Censeur d’aujourd’hui , victime de demain ?
L’hostilité du monde de la culture à l’égard de l’écrivain-voyageur, Sylvain Tesson désigné parrain du Printemps des poètes 2024, traduit une inquiétude existentielle dans un pays où l’extrême droite est aux portes du pouvoir, analyse dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
La polémique est assez pitoyable mais elle porte un enjeu lourd. Dans une tribune, des professionnels de la culture demandent à la direction du Printemps des poètes de « renoncer » au choix de Sylvain Tesson comme parrain de la 25e édition, du 9 au 25 mars. Face à la polémique, Sophie Nauleau, la directrice artistique du rendez-vous de la poésie, a annoncé sa démission vendredi 26 janvier.
L’écrivain-voyageur serait réactionnaire. Il tutoierait l’extrême droite. En réponse, les pétitionnaires sont traités de censeurs ou de « cafards ». Vous voyez le niveau… Corrigeons. Les auteurs de la tribune, publiée dans Libération vendredi 19 janvier, ne sont pas vraiment des censeurs – ils n’ont pas ce pouvoir. Ils font parler de poésie, ce qui est déjà pas mal. Ils réussissent aussi l’exploit de victimiser Sylvain Tesson, qui pourrait les remercier, si tant est qu’il en ait besoin.
Car le profil de l’écrivain a déjà été bien cerné, il y a quatre ans, par une longue enquête de L’Express, titrée « L’icône réac » (26 février 2020), puis dans le livre Enquête sur l’extrême droite littéraire (Seuil, 2023), du journaliste François Krug. Soit un homme qui fuit la modernité, la technique, les écrans, le consumérisme, la mondialisation. Qui aime lire le controversé Ernst Jünger, qui a fréquenté l’écrivain raciste Jean Raspail ou la figure de la Nouvelle Droite Dominique Venner, qui avait son rond de serviette à Radio Courtoisie. Tesson goûte peu l’islam, défend la chrétienté comme civilisation, en Orient comme en Arménie. « J’aime dialoguer avec les infréquentables », répond-il. Ajoutons qu’il lit mieux dans les plis du paysage que dans les yeux des dirigeants.
Il a étendu sa fascination pour les grands espaces russes à son président. Dans Berezina (Guérin, 2015), page 60, il a cette phrase : « Nous rentrâmes en Biélorussie comme une lame de sabre russe dans le gras d’un Ukrainien. » Depuis l’invasion de l’Ukraine, en 2022, il donne dans la résipiscence.