Un papier deMarie-Amélie Lombard-Latune dans l’Opinion
Au cours du mois de juin, le ministre aura un œil sur le bac et tous les examens de fin d’année qui se tiennent dans un contexte sanitaire encore délicat. Il mettra la main à l’agenda social qui doit prolonger le Grenelle de l’Education et promet quelques tensions avec les organisations syndicales. Sans compter la perspective des régionales et départementales qui mobilisent toute l’attention d’un pilier du gouvernement comptant bien jouer un rôle de premier plan dans la campagne présidentielle.
Ses proches ont sorti leurs calculettes : le 7 septembre, Jean-Michel Blanquer battra le record de longévité d’un ministre de l’Education nationale. Au « Guinness », c’est Christian Fouchet (quatre ans, trois mois et vingt-six jours), dans le gouvernement Pompidou, qui tient jusqu’à présent la corde. Et dès juillet, Blanquer passera devant François Bayrou. Le petit jeu n’amuse qu’un temps car, vite, survient la question piège : être resté cinq ans à l’Education (à la condition d’aller au terme du quinquennat), mais pour quoi faire ? Que vendre d’un bilan percuté par la Covid et l’attentat contre Samuel Paty ? Que réaliser dans les douze mois qui restent ?
« De haut fonctionnaire ministre, il est devenu un politique ambitieux. Il veut peser dans la campagne et se projette dans l’après avec une candidature aux législatives et un ministère régalien en 2022 », note un familier. Mais d’ici là, il faut à Jean-Michel Blanquer réussir à capitaliser sur son bilan, à ne pas mettre les profs dans la rue, à ne pas perdre « le lien privilégié » qu’il entretient, assure-t-on, avec Emmanuel Macron. Il lui faut aussi trouver l’énergie alors qu’il est déjà « essoré » après quatre ans avec « les syndicats, la gauche qui lui tapent dessus et maintenant les humoristes qui l’ont dans le collimateur ». « Jean-Michel prof de gym », au premier rang d’une séance de sport dans une école parisienne, a fait plusieurs dizaines de milliers de vues. Dans la vie réelle, ses collaborateurs le voient souvent plus agacé qu’au début, prompt à « tacler » ses interlocuteurs.
Le sanitaire a tout chamboulé du bel agenda mis en place en 2017. Après la loi « Pour une école de la confiance » et le dédoublement des petites classes en éducation prioritaire, devaient être déroulés la réforme du bac et le Grenelle de l’éducation. La première a, momentanément, rétréci dans l’essoreuse Covid ; le second a pris du retard et est encore loin de produire des effets concrets autres que les 700 millions (non négligeables) débloqués pour les salaires en 2022, ainsi qu’une promesse de « marches annuelles » qui atteindraient 500 millions d’euros.
Regrets paradoxaux. En matière de rémunération des enseignants, le ministre fixe l’objectif (vague) de « rejoindre le peloton de tête des pays de l’OCDE » et de faire en sorte qu’aucun d’entre eux ne perçoive « moins de 2 000 euros nets par mois ». Les syndicats font la moue, déplorent qu’une loi de programmation ne vienne pas graver cette amélioration dans le marbre. « Nous n’avons plus aucune garantie que l’effort se poursuivra après le départ du ministre », déplore le Snuipp-FSU, semblant presque, et pas à un paradoxe près, déjà regretter Blanquer.
Morceau avalé n’ayant plus d’odeur et les élections syndicales qui se profilent à la fin 2021 étant propices à la surenchère, il faudra aux stratèges ministériels faire preuve d’inventivité et de patience pour fixer l’agenda social issu du Grenelle. Aux questions de l’Opinion, et pour vanter l’agilité qu’il tente d’insuffler au système, le ministre répond par une formule : « Adieu le mammouth, bonjour le colibri ».
