Vaccin universel contre tous les coronavirus ?
Un article de Betsy McKay Dans le Wall Street Journal (extrait)
Chercheur de l’armée américaine spécialisé dans les maladies infectieuses émergentes, M. Modjarrad travaille sur un vaccin visant à assurer une protection contre toute une série de coronavirus entraînant des maladies chez l’être humain, y compris des variants de la Covid-19 susceptibles d’échapper aux vaccins aujourd’hui disponibles.
L’objectif est d’empêcher un prochain variant de se propager à travers la planète. Un tel vaccin pourrait peut-être même combattre les coronavirus responsables des rhumes ordinaires.
L’équipe de recherche de M. Modjarrad est répartie en une vingtaine de groupes basés dans le monde entier, qui travaillent sur des projets de vaccins dits « universels » ou « pancoronavirus », c’est-à-dire capables de bloquer un certain nombre de virus liés, y compris des spécimens n’ayant encore infecté personne. Après avoir consacré des années à lutter contre les virus Ebola, Zika et H1N1, ainsi que d’autres nouveaux agents pathogènes, M. Modjarrad et différents spécialistes des maladies émergentes expliquent vouloir trouver un vaccin permettant de contrer tout nouvel agent susceptible d’apparaître.
« C’est la solution grâce à laquelle nous pourrons sortir non seulement de cette pandémie, mais de ce cycle d’épidémies », souligne M. Modjarrad, qui dirige le pôle des maladies infectieuses émergentes à l’Institut de recherches Walter Reed de l’armée américaine à Silver Spring, dans le Maryland.
Trois nouveaux coronavirus mortels sont apparus au cours des dix-huit dernières années, y compris l’agent responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), et les scientifiques s’attendent à ce qu’un autre émerge. De nombreux animaux, chauves-souris et lapins inclus, sont porteurs de coronavirus qu’ils pourraient transmettre à l’être humain. Des millions d’individus à travers le monde sont actuellement exposés au virus Sars-Cov-2 responsable de la pandémie de Covid-19, ce qui augmente les risques de voir apparaître des variants qui résisteraient aux vaccins, alertent les scientifiques.
« Il faut que nous travaillions de manière proactive sur ces virus, et sur beaucoup d’autres », affirme David Veesler, biochimiste à l’Ecole de médecine de l’université de Washington, dont le laboratoire teste un vaccin expérimental contre un groupe de coronavirus.
Les scientifiques ont passé des années à tenter de mettre au point un vaccin universel contre la grippe, sans succès à ce jour. Les coronavirus, qui mutent moins souvent et présentent un moins grand nombre de lignées distinctes, pourraient constituer une cible plus facile à atteindre. Les scientifiques notent toutefois qu’il pourrait falloir des années pour produire un vaccin capable de protéger l’être humain contre la plupart des coronavirus susceptibles de l’infecter, et que le chemin est semé d’embûches.
La Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), une organisation basée à Oslo qui finance le développement de vaccins contre des maladies épidémiques, investit 200 millions de dollars sous forme de subventions dans les premières phases de développement de vaccins visant à assurer une protection contre des coronavirus dangereux. Aux Etats-Unis, l’Institut national des maladies allergiques et infectieuses, dont les scientifiques cherchent à mettre au point des vaccins contre les coronavirus, a accordé 95 millions de dollars à d’autres chercheurs, dont 36 millions à des équipes de l’université Duke, de l’université du Wisconsin – Madison et du Brigham and Women’s Hospital à Boston.
Plusieurs entreprises travaillent sur des vaccins polyvalents contre la Covid-19, qui cibleraient les variants du Sars-CoV-2. L’administration Biden et d’autres bailleurs de fonds devraient accorder la priorité au développement de vaccins assurant une large protection contre ces variants, estime Eric Topol, directeur du Scripps Research Translational Institute à La Jolla, en Californie. « Ce dont nous avons réellement besoin, c’est d’un effort mondial de collaboration », observe-t-il.
Les vaccins actuellement en développement ne protégeraient pas contre tous les coronavirus. Ceux-ci sont très distincts les uns des autres, ce qui complique la production d’un vaccin à même de les cibler tous. La plupart des chercheurs se concentrent d’abord sur des vaccins contre les sarbecovirus, le groupe de virus suscitant le plus d’inquiétudes parce qu’il inclut les agents pathogènes responsables de la Covid-19 et du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras).
