Économie : investissements étrangers en France: un équilibre à trouver
« On assiste depuis 2014 et le décret Montebourg, pris pour appréhender l’opération d’acquisition d’une partie d’Alstom par General Electric, à un élargissement continu du champ d’intervention de l’Etat en la matière, poursuivi avec la crise sanitaire actuelle » tribune de Romaric Lazerges et Luc Lamblin dans l’Opinion.
Vue du quartier de la Défense
« Bien que parfois méconnu des acteurs économiques, le contrôle des investissements étrangers dans des secteurs jugés stratégiques n’en finit plus d’être renforcé. Un décret du 22 juillet 2020 vient ainsi d’abaisser encore le seuil de déclenchement du contrôle pour les investisseurs non-européens.
On assiste depuis 2014 et le décret Montebourg, pris pour appréhender l’opération d’acquisition d’une partie d’Alstom par General Electric, à un élargissement continu du champ d’intervention de l’Etat en la matière, poursuivi avec la crise sanitaire actuelle. Sont aujourd’hui concernés non plus seulement la défense nationale et la sécurité mais aussi les télécoms, l’énergie, la santé, les transports, l’alimentaire, les données, les biotechnologies, etc. A part le luxe et les spiritueux, presque tous les grands secteurs figurent ainsi désormais dans la liste des secteurs dits « sensibles ».
Par ailleurs, dans la loi PACTE, l’Etat a renforcé les mesures des sanctions dont il dispose en cas d’absence de demande d’autorisation ou de méconnaissance des engagements prévus par cette autorisation. Le ministre de l’Economie dispose par exemple d’un pouvoir d’injonction et d’un panel de sanctions incluant la suspension des droits de vote, l’interdiction de la distribution de dividendes, le retrait de l’autorisation, en plus de la possibilité d’infliger une amende pouvant atteindre le double du montant de l’investissement ou 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise cible.
La France a ainsi mis en place au fil des années un véritable arsenal réglementaire destiné à protéger ses intérêts stratégiques. Le code monétaire et financier continue certes de proclamer, dans son article L. 151-1, que « les relations financières entre la France et l’étranger sont libres », mais on peut se demander si l’expansion continue du régime de contrôle ne tend pas à faire du principe de liberté l’exception pour les opérations les plus significatives.
Souveraineté. Pour être acceptable, ce dispositif constamment renforcé doit être utilisé de manière à assurer une bonne conciliation entre l’objectif de souveraineté et la nécessaire attractivité économique du territoire. Trois exigences nous semblent à ce titre primordiales : la célérité, la proportionnalité, et la prévisibilité.
La célérité est dans la majorité des cas un acquis ; l’administration du Trésor s’efforçant d’effectuer le contrôle d’une façon adaptée et respectueuse des impératifs de calendrier des parties prenantes, tout en se concentrant sur les opérations les plus sensibles.
La proportionnalité de l’intervention étatique reste parfois une préoccupation, même si elle est en général assurée grâce à un dialogue efficace entre les services de l’Etat et les investisseurs. Peu de transactions donnent lieu à un refus de la part de l’Etat. Très souvent, en revanche, l’Etat conditionne son autorisation à la signature de lettres d’engagements par les investisseurs. Il est nécessaire que ces engagements restent proportionnés aux objectifs poursuivis. A défaut, on prend à court terme le risque d’alourdir inutilement leur mise en œuvre et leur suivi à la fois pour l’Etat et les entreprises concernées, et à moyen terme celui de détourner des investisseurs potentiels du territoire national.
L’exigence de prévisibilité apparaît enfin comme le principal axe d’amélioration. Le ministère de l’Economie ne publie pas les critères qui justifient qu’un contrôle préalable est nécessaire, selon les secteurs sensibles et les types d’investisseurs. Cette approche peut s’expliquer : elle vise pour l’Etat à conserver le maximum de marge de manœuvre afin de se prononcer au cas par cas. L’absence de critères objectifs connus des acteurs contraint cependant ces derniers, selon leur stratégie et leur tempérament, soit à une prise de risque en réalisant une opération sans solliciter l’accord de l’Etat alors qu’il y existe un doute sur le champ du contrôle, soit à une prudence excessive conduisant à demander une autorisation pour des opérations non significatives, ce qui alourdit la charge pesant sur les services de l’Etat et les délais de décision.
Enfin, il faut souligner qu’avec l’entrée en application en octobre 2020 du dispositif de coopération au sein de l’Union européenne sur les mécanismes nationaux de contrôle des investissements étrangers, qui conférera à la Commission européenne un rôle consultatif sur certaines opérations, la France devra veiller à ce que ce nouveau mécanisme de coopération n’ait pas d’effet négatif sur les investissements sur le territoire national et en Europe. »
Romaric Lazerges, associé au département Droit Public du cabinet Allen & Overy, et Luc Lamblin, Counsel au cabinet Allen & Overy.