«Les profs lui reprochent de les avoir mis en danger mais, à les écouter, on n’aurait toujours pas rouvert les écoles! En revanche, les parents lui en savent gré»
Vis-à-vis des Français, c’est une autre carte qui peut être jouée : celle du « ministre-qui-s’est-battu-pour-que-l’école-reste-ouverte » pendant toute la crise sanitaire. L’argument a déjà servi cet hiver. Au sein de l’OCDE, la France a maintenu les classes en présentiel le plus longtemps. Les pédiatres alertant sur les effets délétères du confinement ont été plus écoutés que les Cassandre sanitaires.
Cette obsession, parfois contre vents et marées et, en tout cas, contre la prudence d’Olivier Véran ou de Jean Castex, sera-t-elle payante ? « Les profs lui reprochent de les avoir mis en danger mais, à les écouter, on n’aurait toujours pas rouvert les écoles ! En revanche, les parents lui en savent gré », espère son entourage. Excès d’optimisme ? Peut-être.
« Foncer ». Le patron poursuit sa route « à un train d’enfer », assure-t-on. Il dévie le moins possible de sa méthode (« foncer »), partant du principe que l’hostilité syndicale hérisse l’opinion publique. Ce qui ne lui évite pas de réduire ses ambitions. Plus question de « contreparties » à la revalorisation des enseignants, qui auraient pu prendre la forme d’une part de mérite dans la rémunération, d’une réforme des obligations de service, voire d’une annualisation du temps de travail… Des chantiers trop énormes et éruptifs pour être entrepris si tardivement. Pas le moment de se lancer « dans une discussion de marchand de tapis », a-t-il d’ailleurs balayé mercredi dernier en clôturant le Grenelle. Il n’est aujourd’hui question que de « transformation du métier d’enseignant » version rose bonbon, avec promesse de « plus de RH » et de « meilleure communication ».
Si ces suites du Grenelle passent largement au-dessus de la tête des Français, un élément peut leur parler : la continuité pédagogique qui devrait, à terme, leur assurer que leur enfant ait un prof en face de lui, et non pas un hypothétique remplaçant. « On va aussi demander aux candidats au Capes ou à l’agreg’ pourquoi ils veulent devenir prof. C’est une nouveauté. Bizarrement, la question n’était pas posée alors qu’ils sont recrutés pour trente-cinq ans… », ironise un connaisseur de la machine Education.
Bac S. La réforme du bac se relèvera-t-elle de l’épreuve de la Covid ? Deux années de suite, elle a pris du plomb dans l’aile, jusqu’à être réduite comme peau de chagrin, seuls la philosophie et le grand oral étant maintenus en juin 2021 comme épreuves finales. Le ministre est resté arc-bouté au « grand O » dont l’annulation aurait porté un coup symbolique à tout l’édifice. Les « évaluations communes », les « enseignements de spécialité » ne prennent pas encore toute leur mesure. Mais, là encore, l’optimisme est de rigueur rue de Grenelle. Déjà, plus de 50 % des lycéens choisissent une autre combinaison que la sacro-sainte « maths-physique-SVT », copie conforme de l’ancienne section S.
« Il faudra cinq ans à la réforme pour s’installer », juge l’un de ses concepteurs, Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille. En attendant, malgré la Covid, le syndicat Snes n’a pas « eu la peau du bac », comme il le promettait. Au bout du compte, c’est tout le lycée qui devrait faire peau neuve. « Ce qui sera également déterminant, c’est la façon dont l’enseignement supérieur va s’adapter et modifier ses critères de sélection », juge Anne-Christine Lang, députée LREM de Paris et ex-rapporteure de la loi Ecole de la confiance.
Le climat général reste orageux rue de Grenelle. Les quatre ans écoulés se caractérisent par « beaucoup de tensions entre les profs et le ministre », regrette Frédéric Marchand, secrétaire général de l’Unsa éducation. Témoin, le baromètre annuel du syndicat : seuls 10 % des 35 000 enseignants interrogés approuvent « les choix politiques pour l’éducation », une chute de dix points par rapport à 2018.
