Nucléaire : une énergie qui n’est pas transitoire
Dans une lettre adressée au chef de l’Etat, une vingtaine de personnalités dont Bernard Accoyer, Jean-Pierre Chevènement, les prix Nobel Claude Cohen-Tannoudji et Jean-Louis Lehn, ainsi que Louis Gallois, Gérard Longuet ou Hubert Védrine, s’inquiètent des conséquences, en l’état, de la taxonomie verte européenne sur l’avenir et le financement de la filière nucléaire.
Monsieur le Président,
Les discussions concernant la taxonomie semblent proches d’une conclusion, assimilant le gaz et le nucléaire à des « énergies de transition ». De fait, le recours au gaz semble pour un temps indispensable à certains pays qui ont retenu une politique hasardeuse pour leur approvisionnement en électricité, même si les contraintes climatiques exigent son abandon au plus tôt. Ce constat justifie la qualification d’ « énergie de transition ».
Toutefois, on ne peut exclure que le recours à l’énergie nucléaire soit nécessaire pour une période indéterminée. En effet, en l’état actuel des connaissances, en l’absence de moyens de stockage de l’électricité à un coût supportable, sa contribution est nécessaire, à côté des énergies renouvelables, pour atteindre les objectifs nationaux et européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’opinion publique française en a désormais pris conscience. Il serait donc incertain de considérer dès aujourd’hui que le nucléaire n’est qu’une « énergie de transition ». Au niveau européen, douze Etats ont manifesté leur ambition de retenir cette source d’énergie, reconnue pour ses atouts dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Assimiler l’énergie nucléaire à une énergie de transition aurait pour effet de rendre problématique le financement et l’avenir de la filière nucléaire. L’importance des investissements et la durée des amortissements favoriseraient le gaz pour lequel ils sont moindres. De surcroît, les centrales à gaz étant appelées quand les énergies renouvelables sont défaillantes, c’est le prix du gaz qui fixerait le prix du marché, ce qui ne permettrait pas au consommateur français de bénéficier des prix plus faibles et stables du nucléaire national. La réalité est que l’énergie nucléaire, contrairement au gaz naturel, est une énergie décarbonée et d’avenir, efficace pour réduire l’utilisation des énergies fossiles, comme l’affirment le GIEC et l’AIE. La considérer comme une énergie seulement transitoire serait contre-productif.
Reniement. Un compromis classant de la même façon le gaz et le nucléaire comme « énergies de transition » dans la taxonomie, même si nous comprenons qu’à ce stade ce puisse être un objectif diplomatique, serait contraire aux conclusions des trois commissions sollicitées par la Commission européenne qui ont reconnu que le nucléaire est au moins aussi performant sur chaque point étudié que les énergies déjà incluses dans cette taxonomie. Il serait également contraire à l’esprit et à la lettre du Traité Euratom, trop oublié mais toujours en vigueur, qui stipule en son Article 2-c) que la Communauté doit « faciliter les investissements, et assurer, notamment en encourageant les initiatives des entreprises, la réalisation des installations fondamentales nécessaires au développement de l’énergie nucléaire dans la Communauté ». En s’opposant à l’inclusion sans réserve du nucléaire dans la taxonomie, les pays hostiles à cette énergie renieraient leur engagement. Un tel accord serait susceptible de recours.
Il serait donc rationnel que le nucléaire soit inclus sans restriction dans la taxonomie, pour ne pas compromettre la renaissance de la filière industrielle française, la réindustrialisation, l’avenir économique et social ainsi que notre indépendance énergétique, ni les capacités européennes à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous nous permettons d’attirer votre attention afin que la voix de la France, que vous portez, s’exprime avec fermeté sur cet enjeu majeur pour notre pays et les douze Etats membres qui partagent notre position sur le nucléaire. Ainsi, par votre action, l’Union européenne pourra-t-elle approcher et, nous l’espérons, respecter, les engagements climatiques audacieux qu’elle s’est fixés.
Monsieur le Président de la République, nous vous remercions pour votre engagement personnel européen et climatique et nous vous prions d’accepter l’expression de notre haute considération.
Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale
Julien Aubert, député, membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)
Christian Bataille, ancien vice-président de l’OPECST
Claude Birraux, ancien président de l’OPECST
Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l’énergie atomique
François-Marie Bréon, physicien et climatologue
Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre
Claude Cohen-Tannoudji, académicien, professeur au Collège de France, physicien, Prix Nobel
Claude Fischer-Herzog, directrice des Entretiens Européens
Marc Fontecave, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences
Louis Gallois, ancien président de la SNCF
Patrick Hetzel, député
Claire Kerboul, physicien nucléaire
Jean-Marie Lehn, professeur à l’IEA Strasbourg, prix Nobel
Gérard Longuet, sénateur, vice-président de l’OPECST
Hervé Machenaud, ancien directeur exécutif du Groupe EDF
Hervé Mariton, ancien ministre
Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier
Stéphane Piednoir, sénateur, membre de l’OPECST
Raphael Schellenberger, député
Hubert Védrine, ancien ministre
Charles de la Verpillière, député