«Réorienter l’épargne des Français vers la finance verte »
Philippe Zaouati, le directeur général de Mirova (Natixis AM) décrit la dynamique en faveur de l’investissement durable mais regrette que le projet de loi Pacte n’ait rien prévu dans ce domaine. (Interview la Tribune)
Six mois après le « One Planet Summit », où en est le plan d’action de l’Europe pour la finance verte ?
Philippe Zaouati : Ce sujet avance très bien. La Commission européenne a présenté le 24 mai son « paquet législatif » sur la finance durable, dont les principales mesures sont la définition d’une taxonomie des actifs verts et de règles sur les obligations d’information des investisseurs institutionnels, la création d’indices de référence bas carbone et la prise en compte des préférences environnementales des clients [par les entreprises d'investissement et les distributeurs d'assurance, ndlr]. Ces mesures devraient être adoptées d’ici à mai 2019. Les choses suivent donc leur cours au niveau européen.
Où en est la proposition du « Green Supporting Factor », la carotte réglementaire demandée par certaines banques, notamment françaises ?
D’un point de vue prudentiel, il serait plus logique de pénaliser les actifs « bruns ». D’un point de vue politique, il est plus facile de donner un avantage aux actifs verts. Jamais l’Europe ne saura trouver un accord sur une définition des actifs « bruns », les Polonais, les Tchèques voire les Allemands seraient contre l’inclusion du charbon par exemple. Le « Green Supporting Factor » ne fait pas partie du paquet législatif de la Commission sur la finance durable. Cela reste pour l’instant une idée présentée par le commissaire Valdis Dombrovskis, à laquelle le président de la République Emmanuel Macron a apporté son soutien. Les régulateurs y sont opposés, beaucoup de banques y sont favorables, la Fédération bancaire française, mais la Deutsche Bank aussi. Chez Natixis, nous avons décidé de l’appliquer d’ores et déjà en interne, comme l’avait annoncé au One Planet Summit Laurent Mignon [l’ex-directeur général qui vient de prendre la présidence de la maison-mère BPCE]. Nous allons appliquer un bonus aux actifs verts et un malus aux actifs bruns de notre portefeuille pour démontrer que cela est faisable.
Votre ouvrage s’intitule « La finance verte commence à Paris ». Cependant, depuis le début de l’année, le leader mondial des arrangeurs de green bonds n’est plus le Crédit Agricole, mais l’Américain Bank of America Merrill Lynch…
Le début de 2017 avait été marqué par l’obligation verte géante de la France (7 milliards d’euros), qui avait bénéficié au Crédit Agricole l’an dernier. Ceci dit, il n’y a pas tellement de secteur où deux acteurs français apparaissent dans les quatre premiers des League Tables [BNP Paribas est 2ème et Crédit Agricole CIB 4ème, ndlr]. La France garde une très bonne place. La compétition internationale est là et c’est une bonne nouvelle. A l’étranger, que ce soit à Francfort, à Madrid ou à Stockholm, où se tenait le 29 mai la conférence franco-suédoise sur la finance verte, la France est perçue comme le pays en pointe, il n’y a pas de débat. La finance verte permet de créer des liens forts entre la place de Paris et d’autres places financières.
Depuis trois ans, depuis l’élan donné par la COP21, les choses ont radicalement changé en France : la finance durable est devenue un sujet business, dont se saisissent les plus hauts dirigeants des entreprises. Notre initiative Finance for Tomorrow n’intéresse plus seulement les responsables du développement durable mais des dirigeants de grands groupes, qui ont un vrai poids en interne. L’enjeu aujourd’hui est de savoir si l’on peut recréer de la compétitivité pour la place de Paris, dans un monde post-Brexit, autour du sujet de la finance durable. Il y a encore une certaine inertie et des résistances. On n’ira nulle part en essayant de copier-coller la City. Il faut se montrer innovant pour créer la place financière de demain.
La Bourse de Paris doit-elle avoir un compartiment dédié à la finance verte pour la mettre en valeur ?
Je ne suis pas sûr qu’un compartiment dédié soit nécessaire, pour les « green bonds » par exemple, c’est surtout du marketing. Euronext, qui est membre de Finance for Tomorrow, n’a pas forcément intérêt à imiter ce qu’a fait le Luxembourg. En revanche, nous travaillons avec Euronext sur la mise en avant de la Fintech verte. Euronext pourrait aussi avancer sur le sujet des indices bas carbone, une des mesures prévues dans le paquet de la Commission européenne.
N’êtes-vous pas déçu de l’absence de mesures en faveur de la finance verte dans le projet de Loi Pacte ?
Il y a des choses intéressantes dans la future loi Pacte, sur l’objet social de l’entreprise notamment, ce qui est très positif du point de vue de l’investissement responsable. En revanche, je reste sur ma faim en matière de fléchage de l’épargne. Après la remise du rapport Ducret-Lemmet sur la stratégie française de la finance verte en décembre, il y a eu quelques annonces sur les produits labellisés dans les contrats d’assurance, mais c’est très nettement insuffisant.
Il faut une stratégie pour réorienter l’épargne des Français vers les produits verts et responsables. Les labels existants en France ne sont pas assez efficaces, il faut les clarifier et leur attribuer un vrai budget de promotion : le label TEC (transition énergétique et climat) porte à confusion avec la technologie et mériterait d’être rebaptisé. Il faudrait un label de base « responsable » ISR (Investissement Socialement Responsable) puis des labels de fléchage, l’un green et l’autre solidaire. Se pose aussi la question de la distribution : il faut que les conseillers bancaires aient l’obligation de proposer dans les contrats d’assurance vie des produits responsables. La part de marché des produits verts et responsables est de 2% à 3% c’est extrêmement faible. Elle est de 30% dans l’épargne salariale. Il y a une marge de progression ! C’est là que l’on attend un objectif politique.
Les professionnels du capital-investissement ont récemment communiqué sur leur engagement dans la croissance durable. En font-ils assez ?
Le capital-investissement est un maillon important car il agit directement dans les entreprises et les aide à se transformer. Il y a une prise de conscience des enjeux ESG [Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance, ndlr], mais le private-equity français pourrait faire beaucoup plus. A l’étranger, on a vu la création de grands fonds à impact dont certains à plus d’un milliard de dollars : The Rise Fund (mené par le fonds américain TPG), celui de Partners Group [PG Life], ou encore celui d’Ambienta en Italie (635 millions d’euros), avec un objectif global dans la transition énergétique. Il existe peu de fonds thématiques en France, à part Demeter qui est labellisé TEC, et quelques sociétés de gestion dans les énergies renouvelables. Les acteurs français craignent d’être cantonnés à un secteur, à une niche. Ils pourraient aller plus loin et porter ce discours plus fort : c’est tout l’enjeu du « mainstreaming » de la finance durable, comment rendre ce sujet plus grand public.