Coût du service public : comment trouver un meilleur équilibre entre accessibilité, efficacité et coût
La question posée dans le cadre du grand débat était : « Comment faire évoluer le lien entre impôts, dépenses et services publics pour mieux répondre aux besoins des Français ? »
De fait, dans certaines parties du territoire, ce lien paraît de plus en plus ténu voire inexistant, en tout cas très de plus en plus éloigné. Dans nombre de villages, il y a déjà longtemps qu’il n’existe pratiquement plus de services publics et le dernier qui semblait devoir résister, à savoir la Poste, disparaît aussi. En cause évidemment, un aménagement du territoire qui privilégie l’hyper concentration autour de quelques centres et qui conduit le reste à la désertification. . La mode aujourd’hui est à la métropolisation, c’est à dire à la sururbanisation (qui constitue pourtant une aberration environnementale) tandis que certaines petites villes, des villages s’appauvrissent, des villes moyennes stagnent ou régressent. L’élément le plus significatif de cette désertification c’est la raréfaction de l’emploi. Du coup, les populations sont contraintes de rechercher des embauches de plus en plus loin de leur domicile (20, 30, 50 kms). Jusqu’au jour où elles décident de quitter leur zone d’habitat pour rejoindre des zones plus riches en emplois et en services. Pour preuve de cette désertification : la baisse dramatique de la valeur du patrimoine immobilier. Par manque de populations, les services rétrécissent comme peau de chagrin. Le cœur de la problématique de la désertification, c’est la disparition de l’emploi qui génère mécaniquement la fermeture des commerces et des services. La réactivation des villes moyennes, des zones rurales défavorisées passe d’abord par une analyse fine des réalités et de leur évolution sur longue période (emploi, PIB, population, services etc.) ; aussi par une prise en compte des typologies différenciées des zones dont l’approche globale masque les disparités. Au-delà, il convient d’agir sur les leviers susceptibles d’abord de fixer la population active existante et d’encourager la création d’emplois. Bien entendu une commune ne peut, à elle seule, inverser ces tendances lourdes même si elle peut intervenir utilement dans le champ actuel de sa responsabilité. Beaucoup de communes se préoccupent de leur développement pour autant l’environnement défavorable limite leur action (fiscalité, réglementation, transport, équipements et services). En fonction de certains scénarios économiques, sociaux et démographiques, en 2040-2050, certains villages se transformeront en zones pour retraités voire même disparaîtront (d’autant qu’à cette date un Français sur trois aura plus de 60 ans). L’activité économique interagit sur la qualité et le niveau des services et réciproquement. Si localement on se préoccupe légitimement des équipements et des services publics, par contre le soutien à l’emploi et à l’économie locale en particulier est plus déficient. Or en fonction du rythme de destruction des emplois locaux, ce devrait être aussi une priorité. Encore une fois compte tenu de la mode de la « métropolisation » ‘ pas spécifique à la France, il y a fort à parier qu’on pourra attendre encore longtemps des mesures significatives pour le développement rural des zones défavorisées. On ne saurait se limiter à quelques dispositions certes utiles mais très insuffisantes (couverture internet, bureau de poste, quelques services …peut-être). . Parallèlement on doit aussi s’interroger sur le concept même de service public, son coût, son fonctionnement et son financement ; en effet, si le rythme de suppression des services s’accélère, c’est notamment pour des raisons socio-économiques évoquées précédemment mais aussi à cause d’un coût que la collectivité a du mal à assumer. Ce coût explique largement que le pays détienne le double record du monde de prélèvement obligatoire et de dépenses publiques par rapport au PIB. Un record qui porte atteinte à la compétitivité donc aussi à l’emploi. Dans son acception un peu générale, la tendance est forte d’assimiler service public, secteur public voire statut des personnels. Trois notions pourtant à distinguer. La première découle du champ régalien de l’État (ou plus généralement des collectivités) lequel mériterait sans doute d’être mieux défini, sans doute plus restreint et en même temps mieux assumé. Certaines tâches doivent être toujours être assumés par l’État directement mais sans nécessairement gérer directement la logistique. La deuxième confusion concernant le service public vise le statut des personnels. Si on peut comprendre par exemple que les infirmières ou ASH soient fonctionnaires, c’est plus discutable pour les jardiniers, les menuisiers, et autres comptables. Le problème c’est qu’on résume souvent la problématique des conditions de travail par exemple du personnel des hôpitaux à celle des infirmières. La troisième dimension du service public est liée à la structure juridique qui l’effectue. Or rien n’indique que l’intérêt général doive être exclusivement assumé par le secteur public. De nombreuses fonctions d’intérêt général sont en effet exercées notamment par voie de délégation à des organisations parapubliques ou privées (santé, transport, formation etc.) Du coup, l’amalgame des trois définitions conduit souvent en fait à masquer une défense corporatiste et coûteuse du service public qui au total porte atteinte à la qualité, à l’accessibilité et à la compétitivité de ce service. Faute de cela non seulement tout service public disparaîtra des petites communes mais nombre de fonctions d’intérêt général vont aussi s’étioler dans les petites et moyennes villes (les hôpitaux par exemple). La problématique n’est pas simple, le service public pour certaines de ses activités constitue un atout indiscutable pour le progrès social mais aussi économique, il n’en demeure pas un boulet financier qui hypothèque son avenir. Avant d’envisager cette réforme du service public, il sera nécessaire au préalable de procéder à une évaluation qualitative et quantitative des contenus, du fonctionnement et du coût. L’évaluation qualitative est indispensable car ce n’est par la même chose par exemple en terme d’accessibilité d’avoir la possibilité d’obtenir un rendez vous au bout de 15 jours ou au bout de 5 mois chez un cardiologue ou un ophtalmologue. Autre exemple, Ce n’est pas non plu la même chose de disposer en permanence de la 4G en téléphonie mobile et de recevoir des SMS le lendemain de leur émission dans le zones blanches ou mal couvertes. Enfin, le traitement est différent quand il suffit de faire 500 m pour retirer 100 euros à la Poste ou faire 40 kms.