Royaume-Uni: Du fait du brexit les magasins à moitié vide
La théorie selon laquelle le Royaume-Uni gagnerait à quitter l’UE perd toute crédibilité alors que les faits prouvent le contraire. Il reste à voir combien de temps il faudra avant que le message ne s’intègre dans le discours politique » (par Denis MacShane , ancien ministre britannique chargé de l’Europe,dans l’Opinion, extrait)
Tribune
Entrez dans de nombreux supermarchés britanniques, vous y trouvez des étagères souvent à moitié vides. Un jour plus tard, le mal est réparé, mais la semaine suivante, il y a de nouvelles pénuries de produits à base de viande, de poisson et de légumes.
Greggs, la chaîne populaire de sandwichs à bas prix, ou des chaînes de fast-food comme KFC et Nando ont dû fermer des succursales faute de pouvoir les livrer. Pour la première fois depuis le Brexit, de grands chefs d’entreprise, en particulier ceux des secteurs de la distribution et de l’import-export, protestent ouvertement. Le Financial Times rapporte que les hôtels de Londres et d’Edimbourg ne peuvent pas obtenir de linge propre pour leurs lits en raison du manque de personnel du fait du Brexit.
Les derniers chiffres du commerce sont dramatiques : toutes les exportations d’aliments et de boissons sont en baisse à 9,2 milliards de livres sterling au premier semestre 2021, contre 11,1 milliards de livres sterling lors de la période correspondante de 2019 ; les exportations de bœuf et de fromage vers l’UE ont chuté respectivement de 37 % et 34 % par rapport à 2019. Marks and Spencer a envoyé une lettre à ses fournisseurs en Europe pour les avertir que les installations portuaires en Angleterre, au pays de Galles et en Ecosse ne seront pas prêtes à temps pour les contrôles physiques des envois qui devraient commencer à la fin de l’année.
Une PME sur cinq a cessé de vendre en Europe car les règles et réglementations du Brexit rendent la tâche trop difficile ; parmi les autres 20 % envisagent de faire de même. On leur a dit que quitter l’UE ouvrirait une nouvelle ère économique florissante, mais jusqu’à présent, cela ne s’est pas traduit dans les faits. L’exode des travailleurs européens, en particulier celui des camionneurs qui faisaient la navette des deux côtés de la Manche, a durement frappé les transporteurs. Le Royaume-Uni a compté pendant des siècles sur la main-d’œuvre étrangère pour effectuer des travaux non qualifiés mais nécessaires.
« Les députés conservateurs et la presse pro-Brexit tentent de présenter la pénurie de travailleurs essentiels comme un problème lié à la pandémie. Le Brexit a cependant aggravé la situation »
Les députés conservateurs et la presse pro-Brexit tentent de présenter la pénurie de travailleurs essentiels comme un problème lié à la pandémie. Le Brexit a cependant aggravé la situation. Le Royaume-Uni a un régime rigide et inflexible visant à empêcher les citoyens de l’UE d’entrer en Grande-Bretagne. Les employeurs qui souhaitent faire appel à eux doivent les payer au moins 2 500 € par mois et négocier avec les bureaucrates du gouvernement pour obtenir des permis.
La Covid a touché tous les pays et tous les secteurs du marché du travail. Mais il n’y a qu’au Royaume-Uni où cela s’est traduit par des étagères vides. Napoléon a qualifié la Grande-Bretagne de nation de boutiquiers. Le Brexit a rendu la gestion des magasins plus difficile que ce que l’on avait prévu pendant les années de campagne anti-européenne.
Les effets du Brexit n’épargnent personne, des mères de famille qui ne peuvent pas avoir de filles au pair polonaises aux jeunes musiciens britanniques qui ne peuvent pas jouer dans les festivals estivaux de musique sur le continent. Le gouvernement insiste pour que les enfants européens aient un passeport sanitaire complet pour visiter l’Angleterre et, dans certains cas, un visa. Cela touche 750 000 élèves allemands et français qui viennent en voyage d’études en Grande-Bretagne pour améliorer leur anglais. Souvent, ils n’ont qu’une carte d’identité. Maintenant, ils doivent payer 110 euros pour un visa sans parler du coût d’un passeport national.
Les sociétés de téléphonie mobile annoncent désormais qu’elles réimposeront des frais d’itinérance aux utilisateurs britanniques visitant le continent. Le gouvernement met en place son propre système de marquage pour remplacer le « CE » obligatoire de l’UE, qui indique notamment qu’un produit répond aux normes de sécurité. Il s’agit d’une duplication inutile, tout comme celle imposée par le gouvernement britannique d’avoir un système national de protection des données à la place des normes RGPD de l’UE. L’obsession de Boris Johnson de rejeter tout ce qui est lié à l’Europe inquiète les entreprises.
La Cour de justice européenne s’est montrée très ferme sur le respect de la réglementation européenne sur la protection des données. Si le Royaume-Uni s’en retire totalement, les entreprises devront négocier des accords pays par pays pour transmettre des données au-delà des frontières, allant du commerce électronique aux détails en matière de ressources humaines des employés que les entreprises transnationales conservent et échangent.
« Même les conservateurs les plus obstinés commencent à comprendre que placer le pays dans un isolement mondial ne peut qu’affaiblir son influence dans les affaires planétaires »
Boris Johnson et les ministres britanniques n’apparaissent plus à la télévision ou à la radio pour défendre le Brexit. Les champions de la sortie d’Europe avant 2016 dans les médias écrivent désormais sur d’autres sujets. Il n’y a aucun avantage du Brexit que quiconque puisse mettre en valeur.
