« L’impossible trilogie politique-religion-développement des pays musulmans «
L’économiste Taha Oudghiri analyse dans une tribune au « Monde » ce que sont les principes d’une gouvernance économique islamique, et ce qui pourrait en advenir (extraits)
Tribune.
Qu’elles soient au pouvoir ou dans l’opposition, les familles politiques islamiques occupent continûment, discrètement ou ostensiblement, le champ politique et l’espace public dans les pays musulmans. Ce faisant, elles influencent l’élaboration et l’application de certaines politiques publiques, quand elles n’en sont pas les initiatrices.
Conquérantes, elles conduisent à s’interroger sur ce qu’elles peuvent apporter, en termes de développement économique et social, aux pays qu’elles conquièrent ou qu’elles convoitent.
Que peuvent-elles trouver, sur le plan économique, dans leur référentiel exclusif qu’est l’islam, dans leur corpus religieux coranique et doctrinal : la sunna (les dires et les actes du prophète Mahomet) formant la loi islamique ? Des orientations économiques certainement, mais aussi et surtout, des interdictions et des injonctions.
Impôt et « zakat »
Le Coran et la sunna insistent sur une organisation économique inclusive, sur l’engagement d’une croisade permanente contre la pauvreté. Ils écartent cependant, et, plus encore, interdisent, totalement ou très significativement, des instruments majeurs de politique économique : l’intérêt pour la politique monétaire, et l’impôt pour la politique budgétaire.
L’impôt est interdit au-delà de la prescription relative à la zakat, qui est le troisième pilier de l’islam. La zakat est un impôt et non pas de l’aumône, comme le pensent la plupart des musulmans. C’est un impôt de 2,5 % dont l’assiette, le patrimoine, est très volatile par-delà les difficultés liées à son évaluation annuelle.
Dans des situations exceptionnelles, les capacités contributives peuvent être sollicitées par un impôt progressif. Cependant, aucun système fiscal ne peut être définitivement établi. Une interdiction – un péché même – décrétée par le prophète, même s’il insistait sur la redistribution pour la réduction des inégalités. Ses instructions sur les formes de redistribution étaient lapidaires, et donc lacunaires.
Ces interdictions sont transgressées allègrement, sans que personne trouve à en redire dans ces familles politiques et en dehors d’elles. Ces transgressions appellent, par leur ampleur, l’établissement d’un constat atterrant : autant de grand écarts, d’accommodements à l’islam en matière économique et autant de crispations, d’exacerbations lorsqu’il s’agit de tolérance, de flexibilisation politique et sociale, sont terriblement déroutants. Les dirigeants islamiques seraient-ils alors sortis de cette atemporalité religieuse en matière économique tout en se cramponnant, en figeant les autres aspects sociopolitiques de l’islam ?