Rafle du Vél’d’Hiv : » la honte française »
Il y a quatre-vingts ans avait lieu la rafle du Vél’d’Hiv. Si plusieurs milliers d’enfants juifs furent arrêtés, certains réussirent de justesse à échapper à la déportation. Souvent grâce au courage exceptionnel de familles françaises quand d’autres, beaucoup d’autres ,se sont résignées voire pire ont participé au génocide en dénonçant leurs voisins. Le légitime souci d’union nationale après la guerre a notoirement surestimé l’ampleur du mouvement de résistance mais ne peut faire oublier ce qui restera comme l’un des plus grands massacres de l’histoire.« Cet événement a fait d es survivants des sentinelles à vie », observe Nathalie Zajde, maîtresse de conférences en psychologie à l’université Paris-VIII.
Ce matin tôt du 16 juillet 1942, 10e arrondissement de Paris, les gendarmes ont frappé à la porte. Avant d’aller ouvrir, la mère d’Henri l’a caché sous le matelas de son lit en lui disant en yiddish : « Ne bouge pas ! Ne fais pas de bruit ! » Henri est resté figé ainsi plusieurs heures, mort de peur, osant à peine respirer, avant de sortir de sa cachette et d’aller frapper à la porte de la voisine, comme sa mère le lui avait recommandé. Il n’a jamais revu sa mère, ni son père d’ailleurs, arrêté quatorze mois plus tôt, en mai 1941. Henri est ce qu’on appelle un orphelin de la Shoah. Le 16 juillet, il avait 8 ans.
Annette, elle, n’avait que 6 ans. Quand la police a commencé à monter les étages, quand le bruit, les cris, les coups sur les portes ont débuté dans l’immeuble du 19e arrondissement, le père de famille a emmené sa femme et leurs deux enfants se glisser dans la cachette qu’il avait confectionnée sous le toit, près de la lucarne, en prévision de son arrestation. De là, ils ont vu les mères et les enfants de l’immeuble se faire embarquer. « C’est une image que je n’oublierai jamais, j’entends encore les cris des mamans et de leurs petits », confie Annette.
Ce jour-là, Marcel avait 5 ans. Quartier du Marais, « le Pletzl ». Il a été arrêté avec sa mère et son frère aîné. Le médecin du camp ayant diagnostiqué une maladie contagieuse, Marcel a été sorti pour être emmené à l’hôpital et, de là, exfiltré par une parente. Il est le rare survivant d’une famille nombreuse de juifs émigrés de Pologne. Comme Henri, Annette, Marcel, ils furent plusieurs milliers d’enfants parisiens à échapper de justesse à la fin tragique qui les attendait lors de la rafle des 16 et 17 juillet 1942.
Comment ces enfants miraculés ont-ils grandi, alors que les premières années de leur existence ont été marquées par des épisodes de frayeur, des scènes d’arrestation de leurs proches et la menace terrifiante liée à leur identité juive ? Qui devient-on quand, durant ses jeunes années de formation, au cours desquelles on apprend habituellement à devenir ce que les parents souhaitent que l’on soit, on est contraint de faire semblant, de devenir un bon chrétien du terroir alors qu’on est l’enfant de juifs émigrés ? Quelle sorte d’enfant est-on lorsque, dans la peur et la menace constantes, on a l’interdiction d’être juif et qu’on devient un étranger à sa propre identité, au point d’oublier la langue et la culture de ses parents ?
Et au lendemain de la Shoah, quel adolescent, quel adulte devient-on lorsqu’on apprend que la majorité de sa famille a disparu dans les camps nazis, dans une mort atroce et sans sépulture ? Comment grandit-on dans le pays qui vous a vomi et qui au lendemain de la Shoah fait comme si rien ne vous était arrivé ?