Quelles compatibilité temps de travail et les rémunérations
Pour le président du Cercle des économistes, il faut « sortir de l’antagonisme idiot sur les 35 heures » et « s’attaquer d’urgence à la réindustrialisation du pays » ( chronique dans l’opinion)*
Jean-Hervé Lorenzi, le p
Les Rencontres du Cercle des économistes se tiendront cette année à Paris, du 3 au 5 juillet. Trois jours de débats en ligne et en direct, qui selon Jean-Hervé Lorenzi, doivent ouvrir une grande période de discussions et de débats dans tout le pays, « en dehors de toute tutelle des pouvoirs publics ».
Le président de la République a-t-il raison d’appeler à travailler et produire plus pour surmonter la crise ?
La discussion sur le temps de travail et les rémunérations devra avoir lieu. Mais pas de manière idéologique. Sortons de l’antagonisme idiot sur les 35 heures. Les 35 heures n’existent pas : les Français travaillent plus de 38 heures par semaine en moyenne ! Par contre, les RTT font que les Français travaillent moins annuellement que leurs voisins, et donc sont moins bien payés. Les 35 heures ont gelé les salaires pendant huit ans, notamment les petits salaires. On a payé en RTT des gens qui n’avaient pas les moyens d’en profiter. C’est tout notre équilibre macroéconomique qu’il faut revoir. Depuis vingt ans, la croissance est faible, le chômage et la désindustrialisation sont plus forts qu’ailleurs en Europe. Les inégalités se creusent. Il est temps de consulter massivement le pays sur tous ces sujets. Les Rencontres économiques qui se tiendront cette année à Paris, lanceront le débat.
On parle beaucoup d’attractivité, de souveraineté économique, de relocalisation… Quelles cartes la France peut-elle jouer ?
Il faut s’attaquer d’urgence à la réindustrialisation du pays. Nous sommes avant-derniers en Europe pour la part de l’industrie dans le PIB, devant la Grèce. La France est passée de la première à la troisième place des producteurs agricoles européens, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. Il faut redonner l’envie de produire en France. Pour cela, je propose la création d’un ministère des Activités productives, le développement des écoles d’ingénieurs qui ont disparu du paysage, à l’exception de Polytechnique. Il faut renégocier le statut financier des diplômés sortants des BTS productifs et revivifier les pôles de compétitivité en les autorisant à financer des projets, en y incluant les universités et tous les partenaires économiques locaux. Il faut plus d’autonomie et de décentralisation. Enfin, il faut aussi préparer une accélération massive de la baisse des impôts de production.
Tourisme, automobile, aérien… Bercy multiplie les plans de soutien sectoriels. Ne manque-t-il pas une vision stratégique plus globale ?
Maintenant que nous sommes sortis de la première phase de la crise placée sous le signe de la protection, s’ouvrent quatre à cinq mois de transition compliqués durant lesquels il va falloir faire débattre le pays — entreprises, partenaires sociaux, collectivités locales, etc. — pour faire émerger une forme de consensus. Ce consensus devra servir de fondation au troisième temps, celui de la relance. L’acceptation de la stratégie gouvernementale par la population ne se fera qu’à cette condition. Il y a trop de tensions dans le pays aujourd’hui. La seule voie de sortie, c’est la discussion, en dehors de toute tutelle des pouvoirs. Sachons rebondir sur cette période inédite où nos destins se sont rapprochés pour sortir de l’archipélisation française.
« Il faut par ailleurs bousculer l’organisation hiérarchique de ce pays, dans le public comme dans le privé. Notre pays crève de hiérarchies mal placées »
Faudra-t-il rembourser la dette de la crise ?
D’abord, les taux sont très faibles et c’est une bonne nouvelle. Ensuite, on semble redécouvrir la dette perpétuelle. Je rappelle que les Britanniques, tout au long du XIXe siècle, ont pu s’endetter sans limites parce que la dette publique britannique était renouvelée. C’est aussi le cas de la France aujourd’hui, avec une durée moyenne de la dette de sept à huit ans. C’est court. Pourquoi ne pas allonger la durée de ce roulement, comme l’a fait la Grande-Bretagne, sur 25 ou 30 ans ? Enfin, il convient de séparer la dette rachetée par la BCE de la dette achetée par les investisseurs privés. Les intérêts versés à la BCE reviennent dans les caisses de l’Etat sous forme de dividendes. On peut donc dire que cette dette n’existe pas. Ce n’est pas le cas de la part, majoritaire, de notre dette qui est détenue par des investisseurs privés. Il faut sur ce sujet du bon sens. Comptablement, il est possible d’annuler la dette qui vient d’être rachetée par la BCE. Mais cela donne l’impression d’argent magique, c’est dangereux. Ma conviction, c’est que dette publique ou dette privée, c’est la même chose. Aujourd’hui, mes inquiétudes portent surtout sur la dette privée. Si 10 % à 20 % des entreprises font faillite, l’Etat, qui a apporté 300 milliards d’euros de garanties bancaires, pourrait se retrouver avec une facture de 10 à 20 milliards d’euros.
Quels seront les trois principaux changements, accélérations, bouleversements… dans le monde d’après ?
Hôpital, Education nationale… Une partie des services publics va être confrontée à des sujets majeurs après la crise. Je souhaite que l’on profite de ce moment pour professionnaliser l’enseignement de notre pays. Il faut par ailleurs bousculer l’organisation hiérarchique de ce pays, dans le public comme dans le privé. Notre pays crève de hiérarchies mal placées. En poussant davantage au partage de l’information, le télétravail peut jouer un rôle dans cette transition. Enfin, la relocalisation doit passer par une organisation plus décentralisée. C’est ce que pense beaucoup de Français. C’est pour cela qu’il faut que partout, le pays discute. On ne sortira de cette crise que par des changements radicaux.
Les membres sont tous professeurs d’économie.
- Philippe Aghion
- Yann Algan
- Patrick Artus
- Emmanuelle Auriol
- Agnès Bénassy-Quéré
- Françoise Benhamou
- Jean-Paul Betbeze
- Laurence Boone
- Stéphane Carcillo
- André Cartapanis
- Jean-Marie Chevalier
- Hippolyte d’Albis
- Christian de Boissieu
- Lionel Fontagné
- Pierre-Yves Geoffard
- Patrice Geoffron
- Pierre Jacquet
- Bertrand Jacquillat
- Jean-Hervé Lorenzi (Président)
- Catherine Lubochinsky
- Philippe Martin
- Valérie Mignon
- Olivier Pastré
- Anne Perrot