S’ils parviennent à mettre au point un vaccin contre les sarbecovirus, la prochaine étape consistera à développer des vaccins capables de bloquer les bêtacoronavirus, qui incluent les sarbecovirus ainsi que le virus responsable du Mers, détecté pour la première fois en 2012 et dont le taux de mortalité avoisine les 35 %. Ce groupe comprend également deux virus à l’origine de rhumes ordinaires.
« Avant de tenter d’atteindre Mars, il faut prouver qu’on est capable d’aller sur la Lune », souligne M. Modjarrad.
De récentes études menées sur les anticorps d’individus infectés par le Sars-CoV-2 contribuent à accélérer le développement de vaccins, indique Dennis Burton, immunologiste au Scripps Research Translational Institute. Lui-même et d’autres chercheurs ont identifié des « anticorps neutralisants à large spectre », qui combattent à la fois le virus actuel et de proches cousins. Des vaccins peuvent ensuite être mis au point dans le but de produire ces anticorps chez les patients recevant l’injection, explique M. Burton.
Pour produire un vaccin universel, les chercheurs ciblent des extraits d’agents pathogènes viraux identiques, ou conservés, de virus liés. Beaucoup se concentrent sur la protéine spike des coronavirus qu’ils étudient, laquelle est présente à la surface du virus et peut ainsi s’accrocher aux cellules humaines et les infecter.
M. Modjarrad et ses collègues ont récemment testé un vaccin expérimental à base de copies de la protéine spike du Sars-CoV-2 attachées à une nanoparticule en forme de ballon de football et composée de ferritine, une protéine sanguine de stockage du fer. Ce vaccin a protégé des macaques contre le virus initial de la pandémie, ont indiqué les chercheurs. Le sérum sanguin des macaques vaccinés est aussi parvenu à résister aux principaux variants du Sras, a précisé M. Modjarrad.
Avec ses collègues, M. Martinez a utilisé l’ARN messager, comme l’ont fait Moderna et Pfizer/BioNTech pour mettre au point leurs vaccins contre la Covid-19. Plutôt que d’exploiter le matériel génétique d’un seul coronavirus, ils ont assemblé les codes génétiques d’extraits de protéines spike issues de quatre virus semblables au Sras : le Sars-CoV, le Sars-CoV-2 et deux virus de chauve-souris.
La production des vaccins hybrides n’a été possible qu’en novembre, parce qu’un composant essentiel également nécessaire à la fabrication des vaccins Pfizer et Moderna était en quantité limitée. Lorsque les vaccins expérimentaux ont été testés sur la souris, ils sont parvenus à protéger les animaux contre des variants de la Covid-19, des coronavirus de chauve-souris ainsi que d’autres virus encore.
L’équipe cherche actuellement des financements pour réaliser un essai clinique de première phase chez l’être humain, et développe un vaccin contre le Mers et des bêtacoronavirus liés, précise M. Martinez.
A l’université de Washington, M. Veesler et ses collègues ont mis au point un vaccin contre la Covid-19 à partir d’une nanoparticule semblable au virus, constellée de copies de l’extrait de la protéine spike qui se lie à un récepteur sur les cellules humaines. Ce vaccin fait actuellement l’objet d’études cliniques de phase avancée.
Après avoir identifié plusieurs anticorps neutralisant à large spectre contre des virus semblables au Sras, les chercheurs se sont lancés dans l’élaboration d’une « version 2.0 » de leur vaccin, explique M. Veesler. Ils ont fixé sur la nanoparticule des copies d’extraits de la protéine spike du Sars-CoV-2 et de trois autres virus similaires : le virus à l’origine du Sras et deux virus de chauve-souris. Testé sur la souris, le vaccin a démontré sa capacité à assurer une large protection contre les virus de type Sras.
L’équipe affine à présent son vaccin et prévoit de procéder à d’autres tests.
Les chercheurs ont par ailleurs identifié des anticorps capables de résister à toute une série de bêtacoronavirus, dont le virus responsable du Mers, indique M. Veesler. De nombreux défis restent cependant à surmonter : les anticorps sont 30 à 50 % moins puissants que d’autres, et sont moins courants, explique le chercheur.
Les anticorps « ouvrent la voie à la conception de vaccins pancoronavirus, mais nous n’en sommes pas encore là. »