour la tranche des 10 à 19 salariés. En avril, les pourcentages ont diminué, mais les écarts demeuraient.
Facteur aggravant, lorsque surgissent les difficultés dans un groupe, les gestionnaires des centres de décisions ont tendance à sacrifier en priorité les filiales et les sous-traitants « excentrés ». Depuis leurs tours de contrôle le plus souvent implantées au cœur des grands aires urbaines, ils ne verront, ni ne vivront en direct les conséquences de leurs choix, souligne le rapport. C’était vrai pour les délocalisations, qui se concrétisent par des transferts ou des fermetures de sites. Cela se vérifie pour les restructurations et leurs lots de plans sociaux (en janvier 2021, 763 avaient été initiés depuis le début de la crise, soit 353 de plus en un an).
A la reprise, la mécanique économique désavantage à nouveau les zones « vides » par rapport aux aires « pleines ». Naturellement, les jeunes pousses ou les opérations de croissance fleurissent surtout à proximité des grandes infrastructures, des bassins de main d’œuvre et de services. Cette tendance est amplifiée par les failles des « territoires épars » dont la population est plus âgée et réputée moins mobile que celle des métropoles. Entre l’ex-région Limousin, dont un quart des habitants a plus de 65 ans – le record national -, et l’Ile-de-France, la plus jeune avec seulement 14,6% de 65 ans et plus, l’écart est de 11 points.
Ces territoires sont moins bien équipés, les alternatives à la voiture y sont moins nombreuses, les écosystèmes d’entreprises et d’investisseurs (banques et fond régionaux) atrophiés, les pôles universitaires et de formation continue rares, la pénétration des réseaux à très haut débit lente, égrène le rapport, à la lumière des comparaisons avec la Bavière allemande et la Lombardie italienne, « deux exemples d’intégration réussie des villes moyennes et des territoires épars dans le tissu économique ».
Bien sûr, les cas de Beauvais, 60 000 habitants, et Compiègne, 40 000 habitants, qui subissent l’influence directe de Paris, ne peuvent être comparés à celui d’Aubenas, le plus grand pôle urbain de l’Ardèche (57 000 habitants), siège d’une quinzaine de grandes entreprises. En revanche, toutes ces villes moyennes partagent un même sentiment d’abandon au regard de la politique de rationalisation uniforme des services publics dont le point d’orgue fut la création des grandes régions en 2015. Le regroupement de l’offre de soins dans les métropoles avait cristallisé la colère des perdants, qui espèrent que la crise sanitaire aura enterré cette stratégie. Moins médiatisée est l’évolution de la carte des trésoreries publiques. Entre 2013 et 2020, 535 d’entre elles ont été fermées sur les 4 000 existantes. Et c’est sans compter les suppressions en cours. Cet abandon de la France des interstices justifié par les progrès de la téléadministration pèse lourd dans les territoires qui survivent grâce à la dépense publique et donc aux déficits.