Des «mesurettes» d’un ministre «qui n’a pas su, comme il l’avait promis, recentrer l’Education nationale sur les fondamentaux»
A droite, Les Républicains affichent aussi leur scepticisme bien qu’ils aient du mal à trouver un angle d’attaque. Le député du Bas-Rhin Patrick Hetzel, l’un des spécialistes LR de l’éducation, critique des « mesurettes » d’un ministre « qui n’a pas su, comme il l’avait promis, recentrer l’Education nationale sur les fondamentaux ». A gauche, les flèches contre Blanquer « homme de droite » n’ont jamais cessé.
Fondamentaux. Réponse de l’entourage ministériel : côté réforme sociale, le dédoublement des classes, les « vacances apprenantes », le dispositif « devoirs faits » pèsent plus que de longs discours. Et de vanter « la hausse de 35 % du budget consacré à l’éducation prioritaire depuis 2017 ». Moins qu’avec les appareils politiques nationaux, c’est avec les associations d’élus que se fait régulièrement « le déminage ». Quitte à échanger longuement avec les maires sur les fermetures de classes, à soigner le Sénat et à cultiver la bonne entente entre le ministre et Gérard Longuet, rapporteur spécial du budget sur l’enseignement scolaire.
Les 15 % à 20 % d’élèves qui entrent en 6e sans maîtriser la lecture et l’écriture, les résultats désastreux des petits Français en maths et sciences à la dernière enquête internationale TIMMS demeurent une épine dans le pied du gouvernement. La maîtrise des fondamentaux reste « au cœur du cœur de mon action, insiste pourtant Jean-Michel Blanquer. Elle est aujourd’hui installée comme paradigme à l’école primaire. Elle fait partie, avec la réforme du bac, des sillons longs tracés depuis 2017 ». Les évaluations donnent désormais une photo de l’enfant en début et milieu de CP puis en début de CE1 : les récents résultats ont montré une (lente) amélioration.
Après ces mois chaotiques, le ministre jette un coup d’œil en arrière. « Nous avions trois récifs à contourner : faire revenir tout le monde à l’école pour cette huitième rentrée sous Covid, faire que les examens se tiennent et faire atterrir le Grenelle. » Ces derniers temps, il aime aussi dire que l’Education a réussi à « franchir le Cap Horn ». Façon de bien montrer que les cinquantièmes hurlants ne font pas peur à ce Breton par sa lignée maternelle.
Comment transformer la France en profondeur (l’Odissée)
Comment transformer la France en profondeur (l’Odissée)
Une tribune d’Odissée, organisation de l’intelligence sociale (la Tribune)
« L’état social du monde – 2015, la France se positionne à la 55éme place. Ces difficultés trouvent leur source dans la centralisation génératrice de non-dits : dans la société mondiale en transformation accélérée, le système socio-économico-politique monopolistique français de la France n’est plus adapté.
La France va mal. Les faits sont en rupture avec la bien-pensance :
-
-
La France est débordée par le mouvement du monde. Son fonctionnement global est décalé.
Les statistiques montrent que l’opposition socialisme / libéralisme est caduque
Depuis 2004, l’Odis publie à la Documentation française des analyses comparatives des territoires français, européens et mondiaux en termes de cohésion sociale et de performance : ces deux dimensions apparaissent en corrélation dans tous les ensembles. Sur la durée, donner le primat à l’une ou l’autre revient à échouer. Les prismes du socialisme et du libéralisme sont donc incomplets.
L’analyse des territoires révèle que la racine de la performance globale réside dans la qualité des débats
Les territoires qui réussissent le mieux sont ceux où l’information circule, où les échanges de proximité intègrent à la fois avec souplesse et rigueur la plus grande diversité des personnes, des faits et des idées. Dans des pays comme la Norvège, la Suisse, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, l’Autriche, les barrières statutaires ne résistent pas au bon sens : les expériences, analyses et idées de chacun sont attendues et reçues par tous.
