Avenir Twitter menacé ? .
par David Lacombled, président de la Villa numéris ( dans l’Opinion)
Fini la rigolade. En quelques jours, Elon Musk est passé de « Chief Twit » (Chef crétin), inscrit dans sa bio sur Twitter lors du rachat de la plateforme vendredi dernier, à « Complaint Hotline Operator » (« responsable du bureau des plaintes ») face à la multiplication des sollicitations, des récriminations mais aussi des demandes de réintégration. Si l’homme le plus riche au monde a déboursé 44 milliards de dollars pour l’acquérir, le réseau social a développé un fort sentiment de co-propriétaire chez chacun de ses utilisateurs. Des habitudes et des usages à la limite du conservatisme pourraient se révéler de sérieux freins à toute évolution des services comme du modèle.
La fusion entre Yahoo Japan et Line fait grandir l’espoir autour de la naissance d’une super app japonaise
Twitter est devenu une agora planétaire, où naissent des discussions, doublée d’un relais essentiel des médias, un terrain de jeu de l’information mais aussi de la désinformation. L’effet papillon s’est transformé en « oiseau bleu », emblème du réseau. Un tweet peut se révéler dévastateur. Ce sont essentiellement de courts messages écrits qui y sont postés, comme à l’origine en 2006. Depuis, seules les micro-évolutions ont été acceptées par les utilisateurs (les « twittos »), non sans vifs débats, tels que, en 2017, le doublement des messages postés à 280 caractères ou la possibilité de publier plusieurs messages enchaînés sous forme d’un « thread » (fil de messages). En revanche, le tournant de la vidéo entrepris avec la production de formats courts Vine ou la diffusion en direct avec Periscope n’a pas été couronné de succès. Loin s’en faut.
Couteau suisse numérique. En cela, la stratégie, plus subodorée qu’esquissée, de transformer la plateforme, dont le modèle économique repose essentiellement sur l’audience publicitaire, en super-application payante – dites «Super-App» – relève d’un pari à très haut risque. L’enjeu serait ici de devenir un couteau suisse apte à gérer nos vies numériques en un seul endroit en réunissant de très nombreuses fonctionnalités allant de l’e-commerce aux systèmes de paiement, en passant par l’information et la communication. D’omniprésent, le réseau se ferait omnipotent. Seul le chinois WeChat peut se targuer d’avoir réussi cette prouesse, fort, il est vrai, d’un marché captif et d’un milliard d’utilisateurs chaque jour.
Il n’est pas certain que les consommateurs soient prêts à payer pour une couche de services supplémentaires alors qu’ils sont durablement habitués à la gratuité, fut-elle une illusion, et à la qualité.
A certains égards, nos smartphones jouent aujourd’hui ce rôle de Super-app. Alors que leur facture numérique est déjà élevée (opérateur télécom + TV), il n’est pas certain que les consommateurs soient prêts à payer pour une couche de services supplémentaires alors qu’ils sont durablement habitués à la gratuité, fut-elle une illusion, et à la qualité. Pour ce faire, ceux-ci savent parfaitement jongler avec les applications pour en tirer le meilleur parti sans pour autant s’acquitter des frais qu’occasionnerait, par exemple, le recours à de plus grandes capacités de mémoire et de stockage. Au-delà, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier relève aussi d’une certaine forme d’indépendance vis-à-vis des plateformes et de protection de ses propres contenus. Ainsi, textes, photos, vidéos se retrouvent hébergés en plusieurs lieux virtuels où chacun sait parfaitement retrouver ses biens.
S’il entend, comme il l’avait dévoilé au printemps, multiplier par quatre le nombre des utilisateurs de Twitter, en visant le milliard à la fin de la décennie, pour multiplier ses revenus par cinq, avec un objectif de chiffre d’affaires annuel de 25 milliards de dollars, Elon Musk va devoir résoudre cette équation paradoxale consistant à ouvrir un peu plus grandes les portes du réseau, au risque d’être moins regardant sur la modération des contenus en particulier, tout en tentant de vendre, au sens propre, l’idée d’être dans un environnement sécurisé. Pour conquérir un nouveau public, l’idée de recourir à la constellation de satellites Starlink, dont le magnat est aussi propriétaire, pourrait être séduisante en dépit des investissements que cela nécessiterait là où ses créanciers ont besoin désormais d’être rassurés. De plus, permettre l’accès à ses services reviendrait à l’ouvrir aussi à ceux de ses concurrents. Les réseaux sociaux, Twitter au premier chef, sont condamnés à composer avec les communautés qu’ils ont contribué à créer.