L’idée d’une « Grande-Bretagne mondiale », promue comme un avantage majeur du Brexit, a disparu dans le désastre de la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans. Le président Biden a ignoré avec mépris les appels de Boris Johnson à rester plus longtemps en Afghanistan afin d’aider à évacuer les ressortissants britanniques ou les Afghans ayant collaboré avec les Britanniques.
Même les conservateurs les plus obstinés commencent à comprendre que placer le pays dans un isolement mondial ne peut qu’affaiblir son influence dans les affaires planétaires.
On note une baisse du soutien au Brexit dans les sondages. C’est une inflexion plutôt qu’un point de basculement. Dans le dernier sondage publié en septembre par le Times, seuls 41 % des personnes interrogées pensent que le Brexit était un bon choix. Si la barre tombe en dessous de 40 %, la question de l’Europe dans la politique britannique changera car il deviendra très difficile, voire impossible, d’affirmer que le Brexit a profité à la Grande-Bretagne.
Comment combler le vide face à Macron ?
Comment combler le vide face à Macron ?
« Les oppositions devront proposer un projet qui ne tienne pas uniquement compte de la crise mais pense également le monde d’après », assure le sondeur Jean-Daniel Lévy.( L’opinion , extrait)
Quel est le jugement que portent aujourd’hui les Français sur la gestion de la crise sanitaire par Emmanuel Macron ?
C’est un jugement critique mais qui coexiste avec une forme d’appréciation qui peut se résumer à : « faute de mieux ». Deux sentiments se mêlent chez les Français : celui qu’il y a eu un retard à l’allumage à trois moments-clés de la crise (les masques, les tests, la vaccination) et celui qu’il n’y avait sans doute pas moyen de faire mieux. Les Français n’ont pas l’impression qu’une autre approche faite par LR, le RN, le PS ou encore La France insoumise aurait été plus efficace. D’ailleurs, ils n’en ont pas entendu. En ce qui concerne le pass sanitaire, avant la question de son efficacité pour lutter contre le virus, il ne faut pas oublier qu’un autre débat prédominait : celui du risque d’une fracture au sein de la société française entre non-vaccinés et vaccinés à qui on allait faire subir les mêmes restrictions qu’aux premiers. Le pass sanitaire a ainsi été perçu comme un instrument faisant la différence entre ceux ayant fait l’effort de se faire vacciner et ceux ne l’ayant pas fait. C’est pourquoi il a été bien accepté par les Français et qu’il le reste, et que les manifestations du samedi contre lui sont impopulaires. Le niveau de soutien aux anti-pass est comparable à la queue de comète des Gilets jaunes plutôt qu’au début.
Depuis un an et demi, cela a-t-il beaucoup évolué ?
Ce qui a beaucoup évolué, ce n’est pas tant le jugement des Français à l’égard des politiques qu’à l’égard des scientifiques. Au début de la pandémie, les Français souhaitaient que les premiers collent aux recommandations des seconds. Aujourd’hui, on note une demande d’indépendance du politique par rapport au scientifique. « Les scientifiques », en tant que tels, n’existent plus. Il n’y a plus le sentiment que la science exprime forcément la vérité. Les divisions de la communauté scientifique sont apparues au grand jour. Emmanuel Macron a su surfer sur ce phénomène. Il n’est plus «le premier épidémiologiste de France», selon la formule de Jean-Michel Blanquer, mais le premier responsable politique en charge de la gestion de la pandémie. D’un point de vue d’opinion, il ne prend plus seulement en compte la question de la santé mais l’équilibre de la société française. Et il est jugé à travers ce prisme.
«La santé n’annihile pas tous les autres sujets de préoccupation des Français: l’environnement, les questions économiques et sociales, la sécurité, l’immigration… n’ont pas disparu»
« La crise sanitaire durera encore plusieurs mois », déclarait la semaine passée le chef de l’Etat. Quel impact cela peut-il avoir sur la présidentielle ?
Ce qu’on a vu ces derniers mois en Israël ou aux Etats-Unis, par exemple, a plutôt été le signe qu’il n’y avait pas de lien intime entre le jugement sur la gestion de la crise sanitaire et le comportement électoral. Il n’y a pas eu uniquement un regard sur la gestion de la pandémie qui s’est exprimé. Dans nos enquêtes, on peut constater que la santé n’annihile pas tous les autres sujets de préoccupation des Français : l’environnement, les questions économiques et sociales, la sécurité, l’immigration… n’ont pas disparu. Ces thèmes demeurent à peu près au même niveau qu’avant, la gestion de la pandémie venant se superposer en surplomb. C’est le même phénomène que pour la question du chômage ces dernières décennies : cette préoccupation n’anéantissait pas les autres sujets.
Qu’est-ce que cela change pour Emmanuel Macron ?
Il s’était positionné en 2017 comme le Président de la prise de risque, il ne peut plus être sur cette ligne. Il doit être désormais le Président de la réassurance. Les Français sont en effet en attente de re-sécurisation sur ce qui fait l’ADN de la société française : les services publics et notamment les services publics de santé.
Et qu’est-ce que cela peut changer pour les oppositions ?
Cela les oblige à proposer un projet qui ne tienne pas uniquement compte de la crise mais pense également le monde d’après. Il y aura une attente d’anticipation, comme au lendemain de la crise financière de 2008. Celle-ci avait été un premier coup de semonce ; le deuxième a été la pandémie. En quelque sorte, il en existe un troisième avec la prise de conscience, bien au-delà du rapport du Giec, du dérèglement climatique. Dans le débat présidentiel, la question de la dette et des déficits publics sera aussi moins présente qu’en 2017. Cela va laisser plus d’espace à des mesures qui ne s’inscriront pas nécessairement dans l’orthodoxie budgétaire, notamment venues des rangs de la gauche ou de l’extrême droite. Cela va laisser plus de marge de manœuvre en matière de propositions.