Le déficit extérieur, un sujet ?
L’économiste Sarah Guillou montre, dans une tribune au « Monde », que l’interprétation d’un solde commercial dépend du point de vue adopté par ceux qui le commentent.
Le solde de la balance courante française est le résultat de deux flux – les importations et les exportations – qui subissent deux forces distinctes – la demande et l’offre –, soit quatre dynamiques potentiellement indépendantes. Ajoutons que ces dynamiques peuvent être distinctes pour les marchandises, les services et l’énergie, et que s’y surajoutent les flux de revenus d’actifs (propriétés, brevets, actions, créances de dettes) détenus par des résidents à l’étranger, moins les revenus versés à des non-résidents issus d’actifs détenus en France. Et, comme si cela n’était pas suffisant, les dynamiques des pays concurrents jouent aussi sur le résultat. Autant dire que l’interprétation d’un solde de balance courante n’est jamais univoque !
Ainsi, un déficit commercial peut tout autant résulter d’une dramatique hausse du prix de l’énergie – en 2021, le solde commercial énergétique a été responsable de plus de 40 % du déficit commercial des marchandises – que d’une très forte hausse de la consommation des résidents ou encore d’une perte de compétitivité associée à des coûts élevés ou à un manque d’innovation dans les produits exportés. Rappelons d’ailleurs que la compétitivité est un concept relatif : il n’a de sens qu’au regard des concurrents. Si les principaux concurrents de la France mettent en place des politiques qui dégradent très fortement leurs conditions de production, la France en sort, sans effort, plus compétitive. Et réciproquement… Dans ces conditions, l’état de la balance courante française est-il vraiment préoccupant ?
Ce qui inquiète plus aujourd’hui est la dégradation du solde commercial des marchandises depuis 2005 (85 milliards d’euros en 2021, 66 milliards hors énergie), bien que cette dégradation ait temporairement ralenti entre 2012 et 2017. L’inquiétude est accentuée par la perte de parts de marché mondiales, ce qui signifie que les exportations françaises satisfont une part plus faible de la demande mondiale de marchandises. En revanche, les exportations de services présentent une balance positive croissante depuis 2013, culminant à 36 milliards d’euros en 2021. Comme les exportations sont encore essentiellement composées de marchandises, la spécialisation française dans les services restreint le potentiel d’exportations et rend nécessaire d’importer ce qu’on ne produit pas.