Les limites du système étatique français
C’est donc un excès de centralisme et de régulation qui ne permet pas à la France d’impliquer tous les français dans la prise en mains des enjeux collectifs. En effet, Paris est le centre routier, ferré, aérien parce que c’est le siège de tous les pouvoirs : politique, économique, social, culturel, médiatique. De plus, à Paris, l’Etat est l’acteur principal :
Ainsi, un acteur unique procède seul à presque tous les arbitrages. Cela génère un déséquilibre de la responsabilité : attendu sur tous les terrains, l’Etat est sur responsabilisé tandis que les citoyens, démunis de marges de manœuvre, baignent dans l’irresponsabilité. Ils ne sont pas en situation de contribuer à la maîtrise de leur destin collectif.
Doté de cette omnipotence, le système politique ne sait pas entendre les signaux d’alerte. Il finit toujours par commettre et enchaîner les erreurs, ce qui aboutit à son renversement. Voilà pourquoi la France empile seize constitutions depuis 1789, tandis que le Royaume Uni est resté dans le même système souple qui lui permet de s’adapter en continu.
Une culture de non débat
Ce mécanisme structurel de concentration des pouvoirs en une seule main se retrouve au sein de toutes les formes d’organisation :
L’absence de vrai dialogue permet le triomphe de la bien-pensance et rend plus difficile l’émergence d’informations nouvelles et de projets innovants.
L’analyse des pratiques montre qu’à la culture du débat doit s’ajouter la structure du débat
Mais, même dans des pays où l’articulation du débat public et interne au sein des organisations s’opère plutôt spontanément, l’explication et l’écoute ne suffisent plus pour faire émerger des innovations porteuses de l’intérêt général. En effet, alors que la multitude des sources d’information forge autant d’opinions que de personnes, chacun veut désormais de plus en plus participer à l’élaboration des diagnostics et des décisions et refuse d’adhérer a priori. Le rôle nouveau du dirigeant consiste à animer l’écoute mutuelle en s’assurant de l’inclusion systémique de toutes les parties prenantes dans un échange constructif.
Le scénario français
L’alternative consiste donc à inventer un nouveau modèle de gouvernance générateur d’une culture de débat, de respect mutuel, de prise de conscience et de prise en main de la responsabilité intellectuelle à tous les étages. Alors, seulement, la société française sera en situation de réformer dans la sérénité ses systèmes fiscal, éducatif, sanitaire, social, politique, administratif…. Et alors aussi, elle sera en situation de ré éclairer le monde pour bâtir la prise en charge par tous du réchauffement climatique, du maintien de la biodiversité, du dialogue interreligieux, des crises financières… Et alors seulement, elle sera en mesure d’accomplir son destin, car comme l’écrivait Charles de Gaulle : La France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même.
Révolutionner le rôle du dirigeant pour réécrire le contrat social
Depuis des années, nous alertons les décideurs économiques, sociaux et politiques sans attendre la révolution de la rue, mère de tous les excès. Le grand débat n’est qu’un grand début : dans la société, il faut instaurer maintenant le débat citoyen en amont du débat parlementaire sur tous les grands rendez-vous législatifs ; dans l’entreprise, il faut acquérir le réflexe de la réflexion collective inclusive de toutes les parties prenantes dans chaque réunion de chaque service de chaque étage de chaque immeuble de chaque établissement.
La mise en œuvre par les dirigeants de toutes les sphères, unis pour le progrès, d’un mode opératoire nouveau et producteur d’une révolution des esprits permettra la réforme sereine, acceptée et générateur de performance et de cohésion sociale.
_________
NOTES
(*) Afin d’éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l’Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livrera les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s’appuyant sur des cas pratiques et sur l’actualité.
L’Odissée, l’Organisation du Dialogue et de l’Intelligence Sociale dans la Société Et l’Entreprise, est un organisme bicéphale composé d’un centre de conseil et recherche (l’Odis) et d’une ONG reconnue d’Intérêt général (les Amis de l’Odissée) dont l’objet consiste à « Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde ».
Depuis 1990, l’Odissée conduit l’étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l’Entreprise, la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l’a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d’auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l’intérieur des entreprises.