Guerre en Ukraine: Une menace contre le développement durable
L’arrêt des exportations agricoles en raison du conflit entre Kiev et Moscou bouscule le programme européen estime Mathilde Gérard journaliste au Monde.
Notons que les conséquences néfastes affecteront aussi d’autres secteurs dans l’industrie et l’énergie. C’est toute la transition écologique qui risque d’être décalée dans le temps NDLR
Elle serait « décroissante », « irresponsable », « catastrophique »… La stratégie alimentaire de la Commission européenne, Farm to Fork (« de la ferme à la fourchette », « F2F » pour les initiés), déclinaison agricole du Green Deal, se trouve sous un feu de critiques. Cette feuille de route destinée à mettre l’agriculture européenne sur la voie de la durabilité d’ici à 2030 vise à la rendre moins émettrice de gaz à effet de serre et plus protectrice de la biodiversité, ainsi qu’à permettre aux Européens de se nourrir sainement. Le document d’une vingtaine de pages qui la résume prévoit d’atteindre 25 % de surface agricole cultivée en bio en 2030, de réduire l’usage des pesticides de 50 % et le recours aux engrais azotés de 20 %.
Au moment de sa présentation en mai 2020, ce programme n’a guère suscité de vagues. Le texte n’est pas contraignant et doit faire l’objet de discussions ultérieures pour se traduire par des directives ou à travers la politique agricole commune (PAC). Le 19 octobre 2021, les députés européens l’ont approuvé à une large majorité.
Mais, quelques mois plus tard, le vent a tourné. Certains responsables considèrent que, en raison de l’invasion russe qui a mis à l’arrêt les exportations ukrainiennes de céréales, l’heure est venue pour l’Europe d’augmenter ses capacités de production, quitte à revenir sur certains objectifs de Farm to Fork. Alors que la France occupe la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, Emmanuel Macron a estimé pendant la campagne présidentielle que Farm to Fork devait être « adaptée » car elle « repose sur un monde d’avant-guerre en Ukraine ».
Plusieurs organisations professionnelles agricoles mènent la fronde contre ce texte. Le 29 avril, Christiane Lambert, coprésidente du COPA-Cogeca, première fédération agricole européenne, a accusé Frans Timmermans, vice-président de la Commission, de propos « inhumains » et de mener une politique qui conduirait à des famines dans le monde.
Pourquoi cette feuille de route suscite-t-elle tant d’opposition alors que ses grands principes – durabilité et santé – sont plutôt consensuels ? Une première piste d’explication réside dans le fait que cette politique est gérée en parallèle par les directions générales de l’agriculture et de la santé de la Commission européenne, un copilotage qui a bousculé certains représentants du monde agricole.
La deuxième raison tient au contenu potentiellement alarmant de plusieurs publications sur les effets de la politique Farm to Fork. En explorant divers scénarios, le centre commun de recherche de la Commission européenne a jugé qu’une baisse des volumes de production et une augmentation des prix alimentaires étaient possibles, tout en avertissant du caractère partiel de ses chiffrages. De son côté, le ministère de l’agriculture américain a calculé que les volumes de production chuteraient de 12 % si elle s’appliquait. Une troisième analyse, publiée par l’université néerlandaise de Wageningen, parvient à une conclusion similaire.